Jean Lorrain et le corps sans tête :

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Jean Lorrain et le corps sans tête :

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• Publié par: ibifylos
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• Langue: Français

Extrait

P r o m e n a d e sl i t t é r a i r e s

Jean Lorrain et le corps sans tête: la peur comme frisson esthétique.

« Il n’y a de vrai regard que dans les portraits. »  JeanLorrain,Monsieur de Phocas. est dans le recueilSensations et souvenirs, publié en 1895, que figure C’ 1 le conte de Jean LorrainRéclamation posthume. Ce court texte peut facilement séduire les amateurs d’errances fin de siècle et de fantastique spectaculaire : n’y trouve-t-on pas le héros confronté au corps décapité d’une statue dont il a disposé la tête morbide dans son intérieur ? Les pieds puis le corps sans tête ne viennent-ils pas progressivement hanter le cabinet de travail du narrateur jusqu’à l’apparition sanglante qui plonge finalement celui-ci dans l’épouvante? Le récit n’est-il pas enfin agrémenté de divers ingrédients utiles comme une dissertation comparative sur les odeurs de l’éther et de la neige ou encore la description du bureau mystérieux dans l’atmosphère nocturne? Ne craignons pas d’affirmer, pourtant, qu’au-delà d’un répertoire « simplement » fantastique, un tel texte révèle les réflexions et préoccupations esthétiques de toute une génération dont Lorrain peut apparaître comme un porte-parole significatif. Le texte est dédié à Oscar Wilde, l’auteur écrit à la première personne (se désignant ainsi lui-même, esthète et écrivain, comme victime de l’expérience) et le « personnage » principal du conte est une œuvre d’art qui s’anime après avoir été décapitée: autant d’éléments dont la conjugaison s’avère révélatrice. Pour Jean Lorrain, l’exercice fantastique est bien le moyen (conscient ou non) d’évoquer des inquiétudes qui ne se limitent pas à l’appréhension des spectres ou au devenir de la littérature et de l’art mais qui désignent

1. Réclamation posthume est un des « Contes d’un buveur d’éther » qui constituent eux-mêmes une partie du recueil Sensations et souvenirs, parus chez Charpentier en 1895 et repris dans Naissance du fantôme, anthologie réunie par Jean- David Jumeau-Lafond, Paris, La Bibliothèque, 2002.

0 Le frisson esthétique › N°1 › Été 2006