Jean Quatremer : « Je suis encore comme un gamin devant un jouet »
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60  e u r o p e
Cette interview inaugure un partenariat entreMédiasetEurActiv.fr, quotidien en ligne sur les politiques européennes.
JEâN QUâTREMER : « JE SUiS ENcORE cOMME UN gâMiN DEvâNT UN jOUET »
Il n’est pas là pour plaIre.Volontiers corrosif, le correspondant deLibération àBruxelles, Jean Quatremer, détesté du président de la Commission européenne, est pourtant un fédéraliste qui s’assume.
EntrEtiEn réalisé par >Clémentine Forissier et loup Besmond pHOtOs >Bruno lévy
Le journaliste européen est-il un jour-naliste à part ?Le poste à Bruxelles est spécifique car, en dépit de sa localisation géographique, ce n’est pas un travail de correspon-dant à l’étranger. Mais ce n’est pas non plus une rubrique « in-terne », comme le sont la « poli-tique » ou la « société ». On est vraiment à mi-chemin du natio-nal et de l’international. Ce qui est certain, c’est que la construction communautaire ne relève plus depuis longtemps de la « politique étrangère » au sens classique. L’Europe est pourtant encore trop souvent traitée dans la rubrique internationale, alors que les décisions prises à Bruxelles ont un effet immédiat sur la vie des citoyens français et européens. C’est la grande différence avec les orga-nisations internationales classiques. Vous suivez toutes les politiques de l’UE ?Je couvre l’en-semble des secteurs qui, dans les rédactions natio-nales, mobilisent de multiples rubricards (même s’ils ont tendance à disparaître au profit de préten-dues « généralistes »). Je traite aussi bien de la po-litique monétaire, économique, budgétaire, so-ciale que de la diplomatie, de l’agriculture, des transports, de l’énergie, de la défense, de l’immi-
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gration, de l’asile… Je fais aussi de l’investigation, comme au moment de l’affaire Cresson ou de la vache folle. Mes secteurs d’activité se sont élargis au rythme de l’accroissement des compétences de l’Union. Petit à petit, mon champ d’activité recou-pe une partie non négligeable des questions natio-nales. Vous avez enseigné le droit. Est-ce un handicap de ne pas être juriste pour être correspondant à Bruxelles ?Je le pense, l’Europe, n’étant rien d’autre qu’un moyen de régler pacifiquement des conflits d’intérêts par le droit, la norme et l’intervention du juge, en lieu et place de la diplomatie et de la force. Ce poste exige aussi de solides bases économiques et moné-taires, ces conflits d’intérêts étant avant tout éco-nomiques. Enfin, la connaissance de l’histoire européenne est une nécessité absolue pour com-prendre les désaccords entre vingt-sept États mem-bres à l’histoire pluriséculaire dont les traditions diplomatiques et juridiques sont très différentes. Sinon, on sombre dans une technicité qui n’est qu’un moyen de dissimuler sa propre incompré-hension des enjeux. Quelles sont les spécificités de votre travail de journaliste européen ?À Bruxelles, il faut oublier le reportage. Il n’y a pas de guerre, de catastrophe, de faits de société. Il s’agit d’un travail technique de décryp-
tage d’une réalité complexe. Je vois des journalistes qui souffrent ici, parce qu’ils pensaient se re-trouver dans un poste à l’étran-ger, comme Moscou, Washington ou Pékin où le reportage est la base de leur métier. Les journa-listes français sont sans doute les moins attirés par Bruxelles : on forme des généralistes, pas des rubricards, on leur apprend à aimer le reportage sur le « ter-rain ». Le terrain, ici, ce sont des institutions. Ce n’est pour rien que la télévision française ne traite quasiment pas de l’Europe alors que les Britanniques ou les Allemands y parviennent. Pour être à Bruxelles, il faut avoir la passion de la chose européen-ne, comprendre que l’on bâtit ici quelque chose qui n’a aucun pré-cédent : le partage volontaire de souverainetés par des États que tout oppose. Je dirais presque qu’il faut avoir la foi du charbon-nier, être persuadé que la
« pouR êTRE à BRuxEllES, Il fauT avoIR la foI du chaRboNNIER, êTRE PRêT à SuIvRE uN doSSIER quI METTRa dIx aNS à abouTIR. »
construction communautaire se fait dans l’intérêt général et donc être prêt à suivre un dossier qui mettra dix ans à aboutir (comme la monnaie unique, par exemple). Car le poste de Bruxelles ne vous apporte pas la reconnaissance de vos pairs, même si cela commen-ce à changer. On ne peut pas être journaliste à Bruxelles en étant eurosceptique ? Non. Je n’en connais aucun. Ou s’ils le sont, ils repartent très vite. Ce poste exige un investissement total et ne supporte pas le cy-nisme. Si vous méprisez l’Union,
tout devient un non-sujetou vous mentez pour travestir la réalité. Et les Britanniques ?Ils arrivent eurosceptiques. Et, au bout de trois ans, leur rédaction les rap-pelle parce qu’ils se mettent à être plus nuancés, à écrire au plus près de la vérité qui n’est pas ca-ricaturale comme aiment à le croire les Britanniques. La vérité est du côté des europhiles ? Être europhile ne veut pas dire que l’on se voile la face, bien au contraire. Ce n’est pas un euros-ceptique qui a fait tomber la com-mission Santer, qui a révélé l’af-faire de la vache folle ou les écoutes au sein du conseil des ministres. Bien que fédéraliste, je n’ai jamais ménagé mes criti-ques à l’égard de l’Union. L’euro-scepticisme constitue, selon moi, un biais idéologique qui empêche de faire so travail. L’eurosceptique va pas travailler dans l machine, ne s’implique
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