L invasion de l Irak€: les dessous de la prise de décision de la ...
13 pages
Français

L'invasion de l'Irak€: les dessous de la prise de décision de la ...

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
13 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

L'invasion de l'Irak€: les dessous de la prise de décision de la ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 70
Langue Français

Extrait

buristDile éontiuqinortc nriaC eI.R.. S.usToro d stiesérsévruop pour Dalloz/I.R..I.S©.D laol/z.Ied noitatnesérpeno, leicrt aet caLr ya.ssup  rotou rion ductepro euqsnadirot eésesites des lim lap rhptoatmmne tn'est auocopie, saé elc tn ,hcaédu sion ou, ite 'd selartasilitutidion cnégés onp rav toeré atlbicence souscriterénésela ed l als dendcoioit gnst ou tou, entionneatrpsé uernoo tiucodprree trau etuoT .tnemessi soit, ee que ce eaminrè euqleuqe rm detquelfoe uos uq srap ,eitprévcas des ors igls aélral sup urueig venn ioate lI .ecnarF ne dite saust interp érlaba fcaocdrt ri lde eleéct ne ,hed idé'ruettnretni 
| Dalloz/I.R.I.S. | Revue internationale et stratégique 2005/1 - N° 57 ISSN 1287-1672 | ISBN 2247060986 | pages 9 à 20
L'invasion de l'Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush par Charles-Philippe DAVID
id.t
Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RIS&ID_NUMPUBLIE=RIS_057&ID_ARTICLE=RIS_057_0009
Pour citer cet article : — David C.-P.,L'invasion de l'Irak : les dessous de la prise de décision de la présidenc R e e  v B u u e s i h n , ternationale et stratégiqu  e 2005/1, N° 57, p. 9-20.
tsp éricésq eus on stockage dansenu sab ed enod esnést ega émele
$R5002reivnaJzollDasrieIvuReIleofarpp:040801:5-0510-0$$$2IRIS93942WU:oil8.p
The Invasion of Iraq : Behind President Bush’s Decision Making Process In the aftermath of the September 11 terrorist attacks, the Bush administration initiated a revolution altering the course of American foreign policy. The entire decision making process was re-orientated while traditional administrative rivalries faded considerably. Decision making management became less formal primarily because the terrorist threat required an increased reactivity. The « War Cabinet » that was set up gathered the main decision makers of the National Security Council (NSC) and took a series of decisions that were to change the course of internatio-nal relations. At the same time, the decision making process evolved, marked by the war in Afghanistan, while the invasion of Iraq emerged in the shadow of a one-sided vision of the international system’s construction.
L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush Dans la foulée des événements du 11 sep-tembre, l’Administration Bush amorce une véritable révolution qui va altérer le cours de la politique étrangère américaine. L’en-semble de l’approche décisionnelle est réorienté tandis que les rivalités adminis-tratives, traditionnellement vivaces, s’atté-nuent considérablement. La gestion du processus décisionnel se fait moins for-melle, notamment parce que le risque terroriste impose une réactivité accrue. Le « cabinet de guerre » qui se met en place réunit les principaux décideurs du Conseil de sécurité nationale (NSC) et prend une série de décisions qui vont marquer le cours des relations internationales. Dans le même temps, le processus décisionnel marqué par la guerre en Afghanistan évolue, tandis que derrière l’émergence d’une véritable pensée unique, se profile déjà l’invasion de l’Irak.
´ ´ RESUME ABSTRACT q / Charles-Philippe David est titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études ´ stratégiques et diplomatiques, directeur de l’Observatoire sur les E tats-Unis à l’Université du Québec à Montréal. Il a récemment publié la seconde édition de ´ Au sein de la Maison-Blanche. La formulation de la politique étrangère des E tats-Unis , Québec, Presses de l’Université Laval, 2004. L’auteur peut être contacté à l’adresse e-mail suivante : david.charles-philippe@uqam.ca
L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision de la présidence Bush / Charles-Philippe David Directeur de l’Observatoire sur les E tats-Unis à l’Université ´ du Québec
Le choc des attentats du 11 septembre 2001 va amorcer la « révolution Bush », modifiant le cours de la politique étrangère américaine, et réorientant l’approche décisionnelle. Les rivalités départementales et personnelles vont s’atténuer. De plus, l’organisation hiérar-chique de la Maison-Blanche va faire place à un mode de fonctionnement moins formel et plus spontané en raison de la nécessité d’une grande réactivité face aux attentats. Le « cabinet de guerre » qui se met alors en place réunit les principaux décideurs du Conseil de sécurité nationale — National Security Council (NSC) — avec, à sa tête, le président George W. Bush qui s’engage résolument dans la prise de décision et exprime la volonté de répliquer à l’attaque terroriste : la décision d’intervenir en Afghanistan pour renverser le régime des talibans (qui protège Oussama Ben Laden) est alors prise rapidement. Entre le 7 octobre, date du début de l’intervention américaine, et le 7 décembre 2001, moment o `u les talibans abandonnent leur fief de Kandahar (chef-lieu religieux du sud de l’Afgha-nistan), l’opération militaire américaine a pratiquement accompli son objectif : malgré l’échec de la capture de O. Ben Laden et de ses lieutenants, le régime des talibans est tombé et un gouvernement de transition, proaméricain, est installé à Kaboul. ` A la fin de l’année 2001, plusieurs éléments de la prise de décision sont marquants et vont influencer irrémédiablement les choix et le fonctionnement de l’Administration Bush. Ces nouveaux aspects de la prise de décision apparaissent avec la guerre en Afgha-nistan, et ils marquent l’amorce de la construction d’une véritable pensée groupale, qui mène directement à l’invasion de l’I k. ra D’ailleurs, le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, qui participe régulièrement aux délibérations du forum décisionnel du NSC, va très vite tisser le lien entre l’Irak et Al-Qaïda, et insister — dès l’automne 2001 — sur la nécessité d’utiliser la force contre Saddam Hussein. Bien que ses idées ne trouvent pas une traduction immédiate dans les décisions gouvernementales, l’influence de P. Wolfowitz se fait déjà sentir dans les rouages gouvernementaux. D’ailleurs, l’Administration Bush se focalise très vite sur la question irakienne plutôt que de se concentrer sur la reconstruction et le développement de l’Afghanistan qui ne l’intéressent pas, une négligence qui se répétera en Irak. Il est vrai que les principaux décideurs de l’équipe Bush partagent le point de vue de Condo-leezza Rice qui, en octobre 2000, affirmait que le travail « du 82 e corps aéroporté n’était
´ ECLAIRAGES
:o.p9ppleofil:10:04ra-05-0508012$$$SIRI$R5002ervianJozllDasIeireRuvWUI39429
s d’ er les enfants à la garderie » 1 . Les néoconservateurs, chantres de « l’impé-pa accompagn rialisme démocratique », s’opposent à la perception de C. Rice et considèrent que la ´ ´ reconstruction des Etats — le nation-building — est une des clés de la sécurité des E tats-Unis. Cependant, ils y renoncent pour se rallier aux décideurs car le « changement de régime » à Bagdad leur paraît plus important que la démocratisation du régime de Kaboul. Pour les néoconservateurs, l’Afghanistan constituait une étape obligée mais ne correspon-dait pas à l’objectif ultime de la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, avec l’Irak, l’équa-tion décisionnelle allait s’inverser.
Le chemin (néoconservateur) de la guerre en Irak La nature des décisions de l’équipe Bush change radicalement avec les attentats du 11 sep-tembre. Partagée tout au long des huit premiers mois entre la volonté d’endiguer l’Irak en instaurant un régime de « sanctions intelligentes » (position promue par Colin Powell) et la détermination de mener des actions plus décisives pour faire tomber S. Hussein (position défendue par Richard Cheney et Donald Rumsfeld), la politique américaine à l’égard de l’Irak empruntera résolument le chemin de la guerre après le 11 septembre. Contrairement à ce qui a parfois été dit, le sort de l’Irak est scellé rapidement : dès les jours qui suivent les attentats du 11 septembre (soit un an et demi avant le lancement de l’opération « Liberté en Irak »), le président et plusieurs de ses proches conseillers affichent — en privé — leur intention de procéder à un « changement de régime » à Bagdad. ` A compter de ce moment, tout sera mis en œuvre pour rassembler l’ensemble du gouver-nement américain, le Congrès, l’opinion publique et l’Organisation des Nations unies (ONU) autour de l’idée d’une invasion. Au départ, le contexte décisionnel y est hostile : « la bureaucratie était bien moins enthousiaste à l’idée de la guerre qu’on a été porté à le croire » 2 . Pourtant, le ralliement autour du choix du président et de ses principaux déci-deurs aura bien lieu, et celui-ci peut s’expliquer par un ensemble de facteurs cognitifs et organisationnels. En premier lieu, la pensée groupale aura un effet ravageur : les rares réserves des décideurs ou des conseillers céderont face aux arguments des « faucons », et les sceptiques (parmi lesquels C. Powell) feront finalement des concessions et se rangeront à l’idée de la guerre. En second lieu, la bureaucratie — et, au premier plan, l’organisation du NSC — sera contournée lorsque viendra le temps de rassembler des informations sur l’existence d’armes de destruction massive (ADM) pour justifier l’usage de la force. Les suites de l’invasion de l’Irak occasionneront une grave crise de crédibilité pour l’Adminis-tration Bush, qui devra s’expliquer sur le fait qu’aucune ADM n’a été retrouvée en Irak, tandis que l’opinion publique apprend que la décision de faire tomber le régime de
´ 10 ECLAIRAGES
1. CitéparIvoDaalder,JamesLindsay,AmericaUnbound.TheBushRevolutioninForeignPolicy,Washington,Brookings Institution Press, 2003, p. 112. Le 82 e est l’une des plus grandes divisions parachutistes de l’armée américaine. Il est considéré comme un corps d’élite et doit pouvoir en tout temps, et partout dans le monde, se déployer efficacement et combattre. 2. NicholasLemann,«HowitCametoWar»,TheNewYorker,31mars2003.
.1:p0epfllooi010:r4pa05-0508:S$$$210-r2ienvJaRI$I5R00sirIeuvezollaD99WIR324U
99324UeuveRIWlaDsirInvJazlo5R00r2ie$S$$I$IR500-12-010:0508:pelf4rap1olio:p.1
L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 11
´ 1. EricLaurent,LaguerredesBush,Paris,Plon,2003;BarthélémyCourmont,Lempireblessé,Washingtonàlépreuve delasymétrie,Montréal,PressesdelUniversitéduQuébec,2005(àparaître);GérardChaliand,DuneguerredIrakà ´ l’autre, Paris, Editions Métailié, 2004. 2. CitéparDilipHiro,SecretsAndLies.Operation«IraqiFreedom»andAfter,NewYork,NationBooks,2004,p.31. 3. Ibid., p. 46.
Bagdad était arrêtée avant même que les inspecteurs ne retournent en Irak (notamment pour vérifier la véracité des accusations de l’équipe Bush). Les néoconservateurs profitent du conformisme engendré par les attentats du 11 septembre pour mobiliser l’action du gouvernement et réaliser enfin la guerre qu’ils préconisaient depuis plusieurs années.
Le contexte décisionnel Plusieurs ouvrages de langue française proposent le récit et la chronologie des principaux tournants politiques et diplomatiques de la période précédant l’invasion de l’Irak 1 . Sans revenir sur le détail des événements, il est possible de distinguer des étapes cruciales dans la prise de décision par l’Administration Bush. Premièrement, en janvier 2002, G. W. Bush désigne officiellement l’Irak comme l’un des piliers de l’« axe du Mal ». De l’avis de nombreux observateurs, le président affiche clairement ses intentions et son projet d’envahir l’Irak en mars 2002 lorsqu’il entre dans le bureau de C. Rice et déclare, devant les sénateurs présents, « tant pis pour Saddam, nous allons le chasser » 2 . G. W. Bush énonce deux doctrines, celle du « changement de régime » visant directement Bagdad, en avril, et celle de la guerre préventive ( preemptive war ) justifiant l’intervention américaine, en juin. La question n’est plus de savoir si l’Ad-ministration désire la chute de S. Hussein, mais quand et comment elle le fera tomber. En août, après d’importantes rencontres avec ses conseillers ainsi qu’avec C. Powell, le président arrête définitivement sa stratégie et donne son aval au plan d’action militaire et diplomatique destiné à déposer S. Hussein. Il autorise même des opérations de bombarde-ment dans le sud de l’Irak, pour ouvrir la voie à une éventuelle invasion. La deuxième étape est amorcée fin août, lorsque R. Cheney établit, pour la première fois publiquement, un lien entre l’Irak, les ADM et Al-Qaïda, et ce, avant même que la communauté du renseignement se soit prononcée. « La guerre, dit-il, est inévitable » 3 . Au cours de l’automne, l’Administration tentera de convaincre le Congrès, l’opinion publique et le Conseil de sécurité de l’ONU de la présence d’ADM en Irak. Elle obtien-dra l’appui de la communauté internationale pour rétablir les inspections en Irak mais désavouera ensuite le travail des inspecteurs. Dès lors, l’équipe Bush tentera de démontrer — notamment par une présentation spectaculaire de C. Powell aux Nations unies, le 5 février 2003 — les progrès inquiétants des programmes d’armement irakiens et les efforts de dissimulation déployés par Bagdad. Incapables de faire adopter, par le Conseil de ´ sécurité de l’ONU, une résolution sur le recours à la force, les E tats-Unis déclencheront unilatéralement, le 19 mars, l’attaque contre l’Irak : le régime de S. Hussein tombera en trois semaines.
21:o.p0::1ra04elpplifo$$SI012$-50-8050Janvier2005R$IReRuvIeirsaDllzoWUI39429
´ 12 ECLAIRAGES
Les délibérations du Conseil de sécurité nationale Entre septembre 2001 et septembre 2002, les discussions de haut niveau sont orientées de façon obsessionnelle sur l’Irak. Tout le système du NSC est mis à contribution pour étayer le bien-fondé de l’invasion. Si l’opinion publique ne prend conscience qu’au cours de l’automne 2002 de la détermination de l’équipe Bush à partir en guerre, il reste qu’une partie de l’Administration a, en réalité, imaginé cette guerre dès le lendemain du 11 septembre. Dès le 12 septembre, D. Rumsfeld soulèvera la question de l’Irak tandis que le président demandera directement à Richard Clarke, responsable de la lutte antiter-roriste à la Maison-Blanche, d’étudier les liens possibles entre Al-Qaïda et l’Irak. Lorsque R. Clarke rétorquera que toutes ses recherches jusque-là n’ont pu établir de relations entre les deux, G. W. Bush lui demandera de vérifier de nouveau. Le 15 sep-tembre, à Camp David, P. Wolfowitz abonde dans ce sens et mentionne également l’Irak, tandis que C. Powell et le secrétaire au Trésor, Paul O’Neill — notamment — restent médusés devant cette intervention du secrétaire adjoint à la Défense. De tous les conseil-lers, P. Wolfowitz était certainement le plus déterminé à en finir avec S. Hussein, comme pour venger « l’échec » de 1991 : C. Powell avait, à ses yeux, recommandé alors prématu-rément l’arrêt des combats. Selon lui, Al-Qaïda ne pouvait avoir agi seule, sans l’ ui de l’Irak. Le 17 septembre, app lors d’une réunion du NSC , G. W. Bush met toutefois fin aux délibérations : « Je crois que l’Irak est impliqué [dans les attentats] mais je ne veux pas l’attaquer maintenant », déclare-t-il ; le 19 septembre, il redira : « S’agissant de l’Irak, nous devons être patients » 1 . Pour le moment, l’attention est tournée vers l’Afghanistan. Le 21 novembre 2001, avec D. Rumsfeld, G. W. Bush se penche pour la première fois sur l’éventail des options concernant l’Irak ; C. Rice en est informée. Dans le même temps, R. Cheney souhaite la remise en cause des sanctions que C. Powell veut mainte-nir. De son côté, P. Wolfowitz se démène « comme un tambour qui ne s’arrête jamais » 2 pour mobiliser les hauts fonctionnaires du NSC et promouvoir le plan d’attaque de l’Irak. C. Powell, durant l’automne, s’oppose formellement à une intervention. Le forum décisionnel du NSC se range à cet avis et approuve le président lorsqu’il écarte cette option tant et aussi longtemps que l’Administration sera accaparée par l’Afghanistan. Le 4 décembre 2001, le général Tommy Franks montre à D. Rumsfeld une ébauche de plan militaire, qu’il présentera formellement au président le 28 décembre. G. W. Bush manifeste des réserves. Un plan révisé lui est soumis le 7 février 2002. L’intervention prend alors véritablement forme : 225 jours de guerre sont prévus, dont 90 pour les préparatifs, 45 pour les bombardements et 90 pour l’offensive au sol (le plan n’inclut toutefois aucune disposition concernant l’après-guerre). Le président considère que c’est encore trop long. G. W. Bush informe le Premier ministre Tony Blair, le 6 avril 2002, ` de son intention de chasser S. Hussein du pouvoir. A trois reprises, le 20 avril, le 11 mai,
1. Bob Woodward, Bush at War, New York, Simon & Schuster, 2002, p. 99 et 107. 2. BobWoodward,PlanofAttack,NewYork,Simon&Schuster,2004,p.22.
L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 13
puis le 19 juin, T. Franks présente, à G. W. Bush et à ses conseillers, le plan militaire entièrement revu et corrigé. Compte tenu des directives qui lui sont données, le général réduit les délais accordés aux préparatifs afin de donner au président la faculté d ordonner une intervention quand il le souhaitera. Le plan est de nouveau discuté le 5 août 2002, à l’occasion d’une réunion formelle du NSC ou` T. Franks présente les différentes phases du déroulement de la guerre. Le 14 août, C. Rice et les principaux décideurs s’entendent sur une directive présidentielle qui lance les préparatifs nécessaires pour le déclenchement ´ d’une opération militaire. Lorsque Richard Haass, responsable au département d’E tat, rend visite à C. Rice pour lui demander si l’Irak devait être vu comme une priorité, elle lui répondra de ne pas perdre son temps, que la décision était prise. Parce qu’il ne peut pas évoquer aisément ses préoccupations dans le cadre du forum du NSC, C. Powell choisit de rencontrer G. W. Bush en tête-à-tête pour lui faire part de ses réserves concernant une attaque unilatérale de l’Irak. Il fait accepter par G. W. Bush la nécessité d’une stratégie multilatérale et cette option est retenue par les décideurs du NSC, le 16 août 2002. Cependant, le secrétaire d’E´ tat et le vice-président sont à couteaux tirés. R. Cheney prononcera un discours public percutant, le 26 août, sur la menace des armes nucléaires que détiendrait S. Hussein. Les alliés de R. Cheney, notamment P. Wolfowitz, Stephen Hadley (adjoint de C. Rice au NSC) et Lewis Libby (secrétaire général du vice-président), se mobilisent et mettent sur pied un groupe politique de haut niveau à la Maison-Blanche, pour organiser et centraliser, sous la direction de Andy Card, chef d’état-major de la Maison-Blanche, les communications publiques de l’Administra-tion. Le 6 septembre et le 4 octobre 2002, deux réunions du forum décisionnel du NSC formalisent le plan de guerre qui est ainsi opérationnel à tout moment : le calendrier militaire n’attendra plus que la conclusion des démarches diplomatiques. Durant les six mois qui suivent, l’Administration, particulièrement C. Powell, tente de convaincre les ´ alliés des Etats-Unis et l’ONU d’appuyer la position américaine. Les pressions de R. Che-´ ney se font de plus en plus vives sur le secrétaire d’E tat et sur le directeur de la Commu-nauté du renseignement, George Tenet, ce qui donnera lieu à d’autres affrontements entre C. Powell et R. Cheney. Fin décembre, G. W. Bush testera à quelques reprises, ´ avec C. Rice, le bien-fondé de sa décision de déclencher la guerre. Le secrétaire d’E tat tentera, en janvier 2003, un dernier plaidoyer auprès du président, en soulignant les ´ responsabilités qui incomberont aux E tats-Unis une fois sur place. En vain, G. W. Bush restera inébranlable. Malgré certains désaccords exprimés dans le forum du NSC, la décision du président paraît prise depuis déjà longtemps et s’appuie sur des conseillers influents et déterminés. Le NSC, et surtout son administration, se trouve cantonné dans un rôle d’exécutant. Il paraît assez clair, en l’état actuel des connaissances, que C. Rice ne s’est pas présentée comme un conseiller qui transmet au plus haut niveau les perspectives développées par les bureaucraties. Supplanté par l’organisation de R. Cheney, débordé par une idéologie qui ne correspond pas à son optique traditionnelle, le NSC joue un rôle subalterne : les décideurs sont ailleurs.
RIWeuve99U423zlonvJaisIralD1.p:oilofleppar43$S$$I$IR00R5ei2r10:0508:05-0210-
1. ThomasPowers,IntelligenceWars.AmericanSecretHistoryfromHitlertoAl-Qaïda,NewYork,NewYorkReviewBook, 2004, p. 438.
Les dérives du processus décisionnel Les distorsions décisionnelles qui conduisent l’Administration Bush à exagérer l’urgence d’envahir l’Irak et à mentir sur l’imminence du danger que posent les ADM trouvent deux explications principales : la pensée groupale et la manipulation de la bureaucratie.
La toxicité de la pensée groupale « Ce qui est remarquable à propos de cette crise, observe Thomas Powers, c’est l’intensité avec laquelle elle a été alimentée par un corpus d’idées » 1 . Les néoconservateurs de l’Ad-ministration fourniront les informations (sur la menace présumée des ADM et sur les liens entre l’Irak et Al-Qaïda) et les arguments (notamment les bénéfices de l’exportation de la démocratie) pour justifier l’invasion. Les options qu’ils promeuvent s’accompagne-ront constamment d’une grande rigidité idéologique et d’un véritable processus d’enflure cognitive. Ainsi, tout au long de 2002, les faucons et les néoconservateurs de l’Administration seront en mesure d’influencer G. W. Bush et d’obtenir le ralliement de C. Powell, George Tenet — directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) — et les chefs militaires, et ce, autant par conviction que par souci de loyauté pour le président. Comme il l’avait fait en 1990, à la veille de la guerre du Golfe, C. Powell s’inclinera devant R. Cheney. Il aurait de loin préféré maintenir le statu quo et poursuivre la stratégie d’endiguement. Son seul réconfort viendra de quelques personnalités connues (Brent Scowcroft, James Baker, Lawrence Eagleburger, Norman Schwartzkopf), associées à l’Administration George. H. W. Bush, qui s’opposeront publiquement aux desseins des néoconservateurs. Sans doute C. Powell croyait-il que la guerre pouvait être évitée après son extraordinaire travail diplomatique et l’obtention de la résolution unanime du Conseil de sécurité des Nations unies en novembre 2002. Mais les autres conseillers de l’équipe Bush étaient peu convaincus du mérite de cette approche diplomatique : dans le mois qui suit sa fameuse présentation des « preuves » du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, C. Powell réalise que les néoconservateurs et les « faucons » ont imposé leur calendrier et que rien ni personne ne ferait changer d’idée le président. Le secrétaire au Trésor, P. O’Neill, qui participe aux réunions du forum décisionnel du NSC, constate lui aussi très vite la progression de cette pensée unique. Seulement dix jours après l’arrivée de G. W. Bush à la Maison-Blanche, l’Irak fait déjà l’objet de discus-sions. P. O’Neill croit même déceler l’émergence d’une pression groupale pour rallier les décideurs indécis (dont lui-même) ainsi que ceux qui y sont opposés (comme C. Powell). Cette pression s’accentuera tout au long de l’année 2001. Selon lui, le prési-
´ 14 ECLAIRAGES
-0120-50:8050:01r2ie5R00RI$I$$S$rIsiDlaolzaJvn99324UWIRevue4pelf4rap:p.1olio
51.p:oiS$RI21$$050-50-001:8r40:eppaloflRevueIrisDallozaJvnei2r00R5I$IWU42399
dent était peu informé, aisément manipulable et dirigeait ses réunions du NSC « comme un aveugle dans une salle remplie de sourds » 1 . Même si aucun lien n’est établi entre S. Hussein et Al-Qaïda, les conseillers de G. W. Bush persistent dans la « politique de la canonnière ». Le successeur de R. Clarke au NSC, Randy Beers (futur conseiller pour la Sécurité nationale du candidat démocrate John F. Kerry aux élections présidentielles de 2004), ’ posera aux projets de l’Adminis-s op tration : il démissionnera de son poste en août 2002. Le consensus était tel qu’il n’était pas envisageable de mettre en doute le choix du président selon lequel la lutte contre le terrorisme devait passer par l’Irak : on est alors au cœur de la pensée groupale. Et ce conformisme intellectuel prend ses aspects les plus nocifs : « Il y avait là une idée fixe, une croyance inébranlable, produit d’une connaissance innée, une décision déjà prise et contre laquelle aucun fait, aucun événement ne pourrait rien. [...] [Il fallait] adresser un signal au pays et à l’étranger pour dire : “Ne touchez pas au Texas, ne touchez pas à l’Amérique” » 2 . L’entêtement du président est tel qu’il s’est sans doute privé de certaines ´ options — notamment diplomatiques — qui auraient renforcé la position des E tats-Unis dans le monde plutôt que de la décrédibiliser. La force du groupe, le poids d’une idéolo-gie dominante et ce conformisme écrasant ont exercé une véritable torsion sur le proces-sus décisionnel : la décision d’envahir l’Irak a été précipitée, l’éventail d’options disponibles n’a pas été envisagé ni formellement révisé, les conséquences de l’invasion n’ont pas été réfléchies. Parce que l’idée était portée par quelques conseillers influents et parce que le plan d’invasion a toujours été pensé en vase clos, il ne s’est trouvé aucun conseiller — même C. Powell — suffisamment influent pour résister à cette lame de fond : entre ceux qui étaient convaincus depuis longtemps de la nécessité d’envahir l’Irak, ceux qui se sont laissés persuader et ceux, enfin, qui n’ont pu s’y opposer, il n’y avait plus guère de place pour un contradicteur ou un avocat du diable. Même la conseillère pour la Sécurité nationale n’a pas joué son rôle d’honnête courtier et s’est contentée d’être complaisante. La pensée groupale avait fait son œuvre.
L’invasion de l’Irak : les dessous de la prise de décision... / Charles-Philippe David 15
1. RonSuskind,ThePriceofLoyalty.GeorgeW.Bush,theWhiteHouse,andtheEducationofPaulONeill,NewYork, Simon & Schuster, 2004, p. 149. 2. RichardClarke,AgainstAllEnemies.InsideAmericasWaronTerror,NewYork,FreePress,p.265-266. 3. Commissionsénatorialesurlerenseignement,ReportontheUSIntelligenceCommunitysPrewarIntelligenceAssess-ments on Iraq, Washington DC, US Government Printing Office, 7 juillet 2004.
La manipulation de la bureaucratie En octobre 2001, G. Tenet présente au président un exposé sur la menace des ADM et les possibles liens entre l’Irak et Al-Qaïda. Le président se saisit de ces présomptions et y recourt pour justifier, dans son discours sur l’état de l’Union de janvier 2003, l’usage de la force contre l’Irak. Or, à l’issue de la guerre, la réalité est tout autre. Le premier rapport de la Commission du Sénat sur le renseignement, rendu public en juillet 2004 3 , accuse la CIA d’avoir considérablement exagéré la menace des ADM. P. Wolfowitz admet
-0500-05:8010:r4r2005R$IRIS$$$21peapollf:pio6.1ollaDsieivnaJzWI4U3299IrueevR
´ 16 ECLAIRAGES
1. Cité par Sam Tanenhaus, « Bush’s Brain Trust », Vanity Fair, juillet 2003, p. 169. 2. B. Woodward, op. cit., 2004, p. 249. 3. SeymourHersh,«TheStovepipe»,TheNewYorker,27octobre2003,p.77-87. 4. JamesBamford,APretextforWar.9/11,Iraq,andtheAbuseofAmericasIntelligenceAgencies,NewYork,Doubleday, 2004, p. 317.
d’ailleurs, en juillet 2003, que leur existence ne constituait pas véritablement la raison première de la guerre (l’impérialisme démocratique était pour lui le véritable motif de l’invasion). Brandir l’épouvantail des ADM a plutôt servi, selon le secrétaire adjoint à la Défense, à fédérer les intérêts bureaucratiques. Compte tenu des informations dont nous disposons actuellement, l’étude de la prise de décision paraît indiquer qu il y a eu une véritable manipulation de la bureaucratie. « Pour des raisons bureaucratiques nous nous sommes entendus sur un enjeu, les armes de destruction massive, car c’était là la seule raison sur laquelle tout le monde pouvait s’entendre » 1 . Ce que P. Wolfowitz ne dit pas, c’est qu’il n’y avait pas de consensus dans la bureaucratie — et dans la communauté du renseignement tout particulièrement — autour de l’existence des ADM. Le poids de la pensée unique et de la pression groupale a sans doute poussé une partie de la communauté du renseignement à vouloir satisfaire les décideurs en mettant l’accent sur des éléments d’information qui allaient dans leur sens. Il semble que plusieurs personnes, au sein de la communauté du renseignement, aient légitimement cru à l’existence de ces armes. Tou-tefois, l’information disponible n’était pas aussi probante que G. W. Bush et ses conseillers l’affirmèrent. C’est d’ailleurs en contredisant certains de ses analystes que G. Tenet affir-mera, le 21 décembre 2002 devant G. W. Bush, R. Cheney et C. Rice, que les preuves sur les ADM en Irak étaient en « béton » 2 . Pourtant les données qui ont été dispensées au public étaient biaisées sinon erronées : de toute évidence, il fallait gonfler la menace pour légitimer la guerre. Il n’y avait pas, en effet, d’ADM en Irak comme l’ont prétendu à maintes reprises le président et les principaux décideurs. Deux questions se posent alors. La bureaucratie s’est-elle trompée ? A-t-elle été manipulée ? En août 2002, les décideurs du Pentagone mettent sur pied une cellule dédiée unique-ment à la collecte, à l’analyse et à la présentation d’informations qui soient utiles aux décideurs et qui servent surtout les objectifs qu’ils se sont définis. Cette cellule, appelée Office of Special Plans, est conçue par Douglas J. Feith et est coordonnée par Abram Shulsky, un proche également néoconservateur. Ce groupe gravite dans l’ombre de R. Cheney et de son conseiller Lewis Libby. Le bureau de A. Shulsky sera omniprésent et contrôlera l’ensemble des informations transmises par la communauté du renseigne-ment. Il recourra à la stratégie du « stovepiping » 3 , qui correspond à l’emploi de méthodes de tri de l’information selon qu’elle corrobore ou non les objectifs des décideurs, en ` écartant les traditionnels filtres institutionnels. A ce stade, en effet, « le but est non seule-´ ment de combattre S. Hussein mais également le NSC, le département d’E tat et la communauté du renseignement » 4 . Les néoconservateurs privilégieront donc les informations émanant de certaines sources israéliennes et de dissidents irakiens en exil, comme Ahmed Chalabi (chef du Congrès national irakien). Ce dernier parvient à convaincre l’Office of Special Plans de la véracité
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents