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Description

La statue Les grilles du parcs’ouvrent en grinçant pourlaisser entrer les promeneurs matinaux. D’unamas de lierres plongé dans la pénombre, unehorde d’oiseaux s’envole alors, troublée commel’âme des poètes. Encore vaporeuse, l’aube, faite d’eau et defraicheur aux arômes boisés, crachera bientôt ses premières lueurs. Parmi les arbres silencieux, dont les feuillages sacrés dansent en se découpant sur un ciel bleu nuit, elle attend déjà. Là, assise sur un banc glacé. Ses yeux scintillentd’une rosée cristalline, tout fixes comme de gros diamants ; ses mains craquelées, jointes sur ses genoux, semblent prier pour qu’on les réchauffe; quant à ses cheveux blancs, ramassés en chignon, ils livrent au monde une nuque fragile, qui se courbait jadis sous le poids des baisers. Elle ne frissonne pas. Autour de la fontaine,riche de mille vœux, lejardinier ausculte la pelouse humide. Un à un il retire les corps mutilés des victimes du temps et de la brise légère.D’un mouvement ample, il ratisse, d’avant en arrière, etjusqu’auxpieds de l’éternelle incomprise, fantôme deces lieux.L’affront a beau être quotidien, aucun mot, pas même un soupir,ne s’échappe de ses lèvres closes.Digne, elle raconte son rêve, un secret, au soleil qui se lève enfin. Et le grand astre rouge lui répond, par une délicate caresse dans le cou. Elle est froide, si froide, pareille aux cœurs des jeunes gens.La fumée du petit matin s’évanouitlentement, tandis quela ville s’éveille au loin.

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Publié le 12 février 2015
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Langue Français

Extrait

La statue
Les grilles du parcs’ouvrent en grinçant pourlaisser entrer les promeneurs matinaux. D’unamas de lierres plongé dans la pénombre, unehorde d’oiseaux s’envole alors, troublée commel’âme des poètes. Encore vaporeuse, l’aube, faite d’eau et defraicheur aux arômes boisés, crachera bientôt ses premières lueurs. Parmi les arbres silencieux, dont les feuillages sacrés dansent en se découpant sur un ciel bleu nuit, elle attend déjà. Là, assise sur un banc glacé. Ses yeux scintillentd’une rosée cristalline, tout fixes comme de gros diamants ; ses mains craquelées, jointes sur ses genoux, semblent prier pour qu’on les réchauffe; quant à ses cheveux blancs, ramassés en chignon, ils livrent au monde une nuque fragile, qui se courbait jadis sous le poids des baisers. Elle ne frissonne pas. Autour de la fontaine,riche de mille vœux, lejardinier ausculte la pelouse humide. Un à un il retire les corps mutilés des victimes du temps et de la brise légère.D’un mouvement ample, il ratisse, d’avant en arrière, etjusqu’auxpieds de l’éternelle incomprise, fantôme deces lieux.L’affront a beau être quotidien, aucun mot, pas même un soupir,ne s’échappe de ses lèvres closes.Digne, elle raconte son rêve, un secret, au soleil qui se lève enfin. Et le grand astre rouge lui répond, par une délicate caresse dans le cou. Elle est froide, si froide, pareille aux cœurs des jeunes gens.La fumée du petit matin s’évanouitlentement, tandis quela ville s’éveille au loin.Une odeur de croissant chaud flotte à présent dans les airs, mais rien ne fait frémir sa narine. Les minutes défilent, et les heures s’en vont. Désormais le parc vibre au rythme des touristes, dont la soif de découverte est inaltérable. Agitée par les propos d’un guide, c’est une vague de toupies qui inscrit son enthousiasme sur le gravier des chemins. Partout la mitraille des flashs, chacun immortalise. Néanmoins, si les regards se perdent, nul ne trouve vraiment. Certains même prélèvent de ces instants en oubliant de les vivre ; ils confectionnent des souvenirs abstraits qu’ilsreverront un jour de pluie avecdu vague à l’âme. A traversl’objectif, semblable à une vitrine, le visiteurrassasie son œil gourmant. Ainsi, sur les rares pellicules sensiblesqu’elleimprime, la belle de marbre apparait pensive. Elle songe à cette époque où de charmants esthètes la désiraient du regard. Elle se souvient des bals, des kermesses et des déjeuners sur l’herbe, quand les verres se levaient en son honneur. Aujourd’hui,personne ne lui demande ce qu’elle fait ici ; personnene s’intéresseà son histoire. Pire encore, aucun ne se soucie du devenir de son âme.Maitresse de l’oublie, elle appartient au passé, et la voici qui se transforme peu à peu en un objet martyr. Ah !Vois ce que tu fais d’elle, pauvre dieu éphémère ! Une statue d’ivoire dans un cercueil ouvert! Entends-la gémir la nuit comme le jour, sous son masque de pierre, d’une longue prière à laquelle tu restes sourd. Est-cedonc le sort que tu réserves à chacun d’entre nous ? Nous border au matin, nous aimer ensuite et nous quitter enfin ? Comme on le dit de toi, serais-tu loup à ce point ? La journée sera passée bien vite, la foule s’enfuit déjà.Ne reste qu’elleblême, et les solitaires, affamés comme des vers, qui dévorent la poésie morbide de ce cadre enchanteur. Doucement,l’ombre gagne du terrain.Telle une marée sinistre elle chasse quelques lecteurs enivrés par la lumière de leurs livres. Soudain, la cloche du gardien retentit, prévenant les derniers rêveurs de cet oasisque l’on en referme les portes.Dans le rose pastel des cieux, une nuée d’oiseaux signe des volutes, avant de plonger vers les cimes. Heureux et libresils s’en reviennent dormir sous l’aile de la coupole. L’un d’entre eux, noir comme la mort,approche en sautillant de la dame blanche esseulée. Il se hisse sur sonépaule pour la rassurer à l’oreille, et elle lécoute, sans bouger, en souriant. Que lui dis-tu merveilleux messager ? Trop tard ! Le voilà quis’envole, pareil à l’attente optimistede notre statue ; le parc est complètement vide désormais. Alors, la vieille femme se lève et rejoint péniblement la sortie. «Il n’est jamais trop tard ma Lucienne» prononce-t-elle à voix haute. Ce soir, elle rêvera de demain. Demain, c’est l’espoir!
Thomas ROKITA.
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