Sortir la recherche visuelle de l’impasse des exceptions au droit d’auteur
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Sortir la recherche visuelle de l’impasse des exceptions au droit d’auteur Publié le 1 Septembre 2011 André Gunthert, chercheur en histoire visuelle à l’EHESS, a publié aujourd’hui sur la plateforme Culture Visuelle un billet (Le droit de citation redéfini par les Digital Humanities) qui me paraît important, car il est révélateur du déséquilibre du système de protection de la propriété intellectuelle en France et des entraves qu’il peut faire peser sur des activités essentielles, comme la recherche. La recherche visuelle, sur les images, est certainement l'un des secteurs qui a le plus à souffrir des limitations du droit d'auteur français. Comment étudier, enseigner, critiquer, expliquer les images sans pouvoir les montrer ? (Eye. Par Daniel Valle. CC-BY- NC-SA. Source : Flickr) André Gunthert milite depuis plusieurs années en faveur d’un “droit à la critique des images” ou d’un “droit aux images” qui permettrait aux chercheurs de pouvoir utiliser des documents iconographiques dans le cadre de leurs travaux, sans se heurter aux limites de l’exception de courte citation prévue par le Code : En droit français, l’exercice de la citation, outil essentiel de l’argumentation et de la démonstration scientifique, est défini comme une exception au monopole d’exploitation par l’auteur des droits conférés par la propriété intellectuelle, et n’est toléré qu’à la condition de se présenter sous la forme de courts extraits (article L 122-5 du CPI).

Informations

Publié par
Publié le 25 juillet 2012
Nombre de lectures 85
Langue Français

Extrait

Sortir la recherche visuelle de l’impasse des
exceptions au droit d’auteur
Publié le
1 Septembre 2011
André Gunthert
, chercheur en histoire visuelle à l’EHESS, a publié aujourd’hui sur la plateforme
Culture Visuelle un billet (
Le droit de citation redéfini par les Digital Humanities
) qui me paraît
important, car il est révélateur du déséquilibre du système de protection de la propriété intellectuelle
en France et des entraves qu’il peut faire peser sur des activités essentielles, comme la recherche.
La recherche visuelle, sur les images, est certainement l'un des secteurs qui a le plus à souffrir des
limitations du droit d'auteur français. Comment étudier, enseigner, critiquer, expliquer les images
sans pouvoir les montrer ? (Eye. Par Daniel Valle. CC-BY- NC-SA. Source : Flickr)
André Gunthert milite depuis plusieurs années en faveur d’un “
droit à la critique des images
” ou
d’un “
droit aux images
” qui permettrait aux chercheurs de pouvoir utiliser des documents
iconographiques dans le cadre de leurs travaux, sans se heurter aux limites de
l’exception de courte
citation
prévue par le Code :
En droit français, l’exercice de la citation, outil essentiel de l’argumentation et de la
démonstration scientifique, est défini comme une exception au monopole d’exploitation
par l’auteur des droits conférés par la propriété intellectuelle, et n’est toléré qu’à la
condition de se présenter sous la forme de courts extraits (
article L 122-5 du CPI
).
Cette définition très limitative a eu pour conséquence pratique d’exclure jusqu’à présent
les sources audiovisuelles de l’exercice de la citation. Mobiliser un tableau, une
photographie, un extrait musical ou cinématographique dans une publication suppose,
dans les supports d’édition classique, l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants-droit.
Mais André Gunthert explique plus loin que la plateforme de blogs scientifiques
Culture
visuelle
peut bénéficier d’une autre exception, introduite par la loi DADVSI en 2006 au bénéfice
de l’enseignement et de la recherche :
(…] la loi DADVSI a introduit en France, de manière discrète, une possibilité
équivalente, appelée exception de citation pédagogique, lorsque les contenus sont
mobilisés «à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la
recherche», et que cette utilisation «ne donne lieu à aucune exploitation commerciale»
(
article L 122-5, 3e, alinéa e
).
C’est cette possibilité nouvelle, nécessairement limitée à l’édition en ligne (qui peut
seule proposer l’accès à des contenus scientifiques de manière gratuite), qu’exploite la
plate-forme Culture Visuelle, “média social d’enseignement et de recherche” qui
a
défini strictement ses conditions d’usage
en fonction de ces contraintes et peut
réserver la consultation des billets à la communauté.
Tout en partageant entièrement l’analyse d’André Gunthert concernant la nécessité d’un droit aux
images pour la recherche, je crains hélas que cette exception ait encore été définie de manière trop
étroite pour de tels usages en ligne.
En effet, l’exception pédagogique et de recherche ne s’applique qu’ “
à des fins exclusives
d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche
” et “
dès lors que le public auquel
cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d’élèves,
d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés
“. Si la première condition
concernant le but de l’utilisation est bien satisfaite pour Culture visuelle, ce n’est certainement pas
le cas de la seconde dans toutes les hypothèses, puisque la plateforme est accessible par tout un
chacun en ligne.
Certes
les conditions d’utilisations du site
indiquent qu’il est possible de limiter la diffusion des
images protégées aux seuls membres inscrits, par le biais d’un système appelé
Cachimage
.
En application des dispositions légales sur la propriété intellectuelle, il est possible,
lorsque le copyright l’impose, de
réserver la consultation des contenus visuels
aux seuls
membres de la communauté, tout en préservant l’accessibilité du texte.
Si l’on s’en tenait aux seules dispositions de la loi, ce dispositif pourrait peut-être satisfaire aux
exigences de l’exception pédagogique et de recherche, mais on ne peut hélas en rester là.
En effet, et c’est une chose assez peu connue, l’exception pédagogique n’est pas directement
applicable. Pour fonctionner, elle nécessite que
des accords sectoriels
soient conclus entre les
Ministères
concernés
(Education
nationale,
Enseignement
supérieur
et
recherche)
et
les représentants des titulaires de droits pour chaque catégorie d’oeuvres, pour permettre à
ces derniers de toucher une rémunération en contrepartie des usages effectués.
Pendant plusieurs années, ce dispositif tarabiscoté a
fait obstacle a une application réelle de
l’exception pédagogique
, mais de nouveaux accords sectoriels sont entrés en vigueur
en février
2011
qui clarifient (un peu) la situation.
On y apprend cependant que “
la mise en ligne de travaux pédagogiques ou de recherche n’est
autorisée que sur l’intranet ou l’extranet des établissements à la seule destination des élèves,
étudiants, enseignants ou chercheurs qui y sont inscrits ou affectés et qui sont intéressés par ces
travaux
“. Par ailleurs, pour respecter les termes de ces accords, les chercheurs sont contraints de
s’acquitter de nombreuses formalités, comme
une déclaration auprès des titulaires de droits
. Il faut
également vérifier que les travaux en question ne contiennent pas plus de 20 oeuvres protégées,
limiter leur taille et leur résolution et faire en sorte qu’elles ne soient pas indexées par les moteurs
de recherche (!!!). Le seul cas pour lequel la mise en lige sur Internet est autorisé est celui des
thèses, à la condition que les images ne puissent être extraites et que la thèse ne fasse pas l’objet
d’un contrat d’édition.
On le voit, cette exception, pourtant inscrite dans la loi, constitue selon moi un véritable trompe-
l’oeil législatif, voté seulement du bout des lèvres par le législateur et particulièrement difficile à
appliquer (plusieurs enseignants ont d’ailleurs témoigné ne pas être en mesure de respecter ces
conditions trop complexes dans le cadre de leur travail, voyez
ici
ou
).
Pour ce qui est de Culture visuelle, il me paraît difficile pour les contributeurs de la plateforme de
respecter toutes ces conditions, et même sur les billets publiés en ligne, on trouve parfois des usages
d’images qui ne cadrent pas avec le texte de l’exception (
voyez ici par exemple
).
Néanmoins, comme le faisait remarquer André Gunthert sur Twitter cet après-midi, un projet
comme Culture Visuelle a le mérite
de contribuer à faire bouger les lignes
, car depuis deux ans que
la plateforme existe,
plus de 2000 billets y ont été publiés
, sans susciter de réactions de la part des
titulaires de droits.
Même si la pratique
contra legem
ne suffit pas à elle seule à faire évoluer le droit, cet exemple
montre qu’un certain niveau de consensus semble exister qui permettrait de changer les règles du
jeu, en faveur d’un rééquilibrage du système. Mais comment procéder pour créer un réel “droit aux
images” qui permette aux chercheurs d’exercer leurs activités dans de meilleures conditions et
surtout de diffuser leurs travaux en ligne ?
André Gunthert propose dans son billet une redéfinition de ce”droit aux images” qui fournit des
postes de réflexions :
L’aménagement d’un fair use à la française est un apport dont seules peuvent pour
l’instant se targuer les expérimentations éditoriales des Digital Humanities. Ce faisant,
celles-ci contribuent à redéfinir la notion même de citation – très mal caractérisée par
les textes, puisque ne reposant que sur le critère insuffisant de brièveté [...] la pratique
constatée sur Culture Visuelle, à partir de contenus très divers, tend à prouver que
la citation est constituée par l’exercice même de l’extraction, autrement dit par la
mobilisation en dehors de son contexte original d’un extrait ou d’une œuvre identifiable
comme objet de l’analyse.
Le
fair use
américain (usage équitable)
est en effet mieux armé que le droit français pour
appréhender les types d’usage des images dont les chercheurs ont besoin, car il repose sur des
mécanismes plus pragmatiques, les juges cherchant par exemple à déterminer si un usage porte
atteinte ou non à l’exploitation économique d’une oeuvre. Le
fair use
admet également les usages
transformatifs des oeuvres, ce qui cadrerait assez bien avec cette “
mobilisation en dehors du
contexte original
” dont parle A. Gunthert.
L’introduction d’un
fair use
en Europe a pu être favorablement envisagée récemment, que ce soit en
Angleterre, en Irlande ou au niveau de la Commission européenne, mais sans rencontrer beaucoup
d’échos en France (
voyez ici
). Les tribunaux de première instance exercent
depuis plusieurs années
une pression sur la Cour de Cassation afin d’élargir le droit de citation et autoriser la citation
graphique. Les choses commencent effectivement
à bouger de manière intéressante
, mais il faudra
sans doute beaucoup de temps pour que la Cour de Cassation change de jurisprudence et pour
l’instant, les affaires à la source de ces évolutions ne concernent malheureusement pas le cas de la
recherche.
Depuis le vote de la loi DADVSI en 2006, les bibliothécaires et les professionnels de l’information
militent eux aussi
pour un droit de citation élargi
, mais personnellement, je ne crois plus tellement à
une possibilité de rééquilibrer le système de la propriété intellectuelle en France en restant dans le
cadre des exceptions.
Comme je l’ai expliqué dans un billet cet été,
je pense qu’il faut agir à un
niveau supérieur, directement dans la Constitution, pour réaffirmer avec force face au droit d’auteur
d’autres droit essentiels. Le “
droit aux images
” d’André Gunthert passerait ainsi par une
réévaluation du droit à l’éducation face au droit d’auteur.
D’autres
contributions
intéressantes
se
situent
au
niveau
des
outils
qui
permettent
aux chercheurs eux-mêmes de constituer des stocks d’images réutilisables, par le biais des licences
libres. C’est le cas par exemple de
la plateforme MediHAL
du CNRS, qui autorise depuis le début
le partage des images sous licence Creative Commons. Je vous recommande aussi chaudement
d’aller jeter un oeil du côté du projet
Art Science Factory
, une autre plateforme consacrée aux
rapports entre l’Art et la Science, qui permet à ses membres de partager des contenus
sous licence
libre
, mais aussi leur offre des outils pour les remixer. Des projets stimulants existent également
autour de la collaboration entre des chercheurs et des sites comme Wikipédia (
j’en avais parlé ici
) et
les wikipédiens rejoignent d’ailleurs les chercheurs dans leur lutte pour la reconnaissance de la
liberté de panorama
en France.
La piste alternative des licences libres ne résoudra cependant pas à elle seule le problème du droit
aux images, puisque les chercheurs en culture visuelle ont besoin de pouvoir utiliser les images
protégées qui constituent notre quotidien.
Face à cette situation de blocage, on mesure à quel point nous nous trouvons dans une effroyable
période de prohibition des usages, qui oblige des chercheurs à cacher leurs travaux pour rester en
accord avec la loi ou à enfreindre le droit pour pouvoir exercer une activité légitime et cruciale pour
le bien-être de la société.
Comme
nous le disions cet après-midi sur Twitter
, il faut espérer que toutes les parties intéressées
au changement de la loi arrivent à s’unir pour faire entendre leurs voix auprès des décideurs.
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