ABEL HUGO
Le cent-cinquantenaire de sa mort
Abel Hugo par sa femme, Julie Duvidal de Montferrier.Pour célébrer le cent-cinquantenaire de la mort d’Abel Hugo, le frère aîné de Victor Hugo, la
Société des Amis de Victor Hugo a organisé le 7 février 2005 une table ronde (voir Activités) à
laquelle participaient Gérard Pouchain, Jacques Seebacher, Jean-Marie Thomasseau et
Bernard Degout. Ce dernier a bien voulu développer ses notes prises pour sa contribution au
débat et nous donner copie de l’intéressante notice sur Abel publié au XIXe siècle par la
Biographie Michaud.
À PROPOS DE L’HISTOIRE DE L’EMPEREUR
1Je connais mal Abel Hugo – et encore, cette façon de dire laisse trop entendre ; comme beaucoup, je
déplore qu’il n’ait pas fait l’objet d’une belle biographie intellectuelle. Ses participations à la fondation
2de journaux, ses collaborations à des périodiques, son rôle dans des sociétés financières , la diversité
des matières auxquelles il s’est attaché et qui en fait à la fois un auteur d’ouvrages de circonstances et
3un historien – en particulier de la question militaire – , un géographe, un statisticien, un économiste
4mais également un compilateur capable d’audace , un traducteur, un auteur dramatique, un littérateur,
un écrivain politique enfin, disent bien l’intérêt intrinsèque du sujet – sans compter l’influence qu’il a
exercé sur son frère cadet Victor.
L’invitation que m’a fait l’honneur de m’adresser la Société des amis de Victor Hugo m’a permis de
tenter d’apporter une très modeste contribution à la biographie à venir que l’on peut souhaiter – à côté
de celle, autrement conséquente, que constitue la notice publiée par Paul Lacroix, en 1858, dans la
Biographie universelle ancienne et moderne de Michaud, dont on trouvera ci-dessous le texte.
*
En 1833, dix ans après la parution du Mémorial de Sainte-Hélène, Abel Hugo a publié chez Perrotin
une Histoire de l’Empereur Napoléon, ouvrage orné de 31 vignettes par Charlet. Dans l’étude qu’elle
5a consacrée au mythe et à l’histoire de Napoléon , Natalie Petiteau a évoqué la constitution, autour de
1825, d’une sorte de modèle en matière de biographie de l’Empereur :
… une matrice, en fait, s’élabore, fondée sur un retour au récit conventionnel de
l’enfance et de l’adolescence, occasion de souligner le génie précoce de Bonaparte. Une
longue description des batailles occupe ensuite l’essentiel de chacune des publications :
ce schéma préside dès lors à la rédaction de toutes les biographies de Napoléon et autres
6précis de l’histoire de sa vie ou de l’Empire .
En note, N. Petiteau précise qu’elle donne la liste de ces ouvrages dans la bibliographie qui figure à
la fin de son étude : bien qu’il ne semble pas déroger fondamentalement au schéma en question,
l’ouvrage d’Abel Hugo n’y est pas mentionné. Passa-t-il inaperçu ? Loin s’en faut, puisqu’il fut
1 Je reprends, pour l’essentiel, ma participation à la table ronde réunie à l’initiative de la Société des Amis de Victor Hugo et
du Service culturel de l’Université Paris III, au centre Censier, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la mort
d’Abel Hugo.
2 Qu’il me soit permis de renvoyer à mon étude « La Société d’avances mutuelles sur garanties : Léopold et Abel Hugo
ebanquiers », Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Île-de-France, 111 année, 1984 [1986] ; texte repris dans
Victor Hugo, Correspondance familiale et écrits intimes, éd. Jean Gaudon, Sheila Gaudon, Bernard Leuilliot, Paris,
Laffont (« Bouquins »), t. I, 1802-1828, 1988.
3 Sur l’expérience précoce qu’eut Abel Hugo de la guerre, et sur l’importance qu’a revêtue pour lui la question militaire, ainsi
que pour un aperçu général des travaux qu’il lui a consacrés, voir la notice de la Biographie universelle ancienne et moderne
de Michaud (Paris, Desplaces, t. XX, 1858, p. 119-123) que je reproduis ci-dessous et l’article de Jacques Hantraye,
« Expérience, étude et souvenirs de la guerre chez Abel Hugo », dans Hugo et la guerre, textes réunis par Claude Millet,
Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 31-44.
4 Je pense ici aux fameuses Tablettes romantiques de 1823 (voir B. Degout, « De Joseph de Maistre à Victor Hugo : l’époque
de Han d’Islande », dans Joseph de Maistre, dir. Philippe Barthelet, Paris, L’Âge d’Homme (« Les dossiers H », 2005)
5 Napoléon, de la mythologie à l’histoire, éd. rev. et augm., Paris, Seuil (« Points histoire »), 2004.
6 Ibidem, p. 66.traduit, l’année suivant sa parution, en allemand et en espagnol (deux éditions), puis réédité en 1836-
71837 au Bureau central du Magasin universel ; la Maison de Chateaubriand en conserve une autre
ie,édition, non datée, publiée chez Edouard Tétu et C avec l’épigraphe suivante : « Tout pour le peuple
8français », Napoléon à son fils. ; la notice de la Biographie « Michaud » avance à son sujet qu’elle
« était la première qui fût écrite dans le sens français et national : le peuple, auquel l’auteur la
destinait, l’accueillit avec enthousiasme. Le succès de cet ouvrage fut constaté à l’étranger par
l’héritier même du nom impérial : "Monsieur, lui dit le prince Louis-Napoléon, qui était alors
président de la république, j’ai vu vendre à la foire de Leipsick plus de trente mille exemplaires de la
9traduction allemande de votre belle Histoire de l’empereur Napoléon" . »
Il faut d’ailleurs s’empresser d’ajouter que l’illustrateur de ce livre, dont P. Lacroix nous dit qu’Abel
10Hugo en fut le meilleur ami , Nicolas Toussaint Charlet (1792-1845), était un personnage
considérable, « l’un des artistes les plus populaires et les plus originaux de l’école moderne »,
bonapartiste, élève de Gros, ami de Géricault, auteur d’une œ uvre immense, et notamment d’un
Épisode de la retraite de Russie qu’Alfred de Musset a placé aussi haut que la Méduse de Géricault et
le Déluge de Poussin. À propos de ses dessins, Delacroix a écrit qu’il n’hésitait pas à « le placer pour
11la peinture des caractères à côté de Molière et de La Fontaine ». En 1841, ajoute Pierre Larousse, à
qui est emprunté tout ce qui précède, « il accepta de l’éditeur Bourdin la mission d’illustrer de 500
dessins le Mémorial de Sainte-Hélène, travail qu’il acheva en moins d’une année, mais qu’il eut le
12regret de voir défigurer par la gravure . »
Pourquoi, dès lors, ce livre ne figure-t-il pas en bonne place à côté de tant d’autres issus d’un moule
semblable, et dévoués à la même intention légendaire ? Je l’ignore. Mais une hagiographie de
Napoléon, écrite par le fils d’un général naguère placé, en Italie puis en Espagne, sous le
commandement du roi Joseph, lui-même ancien page de celui-ci ; une hagiographie publiée un an
après la mort du roi de Rome, la même année qu’un livre précisément consacré à Joseph, lequel écrit
au même moment au frère de l’auteur une lettre dans laquelle il plaide contre une certaine image de
l’Empereur, diffusée notamment par Chateaubriand, mérite sans doute qu’on s’y arrête un peu.
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L’Histoire de l’Empereur d’Abel Hugo est une apologie : Napoléon, y est-il avancé, dépasse tous
ses prédécesseurs pour leurs qualités propres, auxquelles il ajoute toutes celles que ces