En Vercors - Chapitre 1
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EN VERCORS S.T.L Nouveau meurtre en Vercors : déjà le troisième cadavre découvert. Le Vercors est, depuis début novembre, le théâtre d’événements aussi sordides qu’inquiétants. Une série de meurtres y défraie la chronique, créant un climat de peur et de suspicion sur les hauteurs voisines de Grenoble, aux alentours du plateau des Glières, plus précisément dans la région des petits villages du Pierret, de Rencurel, et d’Armignac. C’est en effet dans ce périmètre précis, d’apparence tranquille, dont on connaît bien les plaines déroulant leurs rubans herbeux sous les nuages noirs, que ces trois crimes odieux ont été perpétrés de main de maître, sans que l’assassin ne laisse derrière lui un quelconque indice. Les victimes, identifiées par l’inspecteur Orsian et ses hommes, installés le temps de l’enquête à la mairie de Rencurel, sont des natifs de la région. Retrouvés en forêt, les corps de Jean Artibon, Ernest Estafette et XXX ont été abattus d’une balle dans le crâne, selon un processus qui ressemblerait, selon l’inspecteur Orsian, à un règlement de compte entre bandes – « pour le contrôle de l’écoulement de drogues sur Grenoble »-. Il y a quelques années, la police locale avait en effet mis à jour des « greniers à blé », servant de back office pour le stockage de cocaïne, dont on avait parvenu à démanteler le réseau et arrêter le chef.

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Publié le 04 septembre 2012
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Langue Français

Extrait

EN VERCORS
S.T.L
Nouveau meurtre en Vercors : déjà le troisième cadavre découvert.
Le Vercors est, depuis début novembre, le théâtre d’événements aussi sordides qu’inquiétants.Une série de meurtres y défraie la chronique, créant un climat de peur et de suspicion sur les hauteurs voisines de Grenoble, aux alentours du plateau des Glières, plus précisément dans la région des petits villages du Pierret, de Rencurel, et d’Armignac. C’est en effet dans ce périmètre précis,d’apparence tranquille, dont on connaît bien les plaines déroulant leurs rubans herbeux sous les nuages noirs, que ces trois crimes odieux ont été perpétrés de main de maître, sans que l’assassin ne laisse derrière lui un quelconque indice. Les victimes, identifiées par l’inspecteur Orsian et ses hommes, installés le temps de l’enquête à la mairie de Rencurel, sont des natifs de la région. Retrouvés en forêt, les corps de Jean Artibon, ErnestEstafette et XXX ont été abattus d’une balle dans le crâne, selon un processus qui ressemblerait, selon l’inspecteur Orsian, à un règlement de compte entre bandes« pour le contrôle de l’écoulement de drogues sur Grenoble»-. Il y a quelques années, la police locale avait en effet mis à jour des « greniers à blé », servant de back office pour le stockage de cocaïne, dont on avait parvenu à démanteler le réseau et arrêter le chef.
L’inspecteurdont les bureaux réguliers se trouvent à Grenoble, peut se targuer de Orsian, sept années au sein du bureau des stupéfiants, et deux ans à la Brigade Criminelle de la région Rhône Alpes.Il n’a fait pour le momentque des déclarations lapidaires. On ne déplore pour le moment aucune nouvelle disparition,mais, malgré l’absence de tout élément concluant, la police ne perd pasespoir d’identifier le(s) meurtrier(s).
Paru dans Le Dauphiné Libéré, le 1er décembre 2010
1
J’avais eu chaud. Quelquesminutes de plus passées à récurer la molaire de ma dernière cliente, et j’aurais raté mon train. Mais j’avais réussi in extremis à me hisser dans le wagon avant que ne retentisse le bruit strident annonçant la fermeture des portes. Un rapide coup d’œil sur mon billet, place B12, compartiment12. J’étais encore loin, il me faudraitquiremonter tout le convoi s’ébranlaitdéjà lentement pour quitter la gare Montparnasse, direction Grenoble. De là, je prendrai un taxi pour me rendre à Rencurel, où il me faudrait rendre les derniers hommages à mes parents partis il y a deux jours manger les pissenlits par la racine.D’eux, je ne savais pas grand-chose, j’ignorais même qu’ils s’étaient acheté une nouvelle voiture, une « petite clio verte seconde main », comme a précisé le policier qui s’était chargé d’extirper les corps de la carcasse fumante.C’était elle qui s’était chargée de les emmeneren quittant inopinément une sinueuse route depatres »  « ad montagne pour les envoyer valser dans le décor, dix mètres plus bas. Tout ça pour dire que je ne savais pas qu’ils s’étaient acheté une nouvelle voiture. S’il n’y avait que cela. Mais ils sont légions les détails que j’ignoresur lavie de mes parents, et auxquels j’avoue ne m’être jamais véritablement intéressé.D’aucuns pourront bien me traiter de fils indigne, je ne chercherai pas à me défendre. C’est vrai que je suis parti il y a bien longtemps, et que je n’ai donné de nouvelles qu’un Noël sur deux, en prenant toujours soin de décliner les invitations pressantes et affectueuses de ma mère. Une semaine après le bac, j’abandonnaimes parents et le trou qui m’avait vu naître, pour m’inscrire dans n’importe quelleà Paris fac ; médecine en l’occurrence.J’avais échoué par deux fois auconcours, réussissant cependant à être suffisamment bien classé la deuxième année pour embrasser de justesseune carrière prometteuse dans la dentisterie. Dix ans plus tard, j’avais mon cabinet, ma clientèle fidélisée composée pour la plupart de mioches aux dents de lapin et de coquettes désirant des bagues derrière les dents et auxquelles on grattait occasionnellement les caries.
J’arrive àla place qui m’est assignée, constate avecsatisfaction que j’ai hérité d’une fenêtre, et hisse ma valise sur le porte bagage placé en hauteur. Le paysage est, pour le moment, assez sordide, typique des banlieues défavorisées des grandes villes: des barres d’immeubles bouchent la vue, et des graffiti ornent les murs décrépis de gares sinistres dans lesquelles le serpent de métal ne fait que passer en faisant crisser les rails. Je ferme les yeux. Le voyage sera long et pénible. Pour tromper la peinequi s’immisce déjà en moi, je tented’imaginer Rencurelaujourd’je suis presque prêt àhui : parier que rien n’a changé. Ce patelin perdu au fin fond du Vercors,pas très loin du plateau des Glières,s’illusionnedepuis 1945 en rêvant son glorieux passé en un étendard immortel. Pourtant, Rencureln’est pas complètement dénué de charme; l’un de ses rares attraits est qu’il est le départ de circuits de ski de fond particulièrement beaux mais ardus en raison des collines et des sous -bois touffus, dans lesquels les traces des chasse-neiges se perdent. Passé ce détail, il n’y a plus grand-chose à en attendre, Rencureln’est rien deplusqu’un village excentré, à cent kilomètresà l’estde Grenoble, perdu entre le maquis et ses montagnes, et dans lequel ne vivent que des âmes sans joie et des esprits guèredégrossis. Je ne sais pas ce que sont devenus mes amis de l’époque du lycée; je crois me souvenir que Papa m’avaitdit que certains, comme Paul ou Renaud, sont restés.
Mon portable fait entendre sa sonnerie aigrelette dans le wagon, et je surprends le visage outré d’une petite vieille que je dérange dans sa lecture de canard de bonne femme. Excuse-moi, mamie ! Je décroche immédiatement, malgré son regard de buse, tout en tentant dem’extirper à la va-vite de mon siège, direction les toilettes. Il n’y a que là, bon sang, que l’on est maintenant à peu près autorisé à mener une conversation sans se faire taxer de brute malodorante.
- Monsieur Chenavier ? Je connais bien cette voix, maussade sous le vernis de la respectabilité et de la sollicitude. Le responsable des Pompes Funèbres de Rencurel en est lepropriétaire. Bien que j’ignore tout de cet homme que je n’ai jamais vu,et qui m’a contacté pour la première fois il y a deux jours. Le policier m’avait donné ses coordonnées, mais le croque-mort avait devancé mon coup de fil: il s’agissait d’éviter que la manne financière lui passe sous le bec, au profit d’une quelconque PFG. Ses intonations dessinent dans mon esprit un petit homme sec et mal rasé, comme un cactus. Mon imagination développe autour de cette voix une cohorte de défauts et de petites laideurs : des yeux globuleux et baveux, des mains rêches aux ongles pourris. Et une odeur de mort, s’il en faut! - Monsieur Chenavier ? répète le croque-mort. -C’est moi-même. L’homme toussote.- Monsieur Lesduc à l’appareil. Je m’excuse de vous déranger dans de pareilles circonstances, mais je voulais simplement vous rappeler de passer à préfecture de Grenoble pour signer l’acte de décès avant votre arrivée àRencurel. Nous ne pourrons procéder à l’enterrement si vous n’avez pas dûment rempli ces documents administratifs dont il me faudra une copie.Le Croque-mort araison, j’avais presque oublié ce détail.-Je n’ai pas oublié, c’est la toute première étape de mon voyage, mens-je sans sourciller. Je serai à Rencurel vers 18 heures ce soir. - La cérémonie aura lieu après-demain, en l’église Saint Paul. Nous ne vous avons pas attendu pour la veillée, les corps sont déjà dans un très mauvais état vous comprenez. On les garde encore un peu pour vous au frigo, mais quand vous les aurez vus, il faudra tout sceller. C’est la préfecture qui veut ça.
Parfait, de toute façon, je déteste ce genre de cérémonie. Le mort dont on regarde les vieux contours qui s’affaissent et puent déjà. Toute la nuit. Mais déjà l’homme reprend d’une voix douce : - Nous avons une pension assez agréable quoique rustique au village, peut-être souhaitez-vous que je vous y réserve une chambre ? reprend le croque-mort un peu haletant. - Je dormirai chez mes parents. Ce sera plus simple pour moi, je dois mettre de l’ordre dans leurs affaires et fermer la maison. -Mais la pension est véritablement sympathique, je vous conseille vivement de…Le voilà qui essaie désespérément de me refourguer la pension qui doit sans doute appartenir à un cousin éloigné. Ma voix se fait coupante. - Je vous ai dit non, merci. Je resterai chez mes parents le temps de mon séjour. - Comme vous le souhaitez. La voix est redevenue obséquieuse, l’homme doit sans doute se rappeler que je suis un client, et non des moindres : deux cadavresd’un coup, c’est le jackpot dans ce village où les gens traînent leur vies à l’infini sans mourir jamais.Le coup de fil n’a pas duré deux minutes, que je raccroche déjà. Les toilettes du train sont encore à peu près propres. Alors que, par réflexe, je me lave les mains, et que j’en profite pour me passer un peu d’eau sur le visage, la nouvelle m’apparaît soudainement, pleine et entière, dans son horrible réalité.Papa, qu’est?-ce que tu as fait Je m’essuie les mains en marmottant cette phrase comme une litanie.C’était toi qui conduisais, en reléguant comme tu en avais l’habitude, et de façon très légèrement machiste, Maman à la place du mort.Que s’est-il passé pour que la voiture atterrisseau fond d’un ravin?Je vacille, et pose une main mal-assurée sur la
porte. Je suis bon pour me relaver les mains. Mes parents sont morts. Je ne les connaissais pas. Comment pleurer sur des gens que l’on n’a pas connus? Je tente de me raisonner, de minimiser encore un peu la perte. Mais déjà de petits sanglots lamentables me montent à la gorge : la voix suave et morbide de Monsieur Lesduc a retenti commeles cloches d’une morne égliseet réveillé en moi la conscience et les souvenirs éteints. Mes parents sont morts.Les deux d’un coup. Je n’aurais même pas une heure pour leur dire au revoir.
J’attends dix minutes, le temps de me rassembler, et recomposer mon visage blafard aux yeux ternes. La glace me renvoie les traits d’un grand garçon devingt-neuf ans, aux cheveux frisés et noirs. Les yeux sont grands et sombres, engoncés dans des paupières gonflées de chagrin. Mon nez est aquilin, hérité de mon grand-père maternel, tandis que ma bouche fine découvre quand je souris des dents impeccablesargument commercial indispensable pour un dentiste. Je ne suis pas rasé, et ma peau est grise, déjà abîmée par la fumée des cigarettes que je fume coup sur coup. Je pourrais être beau - entendons-nous : séduisant-, si je n’avais pas de larges cernes naturelles, marrons et violettes, sur le pourtour de mes yeux largement enfoncés dans leur orbite.
- Hello ! Tout va bien ? Quelqu’un s’excite de l’autre côté de la porte,dontje vois la poignée s’agiter frénétiquement. Je la déverrouille et une grande fille aux cheveux décolorés couleur paillem’adresse un sourire soulagé,- Excusez-moi,j’avais peur qu’il vous soit arrivé un malaise. Je souris à mon tour. La jeune femmes’efface devant moi pour me laisser sortir, avant de s’engouffrer à son tour dans les cabinets d’aisance. Je n’aime pasLes bondesgenre de fille.  ce décolorées, je veux dire. Je ne sais pas pourquoi, elles me mettent mal à l’aise. Ces racines noires, ce blond miel abîmé et les pointes sèches qui s’effilochent comme du crin de poulicheCette malade. couleur résonne pour moi comme une tare,d’ailleurs,mes copines ont toutes été rousses ou brunes. Jamais blondes, et encore moins blondes décolorées.
Je regagne ma place, dehors, le paysage défile, à peine éclairé par la lumière blafarde de décembre. Cinq minutes plus tard, jem’endormais.
 *
*
 *
Le voyage jusqu’àGrenoblen’est pas passé rapidement. Après un bon somme, je me suis, comme tout un chacun pendant les longs voyages, ennuyé royalement. Malgré les journaux et les sandwiches achetés dans le wagon restaurant, malgré les tentatives de la blonde, assise deux sièges derrière moi, pour attirer mon attention, et qui est descendue à Lyon. Non, vraiment je ne peux pas, bien que jel’aietrès vivement remerciée intérieurement de m’avoir offert cette distraction, qui a chassé pour un temps seulement chassé le flux de tristesse. Papa avait dû se mordre les doigts de m’avoir expédié rapidement à Paris après le bac; il avaitlongtemps pensé que j’avais «attrapé la grosse tête» il disait tout bas, un peu comme s’il parlait d’une maladie honteuse, dans le combiné quand par bonheur il parvenait à me joindre. Dix ans de reproches, principalement celuid’être devenu un parisien un peu snob, toujours trop pressé, overbooké même le soir de Noël. C’était vrai, je devais admettre que la Grande ville m’avait complètement changé; j’étais devenu moins conciliant, moins disponible, moins sympathique, pas à cause de Paris elle-même,parce qu’il me
semblait avec le recul,que c’étaitmoi qui m’étais illusionné sur ma toute nouvelle importance quand j’avais posé pour la première fois le pied sur le quai de la Gare Montparnasse. J’étais sans doute le seul de Rencurel à être monté à Paris et à y faire carrière ; mon passé, « la-bàs» m’étais alors apparu comme un fardeau un peu compromettant vis-à-vis de la clientèle bobo qui était désormaisla mienne. Pourtant, j’avais très peu de clients parisiens de souche. Mais sans savoir pourquoi, j’avais développé un petit complexe que je tentai insatiablement de combler. Et quand je soignai les caries de vieux messieurs portant borsalino, mes parents, malgré le brillant passé de mon père, me semblaient tristes, mornes et sans intérêt, comme la campagne autour de Rencurel.
La gare de Grenoblen’a pas tellement changé depuisma dernière visite, il y a dix ans. Ces grandes baies vitrées qui projettent sur la campagne les regards des voyageurs fatigués, la haute coupole, et la statue de Jean Moulin au dessus de l’horloge.Le temps est fidèle à lui-même dans ces contrées bordées de montagnes : comme de juste, de gros flocons qui tombent en flèches serrées ont revêtu la chaussée que les voitures parcourent sous des airs de gros insectes errants. Je retrouve les odeurs de la neige, celles que l’onrenifle quand on est petit, dans les cours de récréation, à force de boules reçues en plein pif.D’aucuns pensent que la neige n’a pas d’odeur. C’est diablement faux. Elle en a de multiples, selon que les nuages descendent de la montagne ou arrivent, noirs et chargés d’électricité, de la plaine. C’est une odeur qui démange le nez et le becquette un peu comme une poule ronde chercherait les verres dans les granges des villages.Mais ça, il n’y a que les montagnards qui le savent.Aujourd’hui,Grenoble est un galetas dans lequel les hommes sont des fétus de pailles, balayés par tous les vents grimaçants des boussoles, parmi lesquels je me fonds sans peine. Tout là-bas et oubliés entre deux vieux murs, le finclocher d’une églisegothique cherche à atteindre le ciel, sans se douter que jamais la croix à son sommet ne percera les nuages ; cette élongation douloureuse, comme une grande fêlure de pierre, attire un instant mon attention avant que je ne replonge dans ma marche pressée. La préfecture se trouvepar chance, de l’autre côté de la Grand Place que je traverse en serrant mon blazer contre mon torse pour me protéger du froid mordant. Je dois faire attention de ne pas glisser sur les trottoirs gelés, sur lesquels la municipalité à fait déverser du sel. Puis je fais mes premiers pas dans le dédale du bâtiment, haut de plafond, et aussi humide qu’à l’extérieur.Les administrations ont quelque chose de sympathique, non pas parce qu’elles sont plan-plan, mais parce qu’elles sentent –certains cas dans confortable, le qu’ellesmettent en déroute le temps dans leur locaux d’un autre âge. Le seul bijou de lapréfecture de Grenoble trône au-dessus de la grand -porte; c’est lebuste de Marianne déployé et en bronze. Letemps n’a pas sarclé ses traits, elle reste là, haut perchée comme un oiseau empaillé annonçant les malheurs ou bien le beau temps. Par chance, signer les papiers ne prend que quelques minutes, et les gens sont tous très gentils avec moi. Mes parents étaient connus et avaient bonne réputation, on s’étonne d’ailleurs qu’un couple aussi gentil ait caché ce fils prodigue. Bien sûr, j’évite de préciser quej’évite autant que faire se peut de revenir au pays. - Vousm’avez dit avoirbesoin d’une photocopiede l’acte? me demande un vieux monsieur, qui avait l’air d’avoirdans le temps entretenu avec Papa des rapports cordiaux et amicaux. -S’il vous-plaît, Monsieur. L’homme tapote sur sa machine, et deux feuilles chaudes comme du bon pain s’extirpent de la fente de l’appareil grinçant.
-En voilà deux, une pour vous, une pour les pompes funèbres et l’original. J’allais partir, quandune voix ponctuée depetits sanglots discrets m’interpelle. C’est le petit vieux qui pleure tout doucement au-dessus de sa photocopieuse. « Vraiment, vraiment, Monsieur, Monsieur et Madame Chenavier. De gens vraiment bons. Bon courage, mon garçon. »
Avant de monter dans le taxi, qui guette, comme un sioux le bison, le client près de la gare, j’achète le Monde et cède devant le journal local. La couverture, racoleuse, titre « Nouveau meurtre en Vercors : déjà le troisième cadavre découvert.» Le pays ne s’est pas endormi pendant mon absence. Je feuillette toute cette prose d’un œil distrait, avant de me concentrer sur le paysage. Je suis sensible au mal de cœur, d’où cette impérieuse nécessité de ne pas quitter la route des yeux. La chausséequi défile m’hypnotise.Nous mettrons trois-quart d’heurede voir les toitures avant blanches de Rencurel. Dehors, l’hiver a recouvert la campagne d’une épaisse couche de neige, qui continue à s’épaissir depuis les nuagesdouloureux. Les frondaisons des arbres gelées semblent reposer comme des statues de cristal, accablées des sommeils éternels dyeuses centenaires, et tous les champs muets paraissent dormir ou se colporter des chuchotements des extrémités ingrates de leurs pousses sèches, leur repos à peine troublé sur le haut des collines par les coassements de quelques éperviers qui nidifient. La nature est morte, comme toute ma famille, et ses chuintements se feutrent dans un sanctuaire cotonneux de neige et de flocons.
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