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Ugo Palheta Résumé de thèse : « L’enseignement professionnel dans l’Ecole massifiée. Fonctions, structure et usages d’un ordre d’enseignement dominé » La thèse présentée ici porte sur l’enseignement professionnel, cet ordre d’enseignement profondément méconnu qui – dans le cadre des lycées professionnels ou sous la forme d’un apprentissage profondément rénové (G. Moreau) – persiste à constituer le principal débouché pour les enfants issus des milieux populaires après leur scolarité obligatoire, c’est-à-dire après leur passage au collège. Plus précisément, on a voulu décrire et interpréter l’évolution des conditions de scolarisation et de formation professionnelle propre aux classes populaires, qui déterminent – au moins en partie – des conditions de reproduction sociale. Deux coordonnées historiques nous ont paru incontournables pour saisir ce sous-espace dominé du champ scolaire : le chômage de masse, qui s’est développé à partir de la deuxième moitié des années 1970 et s’est maintenu depuis (avec des variations conjoncturelles) ; la massification scolaire qui, quoique modifiant les équilibres inégalitaires structurant le lycée et l’enseignement supérieur, n’a pas eu les vertus égalisatrices que certains pouvaient en attendre. Cette double évolution ne peut pas ne pas avoir eu d’effets sur un ordre d’enseignement dont la fonction objective tient dans la qualification professionnelle et la socialisation de la main-d’œuvre d’exécution dont le système ...

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Langue Français

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Ugo Palheta
Résumé de thèse : « L’enseignement professionnel dans l’Ecole
massifiée. Fonctions, structure et usages d’un ordre
d’enseignement dominé »
La thèse présentée ici porte sur l’enseignement professionnel, cet ordre d’enseignement
profondément méconnu qui – dans le cadre des lycées professionnels ou sous la forme d’un
apprentissage profondément rénové (G. Moreau) – persiste à constituer le principal débouché pour les
enfants issus des milieux populaires après leur scolarité obligatoire, c’est-à-dire après leur passage au
collège. Plus précisément, on a voulu décrire et interpréter l’évolution des conditions de scolarisation
et de formation professionnelle propre aux classes populaires, qui déterminent – au moins en partie –
des conditions de reproduction sociale. Deux coordonnées historiques nous ont paru
incontournables pour saisir ce sous-espace dominé du champ scolaire : le chômage de masse, qui s’est
développé à partir de la deuxième moitié des années 1970 et s’est maintenu depuis (avec des variations
conjoncturelles) ; la massification scolaire qui, quoique modifiant les équilibres inégalitaires
structurant le lycée et l’enseignement supérieur, n’a pas eu les vertus égalisatrices que certains
pouvaient en attendre. Cette double évolution ne peut pas ne pas avoir eu d’effets sur un ordre
d’enseignement dont la fonction objective tient dans la qualification professionnelle et la socialisation
de la main-d’oeuvre d’exécution dont le système productif a besoin. Apparemment naïve, la question
initiale à laquelle notre travail voudrait répondre est donc la suivante : dans les conditions définies par
une « démocratisation ségrégative » (P. Merle) du système d’enseignement et une reprolétarisation de
la force de travail (S. Beaud & M. Pialoux), comment un ordre d’enseignement dominé peut-il « tenir
debout » ? En d’autres termes, quelles sont les conditions de possibilité, d’existence et de
fonctionnement de filières qui occupent une place dominée dans la hiérarchie scolaire et mènent le
plus souvent à des positions subalternes dans le monde du travail ? Quoique certains travaux
sociologiques existent sur tel aspect ou tel secteur de l’enseignement professionnel, il nous a semblé
que, morcelant la réalité qu’ils prétendent saisir ou ne la saisissant qu’à travers le prisme de
problématiques unilatérales (l’insertion professionnelle ou le rapport au savoir notamment), ils
tendaient à manquer la signification de cet ordre d’enseignement et à rendre improbable, sinon
impossible, toute montée en généralité.
On a donc tenté de contribuer à une sociologie de l’enseignement professionnel qui ne renonce
ni à une certaine ambition théorique, fondée ici sur la reprise et la mise au travail du paradigme de la
reproduction (hérité des travaux de P. Bourdieu et J.-C. Passeron), ni à l’effort empirique de multiplier
les chantiers de recherche afin d’appréhender la richesse et la variété que recèlent ces univers sociaux
dominés. Mais cette étude, prenant pour objet des filières accueillant un public essentiellement
populaire, est également une contribution à une sociologie des classes dominées, et les questions
énoncées plus haut pourraient être traduites dans les termes suivants : comment s’opèrent la relégation
de jeunes – pour leur grande majorité issus des milieux populaires – vers les régions dominées de
l’espace scolaire, et leur socialisation aux rôles subalternes qu’ils sont amenés à jouer dans la division
sociale du travail ? Cette question, qui était en somme celle du sociologue anglais Paul Willis, peut
être retournée et saisie du point de vue des principaux intéressés : comment les jeunes appartenant aux
classes populaires – garçons et filles, « autochtones » et jeunes issus de l’immigration – s’y prennent-
ils, lorsqu’ils s’orientent ou sont orienté-e-s vers ces filières, pour aménager leur condition présente et,
éventuellement, pour tenter d’échapper aux risques croissants de précarisation et de « disqualification
sociale » (S. Paugam) ? Au-delà, le problème qui est posé consiste à l’évidence dans la contribution
spécifique du système d’enseignement, et particulièrement ici de l’enseignement professionnel, au
partage inégal des richesses, des privilèges et du prestige, ainsi qu’à la légitimation de ce partage.
Dans les deux premiers chapitres, qui ont dans notre argumentation un rôle introductif, on a
cherché à décrire et à justifier le cadre théorique dans lequel se situe notre propos, puis à préciser nos
choix méthodologiques, pour enfin aborder les débats qui, en sociologie de l’éducation et du travail,
nous ont permis de construire la problématique énoncée plus haut. Dans les chapitres 3 et 4, on met au
jour la position de l’enseignement professionnel dans l’économie générale du système d’enseignement
et l’on insiste, non simplement sur la faible porosité entre les filières professionnelles et les autres
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ordres d’enseignement, mais sur la force des frontières symboliques qui les séparent. Malgré sa
massification et sa (relative) unification institutionnelle, l’institution scolaire maintient en son sein des
frontières – indissociablement scolaires et sociales – qui ne sont pas moins étanches qu’auparavant et
tendraient même à se renforcer à mesure que le public de l’enseignement professionnel se prolétarise.
Les chapitres 5 et 6 sont consacrés à la description, statistique puis compréhensive, de l’hétérogénéité
interne à cet ordre d’enseignement. Contrairement à une vision en surplomb qui nie ou minimise cette
différenciation et celle des classes populaires, on montre que ces filières composent un espace qui
n’est pas moins structuré que l’espace des grandes écoles (pour ne prendre que cet exemple), qu’il est
ainsi diverses manières de s’accommoder (ou de ne pas s’accommoder) de son orientation vers
l’enseignement professionnel, et que la sociologie ne peut renoncer à décrire cette variété sans
manquer ces petits écarts qui font de grandes différences au sein du public de ces filières. On aborde
dans les chapitres 7 et 8 la question des rapports sociaux de sexe et de « race » qui, selon des modalités
différentes, tendent à structurer un ordre d’enseignement qui contribue lui-même, en retour, à
renforcer les identités de genre et les frontières ethno-raciales. On donne ainsi à voir l’expérience que
des groupes socialement dominés font d’un ordre d’enseignement lui-même dominé, en insistant sur la
nécessité de saisir et de penser ensemble les différenciations de classe, de genre et de « race ». Pour
finir, les chapitres 9 et 10 proposent une description des rapports pédagogiques propres à
l’enseignement professionnel. On met dans un premier temps l’accent sur la dimension conflictuelle
de ses rapports, en les reliant aux dispositions non seulement des élèves mais aussi des enseignants,
puis on étudie le cas spécifique de l’apprentissage compagnonnique qui, dans son exceptionnalité,
nous livre des éléments d’analyse quant aux contradictions auxquelles l’enseignement professionnel
est aujourd’hui affronté.
Plus largement, on a voulu dans ce travail prendre au sérieux l’autonomie symbolique
(relative) des dominés, en insistant sur le fait que le rapport spécifiquement populaire à l’École, qui
dérive en partie du faible capital culturel dont les familles populaires disposent et des procédures de
sélection négative dont ils sont l’objet, ne sont pas seulement à l’origine de difficultés d’apprentissage
ou de sentiments d’échec mais aussi d’une certaine « capacité » à neutraliser les verdicts scolaires
négatifs. Cela permet ainsi à une bonne partie des élèves d’origine populaire qui s’orientent (ou sont
orientés) vers l’enseignement professionnel de maintenir ou de construire une identité sociale
globalement acceptable, puisque ce qui est contesté – à mots couverts ou explicitement – c’est moins
le contenu du jugement scolaire que sa légitimité même, c’est-à-dire la prétention de l’institution
scolaire à établir souverainement la valeur des individus. Cette résistance aux classements et aux
jugements scolaires (qui sont toujours, inextricablement, des classements et des jugements sociaux)
s’est sans nul doute affaiblie à mesure que s’est accru le temps passé par les jeunes générations en son
sein et la nécessité d’obtenir des diplômes pour s’insérer professionnellement, mais force est de
constater qu’elle se maintient, sous des formes il est vrai plus larvées et peut-être moins revendiquées.
Il importe de constater que, non moins qu’hier et peut-être même davantage, l’École effectue avec un
certain succès un travail de division sociale et de légitimation de cette division en socialisant – il est
vrai imparfaitement, et parfois en négatif – les individus aux rôles qu’ils seront amenés à jouer dans
leur vie future. Mais, ne serait-ce que parce que les élèves les plus en difficulté sont maintenus plus
longtemps au sein de l’institution scolaire, il est vrai également qu’ils opposent aussi plus longtemps
une résistance au système d’enseignement, non sur le mode d’une action collectivement et
consciemment orchestrée, mais sous les formes mouvantes d’une « adhésion à éclipses » et d’une «
attention oblique » (pour parler comme R. Hoggart), ou de comportements anti-scolaires ressemblant à
ceux décrits par P. Willis dans les années 1970 à propos de la jeunesse ouvrière britannique. Or, la
signification sociale de ces comportements tient dans leur ambivalence constitutive : à la fois
résistance à la domination scolaire et soumission, ou – comme la religion chez Marx – à la fois
expression de la détresse réelle et protestation contre cette détresse. Evidemment, il ne s’agit pas ici de
dire que les politiques de massification scolaire n’ont en rien transformé le système d’enseignement et
les attitudes des différents groupes sociaux à son égard ou, dans une veine quelque peu misérabiliste,
que les classes populaires se désintéressent purement et simplement des enjeux scolaires et qu’ils n’y
voient qu’un jeu de dupes. En frappant d’illégitimité tout autre aspiration que les études longues,
parfois aux yeux mêmes de ceux qui sont objectivement les moins concernés par les études longues, à
savoir les classes populaires, la massification n’a pas supprimé le rapport ordinaire que ces classes
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entretiennent avec l’École mais a renforcé les contradictions entre ce rapport et les représentations de
légitimité qui le disqualifient en faisant de l’institution scolaire la bourse unique des valeurs et des
mérites.
Par ailleurs, « en opérant des distinctions et en établissant des variations là où on s’est habitué
à voir de l’uniforme et de l’amorphe » (C. Grignon & J.-C. Passeron), il apparaît que l’enseignement
professionnel contribue à la reproduction des rapports de classe et de genre, non par l’assujettissement
des aspirations individuelles ou l’imposition d’une morale transcendante de l’effort et du mérite, mais
en s’appuyant et en renforçant les ethos de fractions de classe et les habitus de genre qui structurent le
public de l’enseignement professionnel. A ceux qui partagent une « culture anti-école » (P. Willis)
dont on aurait tort d’imaginer, sous prétexte que l’École a étendu son emprise, qu’elle a disparu en
milieu populaire, l’enseignement professionnel désigne des biens de salut (salaire de l’apprenti, culture
technique ou du moins pratique, valeurs de « virilité » ou de « féminité », emplois accessibles sans
études longues), alternatifs aux biens proprement scolaires. Mais plus encore que la question des
transformations touchant les attitudes populaires à l’égard du système de formation, notre travail sur
l’enseignement professionnel pose le problème des conditions de reproduction des classes populaires.
De même que P. Bourdieu parlait d’un « allongement des circuits de légitimation », permettant à celle-
ci de s’effectuer de manière beaucoup moins visible et à dissimuler ainsi l’arbitraire du pouvoir exercé
par la « noblesse d’Etat », on pourrait pointer concernant les classes populaires un
allongement des
circuits de reproduction
. Celui-ci prend notamment la forme d’un allongement du temps passé dans le
système de formation et d’un accroissement brutal de la concurrence pour l’obtention de titres et d’une
accumulation accélérée de capital scolaire. Cette course à l’augmentation des qualifications s’appuie
sur les tendances à l’unification du système d’enseignement (contribuant fortement à l’unification du
marché des biens symboliques), et engendre non seulement une dévalorisation du « capital
d’autochtonie » (réseaux locaux d’insertion professionnelle, savoirs et savoir-faire indigènes, etc.)
mais aussi un élargissement de l’horizon d’attente des jeunes, qui se ramène de moins en moins à la
stricte répétition de ce qu’ont connu leurs parents. Tout comme le mode de reproduction élargie du
capital économique impose de réinvestir la plus-value extorquée lors du cycle précédent afin de
participer à la course à l’augmentation de la plus-value, le capital scolaire acquis par les générations
précédentes doit sans cesse être réinvesti par les générations présentes afin de maintenir leur position
relative, logique qui a pour effet d’élargir sans cesse la base sur laquelle s’effectue cette reproduction
scolaire des privilèges et des handicaps. De plus en plus de parents, y compris de milieux populaires,
sont ainsi amenés à investir et s’investir dans les études de leur(s) enfant(s), c’est-à-dire à y consacrer
de plus en plus d’énergie et d’argent. Or, un tel élargissement cyclique et la concurrence apparemment
libre sur lequel il se fonde favorisent l’oubli ou la méconnaissance des logiques qui, « à travers
l’anarchie apparente des stratégies de reproduction mais aussi au travers des luttes collectives » (P.
Bourdieu), persistent à reproduire la structure sociale. Une reproduction des rapports de classe et de
genre continue donc de s’opérer mais sur un mode de moins en moins direct et visible, médiatisée de
manière croissante par une institution scolaire relativement autonome des demandes qui lui sont
adressées (notamment par le patronat).
Dans ses mutations récentes, qu’il s’agisse de la création du « bac pro » en 1985 ou de la
renaissance paradoxale de l’apprentissage, l’enseignement professionnel est un élément primordial du
passage progressif d’un régime de reproduction simple à un régime de reproduction élargie. Voué à
proposer des biens de salut aux jeunes les moins disposés, du fait de leur passé scolaire et de leur
socialisation familiale, à investir et à s’investir dans l’Ecole, il se trouve au coeur des tensions
structurelles entre les classes populaires et le système d’enseignement. Or, ces tensions sont encore
accrues non seulement par la massification ségrégative mais par la situation faite aux travailleurs
subalternes dans le système productif, et plus précisément par la précarisation généralisée des emplois
auxquels les sortants de l’enseignement professionnel peuvent prétendre. La notion de « crise de
reproduction », associée à l’enseignement professionnel ou aux classes populaires, ne désigne ainsi
rien d’autre que l’aiguisement contemporain de cette contradiction fondamentale entre les fins qui sont
assignées officiellement au système de formation (égaliser les chances, transmettre une culture
commune, favoriser l’insertion professionnelle) et les fonctions qu’il remplit objectivement dans une
société structurée par des rapports de domination.
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