Mise au point sur le Mariage de Figaro
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Mise au point sur le Mariage de Figaro Trois éléments sont problématiques chez Beaumarchais : - la question du genre - la question de l’idéologie - la question du système dramatique (qu’est-ce qui compose le langage dramatique ?) La question du genre : Le Mariage puise à la source particulière de la parade : la parade est une courte pièce (longue saynète) que l’on joue dans les foires ou à l’extérieur du théâtre, sur le balcon, pour alléguer ou aguicher le spectateur. Dans ces pièces, on a souvent des paysans en train de s’insulter à coup de mots grossiers, ou bien en train de se séduire avec un langage qui peut être pris dans un sens grivois. Il s’agit la plupart du temps d’improvisation à partir d’un canevas, à la manière de la commedia dell’arte. La parade a fait son entrée dans les grands salons aristocratiques au dix- huitième siècle, comme dans le salon du fils du Régent. Les aristocratiques regardent et s’amusent à voir des comédiens jouer les rustauds, s’insulter, se draguer. Beaumarchais a écrit un certain nombre de pièces se rapprochant du genre de la parade, comme Jean Bête. La différence avec la comédie classique est notable : l’intrigue présente peu d’intérêts, tout passe par le langage très stylisé (les « parlures » paysannes, bien plus travaillées que chez les paysans de Molière), par les doubles sens. La parade est une sorte de mascarade ou de bouffonnerie généralisée : on donne à voir des gens du peuple à des aristocrates.

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Publié le 26 septembre 2013
Nombre de lectures 816
Langue Français

Extrait

Mise au point sur le Mariage de Figaro

Trois éléments sont problématiques chez Beaumarchais :
- la question du genre
- la question de l’idéologie
- la question du système dramatique (qu’est-ce qui compose le langage
dramatique ?)

La question du genre :
Le Mariage puise à la source particulière de la parade : la parade est une courte
pièce (longue saynète) que l’on joue dans les foires ou à l’extérieur du théâtre, sur le
balcon, pour alléguer ou aguicher le spectateur. Dans ces pièces, on a souvent des
paysans en train de s’insulter à coup de mots grossiers, ou bien en train de se séduire
avec un langage qui peut être pris dans un sens grivois. Il s’agit la plupart du temps
d’improvisation à partir d’un canevas, à la manière de la commedia dell’arte.
La parade a fait son entrée dans les grands salons aristocratiques au dix-
huitième siècle, comme dans le salon du fils du Régent. Les aristocratiques regardent
et s’amusent à voir des comédiens jouer les rustauds, s’insulter, se draguer.
Beaumarchais a écrit un certain nombre de pièces se rapprochant du genre de la
parade, comme Jean Bête. La différence avec la comédie classique est notable :
l’intrigue présente peu d’intérêts, tout passe par le langage très stylisé (les
« parlures » paysannes, bien plus travaillées que chez les paysans de Molière), par les
doubles sens.
La parade est une sorte de mascarade ou de bouffonnerie généralisée : on
donne à voir des gens du peuple à des aristocrates. Pour ceux qui connaissent le
théâtre du Moyen-Âge, on trouve ce genre de pratiques chez Adam de la Halle, dans
le Jeu de Robin et Marion, donné dans les grandes cours italiennes, où des paysans
s’adonnent à des jeux ou des plaisirs rustiques, pour renforcer le sentiment
d’appartenance aristocratique des spectateurs. Il faut donc que soit maintenue une
certaine distance entre la fiction et les spectateurs, pour que ces derniers puissent
jouir du caractère artificiel de cette rusticité et cette grossièreté qui n’est pas « leur »
monde. Ce que la parade, en tant que forme théâtre, exhibe, c’est sa théâtralité.
Beaumarchais va refonder le genre de la comédie à partir de la forme
dramatique qu’est la parade. Une pièce comme Le Mariage de Figaro contamine des
éléments venus de la comédie traditionnelle (le rapport maître-valet) et des éléments
venus de la parade : le droit de cuissage, qui est l’élément de départ de la pièce, selon
lequel le Comte devrait avoir le droit de profiter sexuellement de Suzanne, est un
élément grivois ; le papillonnage érotique de Chérubin, qu’on finit par travestir ; la
cachette dans l’armoire, qu’on retrouvera chez Feydeau…
Jacques Scherer s’est attaché à montrer que le principe unificateur de la
dramaturgie de Beaumarchais était l’exhibition de la théâtralité. Le théâtre de
Beaumarchais ne serait pas à interpréter comme pierre dans l’édifice du réalisme
triomphant, mais dans le sens d’une mascarade généralisée, de l’exhibition du
factice, du théâtral.

La question idéologique
Cela pose ainsi un nombre de questions liées à l’interprétation générale de la
pièce, et du personnage de Figaro. Il est certain qu’avec Le Mariage se pose le
problème de l’Histoire envahissant la scène comme rarement auparavant : le droit de
cuissage est une pratique féodale (selon laquelle le seigneur a le droit d’abuser
sexuellement de ses gens), et ce point de départ révèle bien une crise des valeurs. Dans ce monde où le système féodal disparaît au profit de la bourgeoisie, l’allusion
au droit de cuissage prend une valeur politique.
Néanmoins, il faut se garder de faire trop rapidement de la pièce une pièce
révolutionnaire. Le schéma maître contre valet puise à des origines qui n’ont rien de
révolutionnaire. Ce que l’on remarque, si l’on met l’accent sur le genre de la parade,
c’est que le Comte s’en sort finalement très bien (bien mieux que Dom Juan par
exemple !) pour un libertin qui exploite le peuple. La mascarade généralisée, la
théâtralité qui appartiennent au Mariage, en font une pièce où la valeur idéologique
est elle-même tournée en dérision.
C’est ainsi qu’Anne Ubersfeld, la grand spécialiste marxiste du théâtre, a pu
parler du Mariage de Figaro comme d’un « Balcon sur la Terreur » : le balcon fait
référence à la pratique de la parade, la Terreur à l’Histoire qui est en train de se jouer
(et qui va se jouer pour le aristocrates tout au long de la Révolution). A la fin du
Mariage, les derniers mots sont « Et tout finit par des chansons » : pour une pièce qui
se joue en 1784, on ne peut guère soutenir qu’il y ait là une visée très
révolutionnaire… Car sur la scène de l’Histoire, tout ne finit pas par des chansons.
Bien sûr, il ne faut pas oublier cependant que le public auquel la pièce est
destiné n’est pas exclusivement un public d’aristocrate. Et il est certain que la
parabase de Figaro (long monologue, très rare dans une comédie, où Figaro évoque
en particulier le problème de la liberté d’expression) prend un caractère politique
certain : néanmoins, il faut se rappeler que Beaumarchais s’est heurté à ce problème
de la liberté d’expression – la censure occupe à cette époque une place encore très
importante – mais cela ne signifie pas pour autant que la liberté d’expression vise à
contester le pouvoir royal (qui avait beaucoup évolué sous Louis XVI). Ce long
monologue a une valeur hautement polémique, mais il ne faut pas interpréter trop
vite le « sel » satirique de Figaro comme un appel à la contestation : d’ailleurs, Figaro
ne triomphe pas dans la pièce.
Attention donc à bien problématiser, et à bien nuancer : il y a un aspect
polémique et satirique qui reflète une crise des valeurs sociales, mais qui n’entraîne
pas pour autant la position d’une thèse politique. Et la parodie de procès qui a lieu
sur scène, la non-sanction du comte Almaviva et la fin tout en chansons nous
montrent un espace très indépendant du monde réel, un espace qui affiche son
artifice.

La question du système dramatique
Avec Beaumarchais, on a cependant un pas gagné dans la valeur
« mimétique » accordée à la scène : décors et objets foisonnent et occupent à la fois un
rôle fonctionnel, physique, et symbolique sur la scène. Le fauteuil derrière lequel on
se cache, l’armoire, la fenêtre qui ouvre sur le jardin, donc des espaces internes, des
dimensions qui jouent un rôle.
Les objets eux-mêmes deviennent signifiants, en particulier, dans la scène
entre Suzanne et Chérubin, le ruban. On a beaucoup glosé sur le ruban : il est certain
que le ruban est un objet qui est plus qu’un objet. Dans la scène entre Suzanne et
Chérubin, il est largement investi du désir de Chérubin (presque fétichiste) et devient
métonymique du corps féminin (Chérubin désire les femmes, toutes les femmes).
Mais Chérubin (du nom de l’ange) est un personnage homme qui pourtant est
très féminin (c’est lui qu’on va travestir) : il est à la fois homme et femme (chez
Mozart, le rôle est toujours chanté par une femme). On a parfois avancer que le
ruban (rouge) devait trouver une signification du côté du sang : le « sang » en tant
qu’appartenance aristocratique, le sang en tant que menstruations que Chérubin n’a
pas, etc. Ce ruban aura en effet un rôle au moment du mariage proprement dit (la
jarretière). Il est un punctum comme dirait Barthes, un détail qui cristallise l’attention
(désir érotique) et appelle une interprétation.

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