James Holmes était psychotique ou psychopathe...? / James Holmes de retour devant la justice
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Description


Le suspect dans la tuerie survenue dans une salle de cinéma du Colorado, le 20 juillet dernier, retournera devant la justice à compter de lundi, dans le cadre d'une audience qui pourrait avoir les allures d'un mini-procès.
Donald Harvey, une énigme.
En 2010, j’ai assisté avec beaucoup d’intérêt à une conférence de Stéphane Bourgoin organisée par la bibliothèque publique de Molenbeek. Il y était diffusé un reportage centré sur l’interview de Donald Harvey, un tueur en série surnommé « l’ange de la mort ». Bourgoin est un ancien journaliste qui s’est spécialisé dans l’étude des serials killer. Cherchant à percer leurs mystères, il explique avoir trouvé fort peu de documents à leur propos. Il a alors entrepris ses propres recherches qui l’ont mené au fil des années à interviewer près de 70 tueurs en série, principalement aux États-Unis. Auteur de nombreux ouvrages et reportages, il se présente aujourd’hui comme un des spécialistes mondiaux de la question.
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Langue Français

Extrait

James Holmes de retour devant la justice
DAN ELLIOTT Agence France-Presse Centennial
Le suspect dans la tuerie survenue dans une salle de cinéma du Colorado, le 20 juillet dernier, retournera devant la justice à compter de lundi, dans le cadre d'une audience qui pourrait avoir les allures d'un mini-procès.
James Holmes, un ancien étudiant en sciences neurologiques, est accusé d'avoir tué 12 personnes et d'en avoir blessé 70 autres après avoir fait feu pendant la présentation du long métrageThe Dark Knight Risesde la série des îlms Batman, à Aurora, dans la banlieue de Denver.
Dans le cadre d'une audience qui pourrait durer toute la semaine, les procureurs étaleront, pour la première fois en public, les preuves qu'ils ont accumulées contre Holmes. Le juge décidera ensuite si un procès doit avoir lieu.
Selon des experts du domaine judiciaire, les preuves contre Holmes semblent si solides que le suspect pourrait conclure un accord de réduction de peine avant le début du procès.
Dans de tels cas, l'enquête préliminaire peut servir de point de départ à une transaction pénale parce que les deux clans peuvent évaluer les forces et les faiblesses de l'autre partie, selon Laurie Levenson, une ancienne procureure fédérale qui occupe maintenant un poste de professeure à l'École de droit Loyola à Los Angeles.
Holmes, qui fait face à plus de 160 chefs d'accusation, incluant meurtre prémédité et tentative de meurtre, aurait pu renoncer à son enquête préliminaire, ce qui aurait permis aux procureurs des deux parties de se préparer pour un éventuel procès.
Mais il arrive que les avocats de la défense tiennent à franchir l'étape de l'enquête préliminaire aîn d'avoir une meilleure idée des éléments de preuve amassés par la poursuite.
Des oïciels des autorités judiciaires s'attendent à ce que plusieurs survivants et membres des familles des victimes assistent à l'enquête préliminaire, tout comme de nombreux journalistes et même des citoyens ordinaires. Au moins deux salles auxiliaires ont été aménagées aîn de suivre les procédures, qui seront retransmises par signaux audio et vidéo.
Le juge de district William B. Sylvester a émis une consigne du silence avocats et aux enquêteurs, et de nombreux documents judiciaires ont été livrés sous scellé, de sorte qu'il est diïcile de savoir ce qui a poussé Holmes à passer d'étudiant prometteur à tueur de masse.
Les quelques détails rendus publics indiquent qu'il a connu une déchéance troublante.
En 2011, Holmes s'est inscrit au programme de sciences neurologiques à l'Université du Colorado à Denver. Au printemps de 2012, selon les autorités, il a commencé à acheter des armes à feu, des chargeurs à grande capacité, des munitions, des explosifs et de l'équipement de combat. À un certain moment pendant l'année scolaire, il a commencé à consulter un psychiatre de l'université. Il a échoué un examen oral le 7 juin et a quitté l'université trois jours plus tard.
Holmes a été arrêté à l'extérieur de la salle de cinéma, peu de temps après la fusillade. Les autorités fédérales ont expliqué que Holmes s'est acheté un billet pour assister au îlm, a ouvert une porte et s'est rendu à son automobile avant de revenir dans la salle muni de ses armes à feu.
Quelques heures plus tard, des enquêteurs ont découvert que son appartement avait été transformé en pièges à explosifs potentiellement mortels.
Holmes est passible de la peine de mort ou la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle s'il est reconnu coupable de
meurtre. Il pourrait éviter la peine de mort, cependant, si ses avocats invoquent l'aliénation mentale ou s'il est déclaré innocent pour un motif semblable.
http://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201301/06/01-4608785-james-holmes-de-retour-devant-la-justice.php
Donald Harvey, une énigme.
En 2010, j’ai assisté avec beaucoup d’intérêt à une conférence de Stéphane Bourgoin organisée par la bibliothèque publique de Molenbeek. Il y était diusé un reportage centré sur l’interview de Donald Harvey, un tueur en série surnommé « l’ange de la mort ». Bourgoin est un ancien journaliste qui s’est spécialisé dans l’étude des serials killer. Cherchant à percer leurs mystères, il explique avoir trouvé fort peu de documents à leur propos. Il a alors entrepris ses propres recherches qui l’ont mené au îl des années à interviewer près de 70 tueurs en série, principalement aux États-Unis. Auteur de nombreux ouvrages et reportages, il se présente aujourd’hui comme un des spécialistes mondiaux de la question.
Pourquoi Stéphane Bourgoin a-t-il interviewé Donald Harvey ? Dans les années 1970-1980, cet inîrmier a reconnu le meurtre de plus de 80 personnes sur son lieu de travail. Bourgoin veut savoir : « que cache la personnalité de cet inîrmier sadique, et combien de victimes a-t-il sur la conscience, va-t-il enîn me révéler les secrets de sa mémoire ? » Il précise qu’Harvey « est une îgure légendaire des tueurs en série américains et en même temps un des plus mystérieux puisqu’on ignore tout encore de ses véritables mobiles ». En eet, comme le rappelle le policier qui l’a arrêté, « c’est diïcile à comprendre parce que ce n’est pas par passion, pas pour le proît, pas par colère, pas pour les mobiles habituels… » L’absence de « mobiles habituels », pour lesquels le meurtre serait donc « compréhensible », rend le cas de Donald Harvey extrêmement énigmatique. Pourquoi a-t-il tué ? Et pourquoi la répétition des meurtres ?
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Donald Harvey, un psychopathe ?
Lors de l’entretien, Bourgoin remarque que Donald Harvey « arrive totalement maquillé, il s’est mis du fond de teint, il s’est taillé la moustache au millimètre, il est parfait : il fait preuve de la même méticulosité, organisation et méthode que l’ont retrouve dans ses crimes ». Cela signe selon le journaliste « sa toute-puissance, la manipulation et les tentatives de séduction de ce genre de personnage ». Sa méticulosité se retrouve d’ailleurs dans le récit des faits. Le nom des patients, la couleur de peau, l’âge, la date d’admission, le numéro de chambre et de lit, le jour et l’heure de la mort, les stratégies mises en place : Donald Harvey se souvient du moindre détail pour chacune des victimes, 22 ans après. Réinterrogé aujourd’hui, il explique ses meurtres exactement de la même manière. Ses souvenirs sont intacts, comme si le temps n’avait pas de prise sur lui.Stéphane Bourgoin a rencontré Donald Harvey dans un pénitencier de l’Ohio où ce dernier purge une peine de 60 ans de prison. En 1987, cet inîrmier de 35 ans a été condamné pour 37 meurtres, alors que les enquêteurs en soupçonnent 70. Lors de l’entretien, Donald Harvey en avouera 17 de plus, ce qui porte le total des victimes à 87. Le journaliste va essayer d’éclaircir deux points : quelle est la façon dont Harvey sélectionne ses victimes et quelles techniques a-t-il utilisées ? En eet, durant près de 20 ans il a perfectionné progressivement sa méthode pour ne pas se faire attraper, passant de l’étouement avec un coussin à l’utilisation de plus en plus sophistiquée de poison. Harvey est ainsi passé pour un employé idéal, recevant des certiîcats de recommandation délivrés par les hôpitaux dans lesquels il a travaillé.
Voici les conclusions de Stéphane Bourgoin sur la personnalité de Donald Harvey :
Comme de nombreux tueurs en série, c’est un psychopathe : donc il n’a pas de sentiments, il raconte ses crimes comme tout un chacun raconte une visite en famille ou assiste à une communion d’un enfant. Il y a une froideur clinique, il assiste à l’agonie des victimes, il s’en délecte. C’est la banalité du ton dans l’horreur. C’est quelqu’un qui n’a pas de sentiment, pas d’aect pour ses victimes, qui chosiîe en quelque sorte ses victimes. [Comme tous les psychopathes,] il est extrêmement organisé. Il met en place une stratégie pour commettre ses meurtres, il essaye d’eacer toute trace de ses crimes. La psychopathie n’étant pas une maladie mentale, c’est un trouble du comportement.
Manifestement, Donald Harvey prend beaucoup de plaisir à raconter ses crimes. Il va partager cette toute puissance, son contrôle sur les victimes. Il va démontrer qu’il est l’égal de dieu qui décide de la vie ou de la mort de telle personne. Il est comme le paon dans toute sa splendeur. Il pousse le vice jusqu’à inscrire le nom de ses victimes sur des listes.
Nous voyons que Stéphane Bourgoin se réfère ici à une classiîcation psychiatrique qui répond à une logique déîcitaire: un défaut est recherché du côté du sujet. Pour répondre à la question de la responsabilité pénale, la clinique psychiatrique opère un distinguo entre les cas de psychose (où le psychiatre considère que le rapport à la réalité est altéré) et les cas de psychopathie (dont les traits principaux ont été dressés ci-dessus : froideur aective, pas de sentiment de culpabilité, toute puissance, manipulation, perversion).
Comme le fait remarquer Zenoni (2009), la clinique psychiatrique classique se base fondamentalement sur des signes « mentaux » de la folie pour signer la perte de réalité (délire et hallucinations par exemple). Elle classe dans une autre catégorie les cas où la folie ressort plus du registre de l’acte, sans déîcit du raisonnement, ou lorsque les faits semblent répondre à une logique accessible au sens commun (gagner de l’argent, se venger, montrer sa puissance, etc.) Dans ces derniers cas, la classe des « troubles du comportement » ne fait pas référence à une quelconque folie car la personne rechercherait son propre intérêt.
Le défaut est donc soit attribué à des signes « mentaux », le sujet ne pouvant alors répondre de ses actes, soit attribué au comportement délictueux, et le sujet peut être jugé. En l’absence d’une part de phénomènes psychiatriques (hallucinations par exemple) et de motifs « communs » (comme l’argent, la jalousie ou la vengeance), il est fréquent que les psychiatres supposent que c’est une recherche de « toute puissance » qui est à l’origine de l’acte. Cette hypothèse est donc convoquée lorsque le mobile des crimes reste obscur. Mais est-il
pertinent de penser que le même mobile agirait pour tous les criminels qui ne présentent pas de signes mentaux de folie ? Je vais plutôt partir à la recherche des raisons singulières des passages à l’acte de Donald Harvey, en mettant de côté la liste de défauts qui lui sont imputés. J’essayerai de repérer la logique de la vie de ce sujet hors du commun à partir de ce qu’il peut reconstruire des lignes de fracture de son existence.
Pour les experts, Donald Harvey n’est pas psychotique. Il a donc été reconnu responsable de ses actes et jugé. Stéphane Bourgoin, lors de l’entretien, mettra pourtant en évidence l’existence d’un délire mystique lié au choix des victimes. Je pense qu’il s’agit d’un bon point de départ.
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La cérémonie de la bougie et la sentence de mort
C’est par ses rencontres sexuelles que Donald Harvey a découvert le monde des sciences occultes. Il semble dans une certaine indétermination à cet égard : il explique qu’il a eu des relations avec des femmes âgées et qu’il se pliait à toutes sortes de perversions dans des relations homosexuelles. Mais il lancera un laconique « la vie sexuelle, c’est ennuyeux », signant l’absence d’implication de son propre désir. Un jour, il rencontre un homme «qui aime faire des fellations dans des cercueils» et qui va lui proposer de travailler avec lui dans une morgue. Cet homme l’initiera à des rituels satanistes
durant lesquels ils utiliseront des organes volés à la morgue. Harvey explique qu’ils croyaient en la réincarnation, sa dernière vie étant celle d’un médecin de guerre : «je suis mort en Europe durant la première guerre mondiale».
Donald Harvey ne semble pas investir particulièrement les cérémonies occultes auxquelles il participe à cette époque. Mais il en reprendra en privé certains éléments dans un cérémonial particulier qui lui permet de prendre des décisions importantes dans sa vie. Harvey explique qu’il a un double, nommé Duncan, qui était un pianiste décédé sous les bombes durant la deuxième guerre mondiale. Duncan est son guide spirituel, c’est à lui qu’il s’adressera pour choisir ses victimes. Donald Harvey ramenait chez lui une liste des noms de patients ainsi que des bouts de tissus ou des cheveux leur appartenant. Il demande alors pour chacun s’il est temps qu’il ou elle meure : «« Cet homme, dois-je le tuer aujourd’hui ? », je demandais à Duncan de me faire un signe à travers la Lamme de la bougie, de provoquer un léger vacillement de la Lamme… J’avais de grandes bougies, parfois, je les déposais dans des crânes mais j’étais très respectueux de ces crânes, je faisais attention qu’il n’y ait pas de traces de cire. e premier vacillement de la Lamme c’était non, le deuxième c’était oui». Lors de ce cérémonial, Harvey enîlait un masque de chirurgien sur sa bouche pour que son propre soue ne fasse pas bouger la amme.
Harvey exerce en eet une certaine toute-puissance à l’égard de ses victimes en leur ôtant ou non la vie. Cependant, il en attribue le choix à son double. Cet élément relativise un peu cette place de dieu qui lui est parfois attribuée car il demande ce qu’il doit faire à un Autre. Il agit en bon employé qu’il a toujours été, répondant à un ordre supérieur. Il est plutôt le mauvais ange au service de cette volonté de tuer, ce qui correspond à ce qu’il dit de lui même : «I was a bad angel. I don’t consider myself a serial killer». Comment en est-il arrivé là?
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Les diérents temps du crime
Interrogé par le Président du tribunal sur un éventuel sentiment de culpabilité lorsqu’il tuait, Harvey répond qu’il a ressenti quelque chose pour les deux ou trois premières personnes, mais pas pour les suivantes car il «ne les connaissait pas». En quoi ces meurtres inauguraux ont-ils été diérents ?
Dès ses premiers jours à l’hôpital où il fut engagé, Harvey a été confronté à la mort. Une famille amène à l’hôpital un vieil homme qui a eu un malaise suite à une insolation. Harvey constate directement que cet homme est déjà décédé mais la famille l’accusera du décès. «C’était juste un de ces événements étranges», dira-t-il. Il est donc ici accusé mais non coupable. Le premier meurtre survient deux semaines plus
tard, lorsque l’hôpital lui conîe un patient victime d’un AVC et qu’il est chargé de nettoyer. Ce patient ne se laisse pas faire, il se débat en renversant sur lui son bassin. «Je n’allais pas me laisser faire, il m’a couvert d’excréments… on ne m’avait pas appris comment faire à l’hôpital… et d’un coup je l’ai étouFé !» Paniqué, Harvey l’a nettoyé et n’a rien dit. Les inîrmiers ont pensé que c’était une rechute de l’AVC. Dans ce lieu où la mort peut surgir chaque jour, son meurtre est donc passé inaperçu. Le lendemain, un autre événement survient. L’hôpital demande à Harvey de poser une sonde à un patient. Malgré les protestations de douleur de ce dernier, Harvey s’exécute et le patient décède d’une hémorragie interne. En réalité, c’était une erreur de l’hôpital qui s’était trompé de patient : une sonde ne pouvait pas lui être posée. Il lui est alors demandé de ne rien dire, pour couvrir l’hôpital. Cette incroyable succession d’événements semble avoir brouillé les repères d’Harvey : on peut être accusé tout en état innocent, être coupable d’une impulsion meurtrière sans être inquiété et une erreur médicale peut être étouée. Progressivement va s’établir une étrange équivalence entre « s’occuper d’un patient » et le tuer.
Harvey continue le récit des meurtres qui ont suivi. Pour ne plus sourir, une patiente victime d’une grave brûlure le supplie de la tuer. Il répond à sa demande et l’étoue. Un autre patient le prend pour un voleur et le frappe avec un bassin rempli d’urine. Harvey dit que l’hôpital n’aurait pas dû lui demander à lui de s’occuper le lendemain de cette personne. Il se venge en lui injectant un produit létal. Ces meurtres vont s’automatiser : Harvey explique qu’ «à chaque nouveau patient c’était plus facile…. es 15 premiers sont arrivés comme ça… l’impulsion du moment… Je n’arrivais plus à m’arrêter, j’ai vu que tout le monde s’en foutait.» Il va progressivement perfectionner sa technique, expérimenter diérents poisons comme l’arsenic ou le cyanure.
Si les premiers meurtres sont décrits comme des actes non prévus et causés par la colère, les suivants mettent à jour une connexion intime entre la mort et son travail d’inîrmier. Remarquons ce détail lors du premier meurtre : Harvey en est venu à étouer un patient qui ne le laissait pas placer un cathéter. «aissez-moi faire mon travail !», a-t-il lancé. Dans ce premier temps, la mort s’est donc imposée comme condition pour qu’il puisse eectuer son travail. Si nous poussons à l’extrême sa logique, qui part de l’expérience que les réactions d’un patient sont un obstacle à l’acte médical, le patient idéal est donc un patient mort. Allons plus loin : lorsqu’il tue son deuxième patient, qui lui a demandé de mourir pour ne plus sourir, Harvey répond à sa demande et « traite » donc ses sourances. Donald Harvey a même l’impression de rendre service au patient. On se rend compte que mettre în à la vie a presque pour lui valeur d’un acte médical absolu : si « la santé est le silence des organes » (René Leriche, chirurgien français spécialiste de la douleur), la mort est l’ultime guérison.
Progressivement, Harvey va organiser ses meurtres de manière plus froide et rééchie tout en les nouant à une dimension mystique. On le voit, ça s’automatise pour lui: «à chaque nouveau patient, c’était plus facile». La nécessité de ne pas se faire arrêter l’a mené à perfectionner sa technique, à s’intéresser aux poisons et au fonctionnement du corps. Littéralement, la mort est devenue son travail : «je faisais ce que j’avais à faire (make business)». Mais tout inîrmier peut être confronté à la mort, aux erreurs médicales, à l’énervement et à l’extrême sourance des patients. Face à cette réalité des hôpitaux, pourquoi Harvey a-t-il, lui, basculé dans les meurtres ? Une piste de réponse est à rechercher dans la place prépondérante que ces deux signiîants –la médecine et la mort- ont eue dans son existence.
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« J’ai toujours voulu être médecin… ou entrepreneur de pompes funèbres »
Interrogé sur ce qu’il aurait voulu faire quand il était petit, Harvey a cette réponse étonnante : «J’ai toujours voulu être un médecin… ou un entrepreneur de pompes funèbres, l’un ou l’autre.» Il explique que quand il était jeune, «c’était un événement d’aller aux enterrements». Avant ses 18 ans, il aurait assisté à pas moins de 200 enterrements. Harvey explique qu’il y mangeait bien, qu’il fallait bien s’habiller et qu’il était fasciné par le fait que les défunts étaient toujours souriant : «Ils avaient toujours un sourire sur le visage, à vous regarder… On entendait qu’ils étaient déîgurés par un accident mais on allait au funérarium et ils avaient l’air de poupées… je trouvais ça intéressant…».
La principale occupation de sa jeunesse était donc liée à la mort. Cette activité génératrice de vie sociale et de plaisir a donc été l’occasion d’un questionnement sur la tension entre la destruction du corps et son « raîstolage » (le maquillage qui masque les traces de la mort) : comment reconstruire un corps, lui redonner apparence humaine ?
Cette question fondamentale l’a mené rapidement à un travail d’embaumeur dans un funérarium. Pour Harvey, c’est «un rêve d’enfant» qui se réalise. Il y apprendra à reconnatre les stigmates indiquant les circonstances de la mort, mais ses collègues lui enseigneront aussi les parties du corps qui sont souvent négligées par les médecins légistes. Parti au Vietnam, Harvey continuera à s’interroger sur la façon dont sont embaumés les soldats et notamment comment mettre de la couleur sur un visage. Il relate cette anecdote : un jour, ses collègues l’ont laissé faire seul le maquillage mais se sont moqués de lui car il avait mis trop de rose. Ce « trop de rose » nous évoque d’ailleurs le visage d’Harvey lors de l’interview : « Donald est entré, souriant, mais le visage immobile comme le masque de cire d’un personnage du Musée Grévin. L’ex-inîrmier était maquillé, c’était
évident. On serait même tenté de dire grimé », remarque Stéphane Bourgoin. Ce dernier l’interprète comme une volonté de séduction, de manipulation. Mais on est plutôt frappés par une sorte de mimétisme, de collage à l’image du mort. Si le maquillage et le souci de l’apparence peuvent en eet signer l’envie de paratre beau, le trop de maquillage -donnant un eet factice- dévoile un certain eort pour paratre vivant. À cet égard, Harvey est-il juste un séducteur qui rate son coup ? Ou est-ce le signe de l’eort démesuré qu’il fournit pour paratre vivant, à l’image du mort dans son cercueil ? On pourrait faire l’hypothèse que Harvey a retrouvé quelque chose de lui-même dans les dépouilles dont il a été entouré toute sa vie.
À son domicile, les enquêteurs ont trouvé de nombreux ouvrages médicaux et manuels d’autopsie. Il se livrait en eet à une recherche privée sur les limites du corps et du vivant. Les manuels indiquaient notamment l’eet de produits toxiques sur les diérentes parties du corps. Lorsqu’il découvre un poison, Harvey en fait d’abord l’expérience sur lui même. Il s’injectera de faibles quantités de poison tout en inscrivant minutieusement dans des agendas les doses, leur coût et les eets observés. Ce lien entre la mort et la médecine est frappante également dans le cérémonial de la bougie : pour eectuer le choix de qui tuer ou laisser en vie, Harvey s’aublait d’un masque de chirurgien pour que son soue sur la amme n’interfère pas avec celui de son double imaginaire.
Les meurtres n’ont d’ailleurs pas eu lieu dans n’importe quel endroit. Lorsqu’il tue, «j’étais dans mon univers professionnel, je travaillais», explique-t-il. Mais, au-delà de son travail d’inîrmier, rémunéré, à quoi pouvait donc travailler ce sujet avec tant de méticulosité ?
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A la recherche du véritable objet du crime
Interrogé sur la raison de tous ces meurtres, la réponse de Donald Harvey frappe par sa simplicité : «Je tue pour contrôler ma propre vie». Cette nécessité de trouver une certaine matrise de sa vie est corroborée par ce que les enquêteurs ont retrouvé chez lui. De nombreux calepins et agendas lui permettaient de consigner la moindre chose, jusqu’aux tâches les plus simples et les actes les plus courants de la vie quotidienne. A certains endroits, on y trouvait les initiales d’une victime au milieu d’une liste de courses qu’il a faites au supermarché. Harvey y notait également les anniversaires mensuels de la mort de son père. Encore aujourd’hui, il continue de tenir des notes sur tout. Mais quelle fut sa vie, pour nécessiter cet eort de contrôle constant ?
Harvey explique que, très jeune, il a été confronté sans défense à la jouissance et à la violence des adultes. Laissé à lui-même par sa mère, il
a subit régulièrement des viols de la part d’un voisin et explique qu’il n’avait que 3 ans lorsqu’il se ît violer par son oncle Wayne, qui a alors 11 ans. Vivant avec lui, ces relations sexuelles avec son oncle durèrent 20 ans. Trouvant cela dans un premier temps normal, Harvey explique qu’il s’était fait à son sort : «j’ai décidé d’en proîter (…) Il y a des moments où je l’aimais, d’autres où j’aurais pu le tuer». Lorsqu’il tue son premier patient, Harvey explique que «c’était comme tuer Wayne, me tuer moi-même, tuer tout le monde autour de moi.»
Sur son lieu de travail, Harvey retrouve avec certains patients les coordonnées de son enfance : «On m’avait oppressé, je m’identiîais aux patients qui étaient attachés par exemple pour les empêcher d’arracher les perfusions… je détestais les voir comme ça… j’ai eu des crises d’angoisse quand on m’a menotté à l’arrivée en prison… quand j’étais enfant on m’avait immobilisé et violé, on m’a forcé à faire des choses… j’ai supplié de mourir». A l’hôpital, Harvey a donc rencontré des patients sourants et immobilisés en qui il s’est reconnu. Cette identiîcation tourne à l’indiérenciation entre lui et les patients alités soumis sans défense à la maladie et aux traitements médicaux pas toujours adéquats (erreurs médicales, etc.) Tout se passe comme si ce collage à l’image du patient sans défense avait brouillé pour Harvey les repères symboliques qui ont pour fonction d’attribuer les places de chacun dans l’échange social. Il se situe donc aux deux places en même temps : celle de l’inîrmier qui travaille et celle du patient à traiter. C’est à travers l’autre qu’il traite son propre mal, de la même manière qu’au funérarium c’est à lui-même à travers les dépouilles qu’il redonnait une belle apparence. Ainsi, il comprend avec un excès d’empathie et au pied de la lettre la dame qui le supplie de mourir : tout se passe comme si le «j’ai supplié de mourir» de son enfance était désormais entendu du côté du patient.
Cette part de lui même qu’il attribue à l’autre a été appréhendées par le psychiatre Guirraud dans son étude sur les crimes immotivés : « ce n’est rien d’autre que lekakonde son propre être, que l’aliéné cherche à atteindre dans l’objet qu’il frappe » (Maleval, 2000). Lekakonest le mal, la maladie dont est aecté le sujet et que Guirraud lie à son être même. Au-delà de la personne qui est touchée par le meurtre, Guirraud introduit donc l’idée de ce qui est en jeu pour le meurtrier : une partie de lui-même qu’il attribue à l’autre. Pour la psychanalyse, l’être est abordé à partir de la place d’objet (d’amour, d’investissement) que l’on occupe pour l’autre. Ainsi, le psychanalyste Jean-Claude Maleval va rapprocher cette idée dukakondu concept lacanien d’objeta. Pour le névrosé, la relation à l’Autre prend la forme d’une question, c’est-à-dire d’un manque (l’autre m’aime-t-il ?). S’il n’est pas sûr que l’on soit aimé par l’autre, le manque de jouissance va pousser le sujet dans une recherche de l’objet de jouissance qui lui manque. Le névrosé va donc tenter de récupérer cette part perdue de lui-même en investissant l’Autre. L’objetafonctionne donc dans la névrose comme cause du désir.
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