L art de la didactique psychanalytique
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Le psychanalyste ne donne pas de remède à la souffrance mais il cherche à découvrir le chemin qui a mené à ce mal de vivre.

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Langue Français

Extrait

L'art de la didactique psychanalytique
J’eus quelques difficultés à parvenir jusqu’à Jean... Je rêvais depuis longtemps déjà de poursuivre ma didactique avec lui mais je savais que la chose ne serait pas aisée, son âge faisant qu’il ralentissait petit à petit son activité de didacticien et de psychanalyste lacanien. Cependant, un ami accepta de lui parler de moi, chaleureusement je pense, car j’obtins ses coordonnées téléphoniques personnelles. Mon appel ne l’étonna pas, il était prévenu, fut bref, me fixa un rendez-vous et bien que peu disponible de par ma situation professionnelle d’alors, j’acceptai, sans oser évoquer les complications que le jour de notre rencontre entraîneraient, bien trop contente d’une pareille aubaine ! C’est Emma, son épouse qui m’accueillit comme si j’étais une vieille connaissance, ce qui apaisa mon essoufflement (l’ascenseur était en panne !!) et surtout mes craintes ; elle me fit pénétrer dans un petit salon qui ressemblait à une salle d’attente mais j’appris par la suite que c’était une salle d’attente aux allures de salon. Je fus prévenue rapidement des “retards légendaires” de Jean, une tasse de thé me fit patienter ; je ressassai ce qu’il serait bon que je dise en introduction ; je perdis le fil pour finalement tout embrouiller ; décidément, mon recul analytique d’alors ne m’apportait pas le moindre calme. Je me disais que mon envie de poursuivre une formation lacanienne après une formation freudienne, écourtée pour cause de dissolution d’Institut, était pur fantasme et je fus prise d’un désir soudain de partir lorsqu’une porte s’ouvrit, l’Homme apparut, petit, mince, chauve... en deux mots, encore plus impressionnant que ce que je l’avais imaginé ! L’entretien dura longtemps, ce qui m’étonna, tout comme son bureau : peu de livres, peu de meubles, peu d’objets. A cet instant déjà, je saisis ce qu’était la dimension lacanienne : “Etre”, surtout pas “Paraître”. Curieusement, il ne me posa aucune question sur ma formation initiale, ni sur les raisons d’un cursus psychanalytique ; il me parla de lui en développant largement (et de façon suspecte...) tous les inconvénients du métier de psychanalyste ; ce n’est que bien plus tard que je compris qu’il m’avait testée ! Je garde un souvenir très précis de cette première rencontre durant laquelle j’entendis pour la première fois parler d’illusion au travers de Spinoza et sa théorie sur l’apparence ne m’a pas quittée depuis ; il me psychanalysait à mon insu et dès cet instant, ma “parano” commença à reculer... Il était intarissable et ses cours mettaient superbement la psychanalyse en équation ; j’ai gravé en ma mémoire et pour le restant de mes jours son écriture petite et désordonnée qui couvrait le tableau jusque dans les moindres recoins. Il écrivait nerveusement et faisait jaillir des formules qu’il entourait de sortes de cadres pour mieux les mettre en exergue. J’ai noirci des cahiers entiers ainsi en recopiant, abasourdie, des éléments qui me semblaient alors indispensables pour trouver “LA” clef. Mais il détestait que l’on aborde la psychanalyse en
terme de recette et chaque fois que je croyais avoir compris, il assénait un paradoxe qui amenait à s’interroger, du moins le subodorais-je ! Il repartait alors dans ses discours dont lui seul avait le secret jusqu’au jour où, démoralisée de ne rien “entendre”, à la limite de l’asphyxie, j’osais lui avouer que je ne comprenais plus rien. Il me répondit : - “Moi non plus...” Là encore n’induisait-il pas que la perception est une illusion. Effectivement, une perception n’ayant rien à voir avec la connaissance, il fallait que je reste branchée sur l’illusion des sens. C’est ainsi que j’intégrai, et encore grâce à lui, la notion de fantasme... Etape par étape, tel un bâtisseur, Jean construisait non seulement ses cours mais aussi la vie de chaque élève-analyste, ce que chacun d’entre nous reconnaissait à l’unisson. Il nous entraîna ensuite sur les pentes dangereuses de l’altérité et me fit découvrir Emmanuel Lévinas. Ce fut pour moi une découverte primordiale qui donna enfin le sens de mon existence. Ce fut le premier grand virage que j’abordai consciente. Jean, par l’intermédiaire de l’oeuvre de Lévinas, me fit saisir que si l’autre était moi, il était avant tout lui et ce n’est qu’en raison de ce principe que la qualité de l’autre pouvait devenir la mienne. Le miroir ne peut fonctionner que grâce à la distance et de la distance au respect, il n’y a qu’un pas. Le programme de Jean passait par Kant et c’est par ses explications traitant de la “Métaphysique des moeurs” que s’imposa à moi la compréhension de la relation transférentielle.
Magie des mots chez Jean, didacticien surdoué, méthode “interpellative” qui répudiait tout jugement et qui nous permettait un peu plus à chaque rencontre de nous identifier à lui qui s’appliquait à rester notre prochain, savante alchimie du mélange distance et différence. Même si l’ensemble de mon parcours demeurait confusionnel, je savais que, petit à petit, j’assimilais le processus de la cure analytique. Jean rappelait souvent qu’un futur analyste devait faire ses “humanités” et c’est ainsi que j’avalais avec ardeur ses commentaires sur la passion et le désir. Cependant, j’étais de plus en plus étonnée car les mois passaient et le didacticien ne parlait que très rarement de Freud et de Lacan. Or le bruit courait qu’il avait été psychanalysé par Jacques Lacan. Emma démentit cette hypothèse un jour où, prise d’une curiosité frénétique qui me fit oublier les règles les plus élémentaires de la discrétion, je lui demandai tout de go si Jean avait approché Jacques Lacan, mais, avec le recul, je peux dire que sa réponse négative ne m’a pas convaincue ; il se peut aussi que de par mon complexe d’infériorité de l’époque, doublée d’une névrose d’échec, j’ai éprouvé le besoin de me sentir guidée par l’héritier d’un “Grand”... De toute façon, Jean n’abordait jamais le sujet comme si la pratique de son art suffisait. D’ailleurs la manière dont il évoluait dans le programme de philosophie psychanalytique qu’il dispensait suffisait à démontrer que c’était un passionné. Transmettre (la psychanalyse) n’est du reste possible qu’à cette condition. Pour lui, toute passion était acceptable dans la mesure où elle menait à la sublimation. Ces cours-ci furent quelque peu houleux car se trouvait dans notre groupe un jeune agrégé de philosophie, adepte de Nietzche et, pour lui, il fallait abattre la passion, voire supprimer le mot ! J’assistai alors pour la première fois à une “castration” hors du commun, en comité et de la la part de Jean. Il le fit avec brio, reprenant l’explicite de l’élève en abordant le “castratisme” selon Nietzche ; par une démonstration pertinente, il toucha du doigt l’angoisse de castration de l’élève, mit l’accent sur la révolte que ce complexe peut déclencher, tout en parodiant avec génie et pour les besoins du moment, ce que Freud a appelé “le plus grand traumatisme de la vie de l’enfant”. Il signifia ensuite que la castration était la conditionsine qua nonpour normer l’individu, autrement dit pour débarrasser l’inconscient des processus névrotiques ; il insista sur le fait qu’il faut du talent pour castrer à bon escient et c’est grâce au transfert négatif de cet agrégé de philo
que je sentis toute la théorie de ce mécanisme pénétrer à l’intérieur de moi. Décidément, Ferenczi avait raison en disant qu’en formation psychanalytique, la didactique individuelle ne peut en aucun cas exclure la didactique de groupe. Jean n’acceptait que des élèves-analystes ayant déjà cheminé analytiquement. Il établissait une grande différence entre jouissance et désir, ce qui revient à dire qu’il voulait que les personnes qui souhaitaient suivre ses cours aient suffisamment évolué inconsciemment pour être en accord avec elles-mêmes. Il s’assurait ainsi que leur présence ne symbolisait pas une compensation à un manque, à un vide névrotique. Ses interventions sur le désir traitaient d’Epicure dont il se servait pour nous déculpabiliser afin de déjà nous laisser entrevoir ce que pouvait signifier “s’autoriser de soi-même”. D’Epicure, il nous propulsait jusqu’à Descartes et là, il répondait avec un discernement subtil aux interrogations qu’il pressentait touchant au bon usage des plaisirs. Son exposé aboutissait à différencier le principe de plaisir du principe de réalité et il offrait Freud et sa théorie sur les pulsions comme une récompense, ce qui aurait pu nous “gâter” à jamais s’il n’avait interrompu son cours brutalement ; il cassait sur l’instant notre propre jouissance qui consistait à mettre en place toute notre énergie à nous limiter à écouter “la supposée connaissance”. Il voulait que nous nous engagions mais nous ne pouvions lui en vouloir car, comme l’a suggéré Nasio, la psychanalyse n’est-elle pas un passage à guet que l’on doit passer en se mouillant ? Ainsi réfutait-il “le supposé savoir” et son cortège de déguisements, de masques, de mécanismes de défense, faisant s’effondrer la moindre tentative de séduction que nous pouvions avoir à son égard. Il réinventait alors d’un seul jet la théorie de l’hystérie. Pour Freud, nous disait-il, l’hystérie est un fantasme bisexuel. Il développait alors cette conception en introduisant la notion d’espace, ce qui nous éloignait en apparence de ce processus névrotique, tandis qu’à notre insu, nous y plongions puisqu’avec la notion d’espace, il introduisait l’ambiguïté de l’hystérique ; il parlait alors de limites mais aussi d’au-delà nous permettant de découvrir Gaston Bachelard et sa “Poétique de l’espace”, revenant subrepticement au cas Dora appuyé par un exposé époustouflant sur les topiques en tant qu’appareil spatial ; il récupérait ensuite la dimension abstraite de l’inconscient, l’abstraction étant la problématique de l’hystérique dans la mesure où il-elle est en quête perpétuelle, en demande compensatoire d’une béance fantasmée. Il prenait alors le relais avec une interprétation sans égal sur le fantasme, incorporant Piaget à son discours, en signifiant par là même l’importance d’ordonner ses pensées car il ne perdait jamais de vue que la psychanalyse est une méthode ; pour illustrer cette approche méthodique, il citait Bergson pour qui “l’intelligence est caractérisée par la puissance indéfinie de décomposer selon n’importe quelle loi et de recomposer en n’importe quel système.” Cependant, comme Jean s’appliquait à nous laisser notre libre arbitre, j’avais souvent l’impression qu’il se retranchait derrière des paradoxes. Effectivement, son talent résidait à ne jamais terminer en totalité une démonstration et sans vraiment rester au stade de l’hypothèse, il appelait constamment à l’interrogation. Jean nous entraîna alors dans le mystère de la Croix et de la Résurrection insistant sur la première véritable interrogation de Jésus : “Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?”. Spitz et ses travaux sur l’Hospitalisme étayèrent à ce stade sa réflexion sur l’abandonnisme qui lui permirent, par ailleurs, de vérifier si nous tenions bien le coup. Il en profita pour nous hystériser afin de débusquer si nos inconscients respectifs, sous l’emprise d’une névrose d’abandon résistante, pouvaient avoir quelques velléités à quitter le groupe. Il était intuitif, nous le savions, et la voie qu’il ouvrait petit à petit sur l’importance de la perception nous faisait saisir que l’intuition en psychanalyse (comme d’ailleurs dans grand nombre de professions) était indispensable. Françoise Dolto avait du reste la réputation d’une personnalité finement intuitive. Pour ma part, ce passage de mes études se révéla déstabilisant car Jean n’hésitait pas à aborder le domaine
de la voyance, de l’astrologie, de la numérologie et mon narcissisme réagissait mal ! Je dis un jour à Jean que ce type de digressions me faisaient perdre confiance en moi, ce à quoi il rétorqua sans plus attendre que mon complexe d’infériorité m’empêchait de savourer l’importance de la portée ésotérique ! C’est l’ésotérisme, ajouta-t-il, qui fait admettre que rien n’est jamais terminé. En quelques phrases, il exprima le sens de l’existence de l’Homme sur Terre, qu’il appela “Evolution”. Il avait l’art de récupérer les interventions plus ou moins habiles des élèves et il saisit ma résistance du moment pour nous faire pénétrer dans l’univers de la socialisation. L’éducation selon Rousseau engendrait chez lui une espèce de contre-transfert que j’admettais et pouvais comprendre. Il prônait l’intérêt de la cure analytique en tant que désinhibitrice du sujet désirant et sans réduire l’éducation à une simplification laxiste, il dénonçait le danger d’une société surmoïco-castratrice véhiculée depuis la nuit des temps au nom d’un Christianisme bien mal utilisé. Il dénonçait l’absurdité de la présentation vengeresse de cette religion. Il cherchait toujours à aider l’autre en rappelant souvent que “pécher” ne signifie rien d’autre que manquer son but. D’ailleurs, Jean relativisait souvent la notion de temporalité, ce qui m’aidait à accepter la longévité de mes études, voire à me déculpabiliser d’un parcours médiocre que cette même société uniformisante pourrait aborder en terme de lenteur ou d’erreur. Il s’insurgeait contre des soi-disant sondages, normes, classifications, rappelant fréquemment que l’être humain est unique, combattant du même effet certains courants psychiatriques et psychologiques qui ne laissent aucune place à l’individualité essentielle de l’homme. Une élève lui dit un jour qu’il “mutilait” son angoisse du temps. Curieuse contradiction dont le didacticien s’empara immédiatement pour expliquer la difficulté qu’a l’inconscient à vivre le présent qui régresse soit vers un passé plus ou moins fantasmatique ou se projette aisément dans le futur tout aussi névrotique. Il nous fit voyager dans l’univers des phobiques pour revenir à la quête intemporelle de l’individu, quête qui lui permet d’échapper ainsi au temps qui passe, donc à éviter le principe d’une mort inéluctable. D’éternité il parla, caricaturant “le pécheur devant l’Eternel”, égratignant au passage notre orgueil en martelant que même l’éternité ne pourrait rien à nos limites humaines ! Jean nous ramenait toujours à l’humilité, condition première au métier de psychanalyste, rappelant par la même occasion qu’un analyste n’existe que par la présence de l’inconscient de l’analysant, c’est-à-dire grâce au discours. Moi qui attendais depuis si longtemps ses cours célèbres sur la linguistique, j’allais enfin être récompensée de ma persévérance à avoir essayé de me maintenir à une écoute acceptable alors que je m’étais sentie complètement “larguée”, noyée, dépassée à de nombreuses reprises. De Lacan, de ses mathèmes et autres phonèmes et aphorismes, j’allais pouvoir me repaître... Eh bien, non... Ce ne fut pas encore le moment car Jean nous fit faire un détour par le labyrinthe de la mémoire. De la mémoire, il passa au refoulement, du refoulement, il nous projeta dans le néant, le néant nous conduisit aux psychoses et à la forclusion, forclusion qu’il distingua précisément du refoulement. Je réalisai toute la différence entre folie et névrose et compris que la psychanalyse pouvait avoir aussi ses propres limites et qu’avant d’accepter de prendre en charge un analysant, il fallait malgré tout s’assurer jusqu’à quel point il pouvait “entendre”. Il revint souvent sur le “Néant” et exprima l’importance qu’il accordait à l’étude des religions et des rites. A un élève qui notait l’importance de l’ouvrage freudien “Totem et tabou”, il rétorqua que la lecture en apprentissage de la psychanalyse ne suffisait pas. Il conseilla que nous allions voir du côté des églises, des temples et des mosquées pour assimiler la portée des rituels, leur signification, leurs déviations ! Il me convainc de l’intérêt des multiples attitudes culturelles et c’est ainsi qu’au fil des mois et des années je découvris en suivant leurs offices respectifs, la foi d’un pasteur et l’engouement d’un prêtre qui avaient en commun la charge de donner la Communion, lequel “Esprit” de la
Communion me ramenait à chaque fois au processus de l’introjection, de l’incorporation, et ainsi à ne voir dans l’Eucharistie qu’un mécanisme pathologique qu’un héritage archaïque s’appliquait à transmettre. Jean saisit tout de suite ma confusion à ce sujet et il me laissa me vautrer dans mon ignorance. Il me demanda un jour si je connaissais la Bible, sous-entendant que je ne l’avais peut-être même jamais parcourue. C’était exact et il me renvoya aux émissions religieuses télévisées du dimanche matin grâce auxquelles je découvris aussi le Coran. Etant née au Maroc, mon père y ayant laissé prématurément et sa fortune et sa vie, par voie de conséquence, j’avais quelquesa priori. Je me rendis rapidement compte que cette religion n’était pas tout à fait comme j’avais pu l’imaginer mais qu’elle avait l’Amour en parallèle avec toutes les autres religions, Amour que je retrouvai d’ailleurs un peu plus tard en étudiant le Bouddhisme. Jean avait une préconscience de l’évolution psychique de ses élèves et alors qu’il savait que les stades de la libido au travers de l’oralité et de l’analité étaient acquis, il nous éleva à la “Pensée Génitale”. Ses commentaires sur Reich soulevèrent bien des polémiques mais il fallait admettre que le sens de la psychanalyse se résumait à accéder à cet état, lieu idéal s’il en existe où tout processus de conflictualisation devait venir s’échouer en pure perte. Pour certains élèves, la génitalité consistait en une absurdité supplémentaire et j’avoue que notre groupe connut plus que des soubresauts à ce stade de notre parcours, soubresauts que Jean ignorait. Ne nous répétait-il pas que l’analyste était amené à un certain moment à “hystériseracontrario”... Il continua son programme sans donner l’impression de se soucier le moins du monde de qui serait présent lors de nos rencontres hebdomadaires du lundi. Jean arriva un jour avec le livre de Dolto “Inconscient et destin” et les élèves, à l’unanimité, commencèrent à douter de la dimension lacanienne de l’homme ! Décidément, les prises de conscience qu’il cherchait à déclencher nous entraînaient vers une espèce de “neutralité bienveillante” à mille lieux de ce que nous avions convoité... Son chapitre sur la responsabilité de notre vie acheva de me démoraliser d’autant qu’il n’accordait aucune indulgence au hasard ni autres rationalisations tentés comme réplique médiocre à ses affirmations. Il voulait nous faire admettre que nous étions les auteurs de nos actes, seuls responsables de notrebon-heureet de notremal-heure. Il revint sur Melanie Klein, le clivage de l’objet, l’amour et la haine, le masochisme, la culpabilité... Il passait tous les maux de la terre en revue remettant en cause antipathie et sympathie, subjectivité et objectivité, soulignant que l’empathie accompagnerait fidèlement tout analyste au long de ses cure analytiques. Il combattit dans la foulée les aberrations engendrées par un moi hiérarchique, enchaînant sur la mégalomanie et la paranoïa. Jean abordait la psychopathologie de façon originale, comme l’ensemble du travail qu’il proposait. Il évoqua le jugement et le regard de l’autre ; il partit du “Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux” pour expliquer que la logique projective était de la dynamite et que pourtant la critique faisait partie intégrante de la psychanalyse ! Il se rangea, à ce moment, aux côtés de Kant car, disait-il, le cérébral ne peut en aucun cas exclure le jugement... - “A méditer”, lançait-il invariablement en terminant son exposé. A cette phase de mon évolution, j’étais toujours migraineuse. Je le lui avais confié et il s’était arrangé pour échapper à mon contrôle hystérique de l’instant. Je me “bourrais” tellement de cachets (ca-cher...) que je décidai malgré tout de lui redemander ce qu’il pensait de “mon” symptôme. Il m’interrogea sans appel avec un : - “De quel Saint-Homme parlez-vous ?”. Il ajouta : “Auto-analysez-vous !” J’étais très en colère et lui rétorquai que je manquais d’imagination pour m’autoanalyser. C’est ainsi que la castration tomba, nette, précise, glaciale puisqu’il termina avant de s’éloigner par : - “Le manque d’imagination, comme vous l’appelez, vous permet de fuir la réalité. Vous refusez d’y voir clair. Vous avez le droit mais à la longue il faudra que vous acceptiez de stagner”.
Le ton se voulait désagréable, je tombai dans ce piège, fit la tête. Il m’ignora pendant des semaines. Pourquoi m’abandonnait-il, ressassais-je, et je me surpris alors enfin à me poser les bonnes questions. A cette époque, ma névrose d’abandon réagissait toujours violemment et l’attitude de Jean me fit m’interroger sur des répétitions familiales, aussi bien agréables que désagréables. J’établis donc, avec de grandes difficultés certes, ce que l’on nomme maintenant en jargon professionnel un génosociogramme, c’est-à-dire une psychogénéalogie, soit un arbre généalogique traitant de l’identité psychologique du sujet et des membres de sa filiation. A la lecture de ce travail, je me rendis à l’évidence : l’existence a un sens. Je repensai alors à des cours de Jean sur les névroses familiales transgénérationnelles. Il les avait soulignées en citant Sartre : “L’existence précède l’essence.” Exister ne consiste donc pas uniquement à vivre : l’important est de chercher à comprendre ; il faut s’appliquer à trouver le sens de l’existence. D’autoanalyses en interrogations, d’interrogations en réflexions, de réflexions en conclusions, je sentais que j’avançais un peu. J’étais très attentive aux actes manqués, étudiant leur intention, déchiffrant leur signification, mais même si Freud leur a accordé autant d’importance qu’aux lapsus languae et qu’aux lapsus calami, ils ne m’apprirent que peu de choses comparativement aux jeux du langage. Jean finit par nous former à l’analyse linguistique. Il fut alors beaucoup question au fil des mois de logique analytique et je sentais qu’il nous offrait petit à petit la possibilité d’accéder à l’individuation, c’est-à-dire de saisir la responsabilité que représente ce dont Lacan a toujours refusé de parler : la liberté. Outre son introduction sur Saussure et Jakobson, linguistes fameux, outre ses tests projectifs multiples pour apprivoiser la rhétorique analytique et une fois la familiarisation suffisante avec les métaphores et autres métonymies, Jean présenta avec une grande simplicité Lacan et sa théorie sur la genèse de l’écriture. Il démontra par-là que l’inconscient sait lire et que la psychanalyse est une lecture de ce même inconscient. Il dénonça alors les pseudo-psychanalystes qui n’ont reçu aucune formation dans ce domaine, ignorant ainsi tout de cette dialectique, pourtant fondamentale à la conduite de la cure analytique. - “Etre psychanalyste, c’est écouter l’inconscient et non pas le conscient, c’est un métier”, disait-il, “et cela s’apprend”. Pour tout didacticien, ce parcours s’avère d’autant plus indispensable à l’élève-analyste que le discours inconscient permet de comprendre l’origine du symptôme et de ne pas s’y attaquer de front puisqu’alors il serait déplacé et prendrait de la force, de la “résistance”. Nos cursus respectifs sur l’écriture phonématique de l’inconscient passèrent par la reprise de l’étude des rêves bien entendu, mais pour moi, la psychanalyse prit un sens particulier, précis et définitif dès l’instant où j’intégrai que “l’inconscient est structuré comme un langage”. Jacques Lacan a ainsi développé la découverte freudienne en jouant subtilement du mot et de la lettre, permettant d’admettre et d’accepter,in fine, que l’inconscient pense et raisonne. Mais alors, consulter un psychanalyste présente-t-il un intérêt? Est-ce à dire que l’individu a la capacité de s’auto-analyser ? Et surtout, qu’est-ce qu’une cure analytique ? Aucune définition, aucun dictionnaire, rien ni personne ne peut cependant aisément mettre en phrases cette rencontre hors du commun entre l’analysant et le psychanalyste... Si le discours constitue une chaîne de sons qui se veulent discrets, il existe donc une parole refoulée, sacrée du sceau de l’inavouable, que le patient va devoir apprivoiser pour évoluer selon un parcours plus ou moins facile, tour à tour épineux et enthousiaste et ceci n’est possible qu’avec la participation de l’analyste car le processus de la résistance fabrique un obstacle majeur. Pour tenter malgré tout la levée de certaines interrogations, je peux parler d’un de mes
élèves-analyste qui m’avait quelque peu agressé tout au long d’un discours projectif qui se terminait par : - “Et la génétique qu’en pensez-vous ?”... Rien... Je n’en pensais pas grand'chose et je n’en pense toujours pas grand'chose et je “résiste” et je persiste et je signe à ne rien vouloir en penser, hormis le fait que je ne sois pas médecin, tant pour moi ce terme évoque la fatalité alors qu’il y a un siècle déjà que Sigmund Freud a dévoilé le processus d’identification. L’identification c’est l’espoir, espoir parce que sa particularité réside dans le fait que tout individu va, dès son plus jeune âge, élaborer et structurer sa personnalité en copiant certains attributs, qualités et défauts, qu’il accorde à son entourage. La méthode analytique est salvatrice en ce sens qu’elle a pour rôle essentiel d’intervenir sur ce monde fantasmatique, monde subjectif par essence qui perturbe toujours et sans exception la future autonomie du sujet. A l’inverse de l’identification, la perspective des gènes tombe comme un couperet, comme une fatalité appelant à la soumission, annulant du même coup les travaux du Maître sur la névrose de destinée. Oui, l’analyse constitue l’espérance de voir enfin s’arrêter ces fatalités familiales compulsives, qu’il s’agisse de deuils prématurés, de maladies, de divorces, d’échecs répétitifs, en bref tout ce qui englue l’individu dans une sorte de résignation. Point de résignation dans une analyse, c’est plutôt de l’ordre du combat, mais combat ô combien prometteur, qui se joue la main dans la main par le biais d’une relation d’aide, main secourable dont l’analysant n’aura plus besoin un jour puisque la force du moi aura été désinhibée au point de jaillir dans un cri libérateur : “Mon analyse est terminée, je n’ai plus besoin de vous, je vous quitte” et ce, sans l’ombre d’un regret, sans une once de culpabilité, sans se retourner. C’est alors la vie devant soi, armé de certitudes, d’une seule certitude : la conscientisation de la capacité à affronter l’existence et à en sortir vainqueur et non plus vaincu...
Mon commentaire :
Le psychanalyste ne donne pas de remède à la souffrance mais il cherche à découvrir le chemin qui a mené à ce mal de vivre. La vérité de l’expérience de l’analysant ne peut être limitée au récit, confinée à la narration car la substance de son vécu lui échappe et cela il le sait car il a dès lors recours à quelqu’un qui l’écoute et peut l’aider à s’approprier cette substance. C’est l’espérance de la rencontre analytique, celle du rapport aux mots capables de rétablir la relation entre l’analysant et la réalité. En fait nul ne possède la vérité de son expérience et l’on peut s’en approprier une partie en se confiant à quelqu’un d’étranger. Parler devient alors l’élaboration de la traversée de la douleur (tel un théâtre où l’interprétation des mots tient la douleur en otage) intégrée dans l’ensemble
d’un corps social et cela comme témoin de la souffrance et des hallucinations qu’elle a engendrées. L’idée de perte d’une fausse identité mène l’analysant à passer par une autre voie pour se reconnaître dans son désir.
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