La psychanalyse : les dys aussi ! & Dyscalculie ou innumérisme : Troubles du calcul  ou enfants troublés par les maths ?
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La psychanalyse : les dys aussi ! & Dyscalculie ou innumérisme : Troubles du calcul ou enfants troublés par les maths ?

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Les enfants avec troubles spécifiques du langage ou des apprentissages et leurs familles ont été victimes des mêmes théories et des mêmes pratiques que les enfants autistes: mère trop distante ou trop fusionnelle, père pas assez présent, complexe d’Œdipe mal résolu, « secret familial », absence de « désir de parler », manifestation d’une souffrance par le trouble, dysharmonie, psychose…
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La position de victime : une position « symptomale » offerte par la société ?
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Le 10 octobre se tient en France la Journée nationale des Dys (FFdys) organisée par la Fédération française des Dys. Les troubles dys incluent la dyslexie, la dyscalculie, la dysphasie, la dyspraxie, la dysorthographie… La fédération appelle à un dépistage précoce de ces troubles et un meilleur accompagnement.
"Alors que les troubles DYS sont de mieux en mieux connus et reconnus, on constate malheureusement que de très nombreux facteurs retardent les accompagnements adaptés", indique le communiqué de la Fédération. "
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Langue Français

Extrait

N° coordonné par L. Vannetzel
ANAE N° 120 /121
Vol 24, tomes V et VIDécembre 2012
Dyscalculie ou innumérisme :Troubles du calculou enfants troublés par les maths ?
Sept ans après la loi de 2005, peut-on compter sur la dyscalculie ?
Entre l’Ecole qui s’inquiète de difficultés d’apprentissage, l’Hôpital qui diagnostiquedes troubles et le Médico-social qui conçoit et valide des aides, nombreuses sont lesdifficultés des familles et des enfants concernés dans ce qu’elles nomment souvent« le parcours du combattant », en amont des aides apportées aux enfants ensouffrance. Non moins nombreuses et complexes sont les interrogations desprofessionnels de l'enfance en matière d'évaluation des difficultés, retards et troublesdes apprentissages, de leur prise en charge et des aménagements pédagogiquesaujourd'hui inscrits dans la loi.
La notion dedyscalculien’échappe pas à ce problème national (voire francophone),bien au contraire, en raison de la complexité intrinsèque aux mathématiques et auconcept de Nombre : la dyscalculie peut par exemple être considérée comme unhandicap neurologique/cognitif dans certains départements et comme un problèmepédagogique ou développemental dans d’autres, faire l’objet d’aménagementspédagogiques dans certains cas et d’aides orthophoniques ou psychologiques dansd’autres, évoluer très rapidement ou très lentement selon les enfants…
Des enfants sont-ils malades des maths ?
La dyscalculie développementale est classiquement décrite, dans la littérature,commeune atteinte neurologique concernant les modules cérébrauxresponsables du nombre. Mal nommée (il ne s’agit pas du calcul stricto sensu), ladyscalculie a fait l’objet de 72 définitions différentes.
La prévalence de ce trouble et les critères épidémiologiques qui s’y rapportentvarient considérablement, d’où les fusions dans les taux de prévalence entre moinsde 1% et 12% selon les auteurs.
Autant de données qui contrastent avec les principes même de la nosologiemédicale, qui repose sur la connaissance des causes des maladies, de leursprévalences, de leurs natures, des méthodes diagnostiques, des évolutions et desthérapeutiques existant.
Parti pris : posons les questions qui remontent du terrain et essayons d'y apporterdes réponses claires, tant sur le plan pédagogique/didactique que psychologique,médical et méthodologique.Dyscalculie et innumérisme, de quoi parle-t-on ?
Il y a trois ans, ANAE publiait un important dossier sur la dyscalculiedéveloppementale (n°102) coordonné par J.-P. Fischer, Professeur de psychologie àl'Université Nancy II. Avec une précision et une méthode remarquables, lescontributions internationales des auteurs mettaient en évidence la grande fragilitéconceptuelle et clinique de la notion de dyscalculie.
Ces travaux ont fait l'objet de nombreuses communications et publications dansdifférentes revues, pédagogiques ou s’adressant au grand-public.
En avril 2011, le Ministère de l'Education nationale s'est lui-même prononcé enfaveur d'un aménagement sémantique pour désigner les enfants concernés par des
difficultés persistantes en numéracie : on privilégierait désormais letermed'innumérisme à celui dedyscalculie(voir les travaux de M. Vigier).
Conséquence majeure pour les enfants et les professionnels qui les aident : lecurseur se déplace du registre lésionnel/médical vers celui des apprentissages et dela pédagogie.
Des questions… pour des réponses·Qu'est ce que l'innumérisme ?·Que devient la dyscalculie ?·Les deux notions peuvent-elles répondre au spectre des enfants avecdifficultés d’apprentissage en mathématiques ? Faut-il en privilégier uneau détriment de l’autre ?·Quelles conséquences pour les professionnels de l'éducation, de lasanté et du social ?·Comment aider les enfants en souffrance avec le nombre et lespropriétés mathématiques ?
Prolongement logique et cohérent des bouleversements conceptuels engendrés parles travaux de Fischer, ce numéro vise à faire le point aujourd'hui sur la question desdifficultés, retard et troubles d’apprentissage en mathématiques, au-delà de la seulebase Dys, en tenant compte de tous les apports, qu’ils proviennent de la recherchefondamentale ou qu’ils remontent du terrain.
Avec la participation de :
J. Grégoire – L. Vannetzel - S. Dionnet - J.P. Fischer & M. Maréchal-Nicolas - R.Brissiaud - M. Vigier - F. Conne - L. Desmet & C. Mussolin - G. Chazoule, C.Thevenot & M. Fayol - C. Bernardeau, M.C. Devaux, C. Josso-Faurite & J. Scalabrini- F. Duquesne & M.H. Marchand - N. Gauvrit - T. Dias & Deruaz - N. Guédin - C.   Meljac & F. de Barbot
Egalement dans ce numéro :
Proposition d’épreuves contribuant au dépistage des Troubles Déficitaires del’Attention avec Hyperactivité(TDAH)L. BOUILLET, M. BOURIOT, F. MATHY, M. CAMPELLO, G. ROPERS, A. BALLOT,D. AMSALLEM
Le test L3 de Lobrot doit-il être adapté aux caractéristiques lexicales de LaRéunion ?M. FERRAND-SPINEL, W. SPINEL
Le Cahier Pratique
Dépistage et Diagnostic des troubles spécifiques du langage écrit chez les élèvesscolarisés en premier degré : une démarche dans le Département du Nord(Académie de Lille) : Mise en œuvre et Résultats (2008-2011)B. WEENS, M.P. DUPOND!
Courrier des lecteurs : La surdouance intellectuelle : une myopie différentielle?J.-A. RONDAL
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Ce numéro fait partie du Vol 24 2012 comprenant également :
N° 116- Troubles du langage écrit et ses troubles – Approche cognitiveN° 117- L’animal dans le soin
N° 118- Troubles du langage écrit de l’enfance à l’âge adulteN° 119 - L’enfant précoce, forces et faiblessesN° 120/121 - Dyscalculie ou innumérisme : Troubles du calcul ou enfants troubléspar les maths ?
ANAE –anae@wanadoo.fr –www.anae-revue.com -www.anae-revue.org -ANAEformations -Les Editions du Petit ANAE
LA PSYCHANALYSE, LES DYS ETL’AUTISMELes enfants « dys » aussi sont des victimes de la psychanalyseLe documentaire « Le Mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » met crûment enlumière la persistance de théories et de pratiques psychanalytiques totalement dépassées,réfutées scientifiquement, et inefficaces, dans la prise en charge des enfants avec autismeen France. Grâce à ce documentaire, grâce à la tentative de censure dont il a fait l’objet,grâce à l’exposition médiatique et à la prise de conscience politique qui ont suivi, la prise encharge de l’autisme en France est sur le point de progresser autant en 2012 qu’au cours destrente années qui ont précédé.On ne peut que s’en féliciter pour les enfants autistes et leurs familles. Et les autres? Lesenfants autistes ne sont pas les seules victimes de la psychanalyse. Il ne faudrait pas qu’ilssoient les seuls bénéficiaires de la prise de conscience qui est en train de s’opérer.Les enfants avec troubles spécifiques du langage ou des apprentissages et leurs familles ontété victimes des mêmes théories et des mêmes pratiques que les enfants autistes: mère tropdistante ou trop fusionnelle, père pas assez présent, complexe d’Œdipe mal résolu, « secretfamilial », absence de « désir de parler », manifestation d’une souffrance par le trouble,dysharmonie, psychose… Ces hypothèses ont été les seules considérées par beaucoup depsychanalystes qui ont pris en charge des enfants dys, alors même qu’elles n’ont jamais étéétayées par des données scientifiques, et alors qu’en parallèle les données s’accumulaienten faveur de l’hypothèse de troubles neurodéveloppementaux d’origine en partiegénétique[1].Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages, dont la prévalence est dix foiscelle de l’autisme, ont largement bénéficié du rapport Ringard sur l’enfant dysphasique etl’enfant dyslexique (2000), qui a débouché sur la circulaire pour la « Mise en œuvre d’un
plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral et écrit » (7février 2002). Ces mesures ont permis la création des centres référents pour les troubles dulangage, ont conduit à mettre à jour la formation de nombreux professionnels, et ontincontestablement apporté au cours des dix dernières années une amélioration significativedu diagnostic et de la prise en charge des enfants avec troubles du langage ou desapprentissages.Pourtant, aujourd’hui encore, on compte de nombreux enfants dys en situation d’errancediagnostique et/ou thérapeutique, notamment dans les Centresmédico-psycho-pédagogiques (CMPP). Ces enfants sont souvent pris en charge suivant unegrille de lecture exclusivement psychanalytique, sans diagnostic pluridisciplinaire, sansrééducation adaptée, à l’encontre de toutes les recommandations scientifiques et médicales,françaises et internationales. Lorsqu’ils sont finalement diagnostiqués et pris en charge d’unemanière adéquate, il est souvent bien tard, beaucoup d’années de scolarité ont été perdues,et au fil des années de nombreuses difficultés se sont superposées au trouble initial: échecscolaire, perte d’estime de soi, troubles psychologiques, conflits familiaux… Il est temps quecesse cet immense gâchis.Il ne s’agit pas pour autant de rejeter tout apport de la psychologie ou de la psychiatrie auxtroubles dys. Une partie des enfants dys ont également des troubles psychologiques voirepsychiatriques, souvent consécutifs à la situation d’échec et de détresse dans laquelle ilssont plongés. Ces troubles, même s’ils ne constituent pas la cause primaire des troubles dulangage ou des apprentissages, nécessitent aussi une prise en charge, et celle-ci doit êtreefficace, donc évaluée.En résumé, les enfants dys ont besoin d’une part, d’un diagnostic pluridisciplinaire, basé surles classifications médicales internationales, incluant typiquement au moins un bilan delangage et un bilan neuropsychologique. Une grille de lecture exclusivement psychanalytiqueest inadéquate pour un diagnostic correct. D’autre part, ils ont besoin d’une prise en chargeglobale, incluant une rééducation adaptée au profil cognitif spécifique de l’enfant, et, si lessymptômes le justifient, d’une prise en charge psychologique. Mais cette dernière ne doit passe faire en lieu et place d’une rééducation. De plus, les méthodes de rééducation et depsychothérapie doivent être évaluées et faire la preuve de leur efficacité, ce qui faitcruellement défaut actuellement. Enfin, les retards d’apprentissage s’accumulent vite et serattrapent difficilement, et les prises en charge offrent un pronostic d’autant meilleur qu’ellesinterviennent tôt, d’où l’importance d’un diagnostic précoce, sans attendre un quelconque« désir » et sans passer par une longue phase d’observation informelle. Pour permettre lamise en œuvre effective de ces mesures, une mise à jour de la formation de tous lesprofessionnels concernés paraît impérative.Vincent Lochmann, Président de la Fédération Française des Dys ,Membre du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées
Franck Ramus, Directeur de recherches au CNRS,Membre du Comité Scientifique de la Fédération Française des Dyswww.ffdys.fr
[1] Expertise collective de l’Inserm. (2007).Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie: Bilan desdonnées scientifiques. Paris: Editions INSERM. Téléchargeable surhttp://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/074000190/index.shtml. ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La position de victime : une position« symptomale » offerte par la société ?Françoise PetitotPréambuleComment articuler le droit et la psychanalyse dans leurs pratiques et des dispositifshétérogènes.La psychanalyse est en effet, comme l’écrivait Freud, le nom donné à une méthodethérapeutique, une pratique du singulier, qui met en lumière la façon dont un sujet s’estconstruit, a construit son symptôme, c’est-à-dire sa façon de jouir. Mais c’est aussil’ensemble des connaissances acquises grâce à cette méthode. Ce sont ces connaissancesqui ont permis à Freud, d’abord, puis à Lacan, d’analyser la civilisation et son évolution1. Lapsychanalyse a donc des outils pour analyser l’organisation du discours social et ses effets.Mais c’est aussi, comme l’a souligné Lacan, une éthique : elle fait l’hypothèse du sujet, sujetqui n’est pas la personne, mais le sujet de l’inconscient, pris dans le langage, ce que Lacanappelait leparlêtre. L’advenue de ce sujet suppose un certain nombre de conditions, ouplutôt, selon les conditions de cette advenue sa structure psychique et son symptôme serontdifférents. C’est ce qui nous fonde à nous inquiéter, non seulement pour la générationactuelle,mais aussi pour celles à venir.Dans notre arsenal de concepts la notion de limite, limite à la jouissance, articulée à celle decastration, est essentielle car elle est la condition de l’établissement du désir, du désirinconscient et non pas l’envie de. Il nous semble que les coordonnées de cette advenue dudésir sont en train de changer,ce qui nous préoccupe beaucoup, peut-être parfoisexagérément.Cette notion de limite intéresse, bien évidemment, les juges, et tout particulièrement lesjuges des enfants,et amène certains d’entre eux à s’intéresser à la psychanalyse, toutautant qu’elle pousse les psychanalystes à s’intéresser à la façon dont les juges la mettenten œuvre et ce qui fonde leur action.
Nous constatons cependant quotidiennement, pour ceux d’entre nous psychanalystes quitravaillent en milieu judiciaire, comme il est difficile d’articuler ces deux discours. Ledroit,comme la psychanalyse font l’hypothèse d’un sujet mais ce n’est pas le même : sujetde droit (s) pour le droit, sujet de l’inconscient pour la psychanalyse, différence qui rendsouvent les choses confuses.L’enfant-victime2C’est à la fin du XIXème siècle et au début du XXème que dans notre société occidentalel’enfant, considéré jusque-là comme dangereux, a commencé à être regardé comme étanten danger.Enfant vagabond, rebelle, marginal, il mobilisait jusque-là sur lui toutes les représentationsde l’irrégularité : « vices » de la mendicité, de la délinquance, de la dépravation, voire lerisque des bandes et des émeutes. Je ne referai pas ici l’historique de l’avènement de« l’invention politique » d’enfant en danger, depuis la fin du XIX°ème siècle. On sait qu’enFrance les premières lois datent de 1898 et 1899. Même si l’enfant est reconnu coupable etdoit donc être châtié, se fait peu à peu jour l’idée que la famille, de par sa mauvaiseéducation, pourrait être à l’origine des mauvaises conduites de l’enfant.C’est avec les avancées de la médecine, de la psychologie, de la psychanalyse, avec les loisd’obligation scolaire et avec le déclin de la figure intouchable de l’autorité paternelle, que vapeu à peu se dégager la figure de l’enfant victime , « victime » du milieu familial dont il faut leséparer, victime des adultes, ses parents et ses éducateurs en tout premier lieu, victimeégalement de la société,et plus largement du monde dans lequel il vit.Je ne détaillerais pas le long cheminement des idées au cours du siècle passé qui ontconcouru à considérer l’enfant comme forcément en danger et forcément victime, sinon pourinsister sur l’importance qu’a eu dans cette évolution ce que j’appellerai le « discours psy »ou la « vulgate psy ».3On notera que cet avènement de l’enfant victime est contemporain des débuts de lapsychanalyse qui, et la suite de l’histoire nous l’a montré, y a tenu une place nonnégligeable.Tandis que s’élabore peu à peu dans cette fin de siècle une vision de l’enfant victime de sonmilieu familial, Freud considère l’hystérie comme la conséquence de ce qu’actuellementnous appellerions des abus sexuels, en général intrafamiliaux, comme on dit.Mais, et c’est là pour nous un fait essentiel qui fonde la psychanalyse, dans cetteconstruction victimaire, Freud ne s’y est pas engouffré. C’est le bien connu renoncement àsa « neurotica » que l’on ne cesse, depuis, de nous reprocher. Je rappelle que,contrairement à ce que l’on entend le plus souvent dire, Freud n’a jamais cessé dereconnaître l’existence de tels faits ni leurs conséquences désastreuses. Mais il a renoncé àen faire la cause unique de la maladie de ses patientes, inaugurant par là la considération del’existence d’une réalité psychique distincte de la réalité événementielle et leurreconnaissance en tant que sujet comme tel impliqué (je ne dis pas responsable) dans cequ’il appelait à l’époque leur maladie. Geste éthique s’il en est, me semble-t-il, même sicertains l’accusent d’avoir ainsi voulu préserver les pères, voire les hommes…
Il n’en a pas été de même du discours qui s’est construit dans le champ de la protection del’enfance. Dans cette construction, le développement de la psychiatrie infantile du début dusiècle, puis de l’entre-deux guerres, a joué un rôle essentiel ainsi que l’essor de la vulgate« psy » des années 70. A l’inverse du geste de Freud, cette vulgate, qui doit beaucoup à unecertaine interprétation ou à un certain usage de la psychanalyse, considère l’enfant à la foiscomme une personne ayant des droits, en même temps qu’il est « innocent », dépourvud’inconscient, de fantasmes, hors de toute sexualité (au sens de la sexualité infantile), etsurtout psychiquement inactif face à la sexualité « forcément perverse » des adultes. Jedisais « Innocent ». En effet, la notion de maltraitance, comme celle de l’abus, suppose unmaltraitant, un abuseur, un coupable, et un abusé, une victime. Ce discours s’est peu à peuélaboré autour de la représentation d’un enfant forcément en danger, forcément victime de lapathologie parentale, de sa perversité, de sa carence,voire dernièrement de sonincompétence. Dans ce mouvement, auquel la psychanalyse a largement participé tout ens’y perdant, s’est peu à peu construite l’idée que l’enfant était une personne, voire un sujetde droits tels que les énumère la Convention internationale des droits de l’enfant.En effet,en même temps que, sous la pression de différents mouvements d’émancipationdes femmes, puis des enfants, l’enfant devient sujet de droits et s’achemine vers la positiond’enfant-citoyen, la désinstitutionnalisation des familles, le déclin des systèmes de référencetraditionnels, amènent la société à demander aux institutions leur protection et aux juristesde fournir une « morale » juridique qui compense le déclin des systèmes de référencetraditionnels. On assiste ainsi à une juridicisation de l’espace familial et à une contaminationdes représentations concernant les relations intrafamiliales par le vocabulaire juridique. Dansle même temps s’installe l’idée que la reconnaissance sociale et judiciaire du « crime»commis à l’égard de l’enfant a des effets thérapeutiques. Le droit, jusque-là occupé àcondamner les coupables, se voit attribuer la mission de la réparation des victimes pour quila reconnaissance du dol qu’ils ont subi aurait des effets réparateurs : ils seraient reconnusdans leur souffrance, ils pourraient enfin faire leur deuil comme on dit, et ils pourraientégalement profiter des dédommagements réparateurs du fond d’aide aux victimes, instaurédans les années 70.Mais, dans ce discours l’enfant n’est cependant pas pour autant, contrairement à ce quesoutient la psychanalyse, un sujet, celui dont Françoise Dolto disait fréquemment qu'il n'apas d'âge, qu'il n'est ni jeune, ni vieux, mais dès avant sa naissance pris, soumis, sujet desmots qui le parlent, sujet du langage qui a sur lui des effets constitutifs, quel que soit sonâge. S’il est une personne en construction, qui peut difficilement modifier seul sa réalité etqui est dépendant des adultes, mineur non seulement social, économique, mais juridique, iln'est pas pour autant passif psychiquement par rapport à son environnement. Or, c’est cetteactivité psychique que vient souvent dénier la position de victime telle que la construitactuellement notre système social et juridique.Que l’on m’entende, Il ne s’agit pas de contester que la responsabilité d’un abus sexuelrevienne à celui qui l’a commis, ni que l’on doive châtier les auteurs d’actes souventinnommables. On pourrait, certes, s’interroger sur l’extension de la notion d’abus sexuel, surla conception de la sexualité infantile qui la soutient lorsque l’on envisage de juger et punirdes enfants, et l’ère du soupçon à l’égard des adultes aussi proches soient-ils, qu’ellegénère.
Je propose d’analyser ici quelques uns des effets de cette évolution, de cette construction de« l’enfant-victime », position subjective offerte, voire imposée à l’enfant, dans ce dispositif.En effet,cette position d’ « enfant-victime » serait-elle un symptôme au sens où il aurait unsens pour le porteur du dit symptôme, sens insu du sujet? Ou est-elle un symptôme au sensmédical, dirons-nous, du terme, auquel serait attribué par son environnement l’origine detoutes ses souffrances, de tous ses comportements, de toutes ses impossibilités. S’il en étaitainsi on pourrait se demander quels symptômes découleraient pour l’enfant de cetteassignation « forcée » à cette position.
La position victimaire
Dans le dictionnaire Robert, victime se dit d’une « personne qui subit la haine, lestourments, les injustices de quelqu’un », qui souffre, pâtit des agissements d’autrui , ou dechoses, ou d’événements néfastes. En ce sens la justice a à déterminer si tel ou tel sujet estbien une victime.« Se prendre pour une victime », c’est-à-dire attribuer à l’autre la souffrance, le malheur danslequel on se débat est une position subjective que nous connaissons bien dans notre activitéclinique. De cette position de victime l’on tire, comme l’a fait remarquer Freud, ce qu’ilappelle des bénéfices secondaires (nous voilà dans une désignation économique), dont l’on4tire de la jouissance, terme dont la connotation juridique ne nous échappe pas .De cette position, outre les bénéfices financiers de la réparation du préjudice psychique (quitend à remplacer actuellement le préjudice moral), l’enfant, comme l’adulte d’ailleurs, peuttirer une satisfaction inconsciente. La position victimaire lui procure, au-delà d’un certainstatut, d’une place, une cause, une origine à tous ses malheurs dont il peut ne pas cesser derevendiquer la réparation psychique5."La justice est investie, écrit Denis Salas6, d'une fonction purificatrice.., et la lecturethérapeutique de l'inceste n'est que le double inversé de sa pénalisation." Et de citer Ch.Krauthammer7, pour lequel le mot d'ordre de cette nouvelle psychologie est: "Cherches et tutrouveras: les pêchés des pères se voient dans la vie gâchée de leurs enfants." Comment nepas entendre la dimension fantasmatique de cette affirmation, celle dont précisément lapsychanalyse cherche à délivrer le sujet! "Il y a,poursuit dans son commentaire Denis Salas,un crime caché de nos parents à l'origine de nos nouvelles névroses qui ne viennent plusd'erreurs innocentes- comme l'a longtemps dit la vulgate freudienne- mais d'actes criminelsau sein de familles ordinaires." Ce sont ces crimes cachés qui doivent être dévoilés et punisafin de permettre aux victimes d'être enfin elles-mêmes.Cette position extrême est celle des thérapeutes américains spécialistes de la remémorationd'abus sexuels, mais un certain nombre de thérapeutes français, notammentpsychanalystes, n'en sont pas très éloignés. Outre qu'elle pose de nombreuses questionssur la remémoration, ce que soulignent même les spécialistes cognitivistes de la mémoire,elle interroge sur l'intérêt (autre que financier) pour les patients à faire condamner, voire àdétruire, leurs propres parents. Car si on peut en imaginer un bénéfice pour l'individu, y ena-t-il un pour le sujet dont la division se trouve ainsi suturée dans la certitude d'être victime?
Les actions judiciaires entreprises par le patient n'ont-elles pas parfois une fonctiond'occultation de ses propres enjeux et notamment de sa culpabilité inconsciente?La position victimaire n’a certes pas attendu ces récentes évolutions pour exister. Attribuer àl’autre, aux autres, au destin, la raison de sa souffrance est une position subjective que nousconnaissons bien. Elle fait partie de la construction que tout un chacun se fait de son histoireet des modalités de son rapport au monde. Notre travail de psychanalyste est précisémentde la déplacer et d’engager le sujet à considérer comment il y est impliqué. Cependant,comme nous le savons, le sujet ne l’abandonne pas facilement, si important peut être le gainqu’il en retire. Ce gain peut, pour certains, être d’autant plus grand que le discours social levalorise.Mais il y a une différence entre se penser, se dire, se sentir victime, ce qui relève en quelquesorte d’un choix, et être assigné à cette place. Assigner l’enfant à cette place, le considéreruniquement comme victime, n’est-ce pas l’enfermer dans cette position d’avoir été l’objet dela jouissance de l’autre, position dont il aura les plus grandes difficultés à s’extraire commeen témoignent de nombreux adolescents ou adultes par la suite ? Enfermement qui peutd’ailleurs évoquer l’enfermement dont Ferenczi disait qu’il était la preuve irréfutable de ladimension catastrophique du traumatisme sexuel et son caractère insurmontable, s’opposanten cela à la position freudienne. Cet enfermement n’est-il pas une négation de sa position desujet qui a affaire à cette occasion, d’une façon qui certes le malmène, voire le désorganise,à l’énigme du désir sexuel, à la satisfaction de partager ce secret des grands ? Lorsque cettedimension disparaît au profit de la réalité d’un acte, l’enfant doit taire, voire réprimer sonimplication, et ne peut parler de cette expérience que sous son jour négatif. Le gain de cetteposition serait précisément le refoulement de cette implication inavouable. Elle est souvent àl’origine du clivage que manifestent certains de ces enfants.Or, traumatisés et culpabilisés par l’accusation qui leur est faite d’entendre dans le registredu fantasme les événements qu’ont vécus ou que vivent certains de leurs patients, petits ougrands, les « psy » tendent à renverser la vapeur et à privilégier la réalité événementielle audétriment de la réalité psychique et à pousser leurs patients à entamer des procéduresjudiciaires de « réparation », arguant que le travail thérapeutique nécessite cettereconnaissance sociale et judiciaire du dommage.Nombreux sont cependant les enfants, les adolescents, voire les adultes qui, lors d’un travailavec un psychanalyste, peuvent arriver à parler des bénéfices qu’ils retiraient de cetteposition : telle la satisfaction d’un désir oedipien, le sentiment pour une fille d’être préférée àsa mère, à ses sœurs (autre face des raisons données à leur dénonciation « pour qu’il neleur arrive pas la même chose »).Enfin, n’oublie-t-on pas que la relation à l’adulte abuseur, lorsque celui-ci n’est pas unpédophile de passage inconnu, ne se réduit pas en général à cet acte. Il arrive que dans lesprocès d’Assises certaines « victimes » témoignent du clivage qui les habite : « dans lajournée c’était bien, c’était un papa comme les autres » dira, lors d’une instruction, une jeunefemme « abusée » par son père pendant des années. En témoigne aussi la façon dontcertaines mères, ayant elles-mêmes été l’objet d’atteintes sexuelles de leur propre père,n’hésitent cependant pas à leur confier leur propre fille au prétexte que c’est un bongrand-père.
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