L oeuvre de Juan José Saer
188 pages
Français

L'oeuvre de Juan José Saer , livre ebook

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188 pages
Français

Description

Les textes de l'écrivain argentin Juan José Saer (1937-2005) construisent une œuvre unique à partir d'un processus typiquement balzacien, donnant l'impression de créer une comédie humaine. Mais la fragmentation, qui traverse l'ensemble du corpus, le rapprocherait du Nouveau Roman. La "Théorie négative" de Saer, qui lui permet d'écrire contre certains modèles perçus comme "totalitaires", s'articule de façon cohérente avec la place importante qu'il laisse au lecteur.

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Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2015
Nombre de lectures 34
EAN13 9782336367132
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pénélope Laurent
L’œuvre de Juan José saer uNitÉ, cOhÉRENcE Et fRàgmENtàtiON
A RECHERCHES M É R I Q U E S L AT I N E S
Préface de Milagros Ezquerro
L’ŒUVRE DE JUAN JOSÉ SAER Unité, cohérence et fragmentation
Recherches Amériques latines Collection dirigée par Denis Rolland et Joëlle Chassin La collectionRecherches Amériques latinespublie des travaux de recherche de toutes disciplines scientifiques sur cet espace qui s’étend du Mexique et des Caraïbes à l’Argentine et au Chili. Dernières parutions Bernard GRUNBERG et Julian MONTEMAYOR,L’Amérique espagnole (1492-1700). Textes et documents, 2014. Clara ALVAREZ,Les petits cultivateurs de coca et de pavot en Colombie. Entre illusion et misère, 2014. Alain KONEN,La mano de Orula,2014. Lucia OZORIO,Penser les périphéries, une expérience brésilienne. Pour un nouveau type de politique publique de construction du commun, 2014. Robert CABANES,Economie morale des quartiers populaires de São Paulo, 2014. Tamar HERZOG,Rites de contrôle et pratiques de négociation dans l’Empire espagnol. Dialogues distants entre Quito et Madrid (1650-1750), 2014. Guyonne BLANCHY,Le vignoble argentin de Mendoza et l’influence e e française, XIX -XXI siècle, 2014. Jose Maria TAVARES DE ANDRADE,Une mythologie brésilienne, 2014. German A. DE LA REZA,En quête de la confédération. Essais e d’intégration des républiques hispano-américaines au XIX siècle, 2014. Alexandra ANGELIAUME-DESCAMPS, Elcy CORRALES, Javier RAMIREZ, Jean-Christian TULET (dir.),La petite agriculture familiale des hautes terres tropicales. Colombie, Mexique, Venezuela, 2014. Marcio de Oliveira,Brasilia entre le mythe et la nation, 2014. Patrick HOWLETT-MARTIN,La politique étrangère du Brésil (2003-2010). Une émergence contestée, 2013. Denis ROLLAND, Marie-José FERREIRA DOS SANTOS et Simele RODRIGUEZ,Le Brésil territoire d’histoire. Historiographie du Brésil contemporain, 2013. César CARILLO TRUEBA,Plurivers. Essai sur le statut des savoirs indigènes contemporains, 2013.
Pénélope LAURENTL’ŒUVRE DE JUAN JOSÉ SAER Unité, cohérence et fragmentation Préface de Milagros Ezquerro
© L’HARMATTAN, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-04711-9 EAN : 9782343047119
Préface Il n’est pas aisé de présenter, dans un ouvrage de dimensions modestes, une œuvre aussi complexe, étendue et variée que celle de Juan José Saer, en s’adressant à la fois aux lecteurs qui ne la connaissent pas, pour leur donner envie de la lire, à ceux qui la connaissent, pour les aider à l’approfondir. C’est pourtant le défi que relève ici Pénélope Laurent. Il est vrai qu’elle s’appuie sur un travail très soutenu auquel elle a consacré une dizaine d’années et de nombreuses publications : il n’en fallait pas moins pour aborder un écrivain d’une qualité rare, toujours en quête d’un lecteur complice, actif et créateur. Pénélope Laurent a un goût immodéré pour la lecture, elle aime la philosophie et la poésie, comme en témoignent ses premiers travaux de recherche. Elle apprécie la théorie, mais sans se laisser enfermer dans un système, car elle croit aux vertus des approches multiples d’un texte littéraire. Il est évident qu’elle ne pouvait qu’être séduite par l’œuvre de Juan José Saer, qui requiert pluridisciplinarité, réflexion philosophique et maîtrise d’outils théoriques nombreux et variés. Formée à la narratologie, elle a progressé en s’ouvrant à d’autres approches, et en s’intéressant particulièrement aux théories de la réception et au rôle fondamental du lecteur dans l’élaboration des sens d’un texte. Le choix de l’œuvre de Saer n’est pas anodin pour une jeune chercheure qui s’est intéressée, très tôt, à la poésie de deux grands Argentins, Jorge Luis Borges et Roberto Juarroz : il révèle un goût pour les constructions intellectuelles, pour l’abstraction et pour une qualité poétique de l’écriture. C’est tout cela qu’elle a retrouvé chez l’écrivain de Santa Fe. Le corpus auquel s’est confrontée Pénélope Laurent est considérable par son extension, mais aussi par sa multigénéricité : romans, nouvelles, poésie, essais. Elle prend donc à bras le corps la totalité des œuvres publiées, y compris le
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dernier roman, inachevé et publié après le décès de l’écrivain, qui est une extraordinaire métaphore de l’esthétique saérienne. Son hypothèse de travail s’appuie sur l’évidence que l’ensemble des textes publiés par Saer, relevant de la fiction, de la poésie comme de l’essai, forme une œuvre. Dans cette optique, il était inévitable d’interroger l’œuvre à partir de quelques notions, dont on postulait la primauté, le caractère structurant. Les notions qui se sont imposées après lecture et analyse sont: fragmentation, cohérence, unité. La fragmentation a suggéré l’architecture du livre en neuf fragments, tel un puzzle un et multiple, dont les pièces sont mobiles et s’articulent en constellations variées, qui mettent en œuvre une cohérence évidente à simple lecture et qui constituent l’unité profonde de l’ensemble. Les trois notions, indissociables et solidaires, s’appellent et se compensent. On observera, d’ailleurs, que ces concepts sont traités, certes, du point de vue du processus de production, mais, bien plus encore, du côté du processus de réception, ou, si l’on préfère, comme effets de lecture. Une autre des qualités de cet ouvrage est la sobriété de l’expression et l’efficacité de l’organisation narrative. La structure en fragments permet à la fois une progression évidente et des retours sur les points névralgiques de l’œuvre qui apparaissent sous divers éclairages, prenant ainsi tout leur relief. L’écriture, nuancée, rend compte de la complexité de l’objet analysé, elle reste sobre, pour ne pas se surimposer à celle de Saer, mais elle se laisse parfois attraper dans le maillage scintillant du fleuve ou dans le mirage vaporeux de la plaine infinie. La critique aussi est une réécriture et ne saurait échapper à l’effet palimpseste. Pour notre plus grand bonheur. Milagros Ezquerro
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Avant-propos
Constellation
Quels que soient les livres qu’il en ait lus, quel que soit son degré de familiarité imaginaire avec Tomatis et ses amis de la 1 « zone », le lecteur qui lit un texte de Saer fait l’expérience de deux mouvements de lecture, ceux de la continuité et de la discontinuité, qui travaillent les textes de Saer, tout à la fois dans leur unité propre et de façon transversale. Chaque texte saérien peut être considéré comme un fragment, un et multiple, circulaire et décentré, et les mécanismes de récurrence et d’analogie qui opèrent d’un texte à l’autre – de façon toujours différente – semblent unifier cette œuvre faite de fragments. La récurrence d’un lieu, de personnages, d’objets, de situations et les analogies produisent un effet de familiarité sur le lecteur en 2 créant et structurant une mémoire de la Zone . Cette mémoire, conçue comme dispositif de lecture au cœur du projet saérien, s’active et se réactive, d’un texte à un autre, d’un fragment à un autre, unifiant indéniablement l’ensemble. La totalité n’existe donc pas comme telle, c’est un mouvement dynamique de totalisation qui s’exerce, potentiellement, chez le lecteur.
1  Les sens du mot espagnol « zona » sont d’autant plus difficiles à rendre en français que ce mot est particulièrement employé dans la région de Santa Fe, d’où est originaire Juan José Saer, pour la désigner. J’utiliserai toutefois la traduction littérale de « zone » qui, si elle a l’inconvénient d’être parfois connotée négativement (des faubourgs e misérables du XX siècle autour de Paris à la banlieue d’agglomération urbaine d’aujourd’hui), a l’avantage de rester ouverte à la multiplicité des sens du mot « zona » en espagnol (ceinture, extension, superficie, surface, région, partie de la sphère terrestre). 2 J’utilise désormais une majuscule pour désigner ce qui ne se résume pas à un simple espace référentiel, entre réel et imaginaire, parce qu’il s’agit de signifier également son mécanisme de construction en constante élaboration, sur le mode de la mémoire. Toutefois il ne faudrait pas y voir la volonté de penser cet espace comme une « essence », ce qui serait contradictoire avec la réflexion proposée.
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La cohérence, délibérée, de cet ensemble incite à penser par cycles, à l’intérieur desquels des fils de la constellation se dessinent, plutôt que de façon chronologique et linéaire. Néanmoins, derrière la cohérence irréfutable de ce que l’on pourrait appeler le projet littéraire de Saer, ne se cache pas une « comédie humaine », mais un rapport plus problématique au réel, marqué du sceau de l’incertitude et opposé à la vision chronologique et linéaire du temps. Si l’ensemble des textes de Saer configure une œuvre, cela ne signifie nullement qu’il s’agisse d’une œuvre « totale ». La cohérence n’est pas la cohésion. Saer a comparé son œuvre à un mobile dans lequel chaque nouvelle pièce – chaque nouveau fragment comme il le précise lui-même – s’insèrerait en reconfigurant à chaque fois le mobile 1 d’une nouvelle façon . Cette image est celle d’un système ouvert qui semblerait se générer lui-même, se décentrer sans cesse et se reconfigurer dans une plasticité une et multiple. Cette idée de système, que l’on entendra au sens large et non dans une perspective organique, trouve des accointances fortes 2 avec la théorie de la lecture développée par Milagros Ezquerro , celle du texte pensé comme « système auto-organisateur ouvert » et dans laquelle le lecteur participe activement à l’élaboration des sens du texte. La démarche proposée ici est de transformer le mobile en constellation. Il s’agit en effet de tenter de comprendre l’organisation et le traitement de ce qui semble êtreen œuvrechez Saer, en retraçant des fils possibles de cet ensemble de textes, qui se structurent en cycles et en thèmes migrants, essentiellement par récurrence et analogie. Ces fils, qui ne tissent pas des motifs dans le tapis saérien mais qui structurent
1  Entretien avec Ana Basualdo, « El desierto retórico »,Quimera, n° 76, Barcelona, marzo 1988, p. 14 : “Cada novela es como un fragmento que yo voy instalando en las fisuras que dejan las novelas anteriores. La obra, entonces, es como una especie de móvil en el que cada pieza que se añade modifica el resto, y cada pieza funciona como una digresión. Pero los fragmentos no llegan nunca a cerrar el todo, sino que introducen más incertidumbre. En mis textos, la temporalidad está comprimida o estirada, de modo que siempre puedo agregar nuevos fragmentos (novelas) que compriman el tiempo estirado en otros fragmentos (novelas), o viceversa. Este es un proyecto que tengo siempre en vista cuando escribo.” 2 Milagros Ezquerro,Fragments sur le texte, Paris, L’Harmattan, 2002.
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les lieux, les personnages, les situations narratives en lien avec la temporalité, ne prétendent pas être exhaustifs. Ils dessinent une figure complexe et polymorphe de l’univers saérien et font apparaître une cohérence exceptionnelle. Mais la constellation a aussi ses zones d’ombre et une hétérogénéité qu’il ne faudra pas ignorer, faute de quoi l’œuvre de Saer serait confondue erronément avec unesumma, une saga ou un projet balzacien, opinion assez largement répandue. Saer joue incontestablement avec la tradition du système balzacien des personnages, mais il s’en sert pour mieux l’altérer et proposer un traitement fragmentaire (des personnages, du temps, des situations narratives, du réel représenté). C’est aussi en ce sens que la constellation peut être utile parce qu’il s’agit de la projection d’un dessin imaginaire qui ne se voit que sur un fond d’indétermination, sur lequel le lecteur est amené à projeter une part toute personnelle et subjective. Cette constellation ne doit donc pas être prise pour une figure unique au sens prédéterminé, contrairement aux images du zodiaque : elle sera envisagée ici dans son polymorphisme, constellation mobile qui n’existe qu’à travers le prisme de son observateur – en l’occurrence celui de sa lecture. L’archipel, cher à Édouard Glissant, est aussi suggestif et tentant pour décrire une œuvre fragmentaire dont l’univers aquatique est traversé d’îles qui apparaissent et disparaissent dans le fleuve. Cette figure, constellation ou archipel, est un clin d’œil à Tomatis qui cache dans ses papiers une anthologie commentée du Littoral de Santa Fe intitulée 1 « PARANATELLON », du nom d’une constellation, proche phonétiquement du fleuve Paraná, dont les reflets scintillent par intermittence et éclairent la réalité fragmentaire et lacunaire de la Zone, entre les deux rives de la narration et de la lecture.
1 On la retrouve dans deux textes deLa mayor, « La mayor » et « Amigos ».
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