La lecture à portée de main
Description
Informations
Publié par | Chum_Editions |
Publié le | 19 janvier 2013 |
Nombre de lectures | 167 |
Langue | Français |
Extrait
Julien vivait en sursis depuis le jour où il avait revu
Véronique. Il l’espérait tous les weekends. En vain.
Qu’espéraitil au fond ? Déterrer le passé enterré depuis
l’accident de son père. Cette femme le fascinait. Son
père avaitil subi la même attraction au point de se
détourner de sa famille ?
Obsédante, s’imposa à sa mémoire la dernière image de
Mathieu, l’honni, les bras autour de son cou,
s’accrochant au père comme à une bouée.
Ce soir, le hasard fit caler sa voiture juste face à
l’enseigne « Jules et Jim ».
Le hasard ou sa volonté de revoir le petit Mathieu
devenu grand. Une boite de nuit qui se trouvait sur sa
route et qu’il n’avait jamais remarquée. Une boite très
spéciale. Des néons clignotants bleus et roses l’attiraient
comme un appel onirique. Il n’avait plus remis un pied
dans « ces boites à débauche » comme il les intitulait
depuis sa rencontre avec Matéo. Son coeur se mit à
battre dans un mouvement désordonné, descendant
jusqu’à ses chevilles qui flageolaient. Il se promit de ne
pas s’attarder, juste le temps d’apercevoir Mathieu, son
demifrère. Il repartirait aussitôt.
À l’intérieur, la musique battait son plein. Les ombres qui
se déhanchaient sur la piste étaient mitraillées par les
facettes d’une boule suspendue au plafond, tournoyant
d’un mouvement lascif. Des filles et des garçons assez
jeunes, phosphorescents. Des filles avec des filles. Des
garçons avec des garçons. Des garçons frêles aux cheveux longs qui ressemblaient à des filles. Des filles
aux cheveux très courts et aux épaules larges de
catcheuses.
Il ne se sentait pas à sa place dans ce cadre, revivant
brusquement le regard de cette femme sur le pas de sa
porte. Implorant et dur à la fois. Il en avait des frissons
dans le dos. Il l’avait haïe, l’espionnant dans ce parc où
elle retrouvait son amant. Son père. Et ce petit garçon
qui semblait plein de vie alors que la jalousie le laissait
exsangue.
Mathieu, avait crié son père. Mathieu, viens
m’embrasser, je dois partir. Mathieu, les deux bras
autour du cou, les jambes enserrant la taille de Serge
devenue chêne. Des bribes d’instantanés lui revenaient
en mémoire, régénérées comme du café soluble dans
un verre d’eau bouillante. Julien refusant d’embrasser
son père en signe de représailles. Les yeux douloureux
du rejeté. Sa mère offusquée. La disparition du père, un
poids lourd dans sa vie.
Que faisaitil là ?
Il s’installa dans un renfoncement du bar, à l’abri des
regards. À nouveau il repensa aux paroles de cette
femme : « un petit garçon voyeur ». Il ne comprenait pas
pourquoi il n’arrivait pas encore à la citer par son
prénom, Véronique, lorsqu’une petite brunette passa
devant lui en se trémoussant. Elle hurla d’une voix qui
voulait couvrir la musique « salut Mathieu ». Mathieu
répondit « salut » d’un bref signe de tête trop occupé à mixer les sons derrière un paravent vitré. Julien
sursauta.
La réalité se confondit avec ses souvenirs. La langue
fourchue d’un serpent siffla dans ses oreilles. Son Mateo
et le Mathieu de ses pires cauchemars en une seule et
même personne. Il vint rejoindre les danseurs sur la
piste, provoquant des cris de bonheur. Toujours ce
même corps filiforme, cette chaleur qui semblait irradier
à la ronde et venir le happer tout entier. Son Mateo des
nuits de fournaise puis de ses interminables nuits
d’insomnie. Il avait le sentiment d’halluciner.
Comment ne l’avaitil pas reconnu en ce soir d’été en
Sardaigne, sur cette piste de danse ?
Comment pouvaitil s’être pris d’amour pour quelqu’un
qu’il avait tant détesté sans qu’aucune alarme ne se soit
déclenchée dans sa tête ? Il vivait à l’instinct et cet
instinct étaitil en train de lui jouer un sale tour ?
Trahison ! De quelle trahison parlaitil ? Julien n’en
menait pas large. Il avala d’un trait son whisky et rentra
chez lui. Il passa le pire moment de solitude de son
existence lorsqu’il réalisa leur consanguinité.
Ils ne s’étaient pas revus depuis l’annonce de sa
paternité par sa femme. Il avait gardé le secret de sa
relation, désespérément. Même pas dévoilé à Elsa, sa
mère. Elle n’aurait pas compris. À présent, le scénario
avait empiré prenant des proportions démesurées.
Quatre ans déjà !Sa fille Elisa, une jolie petite brunette aux yeux noirs
charbon, lui avait permis de mener une existence
presque paisible. Il improvisait les rôles, tout à tour, mari
fidèle, père irréprochable, aimant et souriant. Il avait
trompé tout son monde et lui avec. L’émotion longtemps&