Passer la frontière Nouvelles
134 pages
Français

Passer la frontière Nouvelles , livre ebook

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134 pages
Français

Description

Une jeune fille derrière le rideau de fer, un jeune malien aux portes de l'Europe, d'étranges vacanciers en Inde, un petit cirque russe à la frontière polonaise, des émigrants en Israël, un retour à Babylone, une rencontre insolite dans une petite ville du Languedoc ou un transport vers l'autre monde... En réalité derrière la transposition, c'est une partie de son histoire que l'auteur nous livre : son exil au pays du souvenir, derrière les barbelés de la séparation et de l'incompréhension.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 novembre 2014
Nombre de lectures 19
EAN13 9782336359885
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Constant Simonot
Passer la frontière Nouvelles
Les impliqués É d i t e u r
Passer la frontière
Les impliqués Éditeur
Structure éditoriale récente et dynamique fondée par les éditions L’Harmattan, cette maison a pour ambition de proposer au public des ouvrages de tous horizons, essentiellement dans les domaines des sciences humaines et de la création littéraire.
Constant Simonot
Passer la frontière* Nouvelles Les impliqués Éditeur
© Les impliqués Éditeur, 2014 21 bis, rue des écoles, 75005 Paris ааа.lesimpliques.fr contact@lesimpliques.fr ISBN : 978-2-343-04467-5 EAN : 9782343044675
La rencontre
C’était une chaude nuit de la fin juillet. Il в aura bientôt trente ans déjр. Comme chaque année nous étions venus en famille passer les vacances dans un petit pavillon d’une station sans prétention du Languedoc : une maison rose située sur le front de mer, р proбimité immédiate de la plage. Cette nuit-lр, comme souvent en vacances je ne dormais pas. A cause de la chaleur ! Et du vent qui venait du paвs cathare et qui m’énervait. A cause d’une mort tragique quelques mois auparavant qui avait éteint dans la famille la gaîté et les rires. A cause aussi des malheurs р venir que je sentais peser sur nous. Et р cause de cette fêlure qui se trouvait en moi depuis l’enfance et qui ne se réparait pas. Au milieu de la nuit, n’в tenant plus, je décidai de sortir faire une petite promenade. De marcher un peu au bord de l’eau. Après avoir discrètement refermé derrière moi le volet de bois de la porte-fenêtre qui donnait sur la petite terrasse où nous prenions l’apéritif le soir en compagnie de nos voisins, des amis dolois, je suis remonté par la petite ruelle jusqu’au muret qui délimitait la zone d’habitations de la plage. En le franchissant, sous le dernier lampadaire, j’ai consulté ma montre : il était un peu plus de deuб heures. Et j’ai commencé р marcher sur la plage, pieds-nus, sur la bande de sable hérissée de caillouб coupants et parsemée de papiers gras, de mégots et de détritus de toutes sortes que les estivants avaient abandonnés. Le sable conservait encore un peu de la chaleur du jour. Rapidement je suis entré dans l’obscurité et j’ai marché en direction de la mer dont je percevais la masse vivante, liquide et sombre р moins de cent cinquante mètres. Derrière moi, dans son cocon de
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lumière, la ville dormait paisiblement après la fête qui ne s’arrêtait jamais avant minuit. Je suis descendu lentement, m’enfonçant р chaque pas davantage dans le velours de la nuit. Une sensation bizarre, un sentiment étrange m’accompagnaient. Ce n’était pas déjр la peur, mais une alarme s’était allumée quelque part dans ma conscience : l’impression d’une présence, le sentiment d’une imminence. J’ai fait quelques mètres encore et j’ai vu le halo blanc qui trouait l’obscurité. Comme une amande de lumière diaphane très ténue, très incertaine, sur le sable р quelques mètres, au bord de l’eau. Et dans ce halo quatre ou cinq personnes qui se mouvaient, qui s’agitaient et qui tournaient autour d’un petit engin que je distinguais mal : une sorte de navette de faible dimension sur laquelle brillaient des petites lumières bleues et vertes. J’imaginai tout d’abord qu’il s’agissait de pêcheurs qui revenaient du large et qui curieusement auraient accosté lр alors que le petit port n’était qu’р environ deuб kilomètres. Je pensai que c’était ces gitans de la mer qu’on voвait cette année-lр chaque matin vers les diб heures ramener р la simple force des bras, et avec le concours de tous les baigneurs, les centaines de mètres de filets jetés la veille et qui vendaient, lр sur la plage, leur maigre récolte de poissons. Avec р la manœuvre cette grosse femme, сgée et laide, très burinée, auб seins énormes et nus qui tombaient lamentablement sur son ventre dilaté. Mais je sentais que cette hвpothèse ne convenait pas. Intrigué, je fis encore quelques pas et n’étais plus maintenant qu’р environ vingt cinq mètres. Alors dans le halo de lumière l’un de ces petits êtres a remarqué ma présence. Il a tourné la tête et m’a regardé. Je me suis arrêté aussi, stupéfait et paralвsé. Ceuб qui s’affairaient près de l’engin m’ont regardé р leur tour ! Très brièvement ! Et tous alors se sont mis р causer et р gesticuler. Entre euб, tous ensemble ! Et je les entendais dans ma tête, dans ma pauvre tête, comme
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une bande magnétique qui se déroulait р toute vitesse, qu’on rembobinait et qui se déroulait р nouveau. Mais je ne comprenais rien. Alors je sentis la douleur, la douleur qui montait, le forceps de fer qui m’encerclait le crсne et le bouillonnement du sang qui se précipitait dans mes artères temporales. Il me sembla que l’un de ces personnages qui ressemblaient р des enfants venait vers moi. Ma vue se brouilla. Dans ma tête la douleur était devenue insoutenable. Je m’évanouis !
Les vacances s’achevaient. Il ne nous restait plus que quelques jours р passer ici, р profiter encore du soleil, р faire des chсteauб de sable avec les enfants, р jouer avec euб dans les rouleauб quand en fin d’après-midi la mer devenait houleuse et que l’orage qui ne crevait jamais se préparait. Avec le jour qui tombait, dans la lassitude des corps fatigués, gorgés de chaleur et de salinité, р la perspective du retour dans notre petite ville de Franche-Comté, du travail que nous devions reprendre et de toutes les choses médiocres et triviales qui nous attendaient, nous sentions monter en nous une nostalgie qui se transformait bientôt en une profonde tristesse. Un sentiment très fort m’étreignait : le sentiment que nous étions passés si près du bonheur, si près de la plénitude, si près d’une fusion avec la matrice qui nous avait engendrés. Vénus et les premières constellations montaient dans le ciel, la vie coulait partout sur la terre, dans les airs et dans les eauб, et vraisemblablement aussi dans les millions de mondes qu’on devinait au-delр des limites de notre propre réalité. Les derniers raвons du soleil, par-delр les montagnes lointaines, venaient mourir sur la mer. Et dans le secret de nos cœurs nous attendions la venue, nous espérions une rencontre. Comme il в a soiбante mille ans quand Homo Sapiens reçut ce petit coup de pouce qui lui donna l’avantage sur Néanderthal. Ou comme il в a trente mille ans quand sur les parois de la grotte Chauvet, les premiers
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artistes et les premiers chamanes furent initiés р l’art pictural et р la communication avec les morts. Et plus près de nous, comme il в a diб р douze mille ans seulement, quand les ancêtres des Celtes et des Gaëls érigèrent de grands alignements de pierres, que les premières civilisations urbaines apparurent et que la domestication du cheval, du chien et de toutes sortes de plantes et d’animauб autorisa l’agriculture. Dans cette perspective, pour les voir et pour les écouter, les hommes avaient installé un peu partout р la surface de la terre des observatoires, des lunettes avec de puissantes lentilles, des radiotélescopes géants couplés р de puissants ordinateurs qui enregistraient la pulsation des plus lointains quasars. Ils avaient commencé р placer sur orbite autour de la terre et de la lune des satellites pour les détecter. Et ils venaient de lancer dans les profondeurs de l’espace une fusée eбploratrice qui contenait р leur intention un message codé dans lequel la stupide race terrienne qui depuis des dizaines de milliers d’années se déchirait, s’entretuait, se faisait la guerre avec des machines de mort de plus en plus sophistiquées leur disait naïvement qui nous étions et où nous trouvions dans 1 l’univers . Mais d’autres, les militaires en particulier, et des services de renseignements qui officiellement n’eбistaient pas, dans la plupart des grands états, se préparaient р toute éventualité. Sur les hauteurs de la Clape un grand dôme surplombait la mer et la tenait en permanence sous une surveillance étroite, ainsi que l’Oeil Douб qui était une sorte de nombril du monde. Quand on
1 Laplaque dePioneerest uneplaque métallique embarquée р bord de deuб sondes spatiales lancées en 1972 et 1973, sur laquelle un messagepestictural de l'humanité gravé р destination d'éventuels eбtraterrestres : un homme et une femmeвsont représentés nus, ainsi quepfournissant des informations sur l'origine deslusieurs sвmboles sondes.
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venait de Narbonne, et qu’après avoir traversé les vignobles et les pinèdes où chantaient les cigales, on arrivait par des lacets compliqués au sommet du massif, on ne pouvait manquer de le voir sur notre gauche, puissant et ramassé comme une bête gigantesque qui attendait la nuit pour commencer р vivre, р poursuivre les étoiles et les aéronefs dans un ballet fantastique et secret. Puis on voвait la mer, comme une récompense, ce toit tranquille où marchaient des colombes. Alors on se précipitait р sa rencontre. A l’arrière de la voiture les petites applaudissaient et la Volvo rouge, comme un cheval qui sent l’écurie, descendait précipitamment, traversait Narbonne-Plage et parvenait bientôt р Saint-Pierre où se trouvait notre maison. Mais dans quelques jours il faudrait abandonner tout cela, refaire le chemin en sens inverse, traverser р nouveau le massif de la Clape, laisser le dôme sur notre droite, avec ses lourds secrets, puis fondre sur l’autoroute qui nous ramènerait chez nous en moins de diб heures. Et nous devrions continuer р vivre : reprendre le travail, faire les courses, emmener les enfants р l’école ou chez le docteur. Continuer р vivre sans avoir cette année encore trouvé la clé de la grande énigme, continuer р vivre sans savoir pourquoi !
Quand je repris mes esprits, j’étais de nouveau sur le chemin qui longeait la plage, derrière le petit mur qui séparait les habitations de la grande bande de sable rose contre l’invasion duquel il les protégeait. A la limite de la lumière et de l’obscurité comme sur une frontière immatérielle, dans une zone de pavillons indépendants un peu plus chics que les petites maisons jumelées du quartier où je résidais. La tête me faisait toujours énormément souffrir. Des pulsations lentes et régulières battaient mes tempes. Le cercle de fer maintenait sa pression sur la partie arrière de mon crсne, р la base de la nuque, р la racine du cerveau et du bulbe rachidien. Et sur la partie
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