150 Nuances de !noirs
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Description

Détrompez-vous, 150 Nuances de Noirs n'est pas une pâle copie de plus d'un célèbre roman érotique. Cette oeuvre est un recueil de 150 micro-nouvelles satiriques qui posent un regard humoristique et lucide sur les petites et grandes perversions de l'âme humaine.
Catherine Jubert nous offre ici 150 tableaux (miniatures ?) d'un monde tantôt sombre, tantôt stupide et bien souvent dérisoire. Elle nous invite à rire de nous-même et des autres par ses réflexions caustiques, mais toujours justes sur les turpitudes de notre société.
Nbre de pages: 257 ISBN: 978-2-36859-016-4

Informations

Publié par
Publié le 11 mai 2013
Nombre de lectures 128
Langue Français

Extrait

De Catherine Jubert
Illustration: Jean-Michel Boulaire
Conception graphique: Guillaume Serpault www.serpog.net
www.booxmaker.fr
37. La Journée intergalactique du Fantasme
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tout avait été inventé et la technologie avait cessé de progresser. Les hommes étaient las, blasés de tout. Qu’est-ce qui aurait bien pu leur faire plaisir ? Aucun désir ne leur traversait plus l’esprit. Au début, ils commandaient aux machines et puis celles-ci ont fini par se débrouiller comme des grandes. L’homme aurait pu en profiter pour s’occuper de lui, se cultiver, entretenir des relations avec les autres, lutiner voisins et voisines, mais rien… Ils attendaient devant des écrans de contrôle leur gavage quotidien. Alors pour libérer le peuple de sa morosité et du carcan moral dans lequel il s’était enfermé, les autorités mirent en place une très vieille idée qui pouvait ressusciter les morts selon elles : l’instauration d’une journée internationale et intergalactique du fantasme. Quelques sourcils se levèrent à l’annonce de l’événement puis fixèrent à nouveau les cours de la bourse. Chacun avait l’obligation et le devoir d’exposer au moins l’un de ses fantasmes sous la forme de son choix (vidéo, photo, danse, textes, happening festif, installation…). Bien sûr, des fantasmes différents pouvaient s’associer entre eux. On pouvait les échanger avec ses voisins de palier, en parler, les mettre en œuvre... Pas de limites imposées ! « Déchainez-vous », était le slogan soufflé par les machines à leurs hommes de main. Mais les hommes avaient tellement l’habitude que tout soit réalisable, qu’ils n’avaient plus d’idées… Ils avaient beau chercher, ils ne trouvaient rien. Certains cherchèrent vainement la définition du mot dans le dictionnaire, d’autres reproduisirent quelques vagues positions « érotiques » auxquelles se livraient entre eux les robots-larbins. L’initiative fut un échec retentissant. Ce jour là, la plupart des gens, au lieu d’aller entreprendre, comme il était permis, la femme du voisin ou même son chien, restèrent rivés à leurs écrans. Ni la bourse ni les bourses ne frémirent. On s’y ennuya à mourir. Ce jour-là, les robots surent qu’ils avaient définitivement gagné la partie. Tous les ordinateurs de la planète se mirent joyeusement à clignoter en même temps : Opération Plante Verte réussie !
45. La fille qui regardait passer les trains
Pendant que les hommes, pantalon sur les chevilles la pilonnaient en ahanant, ses yeux s’accrochaient aux failles de béton, sous les piles du pont de la voie ferrée, gigantesque cicatrice dans le paysage lunaire. C’était toujours mieux que le ciel plombé de la Picardie. Le moment qu’elle préférait c’est quand le train arrivait à grande vitesse, fendant l’air et toute conscience. Ce train qu’elle n’avait jamais pris, pour des ailleurs qu’elle imaginait à peine. Elle se demandait toujours comment les gens faisaient pour atteindre le pont. Par où grimpaient-ils ? Dans sa ville, il n’y avait pas de gare. Rien que le ballet des camions charriant des betteraves puantes, c’est tout ! Les vibrations de la machine transperçaient sa peau jusqu’à la terre tombale qui supportait son pauvre corps triste de fille de joie. Plus fort que les coups de boutoir, le feulement du serpent de fer couvrait ses cris et les gémissements de bêtes des hommes. Après leur départ, souillée, sa petite robe rouge coquelicot tirebouchonnée jusqu’au ventre, elle se laissait tanguer dans l’herbe humide au rythme incessant des trains qui labouraient le ciel. Elle s’imaginait des chevauchées fantastiques sous l’envolée des piliers de cathédrale de la voie ferrée. Elle reviendrait ce soir avec un camionneur qui laisserait sur son corps les mêmes traces boueuses que les roues de son camion sur la route. Ça la faisait rire cette expression, « il n’y a que le train qui ne lui soit pas passé dessus ». Un jour, elle trouverait bien le chemin pour monter sur le pont.
71. Je voudrais que quelqu’un m’écrive de quelque part
Madeleine a encore reçu du courrier dans MA boite aux lettres : une publicité pour des voyages en Cappadoce, une autre lui offrant des réductions mirifiques sur un catalogue de vente par correspondance… et encore (!!!) une lettre de Robert. Une lettre d’amour par semaine, depuis 15 ans. Je suis vexée, Madeleine reçoit plus de courrier que moi. En ce qui me concerne, rien que des factures, des lettres de rappel et surtout, jamais aucune missive enflammée. Le courrier de Madeleine a fini par meubler ma triste vie de célibataire et j’attends le facteur comme une vieille dame que je ne vais pas tarder à devenir si ça continue. Robert est la
constance faite homme, car sa dulcinée n’a jamais répondu à aucune de ses lettres. Aujourd’hui, dans la toute dernière d’entre elles, accompagnée de 12 roses rouges (demande en mariage dans le langage des fleurs), Robert a une « excellente nouvelle » à lui annoncer : Yvette, sa femme est « enfin partie brouter les pissenlits par la racine » (sic) et que même « vu la dose qu’il lui a collée, les pissenlits ont aussi du souci à se faire » (resic). D’après ce que je comprends, les deux tourtereaux vont pouvoir vivre leur amour au grand jour. Tout cela serait bien charmant, si Madeleine, l’ancienne propriétaire de la maison que j’occupe n’était pas décédée depuis 15 ans, à l’âge de 85 ans. Elle aurait un siècle aujourd’hui… Évidemment, Madeleine ne peut lui répondre. Mais moi si… Au fil du temps, j’ai fini par trouver ce Robert très attachant. Alors, je me suis mise à la place de Madeleine. C’est ainsi qu’une liaison épistolaire de plus en plus brûlante et passionnée est née.
Hier, à ma grande surprise, toutes mes lettres m’ont été retournées sans avoir été ouvertes avec la mention : destinataire décédé. Pourtant, je ne comprends pas, je continue à recevoir des lettres de Robert dans un langage de plus en plus fleuri qui me fait parfois rougir… Alors qui ? Au fond, je m’en fiche, maintenant. Pourvu que quelqu’un m’écrive de quelque part, même un mort, de l’au-delà.
101. Laissez-moi danser…
Moche, con, moche, con, moche… et heureux avec ça. Devant elle, sa mère hoche la tête comme une débile au rythme de cette musique de naze. Le père braille à tue-tête. — Laissez-moi danser, laissez-moi… tout en massant les cuisses de sa femme. Il chante faux en plus ce con ! Peuvent pas mettre autre chose que cette radio de beauf, « Nostalgie ». — J’ai envie de vomir ! — Retiens-toi, Vanessa, on s’arrête dans 5 minutes. Si elle ne devait pas subir l’odeur ensuite, Vanessa dégueulerait bien dans leur bagnole pourrie où il n’y a même pas la clim’. C’est pas écolo dit le père ! Mon cul, oui… Vanessa hurle dans sa tête :laissez-moi gerber, laissez-moi… Elle s’allonge sur le siège, capuche sur la tête. Il fait chaud, elle s’en fout. Ils s’arrêtent toujours sur la même aire d’autoroute, l’aire du centre de la France, celle qui se trouve pile-poil au milieu. Elle est sûre qu’il va encore le dire. Et ça ne loupe pas une fois de plus. — T’as vu, Vaness’, on est au beau milieu de la France, avec un clin d’œil appuyé à sa femme. Moche, con, moche, con… Pas de chance, la table de pique-nique qu’ils occupaient habituellement (à mi-chemin des toilettes et de la station-service) est prise par une famille de Maghrébins. — Peuvent pas nous foutre la paix, ceux là, z’ont qu’à manger par terre avec toute leur smala. Ça sert à quoi les tapis de prière, sinon ? Moche, con, moche, con… — Pas grave, dit la mère qui a décidé d’être de bonne humeur pour une fois. Elle étale, à deux pas d’une grosse merde de chien, la couverture du chat pleine de poils et ouvre la glacière dont le contenu pue la mort à cause de la chaleur. Vanessa tend la main. Elle sait que sa mère va y fourrer un œuf dur déjà épluché la veille. Ses contours sont verdâtres. On dirait un œuf malade. Elle se lève. De toute façon, elle n’a plus faim. Elle préfère regarder un jeune couple adossé au coffre d’un van Volkswagen à fleurs, manger un sandwich qui a l’air délicieux. Pas celui tout sec de sa mère avec juste du jambon humide, une toastinette en plastique et un pauvre cornichon qui se fait toujours la malle. De temps en temps, entre deux coulures de mayo’, le gars et la fille se roulent une pelle. Il lui caresse les seins. Vanessa les imagine faire l’amour dans leur véhicule trop cool recouvert de tapis indiens. Partir avec eux, plutôt que de subir la vision de son père, dans son micro moule bite avec son gros ventre qui dépasse par-dessus. 15 ans qu’ils vont dans ce camping pour beauf ! — On y est bien, on y est comme chez nous, répète-t-il chaque fois.
Alors, pourquoi partir, bande de tarés ? C’est décidé, elle se casse. — Je vais aux toilettes. La mère regarde son adolescente s’éloigner, les mains dans les poches. De l’autre côté des toilettes, Vanessa avise une rangée de camions. Un Slovaque veut bien la prendre.
Le père replie la carte routière, tout fier : — Bon, l’aire du centre de la France, ça nous a juste fait un détour de 150 km, elle n’y a vu que du feu. Elle va être rudement contente Vaness’, tout de même le Club Med pour ses 15 ans, c’est un chouette cadeau !
Tous droits Réservés, Booxmaker Copyright 2013 ISBN: 978-2-36859-016-4
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