La grande explication
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Description

L’élève est donc invité à analyser et comprendre un texte puis à le caractériser, à proposer un jugement sur ce texte en fonction des caractéristiques essentielles qu’il en a dégagées, et à justifier ce jugement par une argumentation fondée sur les analyses précises qu’il a menées : formation du jugement critique et analyse respectueuse du texte en sont les deux enjeux essentiels. Programmes officiels, Français, lycée. L’EXPLICATION DE TEXTE Oui, alors, quand on fait une explication de texte, on peut dire ce qu’on veut… , oui, ce qu’on veut ! C’est pas comme avant où l’on nous donnait, euh, une correction après le devoir, on nous disait : « voilà, c’est ce que l’auteur a voulu dire. » Non, il existe pas une seule interprétation possible. Il y en a autant que d’individus. (Elle avait souri de façon béate.) C’est ce qui fait la richesse d’un texte. Chacun y voit chaque fois quelque chose de différent… de personnel. C’est ce qui différencie le français des sciences. Oh, c’est fou hein ? Si on vous disait en math : « vous pouvez faire la démonstration que vous voulez », (elle avait éclaté de rire), avouez que ça vous aurait bien fait rire ? (Personne n’avait rigolé.)bien oui, avait-elle conclu, quand vous faites Eh une explication de texte, vous pouvez dire ce que vous voulez du moment QUE VOUS LE DEMONTREZ !

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Publié le 03 août 2015
Nombre de lectures 6
Langue Français

Extrait

L’élève est donc invité à analyser et comprendre un texte puis à le caractériser, à proposer un jugement sur ce texte en fonction des caractéristiques essentielles qu’il en a dégagées, et à justifier ce jugement par une argumentation fondée sur les analyses précises qu’il a menées : formation du jugement critique et analyse respectueuse du texte en sont les deux enjeux essentiels. Programmes officiels, Français, lycée.
L’EXPLICATION DE TEXTE
Oui, alors, quand on fait une explication de texte, on peut dire ce qu’on veut… , oui, ce qu’on veut ! C’est pas comme avant où l’on nous donnait, euh, une correction après le devoir, on nous disait : « voilà, c’est ce que l’auteur a voulu dire. » Non, il existe pas une seule interprétation possible. Il y en a autant que d’individus. (Elle avait souri de façon béate.) C’est ce qui fait la richesse d’un texte. Chacun y voit chaque fois quelque chose de différent… de personnel. C’est ce qui différencie le français des sciences. Oh, c’est fou hein ? Si on vous disait en math : « vous pouvez faire la démonstration que vous voulez », (elle avait éclaté de rire), avouez que ça vous aurait bien fait rire ? (Personne n’avait rigolé.)bien oui, avait-elle conclu, quand vous faites Eh une explication de texte, vous pouvez dire ce que vous voulez du moment QUE VOUS LE DEMONTREZ !
TIN doudou TIN TON TIN dou dou…
Tel un champion de boxe qui rentre sur le ring, je marchais dans les couloirs déglingués de la fac de lettres, au-dessous des plafonds croulants d’amiante, avec sur mes côtés des portes bizarrement numérotées, diverses affiches, listes, notes, slogans, graffitis. A travers les vitres sales filtrait la lumière pâle d’une fin d’après-midi d’hiver – c’était les partielles de janvier-, mais dans ma tête, avec le stress et l’énervement, résonnaient les remakes tordus des tubes de l’été. TIN doudou TIN TON TIN dou dou TIN TON TAAAN…Je me souvenais surtout des propos de ma prof de lycée : Madame Manobot. Les marches d’un escalier, je tourne à droite, vérifie sur mon agenda, une énième fois, le numéro de la salle. Ce doit être par-là. Dans un couloir sombre, je reconnus plusieurs filles de ma classe, affalées sur le mur qui faisait face à la porte fatidique. Elle me remarquèrent à peine. Moi qui, quand j’étais seul, pensais si souvent à leurs petites fesses… C’est que la tension d’avant les examens frôlait l’hystérie. Je voyais les belles étudiantes fermer les yeux, réciter une définition dans leur tête, s’interrompre, demander une explication à la voisine d’à côté, d’en face : « Hou ah ! J’y arriverai jamais, se disaient-elles les unes aux autres, je vais trop me prendre une méchante taule. » « Oh oh ah ! J’ai trop pas révisé », lâchaient-elles encore avec de petits rires nerveux alors que leurs yeux étaient enfles et cernés d’insomnie. La porte de la salle d’exam, toutes les demies-heures, s’ouvrait et notre prof, une femme bien mûre, avec un sourire de circonstance, invitait une nouvelle candidate à entrer. Celle qui venait d’en finir ressortait la mine abattue, le visage exprimant une fatigue indicible. Ainsi, comme des génisses s’apprêtant à passer à l’abattoir, mes camarades se succédaient à la chaîne et, seul dans un coin, j’attendais qu’arrive enfin mon tour. Certes, je ne comptais pas me laisser faire. Dans ma tête, je tournai et retournai les idées glanées cà et là sur les trois textes que je devais présenter. Il n’y aurait pas de préparation. La prof, pour gagner du temps, nous avait donné un corpus que nous devions bosser à la maison et elle choisirait un texte au pif que je devrais commenter et discutailler devant elle, comme ça, de but en blanc. Il est vrai que j’avais passé les jours précédents à glandouiller, à écouter de la musique et lire des conneries, mais je ne comptais pas me laisser faire, ah non, je ne comptais pas me laisser faire. En remuant les bras, donnant des coups de poing dans le vide, tel Rocky au moment de commencer le combat, je me remémorais les
idées les plus subtiles, les plus pertinentes, les plus saugrenues, tout ce fatras fumeux qu’on assimile tant bien que mal en fac de lettres.
TIN dou dou…
Ca y est, la fille qui me précède vient d’entrer. C’est une petite bourgeoise pincée comme on peut en trouver à Aix en Provence, les lèvres épaisses et le sourcil haut. Scolaire, travailleuse et appliquée, si j’allais plus souvent en cours, je saurais que c’est la première de la classe. Allez, c’est pas le moment de flancher. Plus qu’une demie heure. Après le commentaire de la petite première, viendra le mien, encore plus brillant, plus poignant, et ce sera pour la prof l’heureuse surprise de cette journée. Elle ne pensera plus qu’à moi en revenant chez elle et, en retournant en cours après les vacances, elle me citera devant toutes les filles comme petit prodige de la critique littéraire. Ces dernières se battront pour coucher avec moi. En m’approchant de temps à autre de la porte, j’entendais le babil de ma petite bourgeoise qui allait bon train et remarquais que, si avec moi elle n’était guère bavarde, face à la prof, dans le stress de la réussite, elle se montrait d’une étonnante prolixité. J’entendis bientôt des intonations de fin d’entretien, puis une chaise râclant le par-terre. Enfin, la porte s’ouvrit et, tout en discutant, l’étudiante sortit et salua avec un grand sourire la prof de lettres. Celle-ci se tourna alors vers moi : -Monsieur Eminescu ?
TIN dou dou TIN TON TIN dou dou TIN TON TAAAN Eyes of the tiger !
Le face à face. Je toisai cette petite femme et sa graisse dans son tailleur partout prête à s’épandre. Quant à elle, d’un mouvement du regard qui alla du haut vers le bas, de mes cheveux longs mal attachés à mes baskets percées en passant par mon pull de laine vieux d’au moins dix ans, elle me détailla des pieds à la tête d’un air consterné. Le face à face. Je la dépassais de toute la tête, mais elle était plus large que moi de plusieurs plis de bourelets. La fougue, la passion, la jeunesse était de mon côté. Elle avait pour elle plusieurs degrés de myopie perdue en trente cinq ans de bibliothèque. Ah ! Qui n’a pas connu l’entrée dans une salle d’exam et qui plus est pour un oral ? On s’avance dans la pièce le cœur battant comme un voyou vers ses juges. En ce moment de vérité, moi qui étais si sûr de mes capacités, d’impressionner cette sommité grâce aux souvenirs des propos de Madame Manobot, grâce à la vaste culture de mes deux ans de fac, j’oubliai ma détermination et mes grandes idées. -Monsieur Eminescu ?… Asseyez-vous ici, je vous prie. Je pris place en face du bureau de la grande dame, posai mon sac à côté de ma chaise. Elle, rangea sa bedaine de cinquantenaire sous le bureau et posa dessus de gros seins flasques. Nous avions le droit de prendre avec nous quelques notes. Je sortis une feuille toute cornée que je n’avais emplie la veille que de quelques lignes : trois parties qui pouvaient faire l’affaire pour n’importe quel texte du corpus. J’avais, hélas, une confiance excessive en mes capacités, une possible illumination.
-Bien alors… qu’allons nous étudier après l’explication passionnante de Mademoiselle Baldanfion. Tiens, une fable comme « Le Corbeau et le renard » ! Elle me regardait avec son demi-sourire hypocrite sous son vilain poireau et ses poils de moustaches qu’elle avait blondis. Ses cheveux teints en noir et frisés faisaient ressortir son visage pâle, plâtré de fond de teint. -Allez y… Mon vieux Eminescu, me dis-je, ce n’est pas le moment de flancher !
J’aspirais profondément l’air chaud et saturé du parfum de la docte dame, inspirai par le nez, expirai par la bouche : hélas, mes idées ne s’éclaircissaient guère.
INTRODUCTION
-De tout temps, les hommes ont fait parler les animaux… Brrr non ! Se souvenir encore des conseils de Madame Manobot. Oh évitez à tout prix les introductions toutes faites du type : « Il est intéressant de se demander ou de tout temps les hommes… » Je toussai fortement. -Excusez-moi, je me reprends… Les hommes par le passé et encore aujourd’hui font parler les animaux. On en avait un bel exemple, il y a dix ans environ, avec le Bebêt-Show et maintenant avec, euh, leMonde de Narnia… ce lion blanc, là, qui parle… -Hmm… -Jean de La Fontaine, grand écrivain du XVIIe siècle a écrit des fables en s’inspirant des auteurs de l’Antiquité Phèdre et Esope. Même si tout cela était banal, je lui montrais qu’au moins j’avais jeté un œil à son cours, mais alors juste un œil. -« Le Corbeau et le renard » est une de ses fables les plus connues… Nous ferons de ce texte un commentaire composé… Bien préciser au moment de l’introduction quel type d’étude on va faire, si on va raconter des sottises à chaque ligne du texte, auquel cas on fait une étude linéaire, ou si l’on va réunir ses sottises et les fourrer en tas dans plusieurs parties – on appelle cela un commentaire composé. Il s’agit toujours de broder sur un texte qui dit très bien de lui-même ce qu’il a à dire. -Un commentaire composé… Ouf ! J’y ai pensé. Il ne me manque plus qu’à annoncer mes parties. -Dans un premier temps, nous verrons la dimension mythico-phénicienne de la fable à travers son code crypté à la Dan Brown. (Ca vous interpelle, hein, ma petite dame ?) … puis, la portée nietzschéenne et d’une manière plus générale teutono-philosophique du texte. (Pour bien englober tous mes philosophes, je fis un vaste mouvement des bras que j’avais vu faire à un vieux prof en amphi.) … enfin et pour finir (brrr ! le vilain pléonasme) keuf ! keuf ! euh… dans un dernier temps, nous étudierons notre texte avec les outils de la psychocritique. Oh ! Oh ! Que ça va être bien ! Ca y est ! Cette fois, je suis lancé. -Bien, je vais procéder à la lecture du texte :
Le Corbeau et le renard Maître Corbeau, sur un arbre… tatati… dans son bec un fromage… tatata… Vous êtes le phénix des hôtes de ses bois… Tatati tatata…
-Bien alors penchons-nous d’abord sur le titre, « Le Corbeau… » -Je vous interromps… -… ?
-Vous n’avez pas annoncé votre axe de lecture. On doit toujours le faire, même pour une lecture méthodique… -Oui… (Merde, je l’avais oubliée cette histoire d’axe. C’est ça quand on note pas les choses.) j’allais justement le faire, euh, à partir du titre ! Oui, c’est un moyen plus vivant d’introduire mon axe. Je réunis mes doigts autour de mon pouce et les tenais levé devant son nez. -Le corbeau… c’est là un côté mystique, l’animal païen par excellence (Tiens, c’est pas mal ça.) On se souviendra du corbeau sur l’épaule d’Odin, le… Zeus germanique, animal maléfique par cette suspicion qui plane au Moyen Âge sur tout ce susbstrat culturel. Le corbeau, c’est toute cette ambiguité mystérieuse, mystique du texte. Quant au renard, c’est là la ruse, comme on le sait tous. Mais ici, bien évidemment, la ruse de l’herméneutique, c’est-à-dire le lecteur qui cherche les clefs du texte : nous ! Me voilà en petit prodige aux raccourcis géniaux. -Mon axe de lecture est donc celui-ci : la mystique pagano-germanique face aux enquêtes sémantico-goupilesque, si vous me passez le néologisme. Ni vu ni connu. Elle me regarde avec un drôle de rictus, les yeux écarquillés, la langue pendante. Voilà ce que c’est d’avoir en face de soi un génie de la critique littéraire qui improvise.
PREMIERE PARTIE
-Bien, je vais commencer par ma première partie, la dimension mythico-phénicienne du texte… Pas évident, hein ? de voir au premier coup d’œil c… cet aspect pourtant prégnant, hein ? J’émis un petit rire. Mais la prof venait de se lever et, m’invitant à continuer d’un « je vous écoute », faisait un petit tour dans le couloir, vide à présent. Il me fallait être plus convaincant. -« Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » Nous remarquons ici que la rhétorique de notre renard est des plus habiles par l’emploie de termes métaphorico-couresques ou couriques, si vous me passez le néologisme, qui seul peut expliciter ce rapport étroit entre le signifiant, le champ lexicalo-sémantique de la cour de Louis XIV et le signifié, ce simple et sale corbeau noir, mais « tenant dans son bec un fromage ». La prof était revenue dans la salle et regardait au dehors quelques étudiants attardés qui discutaient. -Mais le phénix, le phénix ! nous transporte du faste de la cour de Louis XIV, jusque dans l’univers de la mythologie, et ce pour magnifier le corbeau… ouh, oh, oh ! (Il faut lui montrer ma vaste culture. « Dans la vie, on montre ce qu’on sait faire », comme me le répétait un prof d’Anglais au lycée.) Le phénix, hmm ! le phénix, c’est cet oiseau, comme vous le savez, qui a donné son nom à la Phénicie, l’actuel Liban. Il vivait mille ans et, quand il sentait la mort approcher, mettait feu à son nid et s’immolait dans les flammes. Puis il renaissait de ses cendres. Vous pouvez dire ce que vous voulez du moment que vous le DEMONTREZ ! -Nous pouvons donc affirmer avec certitude - et cette information pourrait révolutionner la vision que l’on a de ce texte archiconnu -, nous pouvons donc affirmer que la scène de cette fable prend place au Moyen-Orient et plus particulièrement au Liban. (La prof, qui était retournée à son bureau, me regardait à présent, sérieuse.) Ce qui nous amène à penser cela, ce sont toutes les références à l’Orient qui émaillent le récit. Allez du plus simple au moins évident, telle est la grande règle de l’explication de texte. -Nous remarquons premièrement le doublet rimal « proie-joie ». « Proie », c’est bien entendu la prédation, la cruauté, associée ici à la jouissance, « joie », qui caractérise bien l’univers
oriental tel qu’on le voyait au XVIIe siècle et que le représente Hugo dans les Orientales. Le sadisme orientalo-libannais (ce qu’ils sont beaux mes mots composés !) et également la magie. Cette fois, notre sommité fronce les sourcils. -Regardons de plus près les paroles du renard : nous avons un doublet rimique « ramage-plumage ». Dans ces deux termes fortement liés, nous trouvons chaque fois la syllabe « -mage ». Le mage vient précisément de l’Orient. Ceux que l’on appelait Chaldéens à Rome (merci à mes cours de Lettres Classiques) étaient réputés pour leur science de l’avenir, leurs savoirs occultes. C’étaient des mages ! Notre scène se déroule donc en Orient. Et, ce qui me fait pencher pour le Liban, c’est cette référence codée – je dis codée, car nous sommes en plein Da Vinci Code; La Fontaine a écrit Phénix pour nous dire ceci : « La scène de ma fable se passe au Liban. » Soudain, je me laissai emporté par mes histoires de « mages », d’Orient et de Liban. Je revis le grand tableau de Delacroix,La Mort de Sardanapale, les corps nus, la chair fraîche de toutes ces femmes immolées. Il me sembla entendre du raï ou quelque musique arabe qui invite à se tortiller le derrière.
oué didi
De sur ma chaise, je me mis à remuer les épaules. Je vis la prof amusée au point de sourire et, encouragé par de petits rires, je me levai et secouai le bassin dans tous les sens.
ramage, plumage, mage du Liban ralaoui narala didi ou didi
La docte dame, avec une moue rieuse, se leva à son tour et se dandina du buste en me donnant, dans le ventre, de grands coups de ses gros seins flasques.
O joie de ma proie Ralaralaoua
Je retrouvai bientôt mon calme, me rassis. -Nous avons bien vu, au cours de notre première partie, que La Fontaine, de façon plus ou moins codée, nous avertissait que sa fable se déroule en Orient et plus précisément au Liban. Mais, il nous faut encore explorer la dimension teutono-philosophique du texte, ce qui nous amène à notre…
DEUXIEME PARTIE
Voilà une transition nette et rigoureuse qui doit émoustiller mon auditrice. -Le corbeau, comme nous l’avons vu, est l’animal d’Odin, le Zeus germanique. Nous avons donc dans ce texte, avec « phénix », un côté orientalo-libanique… (je posais mes mains sur le coin droit de la table comme pour mettre quelque chose en réserve) et de l’autre (je ramenai mes mains sur l’autre coin) un côté germanique qui renvoie aux philosophes… A ce moment précis, il me fallut ravaler ma salive avant de déballer mon artillerie de penseurs. -…Cancan, Choux-dans-le-beurre, Max, Se-les-gèle et Niche bien chûr. Ah ! Ah !
La femme de lettres, qui avait retrouvé son flegme, ne goûta pas mes déformations humoristiques des quelques vieux monsieurs gâteux dont j’avais entendu parler çà et là à la fac. Mais, il fallait les citer quand même, il fallait, à partir de deux ou trois de leurs idées chopées au vol et plus ou moins comprises, bâtir une superbe deuxième partie. -Bien, je crois qu’il faut … Ici, je prononçais le « t » à la manière de notre président et faisait de mes pouce et index un rond que je portai en direction de mon interlocutrice. -…je crois qu’il faut souligner le fait que le renard ment au corbeau – il va de soi qu’un corbeau est trop vilain pour être le « Phénix des hôtes de ces bois » - et, en faisant mentir son renard, Jean de La Fontaine s’oppose, à travers les siècles si je puis dire, au grand précepte de Kant (Ouh là là que ça fait bien de balancer des grands noms comme ça !). -En effet, dans la Pratique de la raison critique – un ouvrage qui vise, comme son nom l’indique, à mettre en pratique la taque-tique-tique du gendar-meuh ! , oui… le grand philosophe Allemand donc nous invite à ne jamais mentir car cela remet en cause l’existence du monde qui nous entoure. Ici donc, l’auteur des Fables fait un pied de nez à la philosophie Kantienne et à la morale en se montrant particulièrement subversif. Ah ! Ah ! Ce sacré Jeannot ! Dans un élan de familiarité, je m’en allai appuyer mon poing sur le menton de la grande dame avec un sourire en coin. -Quel farceur ! Je récoltai, par ce geste déplacé, plusieurs grammes de poudre sur le dos de la main et un regard pour le moins assassin. Je redevins sérieux. -Poursuivons, en nous penchant sur la deuxième sous-partie de ma deuxième grande partie. Pour cela, je dois faire appel au grand Marx qui est le père fondateur du Communisme… enfin pas le vrai, parce que Lénine et Staline ont trahi son idéal en faisant beaucoup de morts dans les goulags. (Ca fait toujours bien de dire ce genre de trucs aux vieux soixantehuitards rangés qui dirigent les facs de lettres.) Pour Marx, l’histoire tout entière est marquée par la lutte des classes qui doit conduire à la dictature du prolétariat, pas des méchants que son Staline et tous les autres bien entendu. Petits sourires bienveillants de part et d’autre. -Ici, nous avons symbolisés de manière patente, les deux principales classes du XVIIème siècle si l’on fait abstraction de la bourgeoisie : le clergé et la noblesse. Et bien sûr, le corbeau, comme je l’ai déjà dit, en tant qu’animal mystique, représente bien cet ordre habillé en noir ou du moins de manière sombre, vivant dans les églises et les monastères, autres lieux où il fait noir… Et le renard, nous le savons tous, est l’animal emblématique des nobles libertins, des courtisans sournois. Voilà une opposition mise en scène habilement. Le fromage ici symbolise tous les bénéfices que se font les deux ordres sur le dos du bon peuple. Parce que, hein, on le sait tous, les moines et tout ça, ils disaient aux gens qu’il fallait être pauvre pour être riche au paradis, mais eux, !, - on nous la fait pas à nous - ; ils s’en mettaient plein les poches. Voilà qui plaît au bourgeois anticléricaux. -Le corbeau et le renard se battent pour manger le fromage et celui-ci passe du clergé dans la « gueule », si je puis me permettre, de la noblesse. Mais, pour finir et pour emprunter à une autre fable un autre animal emblématique, il finira entre les maxilaires de l’âne-peuple avec la Révolution. C’est lui qui finira par le manger ou plutôt par le brouter. Enfin, pas du vrai peuple, parce que la Révolution était bourgeoise et n’a malheureusement profité qu’à la bourgeoisie. Il faudra attendre l’avènement du vrai pas faux communisme pour que le peuple… Après ces quelques babioles tirés des philosophes gentillets que sont Kant et Marx, j’arrive au sommet de mes élucubrations philosophiques : Nietzsche et Schopenhauer ! Dans tout mon cursus universitaire, j’ai toujours eu pour toutes mes dissertations en lettres deux ou trois idées que j’ai toujours resservies à toutes les sauces. Les histoires de Nietzsche que je trouvais dans la
Naissance de la tragédieme parurent pouvoir éclairer n’importe quel texte et me faire passer pour le plus brillant des étudiants. Je fronçai les sourcils, pris un air grave pour montrer que je m’attaquais à présent à un élément fondamental de mon explication, mais aussi à quelque chose de profond et de poignant. - « Nietzsche, dans lade la tragédie Naissance , et ce en s’inspirant de Schopenhauer, présente l’homme comme ballotté par une mer de douleur. » Ooh, ouh… Le soir tombait et la pièce devenait idéalement sombre pour ces réflexions pessimistes sur la condition humaine. - « Sur son frêle esquif, il ne peut avoir aucun espoir et va de douleurs en douleurs ; aussi loin que porte ses regards, il ne voit que le malheur… jusqu’à la catastrophe finale. Comme le montre bien Nietzsche dans la Naissance de la tragédie, les Grecs ont pris conscience de cette dure vérité à un moment précis de leur histoire. Parce qu’il leur fallait continuer à vivre, il se présenta à eux trois solutions, trois solutions pour faire face à ce mal-être existentiel. La première, ce fut le Dionysiaque, c’est-à-dire de faire un avec le monde. C’est la musique. On a fait cela avec le « ou didi » et la « taque-tique du gendarme ». Si je puis me permettre, c’était un moyen de survivre à l’incohérence de cet exercice oral. Ah ! Ah ! » La dame me jette un regard affreusement mauvais. J’enchaîne. -« La deuxième, ce fut Apollon. C’est-à-dire de se créer, par le rêve, un monde plus parfait. » Aux sons d’une lyre imaginaire, je me pris à lever au ciel des yeux de grand romantique. -« La troisième enfin, c’est Socrate, ah !, Socrate le fourbe qui ne combat le mal-être que par le mensonge et finira par détruire la tragédie. » J’aurai voulu ajouter, mais je me retins de le faire, que le Socratique de nos jours, c’étaient tous ces critiques littéraires et intellos bidons qui ont remplacé les véritables écrivains et substitué le commentaire à l’émotion littéraire. -« Dans notre fable donc, parce qu’il faut revenir au texte, on pourrait voir que le corbeau représente à lui seul l’Apollinien et le Dionysiaque ou plutôt l’union de ces deux pulsions artistiques qui donne la tragédie. Oui, le corbeau, c’est la tragédie. Et le renard, ah, mais c’est ce chenapan de Socrate…
Renard, sacripan, sacrée fripouille, sacré vaurien, renaaard !
… qui par ses sophismes va faire perdre à la tragédie toute la faveur qu’elle avait auprès des Athéniens et qui est ici représentée par le fromage. Il va tuer l’esprit de la tragédie. » Voix off (je mis mes deux mains devant ma bouche de manière à parler comme Dark Vador) : -Et c’est sur ce drame que se clôt ma deuxième partie. Baissé de rideau. -Nous avons vu le côté germano-philosophique du texte, il nous faut en voir à présent le pan psychocritique.
TROISIEME PARTIE
-Le pan psychocritique… Il n’est pas concevable d’expliquer un texte à l’université sans consacrer une partie à la psychocritique. C’était dans ce domaine que portaient les travaux de notre prof que l’Etat payait à chercher et qui trouvait les pires monstruosités derrière les détails à première vue les plus innocents. -Le pan psychocritique sera le dernier point de notre explication.
Je vis la docte dame se mordre la lèvre inférieure tant cette place faite à ses études la comblait d’aise. Il me sembla tout à coup que grâce à ce mot de psychocritique et tout ce qui s’y rattache, j’avais en main un boîtier à hormone semblable à celui que je vis un soir très tard dans un film de la série rose. Le héros tournait un bouton de l’appareil et aussitôt une jeune sénatrice, qui vous redonnerait goût à la politique, avait des montées de chaleur, déboutonnait son chemisier et en sortait des seins qui me donnent encore une trique de cheval. Oui, j’avais en main un boîtier équipé d’un bouton circulaire, d’un écran et d’une aiguille indiquant le taux d’hormone dégagé. -Nous tâcherons (brrr, ne pas perdre mes effets par ce vilain « tâcherons »)… nous tenterons de déceler, derrière ces animaux-symboles riches de sens, un univers subconscient, des fantasmes tout droit sortis du cerveau de La Fontaine et que son sur-moi a transformé en ce texte on ne peut plus candide. Car il ne faut pas s’y tromper… Je tendis résolument mon index sous le nez de la prof. -…personne n’est dupe de ces histoires de corbeaux et de renard.
Tenait en son bec un fromage…
Mais il y a là, de toute évidence, une référence à l’amour comment dire… Je m’approchai d’elle pour lui susurrer à l’oreille : -…l’amour oral. Je revins à ma place tout en faisant un « mais oui » fort éloquent de la tête. -C’est là un désir de fellation qui gît dans l’inconscient de La Fontaine et qui se traduit par cette image d’un corbeau au bec on ne peut plus phallique. Et, je dirai même plus, le désir d’une fellation avec – oh ! passez moi la vulgarité - , avec éjaculation buccale. Je crois que la présence du fromage est on ne peut plus explicite : c’est du sperme ! Derrière son bureau, la grande dame écarta les jambes pour laisser l’air brûlant de la pièce pénétrer entre ses cuisses. Mon boîtier faisait son effet. -Ah, vous le savez comme moi, La Fontaine était un grand libertin et, avant d’écrire sesFables! Et il continue ici, mais de manière plus, a été l’auteur de contes érotiques. Mais oui détournée, ses allusions graveleuses. Et ce renard, dites moi, ce peut-il être autre chose qu’un symbole phallique quand on se rappelle les paroles de la chanson… Et je bramai comme un veau en tapant du pied par-terre :
-Eh non, c’est pas le diable-euh ! C’est mon renard poilu ! A la digue, à la digue, C’est mon renard poilu A la digue du cul -Et si c’est pas le diable-euh ! Refous-moi le dans l’cul A la digue, à la digue…
La Fontaine devait avoir présente à l’esprit cette chanson bien connue et… un rien paillarde. Je fis un clin d’œil à la dame qui respirait bruyamment sous le coup d’une violente émotion. Sur mon boîtier, l’aiguille approchait peu à peu de la zone rouge. Et nous l’avons vu par ailleurs, il cache ou plutôt il code à la Dan Brown, des obscénités derrière de simples animaux. Ainsi a-t-il pu tromper la vigilance de rudes censeurs, mais… pas la nôtre. Ah ! Ah ! Mais, en filigrane dans ce texte, il y a encore plus que le désir de fellation.
Que vous me semblez beau…
Il est évident, à mon humble avis, que le corbeau et le renard sont homosexuels. Ces flatteries du renard à l’attention d’un autre animal mâle ne sont pas innocentes. C’est encore une manière ici de déguiser des tendances homosexuelles. Mais pourquoi ? A cette époque, l’homosexualité est synonyme de quoi ? Quelle est la référence voilée qui se cache derrière ces avances du renard ? De toute évidence la sodomie. Les homosexuels, au cours de ces siècles d’intolérance, n’étaient que sodomites dignes du bûcher. (Le communisme, l’homosexualité, toujours caresser ma soixanthuitarde bien pensante dans le sens du poil.) Mais, ce renard, j’en suis presque convaincu, même si le texte ne le dit pas de manière explicite, se présente dos au corbeau, la queue levée. Il n’attend qu’une chose : c’est que le corbeau lui enfonce son bec dans l’anus. Avec cette remarque, je tournai le bouton d’un cran et entendis, de l’autre côté du bureau, un profond gémissement. -Le corbeau, toujours de son bec, « va et vient entre les reins » du renard. Et ce « ne se sentant plus de joie », mais c’est un orgasme : le corbeau jouit du bec. « Lâche sa proie », c’est l’éjaculation. Il lâche le paquet dans le fion du renard, si vous me passez l’expression. A cette dernière analyse, la prof se leva, la chemise à moitié déboutonnée, le visage déformé par le désir. J’avais poussé le bouton un peu trop loin. Dans la pièce soudain, la lumière s’éteignit et du dehors les phares des voitures, les lampadaires et autres lumières de la ville firent courir sur le mur des halos multicolores. On se serait cru dans ces retransmissions du Crasy Horse sur lesquelles je me branlais aux alentours du nouvel an.
Tou nin non nin niiin
La dame, d’un geste brusque, ouvrit son chemisier si bien que je vis, sous un halo rouge, un solide soutien-gorge portant, de chaque côté, quelques kilos de nibard. Au dessous, une gaine de maintien peinait à contenir un épanchement de graisse. Elle arracha le soutif qu’elle me jeta sur la tête. Les seins libérés retombèrent sur la gaine. Tout en les massant, l’un contre l’autre, elle me jetait des regards coquins.
Je t’aime, je t’aime…
Elle se frotta le sexe sur un angle du bureau, ondulant du bassin, haletante de plaisir.
Tou nin non nin niiin…
Je me levai à mon tour pour danser sur la musique qui envahissait la pièce. En partageant son délire, j’étais sûr de décrocher une bonne note. Aussi, je remuais un tantinet les hanches, claquait des doigts d’une main, faisais tournicoter le boîtier de l’autre, son gros soutif sur la tête, et souriais avec complaisance. Mais ce n’était pas des sourires qu’elle voulait. Je le compris vite. D’un pas mesuré, fortement déhanché, cambrant les reins pour rehausser les gros seins qui tombaient, elle s’approcha de moi et me présenta sa croupe en relevant sa jupe, en baissant une grosse culotte de dentelles : un large cul qui avait connu la Révolution sexuelle.
Je vais et je viens…
De la main, elle tâta à l’aveugle mon pantalon pour exciter le membre tant désiré.
Je vais et je…
Oh non ! Oh horreur ! Je ne puis, oh non !, je ne puis, même pour une bonne note, laisser cette vieille vicelarde souiller mon corps ! Je laissai tomber à terre le boîtier qui se brisa en mille morceaux. La lumière revint. La docte dame, maître de conférence à Aix-Marseille II, comme si elle sortait d’un état d’hypnose, se releva toute confuse, considéra effarée sa nudité offerte à mes regards, ses habits en désordre. Elle remonta sa culotte en un éclair, couvrit à la hâte les gros seins du soutif qu’elle m’enleva de la tête, de ses deux pans de chemise, avant de se rasseoir. Je retournai également à ma place. Nous étions tous deux dans un tel état de confusion que nous faisions divers gestes brusques et maladroits sans oser nous regarder dans les yeux.
CONCLUSION
Nous voici arrivés au terme de notre réflexion » dis-je alors que mes idées à nouveau s’embrouillaient. Et, dans un élan lyrique à la Chateaubriand, j’eus pu ajouter : « Tels deux voyageurs ayant atteint le sommet d’une haute montagne, nous pouvons poser nos bagages et contempler les vastes horizons qui s’offrent à nous. » Mais, mes précédentes élucubrations, mes débauches d’énergie, m’avaient trop coûté pour que je puisse encore m’exprimer avec une élégante profusion. Allez, on tient le coup les gars, putain ! Une petite voix dans ma tête douloureuse m’encourageait comme un entraîneur son équipe, quand ses joueurs mènent un à zéro à quelques minutes de la fin et que leurs adversaires font tout pour revenir à la marque. Allez putain, on le tient ce match. Ouais… c’est ça les gars, c’est ça ! Non, je m’étais trop bien battu – j’avais trop bien étalé ma culture sous les yeux de la docte dame, non, je m’étais trop bien battu pour flancher. A la manière de Rocky qui se lève du ring en même temps que son adversaire Apollo Krid, dans un dernier sursaut, dans un effort intellectuel extrême, je résumai ma réflexion : -Comme nous l’avons vu au cours de notre étude, le corbeau, ce grand Phénicien de Libanais, cherche de son bec, le sens nitzschéen du texte dans l’anus du renard. La prof, encore abasourdie de mes chansons, revenait peu à peu à elle. Dans nos tête et devant nos yeux, tout est flou. Au bruit sourd du décompte de l’arbitre, nous nous relevons. Allez, putain, là, on le tient ! Plus qu’une minute là ! Soudain retentit à mes oreilles la voix de Madame Manobot : Alors quand vous finissez une explication de texte – ou une dissertation -, n’oubliez pas que votre conclusion doit faire débat. Elle ne doit pas répondre de façon tranchée. Oh non ! Mais être une ouverture. Une ouverture… oui… une ouverture. -Mais au fond, l’incroyable foisonnement de sens de ce texte, toutes ces réflexions philosophiques qu’il sous-tend, Nietzsche, Kant, Schopenhauer, les chansons auxquelles il donne lieu, cet érotisme torride qui un moment nous a étreint, tout cela ne constitue-t-il pas sa richesse ? Nous avons à faire à un texte toujours en mouvement, que l’on interprète et réinterprète et qui nous ouvre, chaque fois, de nouveaux horizons. Et mon regard se perdit au loin, cherchant à percer la nuit qui bouchait les fenêtres. J’avais la tête qui tournait. La folle joie d’en avoir fini avec cet oral me faisait croire à un triomphe.
LA REPRISE
-Vous avez fini ? -Euh… oui. Le visage de ma sommité était curieusement froid. Après tout ce que nous venions de vivre…
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