Le conseil de révision
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Le conseil de révision Jean-Pierre Barré Histoires Courtes Collection © 2013 — Jean-Pierre Barré Tous droits réservés Publication mars 2013 Mise en page et couverture Jean-Pierre Barré Du même auteur Histoires Courtes Collection : La marque de fabrique L’internat, la boîte à malices ! Roman : De Père en fils... la relève Le conseil de révision Ce matin le réveil est assez difficile. J'ai eu du mal à trouver le sommeil, la nuit fut agitée. C'est aujourd'hui un grand jour pour moi. La missive qui m'est parvenue il y a une semaine est bien en évidence sur la table de la cuisine. Celle-ci m'ordonne de me présenter le jeudi 7 septembre 1911 à la mairie de Neuillé-sur-Lierre pour passer devant le conseil de révision. Ayant dix-huit ans depuis juillet, je m'y attendais, mais j'appréhende tant et si bien l'épreuve que cette convocation m'a, depuis son arrivée, pas mal tracassé ! Je devrais pourtant me réjouir, car ce sera l'occasion d'une fête mémorable qui durera plusieurs jours. Comme nous l'a si bien dit l'autre jour monsieur le maire lors d'un rassemblement de tous les futurs recrutés : « Vous devez être fiers de représenter la commune. La conscription, dont le Conseil de Révision est la manifestation majeure, est un rituel qui marque votre admission dans le monde des adultes ». C'était beau, et, si j'ai bien compris, je vais maintenant être un « homme » ! sauf si ma petite taille me fait exclure, et c'est bien là ma crainte.

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Publié le 02 avril 2013
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Langue Français

Extrait

Linternat, la boîte à malices !
Du même auteur
Histoires Courtes Collection :
Roman : De Père en fils... la relève
© 2013 — Jean-Pierre Barré
Le conseil de révision
Jean-Pierre Barré
Jean-Pierre Barré
HistoiresCourtesCollection
Mise en page et couverture
La marque de fabrique
Tous droits réservés
Publication mars 2013
Le conseil de révision
Ce matin le réveil est assez difficile. J'ai eu du mal à trouver le sommeil, la nuit fut agitée. C'est aujourd'hui un grand jour pour moi. La missive qui m'est parvenue il y a une semaine est bien en évidence sur la table de la cuisine. Celle-ci m'ordonne de me présenter le jeudi 7 septembre 1911 à la mairie de Neuillé-sur-Lierre pour passer devant le conseil de révision. Ayant dix-huit ans depuis juillet, je m'y attendais, mais j'appréhende tant et si bien l'épreuve que cette convocation m'a, depuis son arrivée, pas mal tracassé ! Je devrais pourtant me réjouir, car ce sera l'occasion d'une fête mémorable qui durera plusieurs jours. Comme nous l'a si bien dit l'autre jour monsieur le maire lors d'un rassemblement de tous les futurs recrutés: «Vous devez être fiers de représenter la commune. La conscription, dont le Conseil de Révision est la manifestation majeure, est un rituel qui marque votre admission dans le monde des adultes ». C'était beau, et, si j'ai bien compris, je vais maintenant être un « homme » ! saufsi ma petite taille me fait exclure, et c'est bien là ma crainte. Avec mes deux meilleurs camarades, j'ai participé avec joie aux préparatifs de cet événement. Il y a trois mois, avec les autres copains de notre classe d'âge, nous avons organisé un bal dans la salle communale afin d'acheter les calots, cocardes, cannes, accessoires indispensables pour les conscrits. La recette réalisée a été supérieure à nos prévisions. Le surplus nous permettra de financer le repas de clôture de cette journée exceptionnelle. J'attends cette soirée avec impatience, car c'est la perspective d'agréables rencontres féminines. Le jour prévu, impatient et prêt bien avant l'heure, je me mets en route. Je réside dans une fermette proche du chef-lieu de canton, le trajet est court. Arrivé sur place, je constate qu'il y a déjà d'autres camarades. Juste à côté de la mairie, l'école des garçons, vide d'élèves ce jeudi, a été réquisitionnée pour cette cérémonie collective particulière. Dès qu'il m'aperçoit, le garde champêtre me fait signe de me rendre tout droit vers l'établissement scolaire. La grille d'entrée franchie, un gendarme de notre brigade prend connaissance de ma convocation : Alors Armand, c'est ton tour ? va retrouver tes copains. Après avoir rejoint mes compagnons du jour, j'observe le cortège des officiels. Ils se dirigent vers la salle de classe des grands que j'ai fréquentée il n'y a pas si longtemps. Le maire, les conseillers municipaux et, comme la séance est publique, plusieurs familles paraissent pour assister à l'évènement. Un, puis deux médecins militaires pénètrent à leur tour dans le bâtiment sans même un regard pour
nous. La cour de récréation est maintenant bien remplie, tous les jeunes conscrits du canton sont présents ainsi que les ajournés de l'année précédente. Ces derniers, moins insouciants, se regroupent et s'isolent. Le clocher de l'église toute proche sonne neufheures. Comme s'il attendait ce moment, un gendarme se présente sur le perron : En rang par deux et en silence ! tonne-t-il Nous obtempérons sans un mot. Le gendarme commence l'appel des noms par ordre alphabétique. Après avoir confirmé leur présence, les premiers nommés pénètrent dans la classe par groupe de vingt. C'est bien ma veine, il faut que je patiente, la liste s'est arrêtée à la lettre G. Pour moi je dois être convoqué vers treize heures. Et hors de question de quitter l'école nous devons tous rester sur place. Enfin, c'est notre tour, pas de temps à perdre, un militaire vêtu d'une grande blouse blanche hurle : Tous à poil ! Je trouve l'ordre gênant. Sans en avoir l'air, je regarde mes camarades, plusieurs sont déjà complètement nus. L'infirmier nous fait mettre en rang. Au fur et à mesure que j'approche de la porte, mon anxiété monte. J'attends d'être appelé dans la pièce voisine afin d'y être toisé et pesé. Armand Lacane, tonne une voix à côté. Les traditionnels « coin-coin » fusent. Silence !gronde un gendarme.
Avec appréhension, je pénètre dans la classe. Un rapide coup d'oeil me rassure, il n'y a pas de
spectateurs dans cette salle :
Sous la toise ! m'indique un type en uniforme. Un mètre cinquante-deux annonce-t-il. Surpris, je l'interroge : Vous êtes sûr ? Tout en sortant de sa poche un mètre ruban afin de mesurer mon tour de poitrine, il me confirme : Eh oui la bleusaille ! tu n'atteins pas le mètre cinquante-quatre, en principe limite. Puis vient toute une série de mesures et de contrôles. Pour la vue c'est parfait « j'ai au moins cette chance » me dis-je. Ma fiche est remplie de chiffres dont plusieurs sont encerclés. Troublé par le résultat de la taille, je grommelle : Vous n'pouvez pas me remesurer ?
J 'veux bien mon gars, mais tu ne vas pas grandir en cinq minutes ! Je me repositionne sous la toise et tente de me surélever juste ce qu'il faut pour gagner les deux centimètres manquants. Pas dupe de la tentative de tricherie l'infirmier s'agace : Eh p'tit malin, ne triche pas. Allez, j'mets un mètre cinquante-trois pour te faire plaisir. Prends ton dossier et présente-toi devant le major, ajoute-t-il d'un ton péremptoire en m'indiquant la pièce d'a côté. Dans un coin de la salle voisine un officier en blouse blanche, son képi avec du velours rouge posé devant lui m'attend. Je tends ma feuille de mensurations qu'il consulte avec attention. Il me dévisage, comme une curiosité ! Je m'interroge : « Qu'ai-je donc de si étrange ? » Lacane ! approche me dit-il. Immobile face à lui, je le vois se lever et venir vers moi. Il est si imposant que je n'affronte pas son regard. En silence il m'ausculte et m'examine de fond en comble. Le voilà à présent qui me tâte les testicules avec ses grosses mains. C'est déplaisant ! Maintenant c'est au tour de ma bouche, mes dents, mes cheveux, ma tête... « Il aurait pu commencer par le haut avant de s'occuper de mes parties intimes» pensai-je sans oser sourire de cette remarque. Tout y passe. Au fur et à mesure de l'inspection, il décrit à haute voix ce qu'il constate. Un sous-officier installé au bureau de l'instituteur, sur l'estrade, note tout ce qu'il énonce. J'ai le sentiment que cette visite très détaillée n'en finit pas. Puis sans un regard le major m'ordonne en me tendant mon dossier : à côté.Lacanne, va te rhabiller et présente-toi devant le médecin-chef Sans demander d'explication, je me dirige vers le couloir qui nous a servi de vestiaire et retrouve avec plaisir mes vêtements. Mes pensées vagabondent, m'éliminera-ton pour un centimètre? Un gendarme en faction devant la porte me fait attendre. Tout d'un coup, mon nom résonne, le brigadier me fait signe d'entrer. Des tables sont alignées, derrière, trône le médecin-chefentouré du premier magistrat municipal et de plusieurs conseillers. Je me retourne et constate la présence de spectateurs. Je connais presque tout le monde. Le militaire réclame mon dossier. Il l'examine avec attention. Son regard me scrute puis plonge dans le document. Le silence m'impressionne, monsieur le maire m'adresse un petit sourire de réconfort. Soudain, la sentence tombe : Ajournement 3ème catégorie ! ponctuant sa résolution d'un coup de tampon énergique. C'est comme s'il venait de m'asséner ce dernier sur le sommet du crâne ! Il me tend une fiche sur laquelle est inscrit en rouge "Ajourné : Constitution physique trop faible". Assommé par cette décision, je sors sans un mot, les yeux brouillés de peine et de honte. Je me sens coupable. Cette disqualification est pour moi comme une exclusion. Elle m'écarte de mes camarades. Je n'ignore pas que ce report d'incorporation risque de me valoir de nombreuses moqueries de la part des jeunes du pays. Pour les exemptés et les ajournés les railleries et autres remarques, en
particulier sur leur puissance sexuelle, pas toujours du meilleur goût, sont monnaie courante. La délivrance de ce certificat de virilité est espérée par tous. Ne déclare-t-on pas «Bon pour le service, bon pour les femmes ». Et puis, quelle opinion les filles auront-elles de moi ? Ma sexualité va être mise en doute. Je deviens amer, mais ne l’exprime pas. Pour les conscrits, réunis dans la cour, c'est maintenant la fête. Ils arborent avec fièrté sur le revers droit de leur veston la broche en métal prouvant leur aptitude. Je m'isole du groupe attendant l'ordre de dispersion afin de retourner au plus vite à mon domicile. Ma déception est immense. Ce soir je ne participerai pas au repas prévu, etcomme je ne suis pas convié à la photo officielle de la mairie, je décide de rentrer, sans plus attendre, chez mes parents reprendre mon travail à la ferme. Je n'oublierai pas de si tôt ce pénible examen. L'année suivante, mon ajournement fut confirmé.
Le 1er août 1914 c'est la mobilisation générale. À quatre heures de l'après-midi, le clocher de Neuillé-sur-Lierre fait retentir le sinistre tocsin. La Grande Guerre commence. Le lendemain l'avis est affiché, le garde-champêtre annonce la nouvelle dans tout le village. Je dois me présenter à la gendarmerie dans les plus brefs délais. Après une brève visite médicale, je suis incorporé sans passer sous la toise. À cause de ma chétive constitution physique, je suis affecté à l'arrière dans une compagnie de réserve. Quant à mes copains de classe, ils forment l'armée d'active. Je resterai à ce poste jusqu'à la démobilisation. Lundi 11 novembre 1918 à 11 heures est venue l'annonce tant espérée. À Neuillé-sur-Lierre ainsi que partout en France, les cloches ont sonné à la volée. Le cessez-le-feu est claironné sur toutes les premières lignes, mettant un terme à quatre années d'un conflit effroyable. Pour la première fois, les soldats français et allemands sortent enfin des tranchées, sans la terreur de voir la mort faucher leur vie. Pour l’occasion, le curé du village célèbre une grande messe. La participation est importante, le recueillement immense, mais beaucoup ne parviennent pas à apprécier ce moment, car trop de drames sont encore présents. L’absence des hommes restés au front se fait ressentir d'une manière douloureuse. C'est un drôle d'hiver qui a commencé en ce début d'année 1919 ! Dans la plupart des habitations, chacun surveille avec anxiété le bruit de la porte. Tous attendent de retrouver un mari, un fils, parfois les deux. La guerre terminée, les «poilus »rejoignent leur domicile. Sitôt une rentrée annoncée, les voisins se précipitent, avec envie, dans le foyer en fête, espérant obtenir quelques nouvelles des leurs. Mais ces rescapés ne parlent guère. Un hochement d'épaules est souvent leur seule réponse, ils ne sont pas des surhommes. Pour de nombreuses familles, l'attente est vaine. Même le retour d'un garçon estropié aurait suffi à leur bonheur. Combien d'espoirs ont brutalement été brisés par cette simple citation « Mort glorieusement au champ d'honneur » ! À l'automne 1919 la pluie s'est installée, tenace. Tous les jours depuis que je suis revenu, je me lève au petit matin afin de me rendre au bout du chemin qui mène à la grande route. Sur place, je regarde en
direction de la gare. J'ai toujours le rêve fou d'apercevoir la silhouette de mes deux meilleurs amis. Je me sens honteux d'être jeune, sans la moindre égratignure. Me reprochera-t-on de ne pas avoir participé aux opérations ? Ce n'est pas de ma faute si j'ai été mis à l'écart de l'effort de guerre. Je ne suis ni un favorisé ni un embusqué. Bien que plus rien ne sera comme avant, la vie a repris ses droits et ce mardi 11 novembre 1919 je vais au village pour la première commémoration de l'armistice. À mesure que j'approche de la mairie, ma gorge se noue. Je n'ai pas, comme mes camarades, séjourné des mois dans les tranchées. Adjoint au vaguemestre, à l'arrière je n'ai jamais été confronté à la peur du dernier soupir. Cette destinée s'est scellée il y a un peu plus de huit ans par un coup de tampon " Ajourné "... Les enfants des écoles, avec leurs instituteurs, entonnent une vibrante Marseillaise. Les anciens combattants derrière leur porte-drapeau se raidissent. Les regards se brouillent, les souvenirs reviennent. Debout immobile devant le monument aux morts je n'arrive pas à détacher mes yeux de la stèle. Mes deux amis, Alfred et Raymond sont cités en lettres d'or. Le maire commence son discours. Je n'écoute pas, trop absorbé par les pensées. À l'énoncé de la vingtaine de noms « Morts pour la France » j'ose lever la tête. Je suis gêné d'être, indemne. Sans cet impitoyable ajournement, je serais parti au front avec mes copains.
Et aujourd'hui, aurai-je été présent à cette cérémonie ou bien étendu avec mes camarades dans la
boue de l’Est ?
Voulez-vous me retrouver ?
De Père en Fils... la relève*
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