Le retour du petit homme (Chapitre 4)
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Tous les moyens sont bons pour tenter de retrouver la place de gouverneur de la Comté...

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Publié le 23 novembre 2014
Nombre de lectures 234
Langue Français

Extrait

CC.RIDER
LE RETOUR DU PETIT HOMME
Editions Emma Jobber
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CHAPITRE 4 Grenouillage, cafouillage et maraboutage Le triste mois de novembre apportant les premiers frimas d'un automne hésitant et brouillardeux, Nulco, de retour de croisière dans les Gentilles, sentait qu'il lui fallait passer à la vitesse supérieure car la première échéance approchait avec la fin du dit mois. Ce poste de patron du parti bleu de plus en plus pâle qui, au départ, lui semblait si facile à conquérir devenait chaque jour un peu moins accessible et pourtant la concurrence qu'exerçaient les trois concurrents Cucuriasses semblait moins que redoutable. Javier Bertram et Bruno Dsamère peinaient à remplir leurs salles en dépit de sondes assez favorables. Leurs convictions mollassonnes ne mobilisaient guère les pauvres Hobbitts lassés de tous ces flots d'eaux tièdes qui leur rappelaient un peu trop la lavasse rosâtre qu'on leur faisait ingurgiter à longueur de temps. Quand au troisième larron, Hervé Baryton, le grand défenseur de la tradition familiale hobbitt, il avait beau gonfler ses petits muscles et jouer les ténors de l'extrémisme recentré, il ne rassemblait qu'une frange minoritaire de l'électorat bleu et restait assez peu crédible. L'affaire semblait donc déjà pliée en seize et, paradoxalement, cela inquiétait le petit homme de plus en plus anxieux et de plus en plus nerveux. En mercanti prévoyant ou en marchand de vent redoutable, il poursuivait parallèlement sa carrière de conférencier à 100 000 dolros l'intervention. Ainsi alternait-il les réunions aux quatre coins du monde et les meetings politiques dans tous les trous de la Comté profonde. Un jour à Daho, capitale d'un khalifat des orques verts, le lendemain à Saint Saturnin la Basoche (région Paquitanie). Un soir à Kroupinskouïa (quelque part au fin fond de l'Empire des Ours
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blancs) et l'après-midi suivante à Grenouillis le bas (Région Centre Charmante-Sud-Ouest-Est)... Quelle galère pour s'y retrouver avec les méga-régions concoctées sur un coin de table de restaurant par Franck Nullande un soir de beuverie et moultes fois remaniées, retaillées et rafistolées par la Haute Assemblée, le Conseil des Sages, la Chambre basse, le corridor étroit et autres baronnies provinciales toutes attachées à leurs juteuses sinécures et toujours aussi âpres aux éventuels gains nouveaux.
« Ce pauvre crétin de Nullande n'aura décidément rien fait de bon en cinq longues années de règne calamiteux, commentait Nulco. Les Zalzassins se retrouvent mariés de force avec les Florins et les Campagnols, ce qui les révulsent au point d'en rendre leur choucroute traditionnelle... Quand aux Brittons, on les maintient divorcés alors qu'ils voudraient à tout prix s'unir. Comprennent qui pourra. Là encore, le pingouin n'a fabriqué que des mécontents... Et c'est tout bon pour moi... »
De Bianca à Boutepeu en passant par Médrano et Badugroin, tout son entourage approuvait à grands cris. Mais pourtant, il restait un domaine qui agaçait même ses plus proches, celui des saillies vachardes dont il se plaisait à émailler discours et déclarations. Aboyeurs, journaleux et pisseurs de copie le suivaient partout comme vulgaires petits roquets dans l'espoir de recueillir toutes les perles de méchanceté parfumées au vitriol que le petit homme semait sur son passage comme le faisait jadis le célèbre petit Poucet du conte de J.P. Pernault. Aucun ancien subalterne, aucun nouvel adversaire, fut-il de son bord ou d'un autre n'était épargné. Il mitraillait tous azimuts avec une rage aussi renouvelée qu'inépuisable.
– Attention, joli Nulcounet, lui faisait remarquer sa belle et
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murmurante chanteuse ladina, à trop vouloir étriller tes concurrents, les petits Hobbitts vont finir par s'imaginer que tu n'es rien qu'une sale boule de haine rancie...
– Oui, en rajouta Brice Boutepeu, trop de fiel pourrait se révéler contre productif et même carrément vous faire du tort, Excellence...
– Rien à secouer, répliqua vertement l'ex-gouverneur, chaque vacherie pèse bon poids de buzz et pour moi, il n'y a que ça qui compte. On parle de moi. En bien ou en mal, ça m'est bien égal. Tout tourne autour de ma personne. J'occupe le terrain jour et nuit. Je suis incontournable et tout le reste est accessoire... Résultat : les trois pieds nickelés qui essaient de se mettre en travers de ma route ne sont pas près de pouvoir en dire autant !
Reconnaissons que le petit homme tirait à boulets rouges avec un acharnement quasi pathologique comme on en avait encore assez peu vu. Jugez sur pièces, chère lectrice ou cher lecteur... (Toutes ces citations sont authentiques. Votre humble conteur s'en voudrait trop de vous raconter des carabistouilles...)
Sur le pauvre Bruno Dsamère : «Bac + 18.» «Quand les gens le voient, ils zappent.» Sur le brave Javier Bertram : «Ce bon à rien, ce petit assureur.» «C’est un médiocre, ce n’est pas la reconnaissance qui l’étouffe» «Lui, ce sera pieds nus, avec des plaies ouvertes, dans les mines de sel.»
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Sur Alain Jupperaide, le duc de Bordel toujours bien droit dans ses bottines : «Alain, je l’aime bien. Il a dix ans de plus que moi. Puis-je rêver d’un meilleur rival ? Il me fait passer pour jeune» Au sujet de l'ectoplasmique Franck Fion : «Un loser. Il paraît qu’il a beaucoup souffert pendant cinq ans. Peut-être aurais-je dû abréger ses souffrances ? » Au sujet de la tonitruante et pétaradante Océane Le Grogneux : « Des airs de déménageur, c’est une masse, elle fait hommasse, épaisse... »
Manouel Valseur, le Premier Sinistre n'est pas épargné :
« Valseur candidat ? N’importe quoi… A la limite, Taupekiral aurait plus de chances que lui. Il devrait porter des lunettes, il a le regard fuyant. Il fait un peu illuminé. Comme ministre de l’Intérieur, il y a une différence fondamentale entre lui et moi : il n’a aucun résultat! »
Franck Nullande non plus :
« En 12017, ce sera Nullande. Ceux qui pensent qu’un autre a sa chance n’ont rien compris au fonctionnement des institutions» . Photos estivales au fort de Grébançon : «C’est les Bidochon en vacances. Il est mal fagoté, il mange des frites ! Quand on fait un métier public, il faut faire attention. Nullande, c’est le gouverneur ridicule.
Et l'ex-première concubine encore moins :
« Je l’ai toujours trouvée sotte et prétentieuse. Ce n’était pas une très bonne journaliste politique et pas une très bonne journaliste culturelle non plus.»
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* Un beau matin, alors qu'il s'était levé du mauvais pied, ce qui lui arrivait assez fréquemment, son secrétaire et conseiller, le petit Badugroin, vint lui annoncer avec mille précautions le programme de la journée : pas de causerie à 100 000 balles mais un grand meeting organisé par la « Ligue du bon sens » au grand Auditorium de Ploucoville le Héduin (Région Sud Centre Ouest) – Comment ? Les ligueurs maintenant ? Cette bande de fachos surexcités ! J'ai pas envie d'aller me coltiner des abrutis-là !
– Et pourtant, il le faut, votre Grande Supériorité. C'est... comment dire... une sorte de passage obligé ! Un grand oral si vous voulez. Ces gens-là ont réussi à mobiliser des millions de Hobbitts, à leur faire battre le pavé pendant des jours et des jours avec un truc qu'ils appelaient « La manif qui pousse » histoire de réagir contre le « Mariage qui mousse » qui voulait unir les mâles entre eux et les femelles entre elles.
– Je suis au courant, trancha Nulco. Ces gens-là ne sont que des retardataires, des passéistes. Ils représentent la Comté moisie, gluante, puante, en retard sur son temps. Pas la Comté de demain, pas celle que j'appelle de mes vœux. Pas du tout la mienne quoi !
– Certainement, Majesté, certainement, mais ils sont nombreux, puissants, bien organisés et prêts à en découdre. Taupekiral et Nullande les ont humiliés. Ils veulent leur revanche. Ils ont proclamé haut et fort qu'ils ne lâcheraient jamais sur le sujet de la famille. Même s'ils n'arrivent à rien, ils ont un grand pouvoir de nuisance. Ils se vantent même de faire battre tous les candidats qui ne voudraient pas leur donner de
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gages sérieux ! – Je sais, soupira le petit homme, je sais... Malheureusement, nous avons le parti bleu le plus idiot du monde. – Je me permets de vous rappeler, Sérénissime, qu'ils ont réussi à faire échouer cette chère Kukusko-Cerisaie pour l'élection au siège de bourgmestre de la capitale il n'y a pas si longtemps... – Cette gourdasse a été trop cash, commenta le comte de Magypolka. Il fallait la jouer feutrée, velours, papier de soie et bouche en cœur. Avec moi, ça sera bien autre chose. Je vais les ensorceler, les petits Hobbitts ! Ils n'y verront que du feu tellement je vais me les embrouiller. – C'est à dire que vous allez devoir manoeuvrer avec finesse et intelligence, Suprême Eminence... – En doutez-vous ? Ne suis-je pas passé maître ès ruse, rouerie et emberlificotage ? – Sans aucun doute, assura le petit Badugroin sur un ton des plus convaincu. Il n'empêche que quand Nulco entra dans l'arène tenue par les Ligueurs du Bon Sens Bien Comtois, il sentit que l'affaire était encore loin d'être gagnée. L'ambiance était électrique et même survoltée. Les gens hurlaient, huaient, sifflaient tellement qu'il se demanda s'il n'était pas encore temps de filer à l'anglaise histoire de ne pas tomber dans un dangereux guet-apens. Bruno Dsamère, tremblotant, blanc comme un linge mais droit dans ses bottes, avait osé sortir avec une franchise aussi désarmante qu'insupportable qu'il était hors de question de démarier les invertis. Personne n'oserait jamais abroger la
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loi de la Taupekiral et ceux qui prétendraient le contraire n'étaient que des menteurs ou des présomptueux. Un brouhaha indescriptible car composé d'une interminable série de huées, insultes et quolibets fut l'unique réponse de la salle.
« Vendu ! Pourri ! »
« Rosâtre ! Salopard ! »
« A la niche, le taré ! »
« Au poteau, le dégénéré ! »
« A la lanterne, le traître ! »
Quand Dsamère eut fini de battre en retraite en essayant de rester digne sous les crachats, Baryton n'eut plus qu'à apparaître pour recueillir tous les bravos, les hourras et les alléluyas. Lui, il jurait, promis craché, qu'il abrogerait cette loi scélérate. Il jura ses grands dieux qu'il n'avait qu'une parole et une seule, qu'il s'engageait sur la Bible, le Coran et le Code pénal s'il le fallait, mais que jamais au grand jamais, il ne changerait de position. Les Ligueurs, les patriotes, les défenseurs de la famille, du père, de la mère et des enfants pouvaient compter sur lui et être rassurés. Si lui, Hervé Baryton, foi(e) de triton, s'il arrivait aux affaires, cette loi délétère serait immédiatement effacée. La Comté éternelle reviendrait à des pratiques saines, normales et naturelles. Tout se remettrait à tourner dans le bon sens. Plus d'inversion, plus d'union contre nature, plus de Guêperaide, plus de dérive crapuleuse. Et bien sûr, jamais de procréation médicalement assistée, jamais de gestion pour autrui, cochon qui s'en dédit !
Finis les hurlements, les cris et les insultes. Enfin, quelqu'un de solide ! Enfin un zompolitic sur qui on allait pouvoir compter. Bien entendu, une aussi ferme détermination ne put
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que déclencher un tonnerre d'applaudissements, de hourras et de cris de joie. Une interminable standing ovation que Nulco crut ne jamais devoir s'arrêter.
« Baryton Président ! Baryton Gouverneur ! » « Un papa, une maman ! » « Les pédés à l'encan ! » braillait la foule sans jamais se lasser. Dans les coulisses, le petit homme rongeait son frein. Il trépignait d'impatience et d'agacement. Des tics faciaux et des tremblements d'épaule le secouaient sans arrêt. Badugroin et Boutepeu l'encadraient, le soutenaient, l'encourageaient et essuyaient la sueur qui luisait sur son front tel deux soigneurs préparant leur poulain avant une montée sur le ring pour un combat perdu d'avance. – Quel p... de guet-apens de m... ! fulminait Nulco. Qu'est-ce que je suis venu faire dans cette galère ? Comment vais-je m'en sortir sans perdre trop de plumes ? – Il faudra sûrement lâcher un peu de lest, fit Badugroin... Leur donner quelque chose... – Leur lancer un os à ronger, précisa Boutepeu. Sinon, ils vont mordre ! Et Baryton va tirer les marrons du feu. – Vous avez raison tous les deux, approuva le petit homme, moins faraud que d'habitude. Je vais faire comme si... Je leur en dirait juste assez pour qu'ils y croient... Juste ce qu'il faut mais pas trop ! – C'est cela, Votre Grandeur... Un peu, juste un peu ! Les toutes dernières sondes d'opinion toutes chaudes sorties de leurs trous indiquent que la majorité des Hobbitts s'est fait une
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raison et finalement qu'elle ne trouve presque plus bizarre d'accoupler les paires de même sexe. – OK. J'ai compris. Pour ratisser vraiment large, il va falloir raconter tout et son contraire, être à la fois pour et contre Taupekiral et donc faire le grand écart tout en marchant sur les mains ! J'aimerais vous y voir.
– Allez, c'est assez simple, conclut Boutepeu. Jetez-leur deux ou trois cacahuètes mais surtout pas tout le paquet ! Quand Nulco entra dans l'arène à petites foulées, l'ambiance était tellement surchauffée, tellement saturée d'électricité qu'une étincelle aurait pu mettre le feu aux poudres et déclencher le feu d'artifice du siècle. Il s'empara du micro d'un geste rageur et se lança courageusement dans la mêlée : « Mesdames et Messieurs, mes chers concitoyens... » – ABROGATION ! ABROGATION ! Monta comme un tsunami de la salle en furie. – … si nous sommes réunis ce soir, continua le petit homme imperturbable en apparence, c'est pour parler de la loi Taupekiral, loi néfaste et mal fichue comme pas possible...
– ABROGATION ! ABROGATION !
– … loi dangereuse en raison des implications et des dérives qu'elle pourrait occasionner...
– ABROGATION ! ABROGATION !
– Je vous propose donc, dès que je serai élu, de tout remettre bien à plat sur la table de la cuisine ou sur la planche à repasser... – ABROGATION ! ABROGATION ! – Oui, mes chers compatriotes, nous allons revoir de fond en
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comble cette mauvaise loi, reprit le gouverneur déchu, vexé de voir que sa vanne n'ait pas détendu l'atmosphère. Les hurlements continuaient de plus belle : « ABROGATION ! ABROGATION ! » A croire que ces gens-là ne connaissaient pas d'autre mot. En fait, la salle le tenait serré et n'allait plus le lâcher. Lui, craignait que toute cette mascarade ne finisse très mal. Tous ces fous furieux ne voulaient pas entendre parler de bricolages, grenouillages et bidouillage. Cette saleté de loi, ils la prenaient, la déchiquetaient, la brûlaient et en prime, ils renvoyaient la sale bête qui l'avait imaginée au plus profond du plus dégueulasse marigot de la plus lointaine jungle tropicale qu'elle n'aurait d'ailleurs jamais dû quitter. – Oui, Mesdames et Messieurs, je vous donne ma parole que je réviserai la loi Taupekiral. – ABROGATION ! ABROGATION ! – Elle ne convient pas. C'est entendu. Elle ouvre la porte aux pires dérives, GPA, PMA, PMU, RMI, RSA, CMU, AME, RTT, SMS et j'en passe...
– ABROGATION ! ABROGATION !
Là, Nulco fut à un doigt de péter un plomb, un câble et même une durite complète. « Bon sang de bois ! Hurla-t-il. Si je vous parle de ré-écrire, n'est-ce pas suffisant ? N'est-ce pas la même chose ? Avant de ré-écrire, il faut bien annuler ! Tout cela revient strictement au même ! »
– ABROGATION ! ABROGATION ! Continuait à scander imperturbablement la foule qui avait parfaitement compris que non, cela ne revenait pas au même et que le Comte une fois de plus essayait de la leur mettre bien profond avec toutes ses
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