Les nuits américaines
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Les nuits américaines

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Description

Pluie. Les gouttelettes s'écrasaient mollement sur les tuiles d'un toit dans un son grave et continu. Comme à son habitude narcissique, l’eau se déversait lentement dans les gouttières. Ces rigoles, fixées à l’extrémité des toits, recueillaient puis conduisaient le fluide. Le liquide venait frapper la paroi et se désarticulait complètement, comme éclatée ; occupant tout l'espace que l’on eut pu lui accorder (après de longues négociations dont je ne ferai pas le détail ici). La masse retombait ensuite et reprenait une apparence aquatique dans la plus grande tranquillité. Mais, une inertie nouvelle l'emmenait droit vers un précipice, très semblable à un trou, comme on en trouve souvent arpentant les rues désertes les soirs d’été. La descente, qui grimpait sur le mur, formait un puits qui s’élançait violemment vers le sol. - Ce dernier était bien sûr tétanisé par cette soudaine agression et restait donc plat et calme. - L'eau s'y engouffrait dans un flux incessant. Elle se déversait ensuite sur la chaussée, inondant le trottoir en y déposant un voile invisible qui resplendissait alors que la lueur tonitruante des phares d'un taxi - qui passait dans la rue à ce moment-là - perçait la brume et venait soigneusement caresser le pavé dans le sens du poil. La détonation interpella l'homme au chapeau qui finissait de lasser ses chaussures. Il s’époumona en jaugeant le chauffeur :  « Eh vous ! Je vous ferais dire que... » ; Le taxi accélérait.

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Publié le 24 juillet 2013
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Langue Français

Extrait

Pluie.
Les gouttelettes s'écrasaient mollement sur les tuiles d'un toit dans un son grave et continu.
Comme à son habitude narcissique, l’eau se déversait lentement dans les gouttières. Ces rigoles,
fixées à l’extrémité des toits, recueillaient puis conduisaient le fluide. Le liquide venait frapper la
paroi et se désarticulait complètement, comme éclatée ; occupant tout l'espace que l’on eut pu lui
accorder (après de longues négociations dont je ne ferai pas le détail ici). La masse retombait
ensuite et reprenait une apparence aquatique dans la plus grande tranquillité. Mais, une inertie
nouvelle l'emmenait droit vers un précipice, très semblable à un trou, comme on en trouve
souvent arpentant les rues désertes les soirs d’été. La descente, qui grimpait sur le mur, formait
un puits qui s’élançait violemment vers le sol. - Ce dernier était bien sûr tétanisé par cette
soudaine agression et restait donc plat et calme. - L'eau s'y engouffrait dans un flux incessant.
Elle se déversait ensuite sur la chaussée, inondant le trottoir en y déposant un voile invisible qui
resplendissait alors que la lueur tonitruante des phares d'un taxi - qui passait dans la rue à ce
moment-là - perçait la brume et venait soigneusement caresser le pavé dans le sens du poil.
La détonation interpella l'homme au chapeau qui finissait de lasser ses chaussures. Il
s’époumona en jaugeant le chauffeur :
 « Eh vous ! Je vous ferais dire que... » ;
Le taxi accélérait. Les pneus de l'organisme mécanique crissaient longuement sur le macadam et
formait de longue volutes de fumée mauve qui s’élevaient tranquillement vers le ciel, n’accordant
pas la moindre importance à la scène terrestre et puérile qui se déroulaient en contrebas.
 « Par les dieux ! Je vais m’énerver mon pauvre ! Vous vous croyez où avec toutes vos
bouffonneries ? Vos phares, là ? Foutaises, ouais ! De véritables mitrailleuses vos machins !
Luminance ceci, packaging marketing cela ! On a plus le temps de réfléchir avec tout ça,
trop abrutis par les parasites télé-conflictuels et autres stratégies mercantiles ! Et croyez-
moi, j'en ai vu des mitrailleuses moi, Monsieur ! Et de toutes sortes ! Des belles, des moins
belles ; des grosses et des moins grosses ; de toutes les couleurs, toutes les origines et
parlant toutes les langues. Un seul mot craché de la bouche odorante de leurs canons... Un
seul mot compris de tous. Ah ! Comme je vous souhaite de voir les horreurs auxquelles j'ai
pu assister...»
Le chauffeur, intéressé, arrêta son taxi qui cabra légèrement. Une heure passait et les
rétroviseurs, lassés, se firent la malle, qui résistait.
 « … et nous les massacrions comme ça pendant des mois, des années ? Je ne sais plus,
mais nous les bien. Puis, un jour, nous gagnions. », triompha-t-il, d'une voix
teintée de nostalgie.
 « C'est tout ? », demanda le chauffeur ;
 « Oui. Enchanté Monsieur... »
 « ...Nini, Monsieur ! M. Bosvar Nini, Monsieur. Et vous ?... » « … Enchanté Monsieur Nini... Au revoir ! »
Et l'homme partait sous les yeux effarés du chauffeur qui n'en revenaient pas que son ami ne les
aie pas reconnu. Bosvar rattrapa ses globes oculaires et redémarra la machine.
Bosvar
Bosvar Nini était un grand homme, en termes de taille, et la plus petite canaille, en d’autres. Il
conduisait son taxi depuis maintenant 20 ans et passait la plupart de ses soirées à tourner dans
la capitale en essayant d’éviter le plus de clients possibles. Economiquement, ce procédé était
caduc. Mais Bosvar avait un mal fou à supporter les conversations plates que lui tenaient ses
courses : c’était un homme de volume. Il l’augmenta et les fenêtres se mirent à vibrer
tendrement.
Nini se tenait aussi droit qu’il le pouvait sur le siège avant gauche, face au volant, d’où il
commandait les faits et gestes de la voiture par un jeu de pédales élaboré. Il aimait se retrouver
sur les grands boulevards et pousser le bolide à une vitesse proche de l’accélération nécessaire
pour le disloquer complètement. Il fermait les yeux en s’engageant sur le trottoir, fauchant
quelques couples –Il n’aimait pas les couples- et quelques familles, ce qui réduisait
considérablement le nombre de ses clients potentiels. Ce procédé demandait un compromis
intéressant. Le vent glissait dans les quelques cheveux qu'il lui restait sur la caboche.
Une fois ses quarante courses quotidiennes « réglées », il rentrait, satisfait d’avoir respecté ses
quotas.
Sa femme était plutôt bel homme.
L'homme.
Cet homme précis, – vous savez comme il ardu de définir pleinement les hommes. Et les femmes
c’est une toute autre histoire. Celle-ci également, ne sera pas contée ici - courait sur le pavé
trempé, la tête baissée, le chapeau vissé sur un crane cruciforme qui témoignait de sa dévotion
particulière aux affaires divines. Sa marche était souple et légère ; presque lunaire. Il déambulait
sauvagement en marmonnant quelques mots incompréhensibles. Des palabres violentes et
crues ; dont le ton atteignait des aigus presque inhumains quand l'homme arrivait à un passage
particulièrement déplaisant de son récit. Son unique œil (l'autre nonchalamment égaré pendant la
guerre) pleurait une larme grasse et nauséabonde. L'orbite vide et découvert résonnait d'une
mémoire lointaine, un passé révolu que l'homme avait abandonné, un souffle long et rauque, un
soupir animal. L'obscurité insondable semblait détenir tant de secrets, tant de non-dits et de
souffrances ravalées ; qu'il était impossible de le regarder autrement qu’à un angle inférieur à
90°. Toute autre température le faisait fondre sur le champ. Cette caractéristique, voulue ou non,
lui donnait une stature qu'il se plaisait à utiliser en la plaçant ; lorsqu'il était nécessaire de le
faire ; comme un tampon face au monde, comme un voile entre lui et la réalité, parfois si cruelle.Une fois qu'il sirotait un cocktail aux harmoniques rosâtres, patiemment confectionné dans un
des cafés les plus réputé de la capitale ; il fut projeté tranquillement en arrière et tomba de sa
chaise sous le choc. L'homme qui venait d'éructer vint se placer au-dessus de lui et le
dévisageât, l'œil moqueur et prêt à jouer des coudes :
 « Alors l'éclopé ?... »
Mais déjà l'homme relevait le bandeau qui cachait son œil et un son strident s'échappait du
gouffre.
 « Comment connaissez-vous mon nom ? »

Lulu.

Les deux hommes discutaient depuis longtemps. L’un, assis dans un sens, pointait visiblement
vers le nord ; l’autre, dans la même configuration mais à l’inverse, pointait vers le sud. Les
chaises sur lesquelles ils étaient assis étaient toutes deux tournées vers la table, sur laquelle
reposait les quelques dizaines de verres qu’ils finissaient à peine de déguster, ce qui créait une
situation singulière : les deux hommes se faisaient face.

Puis elle entra. Une jambe, puis l’autre. Nue et belle. La liberté et la justice si justement incarnée,
à la manière des vieilles peintures contemporaine à la révolution française, par cette femme
élancée. Les boucles de ses cheveux blonds et fragrants faisaient vaciller la bonté d’âme des
hommes les plus chastes et de nouveaux monts venaient escarper leurs pantalons miteux. Un
premier pas, un clin d’œil, et la musique commençait tranquillement. Un accord de sol, lancé de
la gueule de la trompette implacable, réchauffa la salle. Et, dans un lent mouvement de rotation
calculée au degré près pour le plus bel effet, Lulu offrit sa poitrine saillante aux regards baveux.

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