Maurice et Malvina
10 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
10 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Nouvelle extraite du recueil "Dorian Evergreen disponible sur TheBookEdition. com (version papier) et sur Amazon.fr (version e-book).

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 25 janvier 2015
Nombre de lectures 184
Langue Français

Extrait

MAURICE et MALVINA
Qu’il pleuve, neige ou vente, Malvina était fidèle à son poste de travail de la forêt de Ferrières, un vieux camping-car aménagé qui n’était plus de la première jeunesse et dans lequel elle recevait toute la journée sa clientèle de mâles pour un tarif des plus raisonnables. Malvina, de son vrai nom, Huguette Ledoux avait cinquante huit ans, une forte poitrine un peu tombante, un visage plutôt ingrat et des cheveux d’un blond platine qui n’avait rien de naturel. Elle ne lésinait pas sur le rouge à lèvres, le fond de teint épais censé masquer les rides. Avec ses talons hauts, ses bas résilles et sa minijupe moulante en cuir noir, impossible de se tromper sur ses activités professionnelles... A l’époque où elle était jeune et belle, elle avait commencé sa carrière dans de plus jolis quartiers. Puis, au fil des ans et du déclin inéluctable qu’amène l’âge, elle avait officié dans les rues réservées de la capitale avant de finir dans ce bois agréable quatre mois par an mais sinistre et glacial tout le reste du temps. Elle se sentait rassurée par la présence de Monsieur Pascal qui la surveillait pratiquement sans interruption depuis sa Renault 25 gris métallisé garée sur le parking en face ou un peu plus loin sur la route. Un peu plus âgé qu’elle, il faisait partie des derniers membres du milieu d’autrefois et n’arrêtait pas de récriminer sur celui d’aujourd’hui avec sa violence gratuite et surtout son manque de parole et de sens de l’honneur. Il portait encore assez beau avec sa casquette à carreaux, ses bretelles et ses gilets à fleurs. Il considérait Malvina comme sa toute dernière «gagneuse ». Elle était loin l’époque bénie où il en gérait une demi-douzaine rue Sainte-Appolline, tout près de la rue Saint-Denis ! Grandeur et décadence. Maintenant il se trouvait relégué dans cette affreuse forêt à surveiller cette misérable clientèle de
routiers, de péquenots et de frustrés en tous genres. Il vivait dans sa voiture, fumait cigarettes sur cigarettes, écoutait la radio, lisait son Paris-Turf et préparait ses divers tiercés et lotos. Son rêve était de se ranger définitivement des voitures, de s’installer du côté du Raincy ou de Nogent avec sa protégée pour jouir d’une retraite bien méritée. Mais comme il savait que ce n’était absolument pas à leur portée, il continuait à longueur d’années dans ce bois minable. Maurice Germain, soixante et un ans, retraité SNCF, était un des clients les plus réguliers de Malvina. Il venait régulièrement tous les vendredis, depuis des années. C’était réglé comme du papier à musique. Huguette-Malvina avait une certaine tendresse pour Maurice. Tant de constance, ça crée des liens. L’ancien cheminot vivait seul. Il avait toujours été célibataire. Peu recherché par les «honnêtes » femmes, il s’était souvent consolé avec celles qui vendaient leurs charmes et cela dès sa terne jeunesse. Il ne s’en portait apparemment pas plus mal. Pas d’attache, pas d’enfants, pas de souci, le tout pour un prix modique et même défiant toute concurrence. L’ennui, c’est qu’il vieillissait, commençait à souffrir de petites misères et de grandes douleurs. Une compagne pour ses vieux jours lui semblait maintenant nécessaire, ne serait-ce que pour s’occuper du ménage et pour lui servir d’infirmière s’il tombait malade... Il avait bien essayé de trouver une compagne par le biais de petites annonces, mais cela n’avait rien donné. Et il ne savait pas trop pourquoi. En se regardant dans la glace, il admettait qu’il n’était pas beau. Il ne l’avait jamais été d’ailleurs. Il avait des traits mous, quelconques et donnait l’impression de quelqu’un de veule, triste et sans intérêt. Tout l’opposé de ce que recherchent les femmes disponibles du même âge qui veulent redémarrer dans la vie avec un homme vigoureux, drôle et dynamique ! Alors, il lui restait Malvina. D’ailleurs, il avait même commencé à s’inventer tout un film à son sujet. A plusieurs
reprises, il avait essayé de lui parler par allusions, mais sans grand succès. - Mon pauvre Momo, lui disait-elle, t’es qu’un gentil petit client pour moi. Reste-le ! Qu’est-ce que tu pourrais bien faire avec une vieille peau comme moi ! Mais comme un certain nombre de faibles et de velléitaires, il était buté et ne voulait pas en démordre. C’était Malvina ou rien. Il devait sans doute la voir avec les yeux de l’amour, c’est à dire sans la vulgarité de l’allure et des traits, les rides et les bourrelets... Il était parfaitement au courant des habitudes du maquereau. Il savait qu’il ne lâchait pas sa tapineuse d’une semelle, sauf quand il allait se soulager contre un arbre ou chercher un journal ou un sandwich au village . Il fallait profiter de ces instants pour agir. Ce qu’il fit. Malvina était en mains, elle venait d’embarquer à l’intérieur du J5 aménagé un petit vieux un peu chenu, lui avait déjà demandé son petit cadeau et l’avait installé dans le lit recouvert d’une couverture de velours rouge. - Mets-toi à l’aise, chéri, j’arrive... En quelques coups de couteau, Maurice Germain venait de crever les deux pneus arrières de la R25 de Monsieur Paul pendant que celui-ci était au bar-tabac du village. Il avait aussitôt rejoint le parking du bois qui se trouvait à cinq minutes en voiture. Quand il ouvrit la porte du camping-car côté conducteur, Malvina écrasait de tout son poids le petit vieux qui soupirait et grognait tour à tour. Elle s’activait vigoureusement, ses seins ballottaient et elle n’oubliait pas d’encourager les ardeurs du client avec des : « Oui, encore, vas-y, plus fort ! », histoire qu’il ne s’éternise pas. Par chance la clé de contact était sur le tableau de bord. Il la tourna, le moteur toussota, crachota et finit par démarrer difficilement en évacuant un gros nuage de fumée noire. - Mais qu’est-ce que tu fabriques Momo ? brailla Malvina. - Je t’emmène faire un tour, voilà tout !
Le fourgon s’engageait maintenant sur la route, dans la direction opposée au village. - Mais ça va pas, t’es complètement sonné ou quoi ? lança la prostituée en remettant sa grosse poitrine dans un soutien-gorge rouge taille 105 B. - Si, ça va très bien. Nous partons ensemble, comme ça, je t’aurais toute à moi, lui disait-il presque joyeusement. L’autre en était à remettre son slip sous sa minijupe en se tortillant puis à le rejoindre dans la cabine de pilotage toute tendue d’une épaisse moquette beige pisseux. - Mais tu fais vraiment chier, Momo, arrête-toi ici immédiatement et demi-tour ! Alors, il sortit de sa ceinture un Colt 45 ce qui calma le jeu immédiatement. - Pas croyable ! s’exclama Malvina. Un flingue, toi. Mais tu veux me kidnapper ! - C’est ça ! Tu vas commencer par me virer ton client vite fait... Il arrêta immédiatement le camping-car le long de la route et l’autre descendit en tenant à deux mains un pantalon qu’il n’avait pas eu le temps d’ajuster correctement. Et il redémarra aussitôt en laissant l’autre renâcler parce qu’il n’en avait pas eu pour son argent... - On va prendre l’autoroute, ma belle. On file vers le Sud, le soleil ! Tu vas voir, on va se la couler douce... Plus de tapin, la belle vie, quoi ! - Mais t’es complètement barge, Momo, faut revenir sur terre... Tu oublies complètement Monsieur Pascal. Il va pas te lâcher lui, il va te traquer, te retrouver vite fait et je préfère pas être à ta place quand il te dérouillera. Les quatre premières mesures de la 5ème de Beethoven résonnèrent doucement à l’intérieur du baise-en-ville de Malvina. Elle sortit son portable et appuya sur la touche verte : « Allô ! oui, chéri, ne t’inquiète pas, je suis là, bien vivante...
Figure-toi que c’est ce pauvre naze de Momo qui s’est mis dans sa tête de demeuré de m’emmener en balade avec le fourgon... » - Il dit qu’il va te tuer si tu ne fais pas demi-tour immédiatement, fit-elle an se tournant vers Maurice. - Dis-lui que je suis armé et qu’il vienne pas s’y frotter... - Il dit qu’il est déjà en train de faire réparer ses pneus et qu’il va pas tarder à nous retrouver... Le dialogue s’arrêta là parce que Maurice arracha le portable des mains de Malvina et le balança rageusement sur la route où il finit sous les roues d’un camion roulant en sens inverse. - Salopard ! Un portable de plus de cinquante euros et qui faisait des photos... Malvina faisait maintenant ouvertement la gueule en fumant cigarette sur cigarette. Maurice aurait bien voulu détendre l’atmosphère. - Alors on est pas contente de partir avec son petit Momo ? - Pas du tout, j’t’ai jamais demandé cela... - Mais des fois on causait. Tu me disais que j’étais ton préféré... - Je raconte ça à tous les caves qui passent ducon ! Tu l’as quand même pas cru... - Et puis tu disais aussi que tu en avais marre de ce boulot. - Ca c’est vrai ! Tous ces dégueulasses, ces vicieux, ces mecs pas propres... Des fois, rien qu’à les sentir, j’en arrive à avoir envie de gerber... - Alors ma proposition devrait te convenir... - Admettons que j’accepte de te suivre un moment, un tout petit moment, hein ! On va vivre de quoi ? Aussitôt Maurice exhiba une liasse de billets de banque qu’il avait sortie du distributeur en plusieurs fois. - De ça, dit-il calmement. J’ai tout prévu. Tu ne manqueras de rien.
- Et il y a combien ? demanda la putain intéressée. - Suffisamment, répondit Maurice en remettant le tout dans sa poche. Il s’était engagé sur la bretelle d’accès de l’autoroute A6 et avait parcouru une petite quinzaine de kilomètres quand le moteur se mit à hoqueter, à s’étouffer puis à s’arrêter. Le véhicule termina en roue libre sur la bande d’arrêt d’urgence. Maurice essaya de relancer le moteur, rien ne réagissait, pas un bruit. Soudain, il remarqua que l’aiguille de l’indicateur de niveau d’essence était bien au-dessous du zéro. Il n’y avait pas prêté attention car la lampe rouge qui aurait dû s’allumer pour prévenir le conducteur était grillée. - On est sûrement en panne sèche, conclut-il piteusement. - Tu vois que t’avais pas tout prévu, banane ! T’as plus qu’à aller chercher de l’essence à pinces et t’as intérêt de foncer, parce qu’il va pas tarder à nous retrouver, mon Pascal. En effet, le souteneur n’était plus très loin. Il avait roulé jusqu’au garage du village la première roue qu’il avait dû déboulonner lui-même. Puis, le mécano prit obligeamment les choses en main. Il mit la voiture sur cric et récupéra l’autre. - Faites vite ! suppliait Monsieur Pascal. Je suis très pressé. J’ai une affaire d’une extrême urgence à régler. - L’ennui, c’est que votre pneu a été crevé sur le flan avec quelque chose comme un couteau ou un gros tournevis et qu’il n’est pas réparable du tout. Il va falloir changer les deux pneus, Monsieur... - Changez ! Changez tout, mais faîtes vite, bon sang, s’énervait le souteneur. - L’ennui, c’est que je n’ai pas ce modèle au garage... Il va falloir les commander... - Et ça va prendre combien de temps ? - Le temps de passer un coup de fil et qu’ils les amènent. Après, c’est une affaire de quelques minutes. Pascal Tricard trépignait sur place, tordait sa casquette,
tripotait sans arrêt son portable. Son Huguette ne répondait plus, ce qui l’inquiétait beaucoup. Derrière la vitrine, il n’avait pas cessé de surveiller la route nationale et n’avait rien vu passer. Cela signifiait que le camping-car avait dû prendre la direction opposée et sans doute s’engager plein sud sur l’autoroute. Maurice Germain mit près d’une heure pour rejoindre à pied la plus proche station-service de l’autoroute. Il trouva difficilement un jerrycan de cinq litres à la boutique et bien sûr personne ne lui proposa de l’aider pas plus au retour qu’à l’aller. Huguette Ledoux l’avait attendu bien sagement couchée sur le lit, tous rideaux de brocard rouge tirés. Après deux heures de marche le long de l’autoroute, l’excitation du début était retombée. Il regarda d’un œil froid la grosse pute défraîchie qu’il retrouva endormie. Pour la première fois, il n’avait pas vraiment envie d’elle. - Tu te magnes un peu ! J’en ai marre d’être secouée à chaque passage de poids lourds. J’étais beaucoup mieux dans mon bois de Ferrières ! Il alla remplir le réservoir, s’installa au volant et essaya de relancer le moteur qui se fit prier aussi longtemps qu’il y eut de l’air dans l’arrivée d’essence. Finalement, le vieux moulin accepta de repartir et l’engin de camping se remit à tailler la route. - On pourrait peut-être s’arrêter, faire une petite pause, proposa au bout d’un moment une Malvina qui se voulait coquine. - Pas question, répliqua Germain. Je tiens à mettre le plus de kilomètres possibles entre moi et ton proxo ! Bien entendu, elle revint plusieurs fois à la charge au cours de la journée, mais il ne s’arrêta que vers le soir pour manger dans un Presto-grill, sur une aire de repos. - Et tu te tiens à carreau, lui conseilla-t-il, n’oublie pas que
mon flingue est braqué sur toi... Elle obtempéra, mais au moment de repartir, elle sut l’attirer vers l’arrière du véhicule-baisodrome et l’entraîner dans une turlute experte. Elle en avait du métier, la Malvina. Même moche et décatie, il ne pouvait pas y résister. La partie de jambes en l’air dut fatiguer particulièrement le pauvre Maurice Germain . A moins que ce ne soit les émotions inhabituelles pour quelqu’un habitué à une vie sans surprise, toujours est-il qu’après l’amour, il s’endormit comme un bienheureux... Réflexe immédiat, Huguette récupéra le flingue qui lui sembla extraordinairement léger : il était en plastique. Un vulgaire jouet, bien imité, mais totalement inoffensif. Ensuite, elle fouilla les poches de la veste de Maurice et récupéra l’argent qu’elle compta en vitesse. Il y avait presque deux mille dolros... - J’ai pas perdu ma journée, il va être content mon Pascal, se dit-elle. Il ne lui restait plus qu’à neutraliser le dormeur, ce qu’elle exécuta en lui assénant sur le crâne un magistral coup de manivelle. Elle n’eut plus qu’à le ligoter, le bâillonner et chercher une cabine de téléphone. Quand le pauvre Maurice Germain se réveilla, il ressentit une violente douleur à la tête. Il était couché sur le lit, un peu de sang avait coulé sur la couverture rouge. Il ne pouvait ni bouger ni crier. Il comprit immédiatement que la situation avait tourné, mais pas en sa faveur. Le fourgon roulait assez vite, de façon régulière et sans s’arrêter. Il en conclut qu’il était encore sur l’autoroute. Puis il y eut un arrêt et le revêtement lui sembla moins lisse et moins confortable. Ils devaient rouler sur le réseau ordinaire. Au bout d’environ une heure, le véhicule s’arrêta. Il entendit la porte latérale coulissante s’ouvrir avec fracas. Malvina l’attrapa par les pieds, le souteneur par les épaules. Ils s’étaient arrêtés au milieu d’un pont, en pleine campagne. Il faisait nuit noire. Pas
un chat aux alentours. Ils le passèrent au-dessus du parapet. Ils n’allaient pas faire ça ? Ils n’hésitèrent pas une seconde. Ils le balancèrent dans le vide. Il paraît qu’entre le pont et l’arrivée dans l’eau glacée de la rivière, il eut le temps de voir défiler tout le film de sa vie... En guise d’éloge funèbre, l’élégant Pascal Tricard déclara : « On va quand même pas se faire emmerder par les clients, même par les plus fidèles ! » Trois semaines plus tard, la brigade fluviale découvrait à fleur d’eau, bien loin en aval, le cadavre d’un homme d’une soixantaine d’années encore bâillonné et ligoté. Le long séjour dans l’eau ne rendit pas son identification particulièrement facile.
Nouvelle extraite du recueil « Dorian Evergreen » disponible en version papier sur « TheBookEdition.com » et en version e-book sur « Amazon.fr ». (Cliquez dans les colonnes du blog)
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents