LŒil du Spad
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LŒil du Spad , livre ebook

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Description

Elle s’appelle Elyia. C’est une cybione, un être unique, pour ainsi dire éternelle. Son employeur, l’agence Ender qui assure les constitutions de mille mondes, lui confit des missions suicides et la fait renaître après chaque mort.
Éternellement jeune, privée d’une partie de sa mémoire, Élya ne cesse de lutter entre son asservissement programmé et son goût pour la liberté.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 mars 2015
Nombre de lectures 140
EAN13 9782846269414
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Œil du Spad
Du même auteur chez le même éditeur
LECHANTDUDRILLE, roman CHRONIQUESDUNRÊVEENCLAVÉ, roman DEMAIN,UNEOASIS, roman BALADECHOREÏALE, roman LABOHÊMEETLIVRAIE, roman MYTALE, roman L’HISTRION, roman TRANSPARENCES, roman RÉSURGENCES, roman RAINBOWWARRIORS, roman BASTARDS, roman
ISBN : 9782846269001
© Éditions Au diable vauvert, 2015 © Ayerdhal, 2015
Au diable vauvert www.audiable.com La Laune 30600 Vauvert
Catalogue disponible sur demande contact@audiable.com
À Gilles Francescano, À Mandy, À Caza, À tous ceux qui ont magnifié mon travail de leurs pinceaux, avant que les multiplanétaires délèguent à leurs Spads le soin de nous chasser des univers qui ne leur appartiendront pourtant jamais.
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Vous m’avez demandé de raconter? Je raconte. Elle est là: à deux cents mètres de moi, légèrement en contrebas, assise sur un reste de couverture isolante que zieutent deux zonards plus sales que blêmes, défoncés. Elle est là, avachie sur son bout de tissu, le dos rond, la sébile tendue au hasard vers une obole qu’aucun passant ne lui offrira, parce que ce n’est pas l’heure, pas la bonne vague, seulement le flux du troupeau qui transite des bureaux à ses foyers. Elle a le teint cireux, la peau craquelée, le regard rouge et vitreux, les cheveux blancs et secs, la lèvre bleue de froid. Elle est vieille, mais pas tellement en âge. Elle est vieille d’une vieillesse qui se compte en heures de mendicité, en journées trop longues de mauvaises faims, en nuits interminables d’inconfort. Elle est une guenille fripée fagotée de hardes puantes, et les zonards la guettent comme le chien surveille l’assiette du chat, espérant que le maître tourne le dos. Ils tiennent l’affaire de la soirée: un demimètre carré de toile isolante dont ils tireront cinq, peutêtre dix stellars, une ou deux doses de tuerêves glauque. Comme moi, ils attendent que le troupeau s’évapore, que le flux verse sa dernière goutte dans la gueule du sub et elle, elle m’attend, moi. Et je ne sais même pas depuis combien de temps elle attend: elle était là avant moi. J’avais pourtant deux heures d’avance sur le rendezvous! Leur Dieu, qu’elle est forte! Elle n’est jamais sortie de son rôle, elle n’a même pas relevé la tête une seule fois. D’ailleurs, elle est si bien grimée que je ne l’ai pas reconnue. Simplement, je sais que c’est elle… à un moment donné, j’ai su que c’était elle. Allongé dans une bouche de ventilation qui crache un air mille fois recyclé, les jumelles sur le nez, le fusil contre le flanc droit, je me suis souvenu que je n’étais qu’un enfant
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pour elle et j’ai pris conscience qu’elle m’avait percé, devancé, roulé dans la même farine que je prétendais lui jeter aux yeux comme une poudre de perlimpinpin. Je ne sais pas ce qui m’a alerté, peutêtre le carré de couverture soulevant d’inutiles convoitises, peutêtre l’heure – aberrante pour une clocharde avertie –, peutêtre la perfection du personnage. En revanche, une fois le soupçon installé, il a été facile de remarquer que le poste de ma mendiante était idéal pour surveiller le hall, que son regard aviné ne cessait de se mouvoir avec une vivacité étonnante, et que l’une de ses mains restait invisible tandis que ses haillons étaient amples à recéler n’importe quoi d’à peine moins dangereux qu’un destroyer. En outre, son immobilisme apathique ressemble à s’y méprendre à une position de relaxation musculaire. Oh oui, mes jumelles peuvent s’arracher les yeux à ne déceler aucun défaut dans le maquillage, ce ne peut être qu’elle. Je le sens. Et je veux bien parier un œil qu’elle sent que je suis là, qu’elle me sent précisément moi. Moi qui préférerais la sortir de là d’une tout autre manière. Vous voulez savoir pourquoi, Saryll? Je vais vous l’expliquer.
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Trevarny: littéralement, le troisième centreville. Celui des troisièmes couteaux, à n’en pas douter. Le plus récent aussi, le plus moderne, dans une acception très libérale du terme. Une ville dans la ville, en tout cas, bâtie à la hâte par les nouveaux brasseurs d’argent facile sur les immeubles construits à l’emportepièce par l’ancien régime. Un tout petit million d’habitants perdus au cœur d’une mégapole qui en compte vingt, au moins. Un tout petit million de parias et de marginaux tenus en coupe réglée par quoi? Cinq? Dix? Peut être quinze mille hommes de confiance, de paille, de main, de fer, de gages. Rien que du linge sale dans la plus grosse blanchisserie de stellars du défunt empire jaïlor. Ici, aucune activité légale, ou aucune façon légale de conduire ses activités. Jeu, sexe, drogue, sang, pour le plus visible. Pouvoir sous toutes ses formes à l’étage audessus, ou en dessous – question de point de vue. Et le grand vacarme des mafias qui s’entrechoquent entre deux dîners de réconciliation. Des mafias suintant par tous les pores des hordes de mafieux parmi les plus dégueulasses de la Galaxie. Rien à voir avec le Caïres jahnaïcain, même avant que Dadé Desmo n’y remette un peu d’ordre. Elyia Nahm n’est pas simplement nostalgique de la Jahnaïc. Elle organise toute son existence pour l’abréger au plus vite, en espérant que la camboiserie ramènera un de ses clones vers les plages de Keelsom. Les chams le lui ont promis: où qu’Ender envoie la prochaine cybione, ou la suivante, ou la suivante encore, elle finira par croiser une particule camboisée d’ellemême. Alors elle sera comme aimantée vers le cham camboiseur et celuici lui rouvrira l’accès à sa mémoire, une porte mentale vers cet endroit où aucun Spad ne viendra la chercher: la Jahnaïc.
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Bon, pour cela, il faut que Saryll l’expédie sur un monde doté d’une ambassade jahnaïcaine, alors que la Jahnaïc commence à peine à expédier des diplomates vers de trop rares planètes. Il faut aussi qu’elle évolue dans la sphère d’influence du cham consulaire, alors que les exigences de ses missions la tiennent généralement éloignée des milieux fréquentés par les personnels d’ambassade. Et il faut surtout croire à la camboiserie, ce qui est franchement contraire au pragmatisme scientifique ayant donné naissance à la seule CYbernetic BIologic clONE de l’univers, puisque le créateur de la cuve Phénix (dans laquelle elle renaît après chacun de ses décès) est mort suicidé avant de livrer son secret à ce salopard de Saryll. De toute manière, pour commencer, il lui faut mourir ou, plus exactement, se faire descendre, puisque son fichu instinct de survie l’empêche presque aussi facilement de crever par accident que de se suicider. C’est d’ailleurs à cela qu’elle s’emploie depuis deux ans avec, il faut bien l’avouer, assez peu de réussite. Non qu’elle n’y mette pas du sien, bien au contraire (il est hors de question de se faire prendre vivante avec ce qu’elle a aujourd’hui en mémoire), mais parce que, le temps et l’expérience aidant (elle n’a probablement jamais vécu aussi longtemps depuis que Saryll l’a tuée pour la première fois), elle est devenue un nemrodicide plutôt compétent. Dans la catégorie des chasseurs appelés à bénéficier de ses offices, se trouvent les Spads, au premier chef bien sûr, et tous ceux qui, à un moment ou un autre, la confondent avec leur gibier usuel, mais elle a rapidement entrepris d’étendre son ouvrage d’assainissement à tout ce qu’Ender compte d’agents. Ender, l’assureur des Constitutions de mille mondes… Tu parles! Elle a vu à quoi se livrait l’Agence en Jahnaïc et elle a vérifié que son action est partout semblable. Partout où elle est passée depuis qu’elle fuit, en tout cas. L’Agence veille sur les Constitutions des démocraties, avec undminuscule, qu’elle institue ellemême après avoir ellemême effondré les régimes, parfois tout aussi démocratiques, qui gênaient ses intérêts ou ceux de ses relations privilégiées. Ce n’est rien moins que le plus puissant service spécial de la Galaxie,
spécialement au service d’aucune institution, sinon celle du stellar et de l’oligarchie discrète qui règne loin audessus de toutes ces fumeuses démocraties par l’intermédiaire de leurs multiplanétaires. Cela concerne combien de familles? Impossible à évaluer, mais si peu, à l’évidence, qu’un trillion d’humains, tous phénotypes confondus, peuvent se considérer comme leurs marionnettes ou leurs esclaves. Même la sainte haine des Lémains pour l’humanité est moins dévastatrice. Dire que ça va faire un siècle que je bosse pour ces vampires! Elle ne peut même pas savoir combien de missions elle a conduit à leur terme pour le compte d’Ender. Ni combien elle en a fait foirer. La proportion ne doit pas être en faveur de son idée de l’humanité, sinon Saryll ne s’obstinerait pas à l’envoyer sans cesse à l’abattoir, mais, se connaissant, elle se doute qu’il y a eu d’autres Keelsom et cette idée seule suffit à la réjouir. Et à la remotiver, quand l’œuvre de boucherie à laquelle elle s’astreint depuis deux ans la dégoûte d’ellemême. À tel point que, lorsqu’elle mourra, cette fois, ce sera avec soulagement. Mais, avant cela, il lui reste une dette à payer à rien moins que tous les Jaïlors, puisqu’elle a trouvé des traces de son passage dans l’Union à l’époque où celleci se délitait, puisqu’elle a personnellement contribué à cette déliquescence, puisqu’elle a participé à la mise en place de sa toute récente Constitution et du vampirisme qui la suce jusqu’à la moelle. Bien sûr, l’Union a été un monstre odieux! Mais quelle honte d’avoir aidé à son remplacement par une collection de républiques fantoches qui laissent leurs citoyens exsangues, pendant qu’une nomenklatura flambant neuve s’engraisse des largesses extrajaïlores! Le Spad qui finira par l’abattre pourra til seulement comprendre ça? Elyia ôte le casque du grimeur et contemple l’ironie mauvaise que lui renvoie le miroir de la salle de bains. Une toute petite salle de bains pour une méchanceté qui s’estompe déjà. Une douche fermée par un rideau de plastique entartré, une cuvette dewcabattant, stérilisée au nettoyant sans industriel violet, un lavabo en polymère antitaches constellé de taches fossilisées et juste la place de se tenir debout face au miroir le surplombant. Un minois de lutin femelle qu’il
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vaut mieux s’abstenir de lutiner, des lèvres espiègles à peine ourlées sous un nez en trompette insolent, les pommettes en saillie, le front haut, le regard d’un vert très sombre au creux d’amandes félines faciles à plisser, le teint plus cireux que doré, les cheveux d’un blond tellement cendré qu’ils pourraient être blancs, au carré, avec deux boucles remontant en pointe sur les joues qui cerclent deux petites oreilles, elles aussi pointues. Une jolie femmeenfant, pas vraiment en bonne santé, assurément pugnace, rien qui ne soit ostensiblement attirant, surtout de près, quand le blanc de ses yeux se ternit d’un jaune hépatique. L’appartement qu’elle loue, sous l’appellation deuxpièces (salle de bains incluse), n’offre que l’avantage de l’anonymat dans le quartier le plus ancien et le plus délabré de Trevarny. Sous la toiture fatiguée d’un immeuble de quatre étages, situé à flanc de colline, au fond d’une cour à laquelle on n’accède que par une série d’autres cours et d’allées aussi sombres que malodorantes et étroites, il possède, sur le toit et pour seconde issue, une échelle métallique vissée à même la roche qui grimpe jusqu’aux soussols troglodytiques et oubliés d’un quartier à peine moins ancien, sur lequel on a édifié les bâtiments tout en strass et lumière des nouvelles boîtes, nouveaux pubs, nouveaux casinos et autres pompes à stellars pour nouveaux riches. De toute façon, « nouveau » est le mot à la mode sur tout Jaïlur. Elyia n’a pas plus envie de se fourvoyer dans les hauts de Trevarny que de se morfondre dans ses bas ou de s’ennuyer sur ses pentes, mais il est pratique d’avoir une issue de secours et beaucoup des fils qu’elle a décidé de sectionner s’emmêlent ici. Elle passe un pantalon, moulant jusqu’aux genoux et suffisamment évasé en dessous pour cacher, d’un côté un holster et un flingue d’un calibre respectable, de l’autre un étui et son poignard à fil monomoléculaire. Pour éviter d’alarmer inutilement les détecteurs, les deux armes sont en céramique. Pour le haut, elle choisit un corsage raslecou, là aussi: moulant jusque sous les seins, bouffant en dessous et aux manches. Très tendance. Une ceinture pour boucler
le tout et le laser extraplat en matériaux composites passé dedans. Pardessus, elle hésite. Blouson épais ou imperméable plus fluide? Compte tenu de la bruine glacée et acide qui n’en finit pas de tremper la ville, les deux lui imposent les bottines. Elle enfile les bottines, se plante devant le miroir en pied collé derrière la porte de la salle de bains, côté chambre (séjour, cuisine, etc.) et essaie le blouson, puis l’imperméable. Selon les critères locaux du moment, le blouson la type « monag, came et snap shot », l’imperméable,ce type d’imperméable la catalogue davantage « revenue de tout, malgré tout, sans limites ». L’illimitation la tente, même si elle risque de provoquer la méfiance. À l’inverse, le côté « vivre l’instant » du snap shot peut lui faciliter les approches. Aije envie qu’on m’approche? La réponse jaillit d’ellemême: Putain, non! Sûrement pas! Pas maintenant, pas ici, plus jamais. La dernière fois qu’elle s’est laissé aborder, alors qu’elle ne se sentait aucune disponibilité pour personne, lui a coûté trop cher en remords. Elle n’a pas pris le temps, elle ne s’est pas donné les moyens, elle s’est contentée d’utiliser. Et plusieurs gamins y ont laissé leur jeunesse ou leur vie. Des gamins de son âge apparent, elle qui est quatre à cinq fois plus vieille qu’eux. Des gamins qui lui ont demandé son aide et qu’elle a entraînés dans son jeu de massacre. Deux d’entre eux sont directement morts des risques qu’elle leur a fait courir. Les autres sont tombés du haut de leurs propres inconséquences sans qu’elle lève un doigt pour les sortir du bourbier dans lequel elle les a immédiatement sus enlisés. Trop occupée à piéger du Spad. Trop égoïste, trop suicidaire. Deux crânes ont explosé en lieu et place du sien. Oh! Elle les a vengés! Sans songer une seconde à autre chose qu’à sa propre haine. Sans jeter un regard sur leurs corps inertes. Sans leur accorder plus d’un « Pauvres petits cons! » en guise d’oraison funèbre. Cette nuitlà, elle a éliminé huit Spads. En tout cas, quatre Spads et quatre agents d’Ender leur servant d’assistants. Après… après, elle a quitté Jaïlur pour Valdevi, puis elle est revenue à Ladhi, avec un autre visage, sous une
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