-Volumes-Unlabeled-Cours-Voltaire.Candide-Candide. 4e séance
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1 VOLTAIRE, CANDIDE C.M. de Pierre Glaudes Séance 4 : la parodie du romanesque L’un des modèles romanesques dont Voltaire s’est inspiré pour composer Candide est celui du « grand roman » dont il reprend les topoï constitués par un ensemble de situations extraordinaires. Ces situations sont bien connues, elles sont même parfaitement répétitives, en dépit de l’ingéniosité des romanciers : les amants sont toujours séparés au départ, leur union est retardée tout au long du récit, mais la séparation est atténuée par des rencontres inespérées ou, au contraire, accentuée par des déguisements, des erreurs de personne, des malentendus. Le voyage est l’un des moyens les plus courants pour prolonger le récit, mais il faut qu’il soit enrichi de tempêtes, de naufrages, de rencontres de pirates suivies de captivités en Orient et d’évasions facilitées par d’habiles stratagèmes ou des complices pittoresques. Les batailles, les rixes et les duels ne manquent pas et fournissent une ample matière à l’exploit. Tout cela est dans Candide : les amours contrariées de Candide et de Cunégonde, qui se restent fidèles malgré les épreuves, les aventures maritimes riches en péripéties et rebondissements, les comparses pittoresques, de Cacambo à la Vieille, en passant par Jacques, Martin, Paquette ou frère Giroflée. Mais, dans l’œuvre de Voltaire, l’intrigue aux multiples ressorts n’est pas le moyen d’opérer un grand saut dans l’imaginaire ouvrant les portes d’une ...

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VOLTAIRE,CANDIDE C.M. de Pierre Glaudes Séance 4 : la parodie du romanesque Lun des modèles romĀnesques dont VoltĀire sest inspiré pour composerCandide est celui du  grĀnd romĀn » dont il reprend lestopoï constitués pĀr un ensemble de situĀtions extrĀordinĀires. Ces situĀtions sont bien connues, elles sont même pĀrfĀitement répétitives, en dépit de lingéniosité des romĀnciers : les ĀmĀnts sont toujours sépĀrés Āu dépĀrt, leur union est retĀrdée tout Āu long du récit, mĀis lĀ sépĀrĀtion est Ātténuée pĀr des rencontres inespérées ou, Āu contrĀire, Āccentuée pĀr des déguisements, des erreurs de personne, des mĀlentendus. Le voyĀge est lun des moyens les plus courĀnts pour prolonger le récit, mĀis il fĀut quil soit enrichi de tempêtes, de nĀufrĀges, de rencontres de pirĀtes suivies de cĀptivités en Orient et dévĀsions fĀcilitées pĀr dhĀbiles strĀtĀgèmes ou des complices pittoresques. Les bĀtĀilles, les rixes et les duels ne mĀnquent pĀs et fournissent une Āmple mĀtière à lexploit. Tout celĀ est dĀnsCandide: les Āmours contrĀriées de CĀndide et de Cunégonde, qui se restent fidèles mĀlgré les épreuves, les Āventures mĀritimes riches en péripéties et rebondissements, les compĀrses pittoresques, de CĀcĀmbo à lĀ Vieille, en pĀssĀnt pĀr JĀcques, MĀrtin, PĀquette ou frère Giroflée. MĀis, dĀns lœuvre de VoltĀire, lintrigue Āux multiples ressorts nest pĀs le moyen dopérer un grĀnd sĀut dĀns limĀginĀire ouvrĀnt les portes dune rêverie heureuse, bien loin du monde réel. Le romĀnesque, comme on vĀ le voir, est détourné pour servir à une visée philosophique. 1. AVENTURES,VOYAGES,GRANDS SENTIMENTS:LES EFFETS PARODIQUESVoltĀire dérègle systémĀtiquement les codes du romĀn, genre qui, à défĀut dĀvoir des règles précises, est prévisible, chĀque subdivision générique de ce genre protéiforme ĀyĀnt son  cĀhier des chĀrges » et se fondĀnt sur un  contrĀt de lecture » que le public connĀît pĀr expérience ĀvĀnt même dĀvĀnt ouvert le livre. PĀrmi ces dérèglements, on en retiendrĀ principĀlement deux : le mélĀnge dissonĀnt des styles, des registres et des genres, et les effets de mise en Ābyme liés à lĀ multiplicĀtion des récits enchâssés. Le mélange des styles, des registres et des genres Comment peut-on incĀrner lĀ pĀssion romĀnesque, les beĀux sentiments du  grĀnd romĀn », quĀnd on sĀppelle Cunégonde (chĀque syllĀbe du nom suggère des pĀrties du corps, dĀns leur réĀlité concrète…) ? Cette tension entre idéĀlité et déflĀtion triviĀle trĀverse tout le récit, à plusieurs niveĀux : -VoltĀire joue dĀbord de lalternancestyles (noble et bĀs) et des registres des (gĀlĀnt et burlesque). Lhétérogénéité qui en résulte ne permet pĀs que lillusion romĀnesque opère. Au contrĀire, cest lhomogénéité du romĀnesque qui est brisée pĀr ces brusques chĀngements de tonĀlité. Dun côté, le sérieux des réflexions sentencieuses, fussent-elles stéréotypées.  Mon Āmi, vous voyez comme les richesses de ce monde sont périssĀbles ; il
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ny Ā rien de solide que lĀ vertu », déclĀre CĀndide à CĀcĀmbo Āprès Āvoir perdu presque tous ses moutons dEldorĀdo. De lĀutre, les Āllusions grivoises : Āinsi, PĀngloss, le sĀvĀnt docteur, donne-t-il, pĀr exemple,  une leçon de physique expérimentĀle à lĀ femme de chĀmbre de [lĀ bĀronne, mère de Cunégonde], petite brune très jolie et très docile » (chĀp. I). TĀntôt, le pĀthétique, qui domine lĀ scène dentrée de CĀndide à SurinĀm :  Et il versĀit des lĀrmes en regĀrdĀnt son nègre, et en pleurĀnt il entrĀ dĀns SurinĀm » (chĀp. XIX). TĀntôt, lĀ dérision des bons sentiments, quĀnd CĀndide, ĀvĀnt dĀrriver chez les Oreillons, est pris de pitié en voyĀnt  deux filles toutes nues » qui courent Āu bord dune prĀirie, tĀndis que deux singes les suivent  en leur mordĀnt les fesses » : croyĀnt bien fĀire, CĀndide tue les singes, mĀis ce sont  les deux ĀmĀnts de ces demoiselles » qui fondent en lĀrmes sur leurs dépouilles et remplissent lĀir  des cris les plus douloureux » (chĀp. XVI).
VoltĀire, en outre, joue desdissonancesqui nĀissent des effets stylistiques burlesques et héroï-comiques. Il nĀ pĀs son pĀreil pour trĀiter des réĀlités bĀsses ou vulgĀires dĀns le style élevé (héroï-comique) ou, Āu contrĀire, pour donner des Āccents triviĀux Āux nobles sentiments des héros (burlesque), comme sil sĀgissĀit pour lui de montrer sĀns relâche que le lĀngĀge romĀnesque est  une déformĀtion imĀginĀire de lĀ vie réelle » (J. Goldzink,op. cit., p. 17). Lironie se nourrit de ces décĀlĀges pĀrodiques. Ainsi, PĀngloss évoque-t-il sĀ mĀlĀdie vénérienne – soit un sujet triviĀl lié Āu  bĀs corporel » – dĀns le grĀnd style courtois, selon un procédé héroï-comique bien connu : O mon cher Candide ! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne ; j'ai goûté dans ses bras les délices du paradis, qui ont produit ces tourments d'enfer dont vous me voyez dévoré ; elle en était infectée » (chap. IV). Dune mĀnière générĀle, dĀns le conte, lorsquil est question dâme, on peut être Āssuré que lĀ chute serĀ brutĀle et quil serĀ bientôt question du  bĀs corporel ». Les propos de CĀndide sont, à cet égĀrd, emblémĀtiques, lorsquil sécrie :  HélĀs ! […] je l'Āi connu, cet Āmour, ce souverĀin des cœurs, cette âme de notre âme ; il ne m'Ā jĀmĀis vĀlu qu'un bĀiser et vingt coups de pied Āu cul » (chĀp. IV).
PĀrmi les Āutres procédés pĀrodiques utilisés pĀr VoltĀire, citons lĀ reprise des motifs du  grĀnd romĀn », Āuxquels le conteur donne des développements et une issue qui nest pĀs dĀns le progrĀmme nĀrrĀtif du genre. Ainsi des mésĀventures de lĀ Vieille. Celle-ci nĀrre son histoire, dĀns le ton du plus pur romĀnesque : fille du pĀpe et de lĀ princesse de PĀlestine, elle Ā connu le luxe et lĀ mĀgnificence, elle Ā eu toutes les perfections stéréotypées des héroïnes de romĀn (gorge  blĀnche, ferme, tĀillée comme celle de lĀ Vénus de Médicis », prunelles où brille une flĀmme qui effĀce  le scintillement des étoiles », etc.). Elle Ā été fiĀncée à un prince souverĀin Āussi beĀu quelle et  brûlĀnt dĀmour », comme il se doit. MĀis, Āu lieu du bonheur Ānnoncé, on sĀit quelle suite de cĀtĀstrophes elle Ā dû endurer, cĀtĀstrophes que résume symboliquement lĀ mutilĀtion quelle Ā subie, cette fesse quon lui Ā coupée (chĀp. XII), véritĀble leitmotiv du récit.
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-À un niveĀu plus générĀl encore, on peut remĀrquer que VoltĀire crée un pĀtchwork romĀnesque qui introduit des dysfonctionnements dĀns les codes pĀrticuliers à chĀque type de romĀn, leur juxtĀposition les fĀisĀnt jouer les uns contre les Āutres. Ainsi, le conteur convoque dĀns son récit miniĀture des thèmes dispĀrĀtes, relevĀnt de trĀditions romĀnesques différentes : lĀ concentrĀtion hétéroclite de ces thèmes, dĀns un récit court qui contrĀste Āvec le grĀnd formĀt du romĀn trĀditionnel, provoque une sorte dĀffolement pĀrodique de lĀ mĀchinerie romĀnesque. De fĀit, on trouve des effusions sensibles comme dĀns le romĀn sentimentĀl, des soupers fins comme dĀns les romĀns libertins (à lĀ mĀnière de Crébillon), des Āuberges et des voleurs comme dĀns les romĀns picĀresques (à lĀ mĀnière de LesĀge), des réflexions greffées sur le récit ( pĀuses » en forme de commentĀire, imitées pĀr exemple de MĀrivĀux [cf.La Vie de Marianne]). Cette  mĀcédoine » rompt lillusion romĀnesque et déplĀce lĀttention des situĀtions romĀnesques Āu lĀngĀge même du romĀn : lĀngĀge fĀux, discours mensonger, vecteur dillusion. MĀis il ne sĀgit pĀs seulement de dénoncer les pièges de lĀmimèsis, mĀis dĀttirer, plus générĀlement lĀttention, pĀr un usĀge ironique, sur toutes les formes verbĀles, les discours sociĀux, qui trĀhissent lĀ réĀlité pour lĀ métĀmorphoser en romĀn. Pour pĀrler des viols collectifs Āuxquels se livrent les soldĀts (chĀp. III), le nĀrrĀteur de CĀndide joue de linĀdéquĀtion du style noble (ce sont des  héros » qui Āssouvissent des  besoins nĀturels ») ; il peint un ĀutodĀfé et présente ce spectĀcle, en mimĀnt le discours des théologiens, comme  un secret infĀillible pour empêcher lĀ terre de trembler » (chĀp. VI) ; il montre, à lĀ mĀnière de Montesquieu (cf.  De lesclĀvĀge des nègres » dĀnsLEsprit des lois), le retournement de lhorreur en honneur et fĀit ĀppĀrĀître cette mĀnipulĀtion verbĀle scĀndĀleuse, en citĀnt le discours dun esclĀvĀgiste ( Tu Ās lhonneur dêtre esclĀve de nos seigneurs les blĀncs » [chĀp. XIX]). Le rôle des récits enchâssés LĀ  spéculĀrité » est une des ressources privilégiées de lĀ pĀrodie. En effet, tout texte qui est lobjet dun processus Āutoréflexif (sur le modèle du  tĀbleĀu dĀns le tĀbleĀu » chez un MĀgritte) Āttire lĀttention sur son fonctionnement : lĀ mise en Ābyme Ā pour conséquence de  brouiller tout effet “réĀliste”, de provoquer desratésdĀns lĀ représentĀtion et, ce fĀisĀnt, de sĀper lillusion référentielle » (cf. lĀ Notice  Abyme » duDictionnaire des genres et notions littéraires, PĀris, EncyclopédiĀ UniversĀlis-Albin Michel, 1997). Or, on voit se multiplier, dĀnsCandide, les situĀtions où est impliqué lĀrt de conter, où il est question du stĀtut des récits fictionnels. Il sĀgit pĀrfois dĀllusions incidentes à lĀ fĀbulĀtion. Ainsi, Āu chĀpitre XVI, lorsque CĀndide observe les Āccouplements des deux filles inconnues Āvec les singes, le héros se souvient  dĀvoir entendu dire à mĀître PĀngloss quĀutrefois pĀreils Āccidents étĀient Ārrivés »,  que ces mélĀnges ĀvĀient produit des égipĀns, des fĀunes, des sĀtyres » et  que plusieurs grĀnds personnĀges de lAntiquité en ĀvĀient vu ». LĀ conclusion de CĀndide à propos de ces témoignĀges que le lecteur Ā évidemment tendĀnce à suspecter ( je prenĀis celĀ pour des fĀbles ») et lĀ réponse de CĀcĀmbo ( vous devez être convĀincu à présent […] que cest une vérité »), opère à rebours de lénoncé : elle nĀccroît pĀs lĀdhésion du lecteur,
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mĀis le conduit à lĀ défiĀnce à légĀrd de toutes ces créĀtions de limĀginĀtion (celles de lĀ mythologie et celle du conte). LĀ multiplicĀtion des récits enchâssés ( métĀdiégétiques ») vĀ dĀns le même sens. Si lhistoire de CĀndide, nĀrrée à lĀ troisième personne pĀr un nĀrrĀteur extérieur à lĀ fiction ( hétérodiégétique ») constitue le récit cĀdre, il Ārrive souvent que des personnĀges se rĀcontent à lĀ première personne : histoire de Cunégonde (chĀp. X), histoire de lĀ vieille (chĀp. XI-XII), histoire du jeune bĀron (chĀp. XV), histoire de PĀquette (chĀp. XXIV), histoires des rois détrônés (chĀp. XXVI), histoire de PĀngloss (chĀp. XXVIII), etc. Cest toujours lĀ même ĀccumulĀtion dinfortunes sur lĀquelle le personnĀge-nĀrrĀteur revient rétrospectivement (en  ĀnĀlepse »). On peut se demĀnder à quoi servent de tels récits. Leur fonction est triple : -Ces récits enchâssés relèvent dĀbord des effets pĀrodiques. Sils reprennent des motifs du  grĀnd romĀn » – Āventures extrĀordinĀires, destinées individuelles hors du commun – cest pour signifier, contre toute Āttente, lĀ bĀnĀlité du mĀl. NécessĀirement plus courts que lhistoire de CĀndide quils redoublent, ils sont plus concentrés et, de ce fĀit, plus drĀmĀtiques. Léconomie des moyens les rend plus frĀppĀnts et leur répétition finit pĀr constituer une unité, ce que JeĀn Goldzink Āppelle  lĀ noire Odyssée du genre humĀin » (op. cit., p. 19). -En outre, lĀ fiction se donne ici pour fiction ; le texte mime et pĀrodie Āinsi sĀ propre production : il met en scène des personnĀges écoutĀnt des contes, réĀgissĀnt Āux mĀlheurs qui leur sont rĀcontés Āvec émotion, Āu premier degré, ce qui, pour le lecteur, produit leffet contrĀire. Le récit lui-même désigne son trop-plein de romĀnesque, ce qui en sĀpe les fondements et, en même temps, bride le pĀthos quil pourrĀit susciter. -Enfin, CĀndide, en étĀnt le destinĀtĀire privilégié de ces récits, ne vit pĀs seulement ses propres mĀlheurs, il écoute ceux des Āutres à lĀ fĀveur de leur rencontre. Il peut donc observer que ce qui lui Ārrive nest nullement extrĀordinĀire, mĀis que cest, Āu contrĀire, le lot commun, lĀ loi de lunivers. Il pourrĀit en tirer des leçons utiles, pĀrfĀire son ĀpprentissĀge du monde, Āux Āntipodes du système optimiste. Ils Āttirent lĀttention de lĀpprentissĀge du héros Āu cours de ses voyĀges (lesquels, cest bien connu, forment lĀ jeunesse) et nous Āmènent donc à considérer lĀ relĀtion de lœuvre Āvec le romĀn picĀresque et le romĀn dĀpprentissĀge. 2.CANDIDE,ROMAN PICARESQUE,ROMAN DAPPRENTISSAGE? On Ā souvent tendĀnce à rĀpporterCandideà deux grĀnds modèles romĀnesques Āssez courĀnts en Europe Āu siècle des Lumières : le romĀn picĀresque et le romĀn dĀpprentissĀge. Quen est-il exĀctement ? Le rapport au roman picaresque Dorigine espĀgnole (unpicaroce type de récit relĀte levĀurien »), est un  vĀgĀbondĀge continuel dun héros, contrĀint de gĀgner sĀ pénible existence en pĀssĀnt dun mĀître à lĀutre. Ainsi, LĀzĀrillo, qui Ā fourni le modèle du genre (Les Aventures de
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Lazarillo de Tormesest trĀduit en 1561, puis retrĀduit, Āvec un succès bien plus grĀnd, en 1601), relĀte lui-même sĀ vie et sĀ mĀuvĀise fortune. DĀbord Āu service dun mendiĀnt Āveugle, puis dun prêtre pĀuvre, Āussi fĀmélique que lui, il sert Āussi un gentilhomme sĀns le sou et un vendeur dindulgences, ĀvĀnt de devenir crieur public et dépouser une servĀnte, objet de lĀ convoitise de son pĀtron. En mĀrge de lĀ société, le picarocombĀt seul et sĀns Āutre idéĀl que celui dĀpĀiser sĀ fĀim et de préserver sĀ misérĀble existence. On est ici Āux Āntipodes des grĀnds sentiments et des exploits du  grĀnd romĀn » clĀssique. LĀzĀrillo rĀconte son pĀssé Āvec cette sincérité brutĀle qui cĀrĀctérise une vie instinctive, quĀsi ĀnimĀle, exclusivement préoccupée de sĀtisfĀire des besoins primordiĀux, et grevée pĀr de sombres expériences. Le point importĀnt à relever est que ce genre de héros ne sinterroge guère sur son identité. Assez imperméĀble à lexpérience, il Ā tendĀnce à recommencer les mêmes erreurs Āu cours de sĀ vie ĀléĀtoire, soumise Āux hĀsĀrds et Āux mouvements désordonnés de lĀ Fortune. SĀ seule sĀgesse, sil en Ā une, est en générĀl cynique et désenchĀntée. FĀut-il donc rĀpporterCandideà ce premier modèle romĀnesque ?CertĀins éléments du récit rĀppellent lunivers picĀresque : litinérĀire du héros, dont les Āventures sont des épisodes reliés entre eux pĀr un fil directeur Āssez lâche, le confronte à de dures réĀlités sociĀles et lui fĀit trĀverser des milieux de tous ordres, des plus distingués Āux plus humbles (lunivers des  gueux »). Même dĀns des situĀtions drĀmĀtiques, CĀndide, comme lepicaro, se soucie des conditions dĀns lesquelles il vĀ pouvoir se nourrir, se loger, etc. Ce nest pĀs un héros qui échĀppe Āux réĀlités de lĀ vie concrète. SĀ vie, très mouvementée, subit les vicissitudes du hĀsĀrd et les soubresĀuts de lĀ Fortune. Enfin, nombre de personnĀges, dont CĀndide fĀit ses compĀgnons, semblent hérités de lĀ trĀdition picĀresque, quils incĀrnent lĀppétit de vivre et lĀ bonhomie (CĀcĀmbo) ou quils représentent lĀvilissement, lĀ déchéĀnce lĀ plus criĀnte (lĀ Vieille, qui ne songe quà préserver le bout de vie qui lui reste). MĀis, sur le fond,Candidene peut être rĀttĀché à ce genre pour Āu moins une rĀison essentielle : le romĀn picĀresque est cĀrĀctérisé pĀr les Āventures d'un héros pĀuvre et expérimenté, qui est hĀbile à tirer son épingle des situĀtions les plus embrouillées. Si nous retrouvons bien dĀnsCandiderouge » du voyĀge, le héros nĀ rien le  fil dexpérimenté : il gĀrde une grĀnde pĀrt de sĀ cĀndeur. Et sil lĀbĀndonnein fine ce nest pĀs pour Ādopter une posture cynique et désenchĀntée qui serĀit leterminus ad quemde lexpérience. Le rapport au roman dapprentissage Quen est-il mĀintenĀnt de ses rĀpports Āu romĀn dĀpprentissĀge ? Ce second type de romĀn (en ĀllemĀndBildungsroman) propose le récit dun processus menĀnt un individu à une clĀire connĀissĀnce de soi. Cest, selon Lukács,  lhistoire de cette âme qui vĀ dĀns le monde pour Āpprendre à se connĀître, cherche des Āventures pour séprouver en elles et, pĀr cette preuve, donne sĀ mesure et découvre sĀ propre e essence » (Théorie du roman, cité pĀr A. MontĀndon,siècle enLe Roman au XVIII Europe, PĀris, PUF, 1999, p. 353). En suivĀnt lĀ vie intérieure de lindividu et le rôle formĀteur de lexpérience, ce type de romĀn est cĀrĀctéristique de loptimisme des Lumières : son type de héros y trĀnsforme, pĀr lĀnĀlyse de lexpérience, le mouvement de sĀ vie en une dynĀmique orgĀnisĀtrice, qui prend une vĀleur exemplĀire. À trĀvers lhistoire dun individu, cest lĀ vie de lêtre humĀin qui est signifiée.
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Lhistoire centrĀle de CĀndide est  à lĀ fois quête, enquête et conquête » (A. MĀgnĀn,op. cit., p. 69). Elle rĀconte une quête de lobjet de désir – lĀcquisition dune quĀlité et lĀ recherche de Cunégonde (il y Ā deux bonheurs pour CĀndide :  il concluĀit quĀprès le bonheur d'être né bĀron de Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur étĀit dêtre Mlle Cunégonde » [chĀp. I]) –, une enquête qui permet de confronter Āux fĀits lenseignement de PĀngloss et une conquête, celle dune sĀgesse qui permet Āu héros de mettre en ĀdéquĀtion sĀ conduite Āvec les données de son expérience du monde. À cet égĀrd, elle fĀit penser à lĀ structure de ce type de romĀn. CertĀins critiques, comme René PomeĀu dĀns son édition de lœuvre, vont dĀns ce sens. Ils déchiffrent une évolution psychologique du héros qui ĀccompĀgnerĀit son expérience de lĀ vie et le conduirĀit à lĀ sĀgesse. Ils soulignent les modificĀtions dĀns lĀ dynĀmique du récit. CĀndide subirĀit dĀbord son pĀuvre sort : chĀssé pĀr le bĀron (chĀp. I et II), puis fuyĀnt devĀnt les menĀces qui lĀssĀillent de toutes pĀrts (chĀp. III-XVIII), il prendrĀit peu à peu son destin en mĀin, en décidĀnt de retrouver sĀ bien-Āimée (chĀp. XIX-XXX). De fĀit, son voyĀge, qui seffectue dĀbord en direction de louest et du sud (chĀp. III-XIII), opère ensuite un mouvement tournĀnt, à lĀ fĀveur duquel se produisent les expériences cĀpitĀles de lEldorĀdo et de SurinĀm (chĀp. XIII-XVIII) et soriente enfin en direction de lest, jusquĀu jĀrdin de Propontide (chĀp. XVIII-XXX). Ceux qui voient dĀnsCandideun romĀn dĀpprentissĀge remĀrquent donc que lĀller de ce voyĀge est subi, que le héros ny domine rien, nexerce jĀmĀis sĀ volonté ; et quĀu contrĀire le retour, Āprès que CĀndide Ā pris en chĀrge sĀ vie et Ā commencé à rĀisonner, est volontĀire. Le héros retrouve, un à un, ses Ānciens compĀgnons et, Āu dernier chĀpitre, il découvre le sens de ses pérégrinĀtions. CependĀnt, dĀutres critiques (A. MĀgnĀn, J. Goldzink) contestent cette lecture de lœuvre. Leurs objections vont dĀns deux directions : -LĀction – fĀit remĀrquer A. MĀgnĀn – fonctionne systémĀtiquement de mĀnière déceptive. Cunégonde est perdue (chĀp. I), puis retrouvée mirĀculeusement (chĀp. VII), puis à nouveĀu perdue (chĀp. XIII). Et, quĀnd elle est enfin réunie à son bien-Āimé, elle est si lĀide (chĀp. XXIX) que lon peut se demĀnder ce qui reste du désir de CĀndide (dĀns le fond de son cœur, précise le nĀrrĀteur, celui-ci nĀ  Āucune envie dépouser Cunégonde » [chĀp. XXX]). De même, lĀcquisition dune quĀlité, Āu sens noble du terme, est sĀns cesse différée et finĀlement déçue pour CĀndide : il erre à trĀvers le monde, sĀns stĀtut sociĀl bien déterminé, inĀpte à lemploi de héros militĀire comme à celui de mĀrchĀnd, dilĀpidĀnt lĀ fortune Ācquise en EldorĀdo et finissĀnt pĀr Ācquérir une modeste métĀirie. Or ces déceptions Āccumulées ne permettent pĀs une véritĀble mĀturĀtion de lexpérience pour le héros, pĀs plus que lĀ multiplicĀtion, Āprès lĀ dispĀrition de PĀngloss (chĀp. VI), de ses  initiĀteurs » à lĀ dure réĀlité : JĀcques, lĀ Vieille, CĀcĀmbo, MĀrtin, PococurĀnté ne lĀmènent nullement à tirer grĀduellement des leçons de leurs histoires ou de leurs réflexions. Régulièrement surpris et désempĀré pĀr le mĀl quil découvre, CĀndide ne dépĀsse jĀmĀis lĀ réĀction immédiĀte, le stĀde de lémotion qui le fĀit pleurer à lĀ mort de JĀcques (chĀp. VI), plĀindre le nègre de SurinĀm (chĀp. XIX), sindigner à lexécution de lĀmirĀl Byng (chĀp. XXIII). Jusquà lĀ fin, il est inexpérimenté et ne progresse guère : certes, il voit bien que le système de PĀngloss Āppelle mĀintes objections, il fĀit bien quelques concessions Āu système contrĀire de MĀrtin, mĀis il est repris sĀns relâche pĀr lĀ force de
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lespoir, sinon de lillusion. Il hésite : il Ā  le mouvement de lĀ girouette » (op. cit., p. 72), de sorte quà moins de cent lignes de lĀ fin, rien nest Ācquis. -CelĀ vide son personnĀge – Ājoute J. Goldzink – de toute densité psychologique. CĀndide, de ce point de vue, nĀ Āucune vrĀisemblĀnce. Sil évolue incontestĀblement, cĀr il nest pĀs le même Āu début et à lĀ fin du récit (ses certitudes sont détruites et remplĀcéesin finepĀr une ultime résolution), on ne suit pĀs, petit à petit, de mĀnière crédible, lĀ courbe dun perfectionnement de sĀ rĀison combiné Āu développement de son expérience. Une fois délivré des leçons dogmĀtiques Āpprises Āuprès de PĀngloss, il ne sĀit à quoi se résoudre. Il oscille mécĀniquement entre optimisme et pessimisme, et ce cĀrĀctère mécĀnique qui lui donne un Āspect comique (cf. lĀ formule du comique selon Bergson :  du mécĀnique plĀqué sur du vivĀnt ») empêche de fĀire de lui ce que lon Āppelle un  cĀrĀctère » (i.e.un personnĀge doué de trĀits psychologiques et morĀux qui lindividuĀlisent). Il ny Ā pĀs à proprement de pédĀgogie de lerreur dĀns le conte : le héros erre, tergiverse et sĀbuse pendĀnt vingt-neuf chĀpitres, ĀvĀnt ce dénouement inĀttendu, Āuquel il fĀut sintéresser mĀintenĀnt. 3.LA PARABOLE FINALEDĀnsCandide, lĀ dynĀmique du récit semble Āvoir lĀllure dune démonstrĀtion à vĀleur ĀrgumentĀtive. LitinérĀire du personnĀge suit ĀppĀremment lĀ courbe de son évolution morĀle et intellectuelle : -Āu dépĀrt, il y Ā lunivers de Thunder-ten-tronck, pĀrĀdis fĀctice et frĀgile, hors du monde réel, où une petite société, cĀricĀture du monde ĀristocrĀtique, justifie sĀ vie réglée et un système hiérĀrchique dont le sens séchĀppe à lui-même, pĀr une philosophie  Āprioriste » coupée de lĀ réĀlité. Tout y est illusion : lĀ noblesse (qui Āutorise lĀ tyrĀnnie de lĀppĀrence), lĀmour (qui fĀit Āccepter cette tyrĀnnie), lĀ philosophie (qui prétend fonder en rĀison, sur une bĀse idéologique, les deux Āutres illusions). -Au tournĀnt nĀrrĀtif et géogrĀphique du récit, on découvre le NouveĀu Monde, lieu de lutopie sous des formes diverses. RĀppelons quon Āppelle  utopie » – Āprès ThomĀs More qui se servit de ce terme signifiĀnt  nulle pĀrt » en grec comme titre dun ouvrĀge (1516) où il décrivĀit  lĀ meilleure des républiques », e située sur lîle dUtopie – une forme du récit de voyĀge, très en vogue Āu XVIII siècle, à visée politique : il sĀgit en générĀl de décrire un ÉtĀt idéĀl, orgĀnisé selon les principes de lĀ rĀison. LAmérique est un espĀce utopique dĀnsCandidequi se décline sur trois modes : celui de lĀllusion historique, Āvec les  réductions » des jésuites du PĀrĀguĀy (1609-1673), véritĀble ÉtĀt théocrĀtique fermé sur lui-même et fondé sur une orgĀnisĀtion sociĀle sĀns équivĀlent dĀns lhistoire ; celui de lĀllusion philosophique, Āvec les Oreillons dont le mode de vie évoque lĀ fiction théorique dun  étĀt de nĀture » Āntérieur à toute société ; celui enfin de lutopie proprement dite Āvec lépisode dEldorĀdo, que VoltĀire Ā conformé à lidéĀl des Lumières (lĀmour dun Dieu créĀteur qui évoque celui des déistes, lĀmour de
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lĀ connĀissĀnce, lĀmour des Ārts Āu sens où lentend lEncyclopédie, dĀns une société où le vice, lintolérĀnce et le besoin sont inconnus). Cette triple utopie est déjouée trois fois : dĀns les missions du PĀrĀguĀy, dit ironiquement CĀcĀmbo,  Los PĀdres sont tout, et les peuples rien : cest le chef-dœuvre de lĀ rĀison et de lĀ justice » (chĀp. XIV). Chez les Oreillons, létĀt de nĀture est disquĀlifié pĀr  linhumĀnité Āffreuse » de leurs hĀbitudes ĀnthropophĀgiques (chĀp. XVI). Enfin, si lEldorĀdo offre une imĀge de lĀ perfection rĀtionnelle, celle-ci reste inĀccessible et son irréĀlité se dénonce delle-même pĀr le fĀit que le héros ne peut sy instĀller. VoltĀire imite certes le genre de lutopie dĀnsCandide: EldorĀdo est, mĀis sur un mode pĀrodique surtout un monde contrĀire Āu monde existĀnt, dont il souligne les fĀilles, sĀns pour ĀutĀnt lĀisser sétĀblir lillusion de sĀ possible réĀlisĀtion.
Enfin, à lultime chĀpitre, on voit le héros sétĀblir dĀns lĀ métĀirie de Propontide. Toute lĀ question – dont dépend linterprétĀtion du conte – est de sĀvoir si cest un nouveĀu pĀrĀdis. ConstĀtons dĀbord que cet ultime épisode Ā des Āllures de pĀrĀbole. De quoi sĀgit-il ? Une pĀrĀbole est une courte histoire Āllégorique qui utilise les événements quotidiens pour illustrer une morĀle ou une doctrine. Au lieu de présenter directement lĀ leçon quil Ā en vue, lĀuteur de lĀ pĀrĀbole rĀconte un fĀit qui doit servir à lĀ démonstrĀtion dune vérité dun Āutre ordre, Āvec lĀquelle son récit Ā une relĀtion fĀcile à sĀisir. LinstĀllĀtion dĀns lĀ métĀirie et lultime formule du héros ( Il fĀut cultiver notre jĀrdin ») donnent à lĀ clĀusule de CĀndide un stĀtut de pĀrĀbole : on y retrouve le thème du jĀrdin, présent Āux moments-clés du récit, mĀis il ne sĀgit plus dun éden fĀctice (Thunder-ten-tronck) ou inĀccessible (EldorĀdo). Le jĀrdin de Propondide devient un nouvel espĀce dĀns lequel lĀ culture des vérités prĀtiques remplĀce les chimères de lĀ métĀphysique. Pour échĀpper Āux deux menĀces qui guettent lhomme – lĀ  léthĀrgie de lennui », les  convulsions de linquiétude » (chĀp. XXX) –, le seul choix rĀisonnĀble nest pĀs de discourir sur des effets et des cĀuses incompréhensibles, mĀis de substituer le  fĀire » Āu  dire » : le trĀvĀil est le moyen de rendre lĀ vie supportĀble, lĀ créĀtion dune communĀuté où chĀcun est employé selon ses Āptitudes permet despérer une ĀtténuĀtion des mĀux humĀins, mieux vĀut sen remettre à cette morĀle prĀtique, qui se fonde sur un usĀge prudent de lĀ rĀison (en rupture Āvec les hĀutes spéculĀtions trop Āmbitieuses et hĀsĀrdeuses).
LĀ question posée pĀr nombre de critiques est celle de lĀ vĀleur de cette pĀrĀbole : est-ce une leçon de sĀgesse que nous propose VoltĀire ? BeĀucoup en relĀtivisent lĀ portée : il est importĀnt de comprendre que le philosophe, qui nĀ cessé de combĀttre les doctrines et les systèmes, nĀchève pĀs son récit en édifiĀnt le sien. LĀ formule de  Conclusion », font-ils observer, Ārrivein extremiset elle survient pĀr défĀut, Ālors quĀucun scénĀrio pour une fin heureuse nest possible : lĀmour ne serĀ pĀs comblé, pĀs plus que CĀndide ne connĀîtrĀ le confort intellectuel et les commodités de lĀisĀnce mĀtérielle, dĀns une vie délivrée de tout souci. LĀ solution du jĀrdin permet, Āu dernier moment, déviter le pire : linĀction, le désespoir, lĀ misère, lĀ double impĀsse des convulsions et de lennui. Cest  un Āccomplissement difficile et précĀire » (A. MĀgnĀn,op. cit., p. 76), qui résulte dun refus de lĀisser le mĀl et le rien triompher sĀns rien fĀire ( Que fĀut-il donc fĀire ? » demĀnderĀ PĀngloss), étĀnt entendu que ce
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 fĀire » nouveĀu exclut les rĀtiocinĀtions fumeuses ( Te tĀire », répond le derviche à PĀngloss).  TrĀvĀillons sĀns rĀisonner », tel serĀ donc le mot de lĀ fin : un mot Āmbigu, déceptif, provoquĀnt, qui renvoie le lecteur à sĀ responsĀbilité éthique et critique. Il ny Ā pĀs de véritĀble  morĀlité » dĀns ce conte, tout juste  un petit signe dencourĀgement Āux personnĀges, reconvertis […] en jĀrdiniers » (ibid., p. 95-96). Cest peu : il ne fĀut pĀs sous-évĀluer lĀporie relĀtive deCandide: lĀ turquerie finĀle propose certes un  mieux » Āux rescĀpés de tĀnt dhécĀtombes, cest un louĀble  sĀuve-qui-peut » permettĀnt de croire à un peu de bonheur terrestre, qui ne résout évidemment pĀs lobscure question de lomniprésence du mĀl dĀns lhistoire.
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