Pierre Fédida: le déchirement de la parole

Frans Tassigny

Description

Pierre Fédida était issu d'un milieu modeste. Ses parents étaient originaires d'Algérie. Son père exerçait le métier de menuisier et sa mère était ourdisseuse de vêtements sacerdotaux.
De formation philosophique — il a été l'étudiant de Gilles Deleuze à Clermont-Ferrand [réf. nécessaire], Pierre Fédida s'est formé à la phénoménologie et a développé une psychanalyse influencée par celle-ci. Il travaille pendant plusieurs années à un dialogue serré avec l'historien de l'art Georges Didi-Huberman.
Il a formé des centaines de psychanalystes, dirigeant notamment les thèses de Maud Mannoni, Patrick Guyomard et Monique David-Ménard. Il fut enseignant à l'université Paris VII.
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Extrait

Pierre Fédida: le déchirement de la parole

AuteurDanièle Brun

En août 1966, quelques mois après la mort de Ludwig Binswanger et alors qu’il s’apprêtait à signer auprès de la clinique suisse de Kreuzlingen un contrat de longue durée, Pierre Fédida est appelé par Juliette Favez-Boutonnier. Elle lui propose de se porter candidat sur un poste d’assistant à la Sorbonne. Il accepte après un temps de réexion et efectue dans la oulée les deux choix majeurs de sa carrière: l’Université Paris 7 et l’Association psychanalytique de France dont son psychanalyste Georges Favez est membre. Il maintiendra ces choix, habitera ces deux institutions auxquelles il apporta sa dynamique et ses projets.

2En trente-cinq ans de carrière, Pierre Fédida a produit une œuvre considérable, dans laquelle se dessinent, dès les premiers textes, qui datent de 1967, les thèmes qui vont jalonner son écriture et dont les titres de ses livres portent la trace.

3N’écrivait-il pas déjà dansCorps du vide et espace de séance(J.-P. Delarge, éditions universitaires 1977) «Que peut-il en être du corps dont la vérité – par essencevoilée– appartient au négati du souvenir, de l’inscription, de l’empreinte ou de la trace».

4Ensuite viendrontL’Absence(Gallimard, 1978),Crise et contre-transfert(P.U.F., 1992),Le Site de l’étranger(P.U.F., 1995),Par où commence le corps humain. Retour sur la régression(P.U.F., 2000),Des bienfaits de la dépression. Eloge de la psychothérapie(Odile Jacob, 2001) et, au nombre de ses très nombreux articles, on citera «L’œuvre de sépulture» dans un orum DiderotLa Fin de la vie, qui en décide?(P.U.F., 1996).

5Cette brève incursion dans la bibliographie de Pierre Fédida se veut surtout indicative, démonstrative du îl rouge qui tisse l’ensemble de ses travaux et de sa pensée. Ce îl rouge ne saurait être mieux déîni qu’en le rapportant à un concept

que Pierre Fédida afectionnait particulièrement et qu’il revient à Nicolas Abraham d’avoir introduit en 1968: celui d’«anasémie»[2][2]in L’écorce et le noyau, Aubier, 1978. ... suite.[3][3]L’Absence, op. cit. ... suite

6«Anasémie» veut dire surtout dé-signiîcation, «remontée à la source du sens». «Ecrire, précise Pierre Fédida dans «Les stries de l’écrit. La table d’écriture»,est méta-psychologique:il y va d’une topique de la théorie et avec elle, c’est l’érosion de tout contenu de signiîcation [...] La poétique de l’analyse rappelle simplement l’origine et la destination poétique de l’écriture: les stries du bois». La thématique du bois, «ce bois qui est le matériau de construction» se retrouve à maintes reprises dans l’écriture de Pierre Fédida, jusques et y compris dans l’appel à la philologie (Holz, Sto, Rohsto...[4][4]C. Par où commence le corps humain, Paris, P. U. F. , 2000,... suite).

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«J’ai pensé, écrit-il, que métier d’analyste était métier d’établi. L’analyste est-il menuisier ou ébéniste?»

8Le bois, toujours le bois. C’est le matériau de la construction, avec une métaphore privilégiée: celle de la jalousie. Déînie dansLe Robertcomme un «treillis de bois au travers duquel on peut voir sans être vu», la jalousie, ce store articulable que l’on sait être le titre d’un roman d’Alain Robbe-Grillet, orme le nœud d’un très bel article «Le narrateur mis à mort par son récit», publié dansL’Absence. C’est là, dans un mouvement de va-et-vient, entre le récit d’un patient abandonné par sa emme et une lecture du roman de Robbe-Grillet:La jalousieque Pierre évoque le déchirement de la parole. «Étrange texte [celui du narrateur et/ou celui de l’auteur?] dont le pouvoir serait celui d’avoir déchiré, détruit entièrement la parole d’un récit...»[5][5]In L’absence, Paris, Gallimard, 1978, p. 50. ... suite.

9La construction de l’œuvre repose, quant à elle, sur des notions essentielles, telles que l’absence, la relique, l’énigme du deuil, le rêve, la mélancolie, l’agir dépressi, avec une place importante réservée à la question de l’espace psychothérapeutique et du vide: celui de la métaphore et du temps de l’intervalle.

10Avec sa préace à Harold SearlesL’Eort pour rendre l’autre fou, on découvre l’engagement et la plasticité qui urent les siens dans ses rencontres avec les patients psychotiques, mélancoliques et schizophrènes.

11Impossible de restituer ici la diversité des approches de Pierre Fédida, sinon en renouvelant, pour le lire, le pari de dé-signiîcation qu’il livra au long de son œuvre pour remonter à la source du sens, ce dont témoigne également l’intitulé de son dernier séminaire annoncé à Paris 7 pour l’année 2002-03: «L’innommable».

12Esprit curieux et dépourvu de dogmatisme, Pierre Fédida, ouvert à toutes les ormes de pensée, déployait son ingéniosité à insérer la psychanalyse dans les intervalles des autres disciplines (littérature, art, philosophie, phénoménologie, poésie). Il s’engagea aussi, au cours de sa présidence du Centre d’études du vivant, dans la recherche d’un «terrain commun» entre la psychanalyse et les Sciences du vivant, notamment la médecine, la biologie et l’immunologie.

13C’est à sa stimulation – et je lui ai ait savoir combien elle avait été porteuse – que je dois la mise en œuvre du projet d’équipe d’accueil «Psychanalyse et médecine», auquel il s’est rallié dès le début. Avec l’entrée de «Psychanalyse et médecine» à l’université, au niveau de la recherche comme de la ormation doctorale, l’actualité du débat auquel Pierre Fédida a apporté une large contribution, connut une nouvelle relance.

14Je me propose donc pour conclure ce propos de rappeler les principaux points d’un exposé ait en juillet 2002, en présence de Pierre Fédida à l’occasion du premier colloque international du Séminaire inter-universitaire européen en Psychopathologie et psychanalyse (SIUERPP) dont il ut le premier président. Le thème ut le suivant: «Psychanalyse et université: enjeux actuels»[6][6]Le SIUERPP est actuellement présidé par Roland Gori avec... suite.

15J’y rappelais l’appui que les proessionnels de terrain trouvent sur les enseignants-chercheurs pour des projets de thèse, ce qui prévient les risques inhérents au train-train du quotidien. D’un autre côté, il était clair que la recherche en psychanalyse et médecine ne pouvait se passer du terrain. C’est là, sur le terrain, que la collaboration s’est nouée, en pédiatrie d’abord, en médecine adulte ensuite, pour des raisons inhérentes à l’évolution des progrès technologiques et à l’allongement des survies. Autant de questions qu’il ne s’agissait pas de détailler dans le moment mais dont Pierre Fédida connaissait les enjeux, notamment au regard des résistances qu’opposent beaucoup de médecins à l’approche analytique des mouvements de vie et de mort à l’œuvre dans le corps. Les efets des diverses ormes de psychothérapies réérées à la psychanalyse, tant avec le personnel soignant qu’avec les malades et leurs amilles ne pouvaient exclusivement être abordés sur le terrain d’où ces psychothérapies avaient émergé à la aveur des multiples collaborations qui se sont développées au cours des dernières années. Il allait que ces pratiques soient mises à l’épreuve de la recherche dans la dynamique universitaire.

16Je mentionnais alors comment sous la pression de l’écriture et de la réexion sur les concepts, l’exposé d’observations et de psychothérapies perdait parois son côté rileux. En somme l’université sollicitée de la sorte remplissait son rôle de lieu d’élaboration et de questionnement. La rencontre entre psychanalyse et médecine ne se présentait donc pas comme une nouvelle spécialité mais comme une occasion de repenser la psychanalyse et comme une méthode de renouvellement de l’approche des processus psychiques au nom des préoccupations quotidiennes que cause le corps malade. C’était la notion d’extraterritorialité de l’Université que je souhaitais également mettre en valeur tant pour la psychanalyse que pour la médecine. En efet, sur le terrain le poids

de la réalité médicale tend à reléguer au second plan ce qui se passe au niveau de la réalité psychique, ce dont témoignent toutes les constructions élaborées par les malades et par leurs proches sur la cause de la maladie.

17Le soutien qu’apporta Pierre Fédida à cette cause ut sans aille. C’est à lui que je laisserai les derniers mots en cette journée d’hommage que l’UFR de Sciences humaines cliniques lui consacre, lui qui, comme je le disais au début de mon intervention, participa à sa création:

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«La psychanalyse est une archéologie du corps, dit-il en décembre 1970, aux Entretiens de l’APF à Vaucresson[7][7]Voir Corps du vide et espace de séance, op. cit. p. 37. ... suite: c’est à cette condition qu’elle peut s’ouvrir sur une anatomie antastique. Nous désignons ainsi ce qui place résolument la psychanalyse selon sa spéciîcité propre à savoir son rapport au temps. Le psychanalyste est celui qui a accès à la trace, à l’inscription du désir et l’anatomie est, en dernier recours, le signe de sa transgression.»

NOTES

[ 1]Il se trouve — perte pour perte — que mon propos original qui était manuscrit n’a pas été enregistré et que je n’ai pas retrouvé mes notes. J’ai donc réécrit mon intervention avec le souvenir de ce que j’avais dit et l’ajout des principales données de ma participation au premier colloque du SIUERPP en 2002.

[ 2]inL’écorce et le noyau, Aubier, 1978.

[ 3]L’Absence, op.cit.

[ 4]C.Par où commence le corps humain, Paris, P.U.F., 2000, coll. dirigée par Jacques André.

[ 5]In L’absence, Paris, Gallimard, 1978, p. 50.

[ 6]Le SIUERPP est actuellement présidé par Roland Gori avec comme vice- présidentes Catherine Chabert et moi-même, André Sirota comme secrétaire général et François Marty, comme trésorier. Les activités du SIUERPP contribuent grandement à la déense de l’enseignement de la psychanalyse à l’Université devant les instances ministérielles.

[ 7]VoirCorps du vide et espace de séance, op.cit.p. 37.

Pierre Fédida, né le30octobre1934àLyonet er mort le1novembre2002àParis, est unpsychanalystede l'après-Lacan.

Sommaire

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1Biographie

2Pensée

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2.1Concepts

3Réérences

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3.1Œuvres

3.2À propos de

4Liens externes

Biographie[modiîer]

Pierre Fédida était issu d'un milieu modeste. Ses parents étaient originaires d'Algérie. Son père exerçait le métier de menuisier et sa mère était ourdisseuse de vêtements sacerdotaux.

De ormationphilosophique— il a été l'étudiant deGilles DeleuzeàClermont- [ré. nécessaire] FerrandPierre Fédida s'est ormé à la , phénoménologieet a développé une psychanalyse inuencée par celle-ci. Il travaille pendant plusieurs années à un dialogue serré avec l'historien de l'artGeorges Didi-Huberman.

Il a ormé des centaines de psychanalystes, dirigeant notamment les thèses deMaud Mannoni,Patrick GuyomardetMonique David-Ménard. Il ut enseignant à l'université Paris VII.

Il a codirigé la collectionForum DiderotauxPresses Universitaires de France(PUF), qui publiait de 1995 à 2002 les interventions aites par diférents participants, juristes, philosophes, scientiîques lors de colloques organisés à l’Université Paris 7 - Denis Diderot par le Centre d’études du vivant, qu'il dirigeait, et l’Association Diderot, que préside le philosopheDominique Lecourt.

e Il a été enterré aucimetière du Montparnasse(14 division).

Pensée[modiîer]

Sa pensée convoque des psychanalystes (Ludwig Binswanger,Jacques Lacan,Donald Winnicott), mais aussi des personnalités de lalittératureet de l'art(Samuel Beckett,Georges Bataille…).

Concepts[modiîer]

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Objeu

Réérences[modiîer]

Œuvres[modiîer]

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Dictionnaire abrégé, comparatif et critique des notions principales de lapsychanalyse, Paris, Larousse,1974. 255 p. Collection « Les e Dictionnaires de l'homme du XX siècle »

Le Concept et la violence, Paris, Union générale d'éditions,1977

Corps du vide et espace de séance, Paris, J.-P. Delarge,1977

Communication et représentation, sous la direction de Pierre Fédida, présentation de Pierre Fédida etDaniel Widlöcher, avec la collaboration deJean-François Allilaire,Alain Braconnier,Bernard Brusset,Maurice Dayan,Roland Juvent,Jacques Miermont,Paul Steiner, Paris, PUF, 1986,ISBN 2130393063

L'Absence, Paris, Gallimard,1978. Collection « Connaissance de l'inconscient ».ISBN 2070315398

Crise etcontre-transfert, Paris, Presses universitaires de France,1992.

« L'addictiond'absence. L'attente de personne » inClinique des toxicomanes, éd. Eres, 1995

Le site de l'étranger : la situation psychanalytique, Paris, Presses universitaires de France,1995

Par où commence le corps humain : retour sur la régression, Paris, Presses universitaires de France,2000

« Le canular de la neuropsychanalyse », article paru dansLa Recherche, o hors série n 3 (avril 2000)

Des bienfaits de la dépression : éloge de la psychothérapie, Paris, Odile Jacob,2001. 259 p.

Psychiatrie et existence, textes réunis par Pierre Fédida et Jacques Schotte,Editions Jerôme Millon, Collection Krisis, 1991,ISBN 2905614498

À propos de[modiîer]

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Sous la dir. de Monique David-Ménard,Autour de Pierre Fédida, regards, savoirs, pratiques., PUF, 2007,ISBN 9782130559405

Liens externes[modiîer]

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Psychanalyseetneurosciences: questions actuelles (voir aussineuropsychanalyse)

«Mort de Pierre Fédida, grande îgure de l'Université et de la psychanalyse»,Le Monde, 6 novembre 2002

Hommage