Lettre ouverte
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Description

Moi, ukrainienne, russe et française. La moitié de ma famille vit en Ukraine et l’autre en Russie. Moi-même, je suis moitié russe et moitié ukrainienne. J’ai les nationalités française et russe. Je vis à Paris. Cela ne m’a jamais posé de problème. Jusqu’à ce que l’un de mes pays se dresse contre l’autre et le troisième menace d’envoyer des avions militaires en faisant grimper la tension qui est déjà à son comble. Vous aurez certainement déjà compris que ma première nationalité est russe. Effectivement. Je me revendique toujours comme russe, plutôt qu’ukrainienne ou française. Mais à l’heure actuelle, heure qui est grave, mon coeur est avec ma famille ukrainienne. Ma famille ukrainienne proche vit près de Tchernigov, une région coincée entre les territoires pro-russes et les territoires anti-russes. C’est la province profonde, avec des villages où les lignes électriques sont parfois l’unique signe visible de la civilisation, où l’on chauffe les maisons et cuisine avec du feu du bois, où l’on va chercher de l’eau au puits pour se laver et faire à manger, hiver comme été. Mais même dans les villages les plus reculés vous trouverez maintenant des téléphones portables et même parfois Internet. Et je peux donc maintenir le contact avec mes proches. Je viens de faire Skype avec ma nièce de 11 ans. Sa maman, médecin de formation, a passé sa journée d’aujourd’hui en pleurs et après avoir pris des somnifères puissants, elle vient de s’endormir.

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Publié le 11 mai 2014
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Langue Français

Extrait

Moi, ukrainienne, russe et française.
La moitié de ma famille vit en Ukraine et l’autre en Russie. Moi-même, je suis moitié russe et moitié ukrainienne. J’ai les nationalités française et russe. Je vis à Paris. Cela ne m’a jamais posé de problème. Jusqu’à ce que l’un de mes pays se dresse contre l’autre et le troisième menace d’envoyer des avions militaires en faisant grimper la tension qui est déjà à son comble. Vous aurez certainement déjà compris que ma première nationalité est russe. Effectivement. Je me revendique toujours comme russe, plutôt qu’ukrainienne ou française. Mais à l’heure actuelle, heure qui est grave, mon coeur est avec ma famille ukrainienne.
Ma famille ukrainienne proche vit près de Tchernigov, une région coincée entre les territoires pro-russes et les territoires anti-russes. C’est la province profonde, avec des villages où les lignes électriques sont parfois l’unique signe visible de la civilisation,où l’on chauffe les maisons et cuisine avec du feu du bois, où l’on va chercher de l’eau au puits pour se laver etfaire à manger, hiver comme été. Mais même dans les villages les plus reculés vous trouverez maintenant des téléphones portables et même parfois Internet. Et je peux donc maintenir le contact avec mes proches. Je viens de faire Skype avec ma nièce de 11 ans. Sa maman, médecin de formation, a passé sa journée d’aujourd’hui en pleurs et après avoir pris des somnifères puissants, elle vient de s’endormir. Sa fille fait une nuit blanche en jouant sur l’ordinateur. En ce moment, elle ne fait que cela. Elle ne va plus à l’école.La fillette vient de m’écrire qu’elle a peur. Et je ne sais pas quoi lui répondre... Cela ne sert à rien de leur proposer de partir.Nous, nous pouvons les accueillir. A Paris. A Moscou. Mais eux, ils ne peuvent pas partir. Parce que la mère, en tant que personnel médical, a été mobilisée. Au début, c’était juste une information dans éventualité de l’état de guerre. Sauf que maintenant l’ordre est donné. Aujourd’hui dans son hôpital un groupe de personnes armées est venu chercher deux de ses
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collègues. A l’improviste. Sans prévenir. Sans dire ni où ils allaient, ni ce quiva se passer, ni leur donner possibilité de dire au revoir à leur famille. La mobilisation. Ma cousine est sur cette même liste. Elle a une boule au ventre. Elle a peur pour elle, elle a peur pour son mari.Elle a peur pour leur enfant. Et elle ne peut rien faire. Depuis la première annonce de mobilisation, toutes les routes sont contrôlées. On ditque c’est pour prévenir l’infiltration des russes. Mais ma cousine et sa famille, ainsi que leurs collègues et voisins savent que maintenant,s’ils se font arrêter lors de ces contrôles, ils seront reconnus déserteurs. Avec tout ce que cela implique dans un pays en état de guerre. Donc personne n’ose fuir.Une bonne nouvelle – on a commencé à verser les salaires dans le secteur public ainsi que les retraites. La période de galère, quand une bonne partie de la petite ville vivaient de bouts de ficelle grâce aux bus qui pour 300 grivna par jour embarquaient des gens pour Maidan à Kiev, semble révolue.Mais les bruits courent que ce répit ne durerait que jusqu’aux élections et une inquiétude persiste.
Je me sens impuissante devant la tragédie de ces gens. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils sont en train de subir un traumatisme et que, quoi qu’il arrive, il y aura de toute manière des traces indélébiles. Ce que tout le monde craint le plus là-bas, ce sont les provocations. La communication de deux côtés développe des arguments de diabolisation de l’adversaire. L’occupant-tyran d’un côté, le nationalisme-fascisme de l’autre. Saura-t-on éviter les tentations de discréditer l’adversaire en faisant en son nom des actes de violence contre la population civile ? Cette population, au nom du bien-être de laquelle on n’arrête pas de tous les côtés d’avancer les menaces de plus en plus corsées. Cette population qui se retrouve en réalité en otage sans s’en rendre compte. Ma famille fait partie de cette « population civile ».Dont personne ne se soucie, mais dont on a besoin pour monter d’odieux spectacles ou faire la guerre. Les temps sont devenus bien troubles et en soi propices non seulement à toutes sortes de tentation de chauffer les foules par des mises en scène abominables, mais aussi à la résurgencede la violence purement criminelle de la période far-west qui a suivi la chute de l’URSS avec son banditisme de rue et le règne de la sauvagerie anonyme et rapace. Moi, je ne veux pas croire que la guerre soit possible.Mais moi aussi j’ai eu bien peur en entendant la tonalité guerrière du discours de l’Union européenne il y a
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quelques semaines, une formation historique qui doit son existence même à la volonté de faire tout possible pour éviter une nouvelle guerre en Europe. J’ai eu peur en entendant la France déclarer la mobilisation de ses avions militaires...De façon délibérée, je ne veux pas parler ici des Etats Unis, de l’expansion de l’OTAN envisagée en Ukraine et de tout cet échiquier. Ce n’est pas mon sujet. Ce que je n’ai pas entendu pendant tout ce temps, c’était des discours d’appel à une pacification. D’abord des esprits. Puisque que la confrontation militaire ouverte entre l’Ukraine et la Russie n’est pas une réalité. Pas encore une réalité. Mais vers quoi tout le monde poussait jusqu’à tout récemment.
Je veux qu’on arrête pour de bon de sacrifier l’Ukraine en l’obligeant à faire un choix impossible entre l’Europe et le Russie. Je veux qu’on arrête la propagande digne de la guerre froide et qui stimule la haine. Je veux que la génération de ma cousine ne soit pas bousillée. Je veux que ma nièce retourne à l’école. Je veux que cette horreur cesse. Je veux enfin que le réalisme et le pacifisme prennent le dessus. Et mes positions politiques dans tout cela? Je pense qu’il vaut peut être mieux interroger mon grand-père ukrainien qui s’est battu lors de la Deuxième guerre mondiale. Ironie du sort, il a reçu sa blessure en libérant Rostov-sur-le-Don, refuge actuel du président ukrainien déchu. En fait, peu importe qui vous répondra. Ma cousine, le grand-père et moi, nous vous répondrons la même chose,- il n’y a rien de pire que la guerre. J’espère que l’Union européenne pense la même chose en annonçant son ouverture pour l’organisation de pourparlers cette semaine...
Leula Vaudon, Cadre d’entreprise, diplômée du CFPJ et de l’Institut français de Presse
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