Russie - Une opposition sous influence
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1 En couverture : photographies des manifestation ayant suivi les élection législatives de décembre 2011 (en bas) et l’élection présidentielle de mars 2012 (en haut). Les drapeaux de l'URSS côtoient ceux des libéraux deYabloko, du mouvement Oboron (copié sur celui des dissidents serbes d'Otpor), des marxistes duLevy Front, des LGTB (Lesbiens, Gays, Trans, Bi) et les drapeaux de la Russie impériale symbole de ralliement des nationalistes. 2 Russie : une opposition sous influence Au terme de l’élection présidentielle russe du 4 mars 2012, Vladimir Poutine a été élu dès le premier tour avec 63% des suffrages exprimés, devançant le premier de ses quatre concurrents, Guennadi Ziouganov (Parti Communiste) de 46 points. L’édition 2012 du suffrage suprême de la Fédération de Russie a connu un fort retentissement dans les médias du monde entier, du fait du renouveau entamée par le pays et, aussi, de manifestations inédites en Russie dénonçant l’honnêteté du parti au pouvoir, celui du candidat Poutine. Le fait que ce dernier ait déjà effectué deux mandats présidentiels dans le passé ajoutant à la lassitude des opposants russes et de leurs soutiens à l’extérieur. Le mouvement de contestation à l’œuvre était né à l’issue des élections législatives à la Douma de décembre 2011.

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Publié le 02 mars 2015
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Langue Français
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Extrait

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En couverture : photographies des manifestation ayant suivi les élection législatives de décembre 2011 (en bas) et l’élection présidentielle de mars 2012 (en haut). Les drapeaux de l'URSS côtoient ceux des libéraux deYabloko, du mouvement Oboron (copié sur celui des dissidents serbes d'Otpor), des marxistes duLevy Front, des LGTB (Lesbiens, Gays, Trans, Bi) et les drapeaux de la Russie impériale symbole de ralliement des nationalistes.
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Russie : une opposition sous influence Au terme de l’élection présidentielle russe du 4 mars 2012, Vladimir Poutine a été élu dès le premier tour avec 63% des suffrages exprimés, devançant le premier de ses quatre concurrents, Guennadi Ziouganov (Parti Communiste) de 46 points. L’édition 2012 du suffrage suprême de la Fédération de Russie a connu un fort retentissement dans les médias du monde entier, du fait du renouveau entamée par le pays et, aussi, de manifestations inédites en Russie dénonçant l’honnêteté du parti au pouvoir, celui du candidat Poutine. Le fait que ce dernier ait déjà effectué deux mandats présidentiels dans le passé ajoutant à la lassitude des opposants russes et de leurs soutiens à l’extérieur. Le mouvement de contestation à l’œuvre était né à l’issue des élections législatives à la Douma de décembre 2011. Porté par des ONG, les leaders des partis d’opposition et des figures de la société civile, il contestait les conditions d’organisations du scrutin jugées opaques et malhonnêtes, à l’avantage du parti Russie Unie. Le relatif affaiblissement de la majorité (49% contre 64% en 2007) était le signal déclencheur pour ses opposants. Durant les trois mois séparant les deux votes, l’on a vu se greffer à la légitime aspiration de certains citoyens russes à une autre société, à une autre classe politique, les voix d’ONG et d’officiels américains leur apportant leur soutien et dénonçant la répression menée à leur encontre. Les médias américains et européens se sont dans le même temps intéressés à ce mouvement et cette répression avec beaucoup d’intérêt. La « Marche des millions » du 5 mai 2012 à Moscou, qui devait marquer la poursuite de la critique du pouvoir après les élections n’a réuni que 20000 personnes selon les organisateurs et 8000 pour la police. En février, 120000 personnes défilaient dans la capitale russe d’après l’opposition (14000 pour la police). Cet échec, symbolique de l’essoufflement du mouvement, a révélé ses failles et ses lacunes, que la surexposition médiatique avait mises au second plan. La présente étude a pour objectif de mettre en lumière des éléments ayant jusqu’ici été minorés ou seulement effleurés. La première partie retrace l’évolution du rapport de Washington à Moscou depuis la fin de l’URSS en vue d’expliquer l’instrumentalisation systématique des groupes contestataires dans le voisinage de la Russie, et plus récemment sur son propre territoire. Puis, dans une seconde partie, la focale est portée sur les personnalités et groupes d’opposition russes, analysant avec précision leurs origines et leurs soutiens. De ce tableau ressort la grande désunion de l’opposition russe.
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Une troisième partie interroge le traitement journalistique des élections russes, se démarquant par l’hémiplégie de la couverture médiatique et une absence de profondeur que les auteurs espèrent voir corrigée à l’avenir.
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I . M A N Œ U V R E S A M É R I C A I N E S C O N T R E L A R U S S I E *** Z . B r z e z i n s k i , t h é o r i c i e n d u r a p p o r t d e W a s h i n g t o n à M o s c o u Pour comprendre la posture des États-Unis vis-à-vis de la Russie,Le 1 Grand échiquier, de Zbigniew Brzezinski , est d’une grande aide. En 1997, son auteur plaide pour l’établissement de l’hégémonie américaine sur le monde, seule à même d’assurer sa stabilité. Dans cette optique, aucune puissance ne doit pouvoir venir contester cette dernière. Au sortir de la Guerre froide, la menace russe est affaiblie, mais pas éteinte et il résume dans ce livre ce qu’a été la position des États-Unis et ce qu’elle devra être afin d’éviter le renouveau d’une Russie antagoniste, puissante, impérialiste et concurrente. L’essentiel consistera d’une part à poursuivre l’effort américain déjà placé dans la modernisation de la Russie, en y favorisant la démocratie, la décentralisation (devant aboutir dans l’idéal à une partition en trois entités fédérales) et l’économie de marché. D’autre part, à « renforcer le pluralisme géopolitique » prévalant dans l’espace postsoviétique par un soutien économique et politique aux nouveaux États indépendants. Dans ce qu’il appelle les Balkans 2 eurasiatiques , ainsi qu’en Ukraine, considérée comme un pivot géopolitique majeur, les États-Unis doivent refouler l’influence de la Russie s’ils veulent avoir la paix. Dans cet ouvrage est déjà envisagée l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. En somme, la manœuvre sera réussie s’ils parviennent à rallier la Russie à leur modèle socio-économique tout en parvenant à l’encercler géopolitiquement, coupant l’herbe sous le pied à toute velléité néoimpériale. Les écrits de Zbigniew Brzezinski ne sont pas anecdotiques. Ayant été conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter (puis de la campagne de George H. Bush), actuel soutien de Barack Obama, il fait partie des artisans de la politique étrangère américaine et a toujours joui d’une aura importante auprès de ses décideurs jusqu’à maintenant. S’il est ardu de mesurer le poids effectif de ses théories sur les décisions de politique étrangère américaine depuis la chute du mur de Berlin, force est de constater qu’elles s’y reflètent largement. L ’ é c h e c d e l a s a t e l l i s a t i o n v o l o n t a i r e
1 BRZEZINSKI Zbigniew,The Grand Chessboard, American Primacy and its Geostrategic Imperatives, 1997. 2 Composés des pays de l’Asie centrale et du Caucase, ainsi nommés en raison de l’enchevêtrement de minorités et des rivalités de puissances qui s’y jouent.
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Dès l’émergence d’idées réformistes derrière la figure de Mikhail Gorbatchev, les États-Unis se sont enthousiasmés, lui apportant un soutien sans précédent, renouvelé à Boris Eltsine une fois l’URSS disparue. La mort du régime a permis l’accélération du processus, Washington trouvant des relais fidèles au sein de l’équipe Eltsine : Andreï Kozyrev (ministre des Affaires étrangères), Anatoli Tchoubaïs (ministre chargé des privatisations) et Iegor Gaïdar (ministre de l’Économie et des Finances, puis premier ministre). À l’époque, le Harvard Institute for International Development fut sollicité par le gouvernement, à 3 travers l’USAID (United States Agency for International Development), pour dépêcher des économistes auprès des dirigeants russes afin d’accompagner l’effort de conversion au libéralisme politique et à l’économie de marché. On comptait parmi eux Jeffrey Sachs, conseiller de Gaïdar et artisan de la « thérapie de choc », ainsi qu’Andrei Schleifer, conseiller de Tchoubaïs et auteur du programme de privatisations. Le projet d’Harvard était placé sous la surveillance du juriste Jonathan Hay, qui en profita, comme Schleifer, pour réaliser des investissements en Russie, occasionnant de multiples conflits d’intérêts. Ces protagonistes firent l’objet d’un procès au terme duquel fut établie leur culpabilité dans l’abus de leur position et des fonds de l’USAID à leur profit personnel. Ce qui contribuait à véhiculer une mauvaise image auprès des Russes selon le jugement. La décennie Eltsine fut une catastrophe pour le pays et un échec pour les États-Unis : libération des prix, convertibilité du rouble et vagues de privatisations, qui constituaient les piliers de la « thérapie de choc », n’eurent pas les effets escomptés. En fait de décentralisation, le pouvoir d’Eltsine était centralisé au sein d’un formidable embrouillamini institutionnel. Les mafias et la corruption prospérèrent sur fond d’une hausse de la criminalité. Des monopoles se constituèrent entre les mains de quelques hommes : les oligarques. Et à partir de 1994, les tensions qui couvaient en Tchétchénie éclatèrent, menant à une guerre. Tout cela entraîna un essor du néocommunisme, à rebours des intérêts américains. Sur le front de la réforme démocratique, la Russie postsoviétique a fait des avancées notables par rapport à l’URSS, mais elle ne se caractérise pas par un triomphe de la liberté politique. En fait, dès septembre 1993 les promesses démocratiques sont fortement égratignées quand Eltsine envoie l’armée contre le Parlement après le rejet par celui-ci d’un projet de réforme constitutionnelle. Par la suite, fraudes électorales et utilisations des télévisions à des fins de propagande n’améliorent pas la situation. Ceci n’empêche pas les États-Unis de renouveler leur soutien au gouvernement. Faute de mieux ? Mais au plan international, les avancées sont plus concrètes et profitent aux Américains. La Russie adhère au FMI et à la banque mondiale en 1992, avant d’entrer dans le G7 en 1998. Le 3 janvier, elle signe le traité START II de
3 Héritière du plan Marshall, créée en 1961 par le président John F. Kennedy, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international a pour vocation d’aider des pays étrangers « se relevant de catastrophe, essayant d’échapper à la pauvreté et s’engageant dans des réformes démocratiques » (www.usaid.gov).
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limitation des armements et le 27 mai 1997, l’acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Russie. Même si la crise de 1998 a raison d’Eltsine et des espoirs qu’il a fini de porter, et même s’il existe bien sûr des motifs de divergence (démembrement de la Yougoslavie, Irak, élargissement de l’OTAN en Europe centrale, etc.), les États-Unis ne peuvent être inquiétés par la Russie à l’aube des années 2000. Puissance totalement exsangue, dans une situation économique plus grave que sous l’URSS, et plus assez puissante diplomatiquement pour imposer ses vues, la Russie est symboliquement impuissante au moment où l’OTAN bombarde son allié serbe en mars 1999. L e s É t a t s - U n i s , u n p a r t e n a i r e a m b i g u En 2000, les gouvernements russe et américain sont renouvelés, amenant à leurs têtes Vladimir Poutine et George W. Bush. Ce changement participe au réchauffement des relations entre les États, effaçant la brouille de 1999. Malgré un désaccord persistant sur la défense antimissile et l’OTAN, les deux hommes témoignent de leur confiance mutuelle au cours d’une rencontre en Slovénie, le 16 juin 2001. Au-delà de cet échange d’amabilité, le rapprochement va être consacré par le grand imprévu du 11 septembre 2011, dont il découle comme beaucoup d’autres évolutions de la politique américaine. Du côté russe, le Kremlin avait placé au sommet de son agenda la résolution du problème terroriste sévissant à partir du Caucase et Poutine est le premier homme d’État à apporter son soutien et proposer son aide aux Américains le jour de l’effondrement des tours jumelles. Le 24 septembre, il déclare que les événements de Tchétchénie « ne peuvent être considérés en dehors de la lutte contre le terrorisme international ». En échange de ce soutien, Washington cesse officiellement de soutenir les rebelles du Caucase nord et inscrit leur leader sur la liste des terroristes internationaux. Plus tard, en 2002, des militaires américains seront envoyés à la frontière russo-géorgienne pour sécuriser les zones à partir desquelles les terroristes opèrent. Le contexte particulier de l’après 11 septembre permet aux États-Unis de se retirer du traité ABM pour développer leur propre système de défense antimissile sans susciter trop de contestation du côté russe. Ils obtiennent la signature du traité de Moscou (ou SORT), version évoluée de START III. Ce traité est le point de départ de ce qu’on a appelé la « nouvelle coopération stratégique ». La relation russo-américaine passe alors largement par la relation interpersonnelle entre Bush et Poutine, amenant la création du conseil OTAN-Russie le 24 mai 2002 visant à traiter de questions relatives à la sécurité et à développer des projets communs. Dans la même veine, la Russie permet aux États-Unis d’installer des bases au Kirghizistan et en Ouzbékistan pour ses opérations en Afghanistan. Cette coopération ne doit pas occulter le fait que la Russie nourrit un ressentiment à l’égard des États-Unis sur l’OTAN et à la suite du retrait du traité ABM. Néanmoins la coopération est bien là, dans laquelle les deux parties trouvent leur compte, avec un profit plus élevé du côté américain.
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Malgré le rapprochement des deux États, la bannière étoilée s’est échinée à déstabiliser le voisinage immédiat de la Russie, tentant de faire émerger des élites dirigeantes favorables au camp occidental. En parallèle de leur tentative d’arrimage de la Russie au wagon occidental, les États-Unis ont mis en œuvre une stratégie d’influence dans le voisinage de la Russie, en vue de réaliser l’objectif de pluralité géopolitique régionale. Dans les années 1990, elle passe par des investissements dans la formation des futures élites et dans un soutien ciblé à certaines factions de pays en guerre. Moscou n’étant pas prête à tirer un trait sur ses intérêts dans les régions autrefois soviétiques (elle a mis en place la CEI (Communauté des États Indépendants) en décembre 1991 pour assurer la transition), il en est résulté des luttes d’influence où les Américains assurèrent l’offensive, les Russes la défensive. Cette pression est également à l’œuvre dans les anciens satellites de l’URSS, avec l’élargissement de l’OTAN à la République tchèque, à la Hongrie et à la Pologne le 12 mars 1999. George Soros joue ici un rôle très important. Hongrois d’origine, il a fait fortune aux États-Unis dans la finance à partir de la fin des années 1950. Piqué de philanthropie, il utilise sa fortune pour contribuer aux développements de sociétés ouvertes et démocratiques à travers le monde. Avant même la chute de l’URSS, il finançait et supportait des dissidents en Pologne (Solidarnosc), République tchèque (Charter 77) et en Russie (Andreï Sakharov), et implantait en 1984 son premierOpen Society InstituteBudapest. À partir de 1991, il a à continué à propager ses idées en Europe de l’Ouest et dans l’espace postsoviétique, notamment en Géorgie, à travers le financement et le développement de la presse, des droits de l’homme, des arts, de la culture, d’Internet, etc. La lutte d’influence est forte, mais il n’y a guère que l’Ouzbékistan qui a ostensiblement pris parti pour les États-Unis. Ailleurs, les pays sont sur la corde et, dans un environnement géopolitique très instable, leur positionnement dépend de l’habileté des deux camps à les influencer. L’administration Clinton a suivi une politique russe inspirée par Strobe Talbott, alors ambassadeur extraordinaire et conseiller spécial sur les nouveaux États indépendants auprès du secrétaire d’État. Aujourd’hui président de la Brookings, celui-ci a suscité deux types de critique. D’un côté, l’une portant sur une trop grande rigidité à l’égard de Moscou : Washington aurait du temporiser dans l’élargissement de l’OTAN puisque cela revenait à offenser les Russes. Et il aurait fallu développer une aide accrue à la Russie (Michael Mandelbaum et George Kennan étant à ranger dans ce camp). De l’autre, l’administration aurait fait preuve de trop de clémence, voire de cécité envers la Russie et ses dirigeants, avis véhiculé notamment par Condoleeza Rice. On retrouve Condoleeza Rice et les comptenteurs du talbotisme au pouvoir à compter de l’élection de George W. Bush en 2000. Même si les relations russo-américaines vont paradoxalement atteindre leur meilleur sous cette administration, les deux mandats de Bush vont être marqués par
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l’approfondissement de la stratégie de refoulement de la Russie dans son étranger proche. L e s r é v o l u t i o n s c o l o r é e s : i n s t r u m e n t s e t m é t h o d e s d e l ’ i n f l u e n c e a m é r i c a i n e Les révolutions colorées sont l’instrument de cette stratégie. Elles consistent en des mouvements populaires ayant pour points communs : d’intervenir dans le contexte d’élections dont les résultats sont dénoncés comme frauduleux par des observateurs indépendants (ONG) ; d’être menés par des groupes financés et formés par les Américains ; de reprendre les techniques 4 théorisés par Gene Sharp ; d’être formés par des activistes ayant déjà mené ce genre d’opérations ; d’être relayés par des « nouveaux médias »; de recevoir 5 l’appui des ambassadeurs américains sur place . Les méthodes des révolutions colorées, à commencer par le recours à une couleur symbolisant la protestation, ont été théorisées par le Machiavel de la guerre non violente, Gene Sharp. Le professeur de science politique de l’université du Massachusetts inspirera les groupes à la base des révolutions colorées à venir, 6 jusqu’aux révoltes arabes. Son manuelDe la dictature à la démocratiea influencé le mouvementOtpor, ayant participé à l’éviction de Milosevic. Les Serbes ayant même été formés par l’Institut Albert Einstein, créé par Sharp en 1983. Son président de l’époque, le colonel Robert Helvey, se rendit ainsi en 2000 à Budapest, ville d’exil de l’ambassade américaine en Serbie, où il anima des 7 ateliers auprès des opposants serbes. Ces ateliers étaient financés par l’IRI (International Republican Institute), à travers leNational Endowment for Democracy(NED). La NED joue un rôle clé dans chacune des révolutions colorées, comme elle avait joué un rôle dans le soutien au mouvement polonaisSolidarnosc. L’organisation a été lancée en 1983, pour donner suite à la volonté affichée par Reagan de créer un instrument capable de renforcer la démocratie dans le monde. Mandatée par l’USAID, l’American Political Foundationmena alors leDemocracy Program, recommandant la création d’une organisation bipartisane, privée et à but non lucratif pour propager la démocratie. C’est le rôle que jouera la NED.
4 SHARP Gene, The Politics of non-violent action, Boston, Extended horizons books, 1980. 5 Les nominations des ambassadeurs sont d’ailleurs intrigantes. Ainsi, Richard Miles, ambassadeur américain en Géorgie au moment de la révolution des roses était ambassadeur en Serbie au moment de la destitution de Slobodan Milosevic. Il conseillait directement M. Saakachvili. 6 SHARP Gene,From Dictatorship to Democracy, A Conceptual Framework for Liberation, The Albert Einstein Institution, 1993. 7 Fondé en 1983 par Ronald Reagan, l’IRI a pour objectif de « faire avancer la démocratie dans le monde ». Vaste programme pour lequel il reçoit des fonds du département d’Etat, de l’USAID et de la NED, moins d’un pourcent de ses fonds provenant de donations privée. Quoique les Républicains y soient fortement représentés, avec l’ancien candidat républicain John McCain à sa présidence, l’IRI se présente comme indépendant.
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Bien qu’elle soit une ONG, son financement est voté par le Congrès et il figure 8 dans le budget du département d’État . Pour appuyer son action à l’étranger, elle s’appuie sur quatre organisations créées en même temps qu’elle et auxquelles elle adresse la moitié de son budget : l’IRI (International Republicain Institute), le NDI (National Democratic Institute), le CIPE (Center for International Private Enterprise), rejoints en 1997 par leSolidarity Center (syndicats). L’autre moitié du budget de la NED sert à financer des ONG étrangères. On retrouvera donc la patte de la NED, en direct ou via ses affiliations, dans chacune des révolutions de couleurs, tantôt pour des activités de conseils et de formation à l’opposition, tantôt dans le financement d’ONG locales, tantôt dans l’organisation d’observations des scrutins. Aux côtés de la NED agit une nébuleuse d’organisations américaines aux intentions similaires, à savoir « l’émergence d’une société civile et la promotion de la démocratie ». LeProjet pour les démocraties en transition a été mis en place par la Maison Blanche en 2002, et Bruce P. Jackson placé à sa tête. Il vise à « accélérer la mise en œuvre des réformes dans les démocraties postsoviétiques et à avancer la date 9 de leur intégration dans les institutions euroatlantiques » . Collaborant avec la CIA et les ambassades des pays visés par les révolutions de couleur, l’association est alimentée par l’USAID et des sources non gouvernementales telles que la Fondation Soroset laFreedom House. LaFreedom House, datant de 1941, supporte pour sa part la transition démocratique, recherche la liberté et promeut la démocratie et les droits de l’homme partout dans le monde. Elle supporte des initiatives civiques non violentes dans des sociétés où la liberté est bafouée ou menacée et elle se dresse face aux idées et aux forces qui remettent en cause le droit des peuples à la 10 liberté. L’organisation a joué un rôle en Serbie, en Ukraine , au Kirghizistan et plus récemment en Égypte et en Tunisie. Son financement est très largement fédéral et elle édite chaque année une carte des libertés pour le moins orientée et 11 simpliste . Ajoutons-y l’International Foundation for Elections Systemsle (1987), Caucasus Institute for Peace Democracy & Developmentpar l’USAID, l’ (sponsorisé Open Society et la NED), l’US Institute for Peace, la Fondation Carnegie pour la paix internationale ou laRand Corporationautres et think tanks disposant de
8 Executive Budget Summary, Fiscal Year 2013, US Department of State. 9 Page d’accueil du site duProjet pour les démocraties en transitions, aujourd’hui désactivé : Version 2003 consultable ici : http://web.archive.org/web/20030802104806/http://www.projecttransitionaldemocracy.org/PTD_In dex.htm 10 Les militants serbes d’Otpor se sont vu financés parFreedom Housepour aller former les opposants ukrainiens (cf. Ian Traynor, « US Campaign behind the turmoil in Kiev »,The Guardian, 26 nov. 2004.) 11 Report 2010, Freedom House.
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représentations dans l’espace postsoviétique et l’on obtient un formidable attirail de promotion de la démocratie.L er e s e to u v e a u n n , u d u r é ec o u r t e d e d é p a r t Face à cette action d’influence à grande échelle, la Russie n’est évidemment pas restée dupe, ni spectatrice passive. Les révolutions colorées de Géorgie, d’Ukraine et du Kirghizistan ont été des signaux d’alarme pour les dirigeants de la fédération. Le 23 décembre 2005, la Russie a logiquement renforcé le contrôle administratif sur les ONG locales et étrangères. En retour, Moscou a fait sentir aux gouvernements mis en place avec l’aide des Américains qu’elle ne se laisserait pas pour autant avoir. Fin 2005, alors que le gouvernement ukrainien pro-occidental entendait revoir à la baisse le prix des livraisons du gaz russe, le pays fut privé d’alimentation jusqu’à l’abandon de ses revendications en janvier 2006. En Géorgie, Moscou a favorisé les provinces sécessionnistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. En juillet 2005, les républiques d’Asie centrale soutenues par Poutine demandèrent la fermeture des bases américaines sur leurs sols, obligeant ensuite les Américains à augmenter le prix de leur location. Sauf en Ouzbékistan, dont le gouvernement qui avait été en proie à une révolution de couleur avortée deux mois auparavant ferma la base de Karchi Khanad utilisé pour les opérations en er Afghanistan dès le 1 août avant de signer un traité d’alliance militaire avec la Russie en 2005. L’affrontement culminera à l’été 2008 au cours de la guerre éclair russo-géorgienne. Galvanisée par le soutien de l’OTAN, dont le sommet du 3 avril 2008 aurait dû voir le dépôt de candidature officielle de la Géorgie et de l’Ukraine, la Géorgie envoie ses forces militaires en Ossétie du Sud et en Abkhazie, ouvrant le feu sur des troupes russes de l’OTSC. En représailles, la Russie enfonce l’armée géorgienne jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu. À la résolution du conflit, les deux provinces se voient reconnaître leur indépendance par Moscou, désormais garante de celle-ci. Après cet épisode, les arrivées au pouvoir de Barack Obama à Washington, et de Dmitri Medvedev à Moscou, vont assouplir des relations russo-américaines qui s’étaient tendues au maximum suite aux opérations d’influence dans le voisinage immédiat de la Russie et à des points de fixation tels que la négociation des traités de désarmement et la question du Kosovo. Le tout dans le contexte de la campagne présidentielle américaine, traditionnelle occasion d’un dérèglement 12 des discours de politique étrangère . 12 Le candidat républicain John McCain avait ainsi fait profession d’opposition à la Russie durant sa campagne, prônant son éviction du G8 et déclarant avoir vu trois lettres dans les yeux de Poutine : K. G. B.
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