PORTRAIT DE CON (AVEC DAMES) chap. 1
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Description

1/ REQUIEM Habilement maquillé, joues recolorées couleurs vie, le visage apparaît, dans ce cas précis rien de bien surprenant, plus serein que jamais, apaisé… enfin. Le mort que l’on veille c’est un presque vivant en transit, un mort pas trop mort encore. Qu’il soit déjà dans son cercueil gâche un peu. Il ne s’agit pas du cercueil, lui-même barque, évocation des anciens départs en beauté, des navires bûchers enflammant la nuit viking. Non, les poignées… ce sont les poignées qui taisent la magie. Impossible de ne pas river le regard sur l`indécence luisante du métal argenté. Elles banalisent la mort, anticipent les mains vigoureuses qui chargeront le triste corbillard nécessairement noir avant le trou rectangulaire aux parois abruptes plongeant bien audelà des racines les plus profondes. Les poignées insultent la noblesse du bois, préfigurent la descente à la corde, toujours pratiquée par ici, avec le seul mérite d`éviter les grincements crantés de la crémaillère scandant les à-coups vers le nonmonde souterrain. La dextérité des fossoyeurs, la coordination de leurs mouvements, évitent ou doivent éviter au cercueil les aléas d’un tangage violant le sacré de l’inhumation. Six pieds sous terre il ne voguera pas animé de flammes profanes, ne connaîtra pas non plus l’envol des cendres dans le vent, non, rien que la mort fixe loin sous le marbre ci-gît. The End, voilà ce qui vient subitement me résonner dans la tête… les Doors. Il aurait bien aimé.

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Publié le 29 septembre 2015
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Langue Français

Extrait

1/ REQUIEM
Habilement maquillé, joues recolorées couleurs vie, le visage apparaît, dans ce cas précis rien de bien surprenant, plus serein que jamais, apaisé… enfin. Le mort que l’on veille c’est un presque vivant en transit, un mort pas trop mort encore. Qu’il soit déjà dans son cercueil gâche un peu. Il ne s’agit pas du cercueil, lui-même barque, évocation des anciens départs en beauté, des navires bûchers enflammant la nuit viking. Non, les poignées… ce sont les poignées qui taisent la magie. Impossible de ne pas river le regard sur l`indécence luisante du métal argenté. Elles banalisent la mort, anticipent les mains vigoureuses qui chargeront le triste corbillard nécessairement noir avant le trou rectangulaire aux parois abruptes plongeant bien au-delà des racines les plus profondes. Les poignées insultent la noblesse du bois, préfigurent la descente à la corde, toujours pratiquée par ici, avec le seul mérite d`éviter les grincements crantés de la crémaillère scandant les à-coups vers le non-monde souterrain. La dextérité des fossoyeurs, la coordination de leurs mouvements, évitent ou doivent éviter au cercueil les aléas d’un tangage violant le sacré de l’inhumation. Six pieds sous terre il ne voguera pas animé de flammes profanes, ne connaîtra pas non plus l’envol des cendres dans le vent, non, rien que la mort fixe loin sous le marbre ci-gît. The End, voilà ce qui vient subitement me résonner dans la tête… les Doors. Il aurait bien aimé. Tant que le cercueil reste ouvert, que le défunt se montre de bon gré aux proches venus le saluer avant le voyage vers sa dernière demeure, comme on dit bêtement, et qu’il a l’air confortablement installé, oreiller sous la tète ornée d`un jabot de tissu blanc, on peut toujours s’adresser à lui, guetter un illusoire acquiescement, un improbable clin d’œil complice. Certains vont jusqu`à l’embrasser sur le front. On le retient parmi nous, on veut montrer qu’il est encore un peu des nôtres. On essaie de le regarder sans trop d`affliction, comme si on souhaitait lui éviter de prendre tout à fait conscience de la gravité et surtout du caractère définitif de son état… bref, on joue le jeu. Il ferait presque envie. Allez… prendre sa place, mais rien qu’un instant, histoire de voir comment c`est, ce calme apparent de l`autre côté… enfin si autre côté il y a. Se penser mort… jamais, jamais, malheureux, il ne faut pas provoquer l’Ankou même par simple curiosité. Il est tapi si proche lorsqu’il tourne encore autour de son élu en partance. Et un miracle ? C’est ce que tout le monde attend, depuis l’aube des temps. Lazare… Et l’autopsie, l’absence des mécanismes internes… cela ne se verrait pas. Il faut pourtant s’en convaincre… on n’en revient pas. Celui qui est là, qu’on aimait, qu’on appréciait, qu’on tolérait, qu’on supportait, n’a jamais été aussi silencieux. Et son silence s’impose à tous. On entend, au plus, les chuchotements limités au strictement nécessaire. Le mort, à ses débuts, lorsqu’il est encore physiquement présent sinon en esprit, occupe nécessairement plus d’espace que de son vivant, accapare plus que jamais l’attention. Dans une assemblée même celui qui invite peut éventuellement être ignoré de certains ce qui est hautement improbable pour un mort. Il y a là une sorte de réussite posthume, posthume non, post-mortem plutôt, généralement agrémentée de compliments. Le comble, lorsque le mort est canonique ou aura suffisamment infligé sa présence en ce bas-monde (il existerait donc un haut-monde) étant la déclaration consacréeil est mort de sa belle mort. Pour consoler les prématurés il reste l`obligatoire : il est bien, hein, il a l’air vivant… enfin presque. Qui veut-on rassurer par ces paroles. Les intimes ou bien l’intéressé lui-même, au cas où. Qui garantit qu’il n’est pas toute ouïe ? Le café, noir, constitue la boisson de circonstance avant l’enterrement, alors qu’après, selon la culture ou la coutume, on
s’adonne éventuellement à l’alcool pour marquer le coup et sceller la fin d’un destin. Pour obtenir le silence, dans ce pays du culte au bruit, il n’y a guère que le trépas. Pourquoi donc ? Pourquoi pas de musique à tue-tête, pourquoi ne pas s’étourdir ? Qui pourrait-on bien réveiller ou choquer ? Et le mort lui-même, aurait-il véritablement souhaité cette mise-en-scène terne ? En plus du silence, il faut, bien sûr, la pénombre des rideaux tirés, rappel des ténèbres attribuées à l’outre-vie. Cela aussi, pourquoi donc ? Il aimait, lui, tellement la lumière du jour, l’existence en clair, au grand air. Son choix d`un pays transpercé de soleil n’a pas été pas un hasard. Sa fuite de la grisaille c’était pour sentir plus, affronter l’indiscipline de forces naturelles imaginées comme toujours insoumises. Il avait rêvé de se mesurer à un monde non façonné humain, y retrouver l’intrinsèque en lui. Illusion. Il s’était planté depuis le début, alors la mort au bout d’une vie d’illusion, on n’en tombe que de plus haut.
La discrète première pelletée – rien qu’un quart de pelle en respect des proches – rend toutefois un son sinistre. C’est qu’elle prononce le verdict, l’irrémédiable, la mort définitive. Le choc contre le bois sombre du cercueil est le coup frappé à la porte de l’au-delà, de l’autre côté… ou bien d’un néant plus vertigineux encore. Unepetite âme depoussière latéritique couleur rouille remonte du cercueil.Lembra-te homem que és póeao pó retornarás. C’est fini, là, maintenant il ne s’en sortira plus. On avait bien constaté auparavant avec légiste, embaumeur, croque-mort… tous gens des plus fiables. Leurs manipulations, chatouillis, coups de scalpels… douter, impossible. Et l’expression du visage, repos, sans doute éternel, et les commentaires sympathiques genre mais quelle sensation de paix il dégage – évidemment – bien que condescendants, style nous les bien vivants, et plus aucune réponse courroucée à craindre du défunt. Mais au fond, bien au fond, même si on ne croit pas en toutes ces fariboles, l’autre côté, esprits, revenants, paradis, purgatoire, enfer… est-ce qu’il n’y aurait pas, au moins un peu, une peur de la mort et des morts augmentée d`une légère culpabilité, celle de rester en vie après le départ d`un être cher, rappelée par ce premier jeter timide avant l’ensevelissement sous des mètres cubes de terre. Mort et enterré dit-on, comme si mort ne suffisait pas. Et si elle était ressentie par l’intéressé, la première pelletée, comme le début de l’oubli. Qui nous assure, d’ailleurs, qu’il ne s’intéresse plus à rien, plus aux proches qui restent, qui nous assure que mourir ne rend pas envieux ? Ah les salauds. Deux trois larmes, ad vitam aeternam, amen, vie continue, argent, sexe, bouffe… ah, les salauds. Toujours un petit frisson… ce manque de certitude en tout dans la vie comme dans la mort. En plus l’Ankou – traverse-t-il l’océan ? – qui pourrait bien être en planque derrière une de ces pierres tombales désolantes de laideur et d’abandon, se disant que la bonne affaire serait d’en ramener au moins un autre pour rentabiliser le voyage. Il aura mis soixante-quatre ans, il n’aura mis que soixante-quatre ans à notre époque de longévité pour relier les deux événements fondamentaux de l’individu. Si cet âge fut un jour vénérable, il n’en est plus rien.Oh when I am loosing my hair… when I am sixty-four… Impossible de chasser ce morceau venu, de ma lointaine adolescence me marteler la tête. Je n’ai pourtant jamais spécialement apprécié les Beatles à partSargeant Pepper. Et je ne perds pas mes cheveux… le mort non plus d’ailleurs. Enfin cheveux et tout le reste, lui, dorénavant… Et là c’est Boris Vian qui prend le relais,Quand j’aurai du vent dans mon crâne… il me manquera mes genoux, mes rotules, mes cuisses, mon cul, sur quoi je m’asseyois… Je me surprends en demi-sourire. On ne rigole pas avec le rituel ici. Difficile pourtant de croire que c’est sérieux… ciel trop bleu, soleil de plomb. S’il n’y avait pas le cercueil, les visages
contrits, les tombes creusées pour les autres jeunes cadavres sur le départ, le prêtre qui ânonne… Et moi maintenant c’est Brel,J’veux qu’on rit, j’veux qu’on dance, quand c’est qu’on m’mettra dans l’trouArrêté par une balle. C’est loin d’être d’un exploit. Rien de plus commun dans le pays… les balles. Et celle-là, perdue ou pas ?
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