Séminaire de Droit Administratif
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Lecture d’un classique : la théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif

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Association Master2 Droit Public Approfondi
Séminaire de Droit Administratif Monsieur le Professeur Bertrand Sellier
Exposé Lecture d’un classique : la théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif Benjamin Huglo, Etudiant
Les opinions exprimées dans ce texte sont propres à leur auteur et n'engagent ni l'Université de Paris-II, ni l'association M2DPA
© Benjamin Huglo Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - février 2008
Association Master2 Droit Public Approfondi
La théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif est certainement l’une des plus célèbres tentatives de conceptualisation et de systématisation du droit administratif, avec les thèses de l’école du « service public » emmenée par le Doyen Duguit. Or, et le Doyen Vedel n’a eu de cesse de le souligner, la doctrine française reste marquée par certaines des conceptions systématisées par Léon Duguit et Gaston Jèze. Certains juristes sont restés pour l’essentiel fidèles aux enseignements de la doctrine du service public, à l’instar d’André de Laubadère. Pour ces auteurs, le service public fournirait un critère de solutions à tous les problèmes de détermination du droit applicable à l’administration, l’idée de service public serait le principe de toutes les règles constitutives du régime administratif et sur le plan du contentieux administratif, la notion de service public fournirait à la compétence de la juridiction administrative sa règle de détermination. Tout ceci apparaît en contradiction majeure, comme on va le voir, avec la théorie vedélienne des « bases constitutionnelles » du droit administratif.
On ne peut évoquer la théorie vedélienne sans faire mention de la controverse qu’elle suscita par la réplique, notamment, du professeur Eisenmann ; le Doyen Vedel se faisant d’ailleurs fort de la création par Charles Eisenmann de l’adjectif « vedélien ». La théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif a indéniablement influencé la conception du droit administratif, comme a pu le souligner Olivier Schrameck : « elle constitua un ferment pour de nombreux ouvrages et thèses inspirés par les relations que nouent ces branches juridiques [que sont le droit administratif et le droit constitutionnel] et leurs juges naturels ». L’œuvre du Doyen Vedel est avant tout un travail de conceptualisation impliquant immanquablement une langueprécise. Il faut rappeler, avec lui, que «toute définition d’une notion juridique peut se faire soit du point de vuematériel, soit du point de vueformel. Le point de vuematériel s’attache au contenu de l’activité, de l’acte ou de la situation qu’il s’agit de définir. Le point de vueformels’attache aux procédures qu’utilise cette activité ou qui aboutissent à cet acte ou à cette situation », le point de vue organique étant considéré comme englobé dans le point de vue formel car « si l’on prend en considération les procédures, on est par là même obligé de faire place aux considérations tirées de la nature des organes intervenant dans ces procédures » . Il ne faut pas perdre de vue cette définition car la contribution du Doyen Vedel a pour objet de souligner que tant le droit
constitutionnel que le droit administratif donnent la préférence au point de vueformel, le critèrematériel, n’ayant une
place que subsidiaire. Ceci constitue le fondement de sa critique des thèses de « l’école du service public ».
Georges Vedel se place, et le revendique, dans la continuité de l’œuvre du Doyen Hauriou en mettant au cœur de sa théorie le concept depuissance publique: «(…) de façon générale, il est à peu près impossible d’écrire du droit administratif sans rencontrer sur son chemin le terme et la notion ». Ainsi, il apparaissait nécessaire au Doyen Vedel de rétablir à sa place légitime la notion de puissance publique sur laquelle le Doyen Duguit avait jeté l’anathème car rappelant trop l’Ancien Régime et l’idée d’un Etat fondé sur l’imperiumdont la volonté propre est supérieure à celle des autres individus. Pour Georges Vedel, la notion de puissance publique, « ce n’est donc rien d’autre que la détention de compétences « exorbitantes du droit commun », le droit commun étant ici le droit privé ». On le voit bien : le Doyen edel se place clairement en adversaire des thèses de «l’école du service public», dans le prolongement direct du fameux affrontement doctrinal des thèses de l’école de Bordeaux et celles de l’école de Toulouse.
© Benjamin Huglo Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - février 2008
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Cependant, la portée de la théorie des «bases constitutionnelles» du droit administratif ne se limite pas à l’établissement de l’acte de décès des thèses de « l’école du service public ». Le constat de départ du Doyen Vedel est simple lorsqu’il écrit en 1954 le premier état de sa théorie: la notion de service public est en crise, elle est inapte à fonder le droit administratif et à le systématiser. Le droit administratif trouve ses bases dans le droit constitutionnel et il doit se construire sur les notions de pouvoir exécutif et de puissance publique. Partant, si le droit constitutionnel fournit les bases du droit administratif, on devrait retrouver systématiquement le droit constitutionnel dans la définition même de l’administration et du droit administratif. La théorie du Doyen Vedel a connu trois états différents : l’état initial de sa théorie telle qu’elle a été publiée sous l’empire de la Constitution de la IVe République dans les des et documents du Conseil d'Etaten 1954, l’état intermédiaire de la théorie qui prend en compte le ouleversement que constitue l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, enfin l’état final tel qu’il résulte de la préface de la septième édition de son manuel deDroit administratifparu en 1980. Cette théorie est aujourd’hui ieille de plus de 50 ans, mais sa force n’en reste pas moins vive : sa postérité n’avait d’ailleurs pas échappée au Doyen edel qui avait relevé en 1985 que « les bases constitutionnelles émergeront de plus en plus dans notre droit positif : sera-t-il possible d’écrire un simple précis de droit administratif sans intégrer les textes et la jurisprudence constitutionnels à propos de la décentralisation, du secteur public, de la police, etc.» ?Le but de cet exposé est d’apporter quelques éléments de réponse à cette interrogation en examinant tout d’abord le contenu de la théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif (I) puis la mise à l’épreuve de cette théorie dont il faudra évoquer la postérité (II).
I) Le contenu de la théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif
La théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif procède d’un double mouvement de déconstruction et de construction. Déconstruction, tout d’abord, des thèses de « l’école du service public » qui voyaient dans la notion de service publicbasesla pierre angulaire du droit administratif (A) puis construction avec l’identification des « constitutionnelles » du droit administratif (B).
La déconstruction des thèses de « l’école du service public »
Cette déconstruction se fait en deux étapes : tout d’abord le Doyen Vedel part du constat de la crise de la notion de
service public, notion qui, telle qu’elle était entendue par « l’école du service public » n’établissait pas de lien entre
principes constitutionnels et droit administratif, trahissant ainsi « l’infidélité du droit administratif à ses
indispensables bases constitutionnelles ».
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1) La crise de la notion de service public
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Le Doyen Vedel avance trois explications à la crise de la notion de service public :
La notion est imprécise : de nouveaux modes de gestion sont apparus, la distinction des personnes publiques et des organismes privés apparaît de plus en plus floue et implique de s’intéresser plus àl’objetdu service public (la satisfaction d’un besoin collectif d’intérêt public) qu’à sonorganisation(un certain agencement technique de moyens matériels et humains placés sous la direction des gouvernants).
La notion de service public n’avait pas la grande vertu explicative de la jurisprudence qu’on lui a prêté: d’où un décalage entre la réalité du droit positif et les thèses de «l’école du service public». On en voit les principaux symptômes avec les nationalisations de la Libération (exemple de la nationalisation d’EDF soustraite à l’application du droit administratif pour sa plus grande part), l’extension du champ du recours pour excès de pouvoir qui devient possible contre les décisions d’organismes privés investis d’une mission de service public avec l’arrêtMonpeurt. De plus le Conseil d'Etat avait jugé dans son arrêtCompagnie générale d’importationque la mission de service public confiée à un organisme privé n’avait pas pour effet de soumettre au recours pour excès de pouvoir toutes les décisions qu’il prenait. Il fallait donc en déduire que le critère de l’application du droit administratif se trouvait dans la nature des rapports en cause : soit de droit public, soit de droit privé.
Le service public n’est qu’un des modes d’action de l’administration. La primauté avait été donnée par « l’école du service public » à l’idée de service public au détriment de la police pour des raisons philosophiques et historiques. Cependant, il est inenvisageable pour toute société politique de se passer du commandement et de la puissance publique. En définitive,il s’agit d’organiser la liberté des personnes privées plutôt que de la supprimer comme le ferait un service public.
Fort de ce constat de crise, le Doyen Vedel en vient à confronter les thèses de l’école du service public aux principes constitutionnels.
2) Confrontation des thèses de l’école du service public aux principes constitutionnels
Le Doyen Vedel souligne l’absence de référence du texte constitutionnel de 1946 au service public, hormis l’alinéa 9 du préambule pour ce qui concerne la nationalisation d’un bien ou d’une entreprise dont l’exploitation a les caractères d’un service public national. Pour Georges Vedel, la seule définition de la mission administrative c’est, en 1954, la mission d’exécution des lois, telle qu’elle a pu être confiée au président de la République sous la IIIe République (article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875) et telle qu’elle est confiée au président du Conseil sous la IVe République (art. 47 de la Constitution du 27 octobre 1946).
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 sousl’empire de ces deux Constitutions, la notion clé du droit public c’est la loi: «l’acte élaboré selon la procédure législative et par les organes détenteurs du pouvoir législatif ». La loi apparaît comme le domaine indéfini, manifestation de « puissance initiale » selon Raymond Carré de Malberg, alors que le règlement apparaît comme une compétence secondaire et dérivée. De plus, il n’existe alors pas de recours devant le juge permettant de reconnaître l’irrégularité de la loi, à la différence du règlement. En matière d’engagement de la responsabilité, la manifestation de l’auteur de l’acte ne lie pas le juge dans le cas du règlement alors que c’est le contraire en présence d’une loi. Pour Georges Vedel, les notions et critères du droit public sont principalement formels. La séparation entre les autorités législatives, administratives et judiciaires est construite sur l’idée de séparation des pouvoirs qui est une notion organique et formelle. Ainsi, le droit constitutionnel ne distingue pas entre ce qui est ou ce qui n’est pas service public : il procède à une distinctionformelle. Le Doyen Vedel en déduit :
que le critère premier de la compétence du juge administratif est formel et non matériel : si cela était le cas, le critère
du service public permettrait de tout englober.
que l’intervention du pouvoir exécutif constitue le titre de compétence du juge administratif car il n’y a ni compétence
du juge administratif ni application du droit administratif là où il n’y a pas exercice du pouvoir exécutif.
Le Doyen Vedel mentionne cependant que le Conseil d'Etat a pu se rallier à une compétence matérielle des critères du droit administratif dans sa décisionFalco et Vidaillacpour ce qui concerne l’organisation du service public de la ice. Si cette dernière ressort du contentieux administratif, c’est parce que, historiquement, l’organisation du service de la justice était soumise à l’exécutif.
En définitive, la raison de la crise des thèses de « l’école du service public » tient à ce qu’elle est en rupture avec les notions fondamentales du droit constitutionnel, d’où la nécessité de rétablir la continuité entre les principes constitutionnels et les règles du droit administratif en identifiant des «bases constitutionnelles» du droit administratif.
B) L’identification des « bases constitutionnelles » du droit administratif
Cette identification se fait en trois temps : tout d’abord l’auteur identifie la notion de pouvoir exécutif pour en montrer le corollaire qu’est le critère de la puissance publique, aboutissant ainsi à une définition de l’administration comme étant l’exercice de la puissance publique par le pouvoir exécutif.
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1) La notion de pouvoir exécutif
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Pour Georges Vedel, les « bases constitutionnelles » du droit administratif se retrouvent dans la jurisprudence. La plupart du temps l’exercice d’une compétence administrative a été définie par le législateur. Le juge n’intervient que de manière résiduelle pour rechercher dans le droit constitutionnel les bases de l’action administrative. Ainsi l’a-t-il fait dans ses décisionsHeyrièsetLabonne.
Dans son arrêtHeyriès, le Conseil d'Etat a jugé qu’il était possible, en vertu de circonstances exceptionnelles, de suspendre par décret l’application d’une loi. Georges Vedel relève que, d’une part, ceci ne peut pas se justifier par le principe de continuité des services publicscar ce dernier n’implique pas que l’autorité administrative puisse se substituer au législateur. D’autre part, la théorie des circonstances exceptionnelles apparaît insuffisante à justifier la solution à elle seule, car si elle permet une extension des pouvoirs normaux de l’Administration on ne pourrait s’en servir pour justifier un renversement de la hiérarchie des actes juridiques imposée par le droit constitutionnel. Dans sa décision, le Conseil d'Etat mentionne expressément la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Pour le Doyen edel, il faut en déduire que, chargé de la mission d’exécution des lois en vertu de l’article 3 de la loi constitutionnelle précitée, le président de la République était le chef de l’administration. A ce titre, le fonctionnement continu des services publics est l’une de ses attributions puisqu’il s’agit d’une des formes de l’exécution des lois. Il faut donc en déduire qu’il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que l’exécution des lois, aussi étrange que cela puisse paraître, puisse justifier la suspension de l’application d’une loi.
Dans sa jurisprudenceLabonne, le Conseil d'Etat juge que le pouvoir règlementaire appartient au chef de l’Etat en dehors de toute délégation législative. Selon Georges Vedel, le fondement de cette affirmation ne peut qu’être constitutionnel :le Conseil d'Etat vise la loi du 25 février 1875. La mission constitutionnelle d’exécution des lois implique, outre la gestion continue des services publics, le maintien de l’ordre par l’usage des pouvoirs de police, notamment sous la forme règlementaire. L’exécution des lois ne s’entend pas strictement mais implique des pouvoirs propres et une compétence générale s’exerçant, en vertu de la Constitution, en dehors de toute habilitation législative.
En conséquence, il faut déduire de ces deux arrêts l’enracinement du droit administratif dans les principes constitutionnels ainsi que le lien entre la notion d’administration et de pouvoir exécutif. Ainsi, sur la base des principes constitutionnels, confirmés par la séparation des autorités administratives et judiciaires, l’administration se définit par référence au pouvoir exécutif (au sens organique et formel). Sous l’empire des Constitutions des IIIe et IVe Républiques, en investissant le pouvoir exécutif de la mission d’exécution des lois, la Constitution lui confère un titre général de compétence pour tout ce qui est nécessaire à la continuité de la vie national, c'est-à-dire : maintien de l’ordre et continuité des services publics.
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L’entrée en vigueur de la Constitution de la Ve République ne permet plus de tenir ce raisonnement lorsqu’elle énonce, dans ses articles 34 et 37, la dichotomie loi/règlement. Le règlement devient le principe, la loi l’exception. L’activité administrative du gouvernement ne peut plus être définie comme une tâche d’exécution des lois puisqu’il existe une partie du domaine règlementaire qui est interdite au législateur. Ainsi, on pouvait parler au début de la Ve République d’une présomption de «réglementarité ».Pour cette raison, le Doyen Vedel a cru, pendant un temps, que la Constitution de 1958, qui paraissait consacrer la primauté du pouvoir règlementaire sur le pouvoir législatif avait modifié la notion d’administration qui n’était plus la simple mission d’exécution des lois mais était devenue l’activité étatique de droit commun : ainsi il avait pu parler, à côté de la présomption de « réglementarité », d’une présomption d’ « administrativité ».Comme on le verra, le Doyen Vedel a finalement abandonné cette dernière présomption, notamment sous l’influence de la critique de Charles Eisenmann. Cependant, le Doyen Vedel poursuit sa démonstration en mettant en exergue que l’action du pouvoir exécutif ne peut se comprendre que par son incontournable corollaire : la puissance publique.
2) Le critère de la puissance publique, corollaire du critère du pouvoir exécutif
L’administration étant un activité du pouvoir exécutif, pour avoir le caractère administratif, toute activité des organes du pouvoir exécutif doit s’exercer par des procédés de puissance publique. La puissance publique consiste dans la détention de compétences exorbitantes du droit commun: ces prérogatives de puissance publique ne sont pas réservées à l’exécutif: le juge ou le législateur en usent tout autant. Cependant, si le régime de puissance publique comporte, par rapport au droit commun, desextensions de compétences, il comporte également desrestrictions, la principale étant que l’administration ne doit agir qu’en vue de l’intérêt public. Il faut en déduire un certain nombre de restrictions : recrutement du personnel sur concours, respect de l’affectation des biens du domaine public.Ainsi, « la personne publique si elle est un faisceau de compétences étendues est aussi un ensemble de compétences conditionnées ».Pour autant, si le mode d’action normal du pouvoir exécutif comporte l’emploi de la puissance publique, l’administration n’est pas toujours tenue d’user de ce régime, on en connaît différentes hypothèses :gestion du domaine privé, contrats de droit privé, services publics industriels et commerciaux. Il n’empêche que l’administration reste l’exercice de la puissance publique par le pouvoir exécutif.
3) L’administration est l’exercice de la puissance publique par le pouvoir exécutif
Cette définition de l’administration est restée inchangée par le Doyen Vedel. Pour lui, l’administrationstricto sensu n’est que l’exercice de la puissance publique par le pouvoir exécutif. Le droit administratif est ainsi le corps de règles spéciales applicables à l’activité du pouvoir exécutif en tant qu’il use de la puissance publique : il en déduit l’existence d’unrégime administratif. oilà, de manière ramassée, le raisonnement que tient le Doyen Vedel. Cependant, ce raisonnement audacieux a été éprouvé par d’importantes attaques, ce qui a donné l’occasion à son auteur de le revisiter.
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I I) La théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif éprouvée
Lorsque le Doyen Vedel s’interrogeait quant à la postérité de sa théorie en 1985, cette dernière avait déjà subie – et non des moindres – plusieurs controverses (A). Cependant, ces controverses ont été prises en compte dans la préface de la septième édition de son ouvrage de droit administratif en 1980, permettant à Georges Vedel d’opérer un réajustement de sa théorie qui apparaît plus que jamais en prise avec le droit positif (B).
Les controverses
Dans sa préface de 1980, le Doyen Vedel fait mention de deux controverses qui l’ont influencé puisqu’elles visaient, indirectement pour l’une et directement pour l’autre, l’application de sa théorie.
1) L’attaque indirecte : la controverse Chapus/Amselek
Le Doyen Vedel commence par citer la controverse Chapus/Amselek de la fin des années 1960. Dans un article publié à laRevue de droit public, le professeur Chapus apportait deux contradictions essentielles à la théorie du Doyen Vedel. Selon lui, d’une part, la notion de service public permettait bel et bien de définir l’administration, d’autre part, le service public permettait également de définir le droit administratif. Ainsi, pour René Chapus, le système juridique applicable à l’administration française ne relève pas d’un principe unique d’explication. Il faut distinguer entre le régime juridique de l’administration proprement dite qui est commandé par l’idée de service public et le régime idique du contentieux administratif qui est commandée par l’idée de puissance publique. C’est précisément ce divorce entre un système reposant sur la puissance publique et un système fondé sur le service public, qui pose problème. En conséquence, le professeur Chapus demandait l’intervention du législateur afin que ce dernier étende le champ du contentieux administratif à tous les litiges intéressant l’administration et l’application du droit administratif. En réplique à cet article, le professeur Amselek publia la même année une étude à l’AJDAdans laquelle il critiquât igoureusement la position prise par le professeur Chapus. Pour Paul Amselek, le service public ne peut suffire à caractériser l’action administrative ni expliquer l’ensemble des règles du droit administratif. Ainsi, par rapport à la théorie des «bases constitutionnelles» du droit administratif, «sans être d’accord entre eux, les deux auteurs prenaient ainsi des positions qui, pour l’essentiel la contestaient, même si, sur tel ou tel point, ils étaient amenés à en retrouver certains éléments (par exemple pour René Chapus, la définition du contentieux administratif par référence à un régime de puissance publique ou, pour Paul Amselek, la non coïncidence des activités administratives et des activités de service public et l’idée que la fonction administrative correspondait à l’activité publique «de droit commun ») ». Cependant,cette controverse a plutôt attaqué indirectement la théorie du Doyen Vedel, l’attaque de Charles Eisenmann a été la plus forte et la plus efficace puisqu’elle a conduit le Doyen à ce qu’il appelle « un examen de consciencejuridique».
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2) L’attaque directe : la controverse de Charles Eisenmann
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Dans un article publié à laRevue de droit publicen 1972, le professeur Eisenmann après une charge intellectuelle de
plus de 110 pages, s’il salue la démarche visant à apporter au droit administratif « la base sûre et certaine qui paraît lui
faire défaut » en arrive à la conclusion que « la théorie des « bases constitutionnelles du droit administratif » ne peut
rendre à cette discipline le service que Georges Vedel attend d’elle ». Charles Eisenmann se livre à une triple critique :
Dans un premier tempsCharles Eisenmann conteste la notion même de «certes ilbases constitutionnelles» : existe des bases constitutionnelles au droit administratif, mais ce ne sont pas celles de Georges Vedel ! Par exemple, Charles Eisenmann ne voit dans les arrêtsHeyrièsetLabonnequ’une simple exception car, pour lui, ce sont les lois et les règlements qui sont les titres de compétence de l’exécutif en matière d’administration dans l’immense majorité des cas. L’investiture constitutionnelle n’est là que pour pallier les déficiences de la loi ou du règlement. Ainsi, pour le professeur Eisenmann, l’arrêtHeyrièstémoigne du pouvoir créateur du juge administratif qui a crée une règle de nature constitutionnelle plus qu’il ne l’a formulée. Il en déduit cette idée de «théorie de secours» de l’investiture générale du pouvoir exécutif. Pour Charles Eisenmann, la Constitution définit des fonctions de l’Etat, des organes qui en sont chargés, des limites à leur action. Il souligne ainsi le rapport nécessairement extérieur, pour lui, de la Constitution au droit administratif: la Constitution ne détermine en rien l’administration pas plus que le droit administratif, ce qui implique de se pencher sur la définition de l’administration et du droit administratif.
Dans un second temps, si Charles Eisenmann accepte l’idée que l’administration soit définie du point de vue fonctionnel comme une action d’exécution des lois sous les IIIe et IVe Républiques, il critique vivement de la déduction des « bases constitutionnelle » le fameux « régime administratif ». D’une part, le professeur Eisenmann souligne que la loi constitutionnelle du 25 février 1875, pas plus que la Constitution du 27 octobre 1946, si elles ignorent le motservice blicne connaissent pas davantage le motadministration. D’autre part, la Constitution du 4 octobre 1958 n’emploie pas le termeadministrationdans un sens fonctionnel. Charles Eisenmann critique vigoureusement les éléments caractérisant le régime administratif. Pour lui ni les prérogatives pas plus que les sujétions n’ont de valeur constitutionnelle. Ainsi, les prérogatives de l’administration, dépendent du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par la loi des 16-24 août 1790, or cette dernière n’a qu’une simple valeur législative. En ce qui concerne les sujétions, la prétendue soumission au principe de légalité n’est «qu’un pauvre truisme sans consistance »,le principe de la responsabilité administrative n’étant d’ailleurs mentionné dans aucune Constitution. Ces principes font partie du droit public mais non du droit constitutionnel car ils procèdent de la combinaison de règles législatives, réglementaires et jurisprudentielles. Ainsi, l’idée d’un régime administratif qui cernerait les notions d’administration et de droit administratif n’a pas de valeur propre: rien n’implique d’exclure la gestion privée de l’administration du droit administratif. Pour Charles Eisenmann, ceci aurait pour conséquence de creuser un fossé entre la notion d’administration au sens organique et la notion d’administration au sens fonctionnel.
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En dernier lieu, le fait que Georges Vedel déduise de la dichotomie instituée par les articles 34 et 37 de la Constitution une « présomption d’administrativité » est inacceptable pour Charles Eisenmann. Ce dernier souligne que l’article 37 al.1 de la Constitution ne concerne que les rapports entre la loi et le règlement et non l’ensemble des rapports entre l’activité législative et l’activité de l’exécutif, d’où il en déduit le caractère aventureux selon lui de la présomption d’administrativité: «la jurisprudence ni aucune source du droit français ne révèlent en aucune façon l’avènement d’un principe « pan administrativiste » en 1958 », il fait également grief à Georges Vedel d’avoir envisagé « lesproblèmes juridiques en cause et leur solution que du seul point de vue contentieux (…)» . On peut d’ailleurs ajouter à cette critique la jurisprudence sévère du Conseil constitutionnel qui ne sanctionne pas l’intervention du pouvoir législatif dans le giron du pouvoir règlementaire, tout au plus accepte-t-il de procéder au déclassement des dispositions d’une loi qui seraient intervenues dans une matière réglementaire.
L’ « examen de conscience juridique » auquel se livre Georges Vedel dans sa préface de 1980 lui permet de procéder à
un réajustement de sa théorie, à la lumière des critiques doctrinales qui lui ont été opposées mais aussi face à la réalité
de la pratique constitutionnelle depuis 1958.
B) Réajustement et postérité de la théorie
1) Réajustement et confirmation de la théorie
Pour le Doyen Vedel, la question de la nécessité d’une théorie des « bases constitutionnelles » du droit administratif ne se pose pas : elle est évidemment nécessaire même si « sa » théorie n’est peut être pas la bonne. Il réaffirme le primat des critères organiques sur les critères fonctionnels. Dans notre tradition constitutionnelle, le droit administratif se définit de manière fonctionnelle. Le Doyen Vedel opère une synthèse de sa définition du droit administratif et de l’administration :
il existe un corps autonome de règles applicables à certaines activités publiques qui ne sont ni législatives ni juridictionnelles ce corps est caractérisé par un régime de puissance publique si ce régime s’applique à telle ou telle activité c’est en raison d’uneinvestiture il y a un lien étroit entre le régime et l’investiture: s’il existe un pouvoir de «puissance publique», c’est parce qu’il existe une certaineinvestiturepour l’exercer fin, c’est de manière originelle que le gouvernement peut user du régime de puissance publique
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 iln’y avait aucun mal à définir l’administration comme l’exercice du pouvoir exécutif par des procédés de
puissance publique.
Georges Vedel décide cependant d’abandonner l’idée d’une présomption d’administrativité, pour deux raisons. La première tient à la critique de Charles Eisenmann: si l’article 37 de la Constitution a pu poser une présomption de réglementarité, il n’est pas possible d’en déduire une présomption d’administrativité et par ce fait « l’étendre au domaine des autres actes et opérations juridiques». La seconde tient à la pratique constitutionnelle de la Ve République qui n’a pas aboutie à un gain de pouvoir initial pour le gouvernement mais à une perte pour le législateur. En effet, le contrôle des lois tel qu’il est opéré par le Conseil constitutionnel a montré un fort encadrement du pouvoir discrétionnaire du législateur, ruinant ainsi la notion de « pouvoir initial » chère à Raymond Carré de Malberg. Ce que souligne le Doyen Vedel, c’est qu’en réalité, la loi a changé de place dans la hiérarchie des normes : le règlement n’est pas devenu en 1958 « puissance initiale », simplement la loi a cessé de l’être. Cependant, le Doyen Vedel ne pense pas qu’il faudrait revenir à une définition de l’investiture constitutionnelle du gouvernement en matière administrative asée sur la mission de l’exécution des lois, ainsi « c’est donc à une formule qui doit se trouver « quelque part » entre la notion « d’exécution des lois » et la « présomption générale d’administrativité » qu’il faudrait arriver ».
2) Postérité de la théorie
Le Doyen Vedel avait lui-même souligné en 1985 que lesbases constitutionnelles du droit administratif« émergeront de plus en plus dans notre droit positif (…) [mais] ne seront ni «eisenmanniennes »ni «vedeliennes »ou – si l’on préfère et je le préfère – elles emprunteront à l’un et à l’autre». Lorsqu’un étudiant avait interrogé le professeur Delvolvé quant à l’influence de la doctrine comme source du droit, ce dernier avait souri en disant qu’elle n’en avait aucune, « hormis, mon maître, le Doyen Vedel, mais il faut alors parler de la doctrinefaite juge». En effet, la pensée du Doyen Vedel a été affirmée de manière nette par la jurisprudence constitutionnelle. Ainsi, la décisionConseil de la concurrencedu Conseil constitutionnel s’impose comme postérité évidente de la pensée vedélienne. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel considère que conformément à la conception française de séparation des pouvoirs, figure au nombre des «principes fondamentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises,dans l’exercice des prérogatives de puissance blique, par les autorités exerçant la pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ». On voit ici tout le substrat de la pensée vedélienne consacré par la décision du Conseil constitutionnel. Le doyen Vedel voyait juste en se demandant, au milieu des années 1980, s’il sera « possible d’écrire un simple précis de droit administratif sans intégrer les textes et la jurisprudence constitutionnels à propos de la décentralisation, du secteur public, de la police, etc.». On pourrait aller plus loin en disant que l’étape suivante serait la codification avec l’émergence d’un véritablecode administratif, souhait non caché de l’auteur que l’on retrouve de manière nette en filigrane de sa préface du code des procédures administratives contentieuses, l’ancêtre officieux du code de justice administrative, publié en 1990.
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