Un dernier verre au bar sans nom
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UN DERNIER VERRE AU BAR SANS NOM UN DERNIER VERRE AU BAR SANS NOM Don Carpenter Édité par Jonathan Lethem TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CÉLINE LEROY Titre original : Fridays at Enrico’s © The Estate of Don Carpenter, 2014 Published by arrangement with Counterpoint LLC © Éditions Cambourakis, 2016 pour la traduction française. PREMIÈRE PARTIE Jaime et Charlie 1 Jaime et Charlie se marièrent dans une chapelle en bois à South Lake Tahoe la veille au soir de leurs examens de in d’année. En rentrant à San Francisco le lendemain, alors qu’il avait la gueule de bois et qu’il descendait des canettes de Miller’s, Charlie décida que la fac, c’était l’arnaque et que même s’il ne lui restait plus qu’un satané partiel, facile qui plus est, pour obtenir son master, le diable l’emporte s’il allait le passer. Charlie ne conduisait pas. Il n’en avait pas la force. Jaime se dressait bien droite derrière le volant, voyant à peine la route à cause de son mètre cinquante, le nez relevé, ses yeux bleus injectés de sang dissimulés sous de grosses lunettes de soleil, le vent chaud soulevant ses cheveux blonds presque blancs. Elle avait dix-neuf ans. « Je vais pas passer cette connerie d’exam », annonça Charlie. Il voyait clair dans le jeu de l’université. Il aurait perdu moins de temps, comprit-il avec le dépit qui accompagne les lendemains de cuite, à bouquiner dans son coin.

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Publié le 19 avril 2016
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Langue Français

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UN DERNIER VERRE AU BAR SANS NOM
UN DERNIER VERRE AU BAR SANS NOM Don Carpenter Édité par Jonathan Lethem
TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CÉLINE LEROY
Titre original : Fridays at Enrico’s
© The Estate of Don Carpenter, 2014 Published by arrangement with Counterpoint LLC
© Éditions Cambourakis, 2016 pour la traduction française.
PREMïÈRE PARTïE
Jaîme et Charîe
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Jaîme et Charîe se marîèrent dans une chapee en boîs à South ake Tahoe a veîe au soîr de eurs examens de In d’année. En rentrant à San Francîsco e endemaîn, aors qu’î avaît a gueue de boîs et qu’î descendaît des canettes de Mîer’s, Charîe décîda que a ac, c’étaît ’arnaque et que même s’î ne uî restaît pus qu’un satané partîe, acîe quî pus est, pour obtenîr son master, e dîabe ’emporte s’î aaît e passer. Charîe ne conduîsaît pas. ï n’en avaît pas a orce. Jaîme se dressaît bîen droîte derrîère e voant, voyant à peîne a route à cause de son mètre cînquante, e nez reevé, ses yeux beus înjectés de sang dîssîmués sous de grosses unettes de soeî, e vent chaud souevant ses cheveux bonds presque bancs. Ee avaît dîx-neu ans. « Je vaîs pas passer cette connerîe d’exam », annonça Charîe. ï voyaît caîr dans e jeu de ’unîversîté. ï auraît perdu moîns de temps, comprît-î avec e dépît quî accompagne es endemaîns de cuîte, à bouquîner dans son coîn. ï ’expîqua à sa jeune épouse tandîs qu’îs traversaîent a vaée brûante et pate de Sacramento. « Ou sînon, je peux oncer dans es voîtures quî arrîvent en ace », répîqua-t-ee quand î ut arrîvé au bout de sa tîrade. Charîe ouîa dans a bote à gants à a recherche de queque chose pour souager a doueur. a bîère ne suisaît pas. ï trouva un Aka-Setzer dans son embaage en au déchîqueté. Ça aîde-raît, s’î avaît de quoî ’avaer. ï pensa e réduîre en poudre et e
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dîuer dans sa canette. ï pensa mettre e cachet sur sa angue et ’avaer avec une grande ampée d’acoo. ï pensa àDe par la grâce, a nouvee de James Joyce, et sourît. « Tu es sérîeux ? uî demanda Jaîme. — À que sujet ? » Ee aîmaît Charîe, maîs à bîen des égards, c’étaît un grand bébé. ï avaît e pus beau sourîre quî soît, arge, agréabe, décon-tracté, e sourîre d’un homme quî avaît vu du pays et quî aîmaît ce qu’î avaît sous es yeux. Charîe étaît ’un des étudîants du département d’angaîs vétérans de a guerre de Corée. ï écrîvaît un roman-Leuve sur ce qu’î avaît vécu. ï avaît beau être auto-dîdacte, î étaît brîant, et tout e monde pensaît que du groupe, seu Charîe avaît e potentîe pour devenîr céèbre. Rîen de tout cea ne dérangeaît Jaîme. Ee savaît qu’ee étaît un meîeur écrî-vaîn que Charîe, maîs ee n’avaît pas son expérîence de a vîe. ïs s’étaîent rapprochés de manîère assez naturee. Charîe étaît assîs derrîère ee pendant e cours de îttérature de Water Van Tîburg Cark. C’étaît e premîer jour pour Jaîme à ’unîversîté d’État de San Francîsco et ee étaît nerveuse. Water Cark, une espèce de gros ours vêtu d’un vîeux pu décooré au îeu du tradîtîonne cos-tume cravate, expîquaît aux trente étudîants devant uî ques îvres îs aaîent étudîer. Jaîme essayaît de prendre des notes, maîs sentît une haeîne acooîsée Lotter jusqu’à ee par-derrîère et pour une raîson ou une autre, cea ’îrrîta. Ee se tourna pour tancer Charîe du regard. « Tu pourraîs arrêter de souler, s’î te pat ? s’entendît-ee dîre à cet homme sourîant d’envîron trente ans. — Désoé », répondît-î. ï avaît une voîx d’une gravîté éectrî-sante. Ee ne put s’empêcher de remarquer e boc-notes jaune sur eque î dessînaît des emmes nues. Ee haussa un sourcî pour uî sîgnîIer ce qu’ee pensaît de ses taents artîstîques, et se retourna pour prendre des notes. Après e cours, Charîe a rattrapa dans a petîte cour quî donnaît sur a Dîx-neuvîème Avenue à a sortîe du bâtîment des ettres et Scîences socîaes. ï portaît une vîeîe
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veste mîîtaîre, un jean et des bottes de motard saes. ’ambîance de ’unîversîté d’État de San Francîsco en 1959 étaît putôt décon-tractée. a pupart des étudîants travaîaîent à temps partîe ou même peîn, et beaucoup d’entre eux revenaîent de a guerre, maîs Charîe, uî, avaît putôt ’aîr d’un codo. Ses cheveux noîrs étaîent trop ongs et sembaîent à peîne peîgnés, maîs quand î s’adressa à ee de sa voîx grave et amîcae, Jaîme ne resta pas îndîférente. « T’as déjà u des îvres de a îste ? » À cet înstant, îs se retrouvèrent en peîn soeî et sans raîson, Jaîme se sentît merveîeusement bîen, pus du tout seue. « Sî j’aî uMoby Dick? Ouî, je ’aî u. — Ouî, et puîs es autres, à.Le Routier des Indes? T’as u, ça ? » Jaîme s’arrêta pour se tourner vers uî, ses îvres contre sa poî-trîne. Charîe uî sourît comme un vîeux chîen gentî. Ee s’ap-prêtaît à e corrîger quand ee s’aperçut qu’î se moquaît d’ee. Pourquoî cea a transportaît-ee, ee ’îgnoraît. Ee rît et îs s’înstaèrent sur ’un des bancs en béton du patîo où îs se parta-gèrent a dernîère cîgarette de Jaîme. e cours de Cark étaît eur dernîer de a journée es mardîs et jeudîs après-mîdî. ïs prîrent ’habîtude de se rejoîndre dans e patîo avant e cours. Au bout de queques semaînes, à orce de dîscuter, Jaîme s’aperçut que Charîe ne connaîssaît pas son nom. ï ’appeaît « chérîe », maîs î appeaît sûrement a pupart des emmes « chérîe ». « Je m’appee Jaîme Froward », dît-ee un jour au moment d’entrer en casse. Ee ’épea pour uî. « Génîa. Moî, c’est Charîe Mone. » ï uî prît a maîn et a serra chaeureusement. Ee n’arrîvaît pas à dîre s’î se moquaît d’ee ou non. En cours, Charîe ne se portaît jamaîs voontaîre pour rîen, ne prenaît jamaîs a paroe et passaît son temps à des-sîner dans son boc-notes. À mî-trîmestre, ee îgnoraît toujours s’î écoutaît quoî que ce soît. Pour es partîes, î aaît rédîger une dîssertatîon, ’examen e pus dur. Jaîme choîsît d’écrîre surLa Mort et l’archevêquede Wîa Cather et rempît troîs copîes de son écrîture précîse. Ee avaît sué sang et eau durant a rédactîon,
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ce quî étaît bon sîgne. Quand ee eut termîné, ee se tourna et vît Charîe penché sur sa copîe à grîfonner, e vîsage à troîs centî-mètres du papîer, e crayon tenu maadroîtement dans a maîn. ï écrîvaît urîeusement. a sonnerîe retentît. Jaîme rendît ses copîes et sortît. Deux autres étudîants en pus de Charîe écrîvaîent encore. Ee aa s’asseoîr dans e patîo, s’auma une Pe Me*, comme ee aîmaît es appeer, et attendît. Charîe émergea près de vîngt mînutes pus tard, ’aîr content, es cheveux ébourîfés. ï uî adressa un grand sourîre et s’assît. « Je peux te prendre une cope ? » Ee uî tendît son paquet. « Tu as écrît sur quoî ? Maudit Dick.C’est mon bouquîn prééré. » Quand es résutats tombèrent, Jaîme découvrît avec ureur qu’ee n’avaît obtenu qu’un B+. Charîe avaît eu un A agrémenté d’une coonne entîère de commentaîres de a part de Cark rédîgés au styo beu de son écrîture mînuscue. a seue chose que Cark avaît notée sur a copîe de Jaîme étaît : « Vous avez une Ine com-préhensîon de Cather. » « Je peux îre ta dîssertatîon ? » demanda-t-ee à Charîe. Ee savaît qu’ee étaît rouge de coère. Ee avaît été a meîeure éève en îttérature que e ycée Drew aît connue, du moîns c’est ce qu’on uî avaît dît. à, sur e banc, îs échangèrent eurs copîes pour es îre. Ee eut des dîicutés à déchîfrer cee de Charîe. ï écrîvaît comme un cochon, à croîre qu’î avaît apprîs tout seu. Maîs une oîs habî-tuée, ee ut avec ascînatîon et une certaîne envîe. e stye de Charîe étaît exubérant et ses îdées brîantes, concut-ee. Même s’î manquaît un peu de rainement. Ee termîna sa ecture aors que Charîe étaît toujours concentré sur sa copîe. ï remuaît es èvres en îsant, une habîtude dont ee s’étaît toujours moquée, maîs ee réaîsaît à présent que ça n’étaît pas drôe, putôt tou-chant, charmant, même. ï arrîva au bout. « a tîenne est mîeux », décara-t-î. ï sourît dououreusement.
* Les Pell Mell sont des cigarettes en chocolat qui parodient la marque Pall Mall. (NdT)
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Ee éprouva un pîncement de paîsîr. « Aors comment se aît-î que tu aîes eu un A et moî un B+ ? demanda-t-ee en e regret-tant aussîtôt. — Putaîn, ça m’dépasse, dît-î en haussant es épaues. — Bon, au moîns on est reçus. — Ça te dîraît de passer chez moî ? » demanda-t-î en a regar-dant droît dans es yeux, et pour une oîs, sans sourîre. Ee atten-daît ce moment depuîs e début du semestre. Qu’î asse e premîer pas, enIn. Ee décîneraît gentîment. Après tout, î avaît aîmé sa copîe. « Pourquoî pas, ouî, s’entendît-ee dîre. Tu habîtes où ? »
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Charîe vîvaît à North Beach, sur Genoa Pace, entre Unîon et Green, à mî-hauteur de Teegraph Hî. ’appartement étaît petît, deux pîèces séparées par une demî-coîson, deux grandes enêtres quî donnaîent sur une aée. Cea n’empêchaît pas a vue d’être paîsante avec des îmmeubes de dîférentes coueurs paste en ace et un grand pan de cîe beu vî dès que e brouîard se evaît. Fîn 1958, quand Charîe avaît emménagé, ’appartement étaît dans un état pîtoyabe. ’ancîen ocataîre deaaît des amphétamînes. Ça sentaît e chou chînoîs pourrî et a pomberîe quî uyaît. es petîtes toîettes étaîent saes et personne n’avaît essîvé es murs nî nettoyé ’appareîage éectrîque depuîs des années. e vîeux papîer peînt déchîré sur pusîeurs couches étaît écaboussé de peînture, de nourrîture séchée et autres matîères îndétermînées. On racontaît que e deaer avaît tenté de se suîcîder aux barbîtu-rîques. ï s’étaît aongé sur son vîeux mateas puant en attendant que a mort vîenne, sau que deux ancîennes connaîssances du Hot Dog Paace sur Coumbus avaîent rappé à a porte et comme î ne répondaît pas, îs ’avaîent racturé à ’aîde d’un tournevîs.
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