Saint Alain. En quête d identité
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Saint Alain. En quête d'identité

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Description

Il est étonnant qu’un saint dont le nom est si répandu en Bretagne, et depuis si longtemps, puisque plusieurs de ses anciens souverains l’ont porté, soit tellement inconnu. 1Cette remarque – formulée par l’abbé Tresvaux en 1836 – exprime parfaitement l’esprit de enotre enquête. Le paradoxe est flagrant : d’un côté nous avons un nom qui se place dès le 11 siècle dans le palmarès des noms dominants, de l’autre un saint obscur et improbable au point que nous pouvons reconnaître avec François Duine que son nom est cher à notre province, et 2 c’est tout ce que l’on peut dire de solide sur son compte. Le cas est donc particulièrement intéressant pour apprécier la teneur du lien qui pouvait exister au Bas Moyen Age entre attribution d’un nom de baptême et dévotion des nommeurs pour le saint correspondant. Peut- on inférer qu’à cette époque les hommes qui portaient le nom d’Alain honoraient de cette manière saint Alain, leur saint patron, qui aurait été autrefois évêque de Quimper ? Le fait est que nous avons bien une Vie de saint Alain mais cela ne nous est pas d’un grand secours puisqu’il ne fait aucun doute pour personne que l’œuvre en question n’est e qu’un plagiat notoire de la Vie de saint Amand, évangélisateur de la Gaule au 7 siècle.

Informations

Publié par
Publié le 18 mars 2013
Nombre de lectures 423
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

Extrait

Pierre Yves Quémener









Saint Alain

En quête d’identité










2012





















Il est étonnant qu’un saint dont le nom est si répandu en Bretagne, et depuis si
longtemps, puisque plusieurs de ses anciens souverains l’ont porté, soit tellement inconnu.
1Cette remarque – formulée par l’abbé Tresvaux en 1836 – exprime parfaitement l’esprit de
enotre enquête. Le paradoxe est flagrant : d’un côté nous avons un nom qui se place dès le 11
siècle dans le palmarès des noms dominants, de l’autre un saint obscur et improbable au point
que nous pouvons reconnaître avec François Duine que son nom est cher à notre province, et
2
c’est tout ce que l’on peut dire de solide sur son compte. Le cas est donc particulièrement
intéressant pour apprécier la teneur du lien qui pouvait exister au Bas Moyen Age entre
attribution d’un nom de baptême et dévotion des nommeurs pour le saint correspondant. Peut-
on inférer qu’à cette époque les hommes qui portaient le nom d’Alain honoraient de cette
manière saint Alain, leur saint patron, qui aurait été autrefois évêque de Quimper ?

Le fait est que nous avons bien une Vie de saint Alain mais cela ne nous est pas d’un
grand secours puisqu’il ne fait aucun doute pour personne que l’œuvre en question n’est
e
qu’un plagiat notoire de la Vie de saint Amand, évangélisateur de la Gaule au 7 siècle. Nous
tenterons donc de comprendre le processus et les circonstances historiques qui ont pu
favoriser l’introduction de cette vita falsifiée de saint Alain en Bretagne, et la raison pour
laquelle un tel évènement a pu se produire.

1 GUY-ALEXIS LOBINEAU, Les vies des saints de Bretagne, édition de l’abbé TRESVAUX, 1836, Tome 1, p. xl
2 e
ABBE DUINE, « Bréviaires et missels des églises et abbayes bretonnes antérieurs au 17 siècle », Bulletin et
Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine (BMSAIV), Tome 30, 1906, p. 147
2 Première partie : la pseudo-vita de saint Alain


La vie de saint Alain nous est rapportée par trois documents relativement similaires :

• La vita sancti Alani rédigée par un auteur anonyme, que l’on présume être
originaire d’Aquitaine (désignée ci-après vie aquitaine),
• La vita sancti Alani conservée dans l’obituaire de l’abbaye de Saint-Méen (ci-
après vie bretonne),
• La vie de saint Alain présentée dans le bréviaire dit « gothique » de Quimper
(Breviarium Corisopitense)



Vie aquitaine de saint Alain

La vie aquitaine ne concerne pas notre saint Alain breton. Le récit s’achève avec la
fondation du monastère de Lavaur, petite ville du Tarn qui fut autrefois siège d’un évêché et
dont la cathédrale était sous le patronage de saint Alain. Il y a tout lieu de croire que le
rédacteur de cette vita avait une dévotion particulière pour ce saint et qu’il ait voulu en
proposer une biographie à sa communauté. Je reviendrai plus loin sur le personnage et sur le
culte dont il a pu bénéficier dans l’ancien duché d’Aquitaine. Il est difficile de se prononcer
sur la date de composition de la vita même si la constitution du diocèse de Lavaur en tant
3
qu’entité autonome en 1317 ait pu être particulièrement propice à une telle entreprise, afin de
4
« donner un nouveau lustre à saint Alain » pour reprendre les termes d’Auguste Molinier . En
tout état de cause, la vita était connue avant 1329, date de l’achèvement de l’œuvre
monumentale de Bernard Gui consacrée aux vies des saints apôtres, martyrs et confesseurs (le
5Sanctoral ou Miroir des Saints) et dans laquelle figure le texte qui a été publié en 1658 dans
6
les Acta Sanctorum .

e
Selon cette légende, Alain vivait au 7 siècle, à l’époque des rois Dagobert et Sigebert
7et il serait né au pays d’Herbauges, à proximité de l’océan . La localisation précise de la ville
ed’Herbauges est discutée mais nous savons que le « comté d’Herbauges » s’est constitué au 9
siècle à la suite des incursions vikings et qu’il correspondait plus ou moins à ce que nous

3
HIPPOLYTE CROZES, Monographie de l’ancienne cathédrale de Saint-Alain de Lavaur, Toulouse, 1865, p. 25
4 Histoire générale du Languedoc, Edition Privat, tome 4, 1876, p. 796
5
Considérant que ses devanciers (on pense notamment ici à Jacques de Voragine et à sa Légende dorée) ont été
si brefs que les vies des saints, telles qu’ils les racontent, font l’effet d’être tronquées, Bernard Gui entreprend en
1312 la rédaction de son Sanctoral. L’ouvrage se compose de quatre parties, contenant les vies d’environ trois
cent saints ou saintes, et ne sera achevé qu’en 1329, deux ans avant la mort de son auteur. La vita S. Alani figure
dans le quatrième volume du Sanctoral mais uniquement dans l’un des cinq manuscrits qui nous sont parvenus
pour cette section (le Ms 64 dit manuscrit de Toulouse). Ce manuscrit est référencé Ms 481 au Catalogue
général des manuscrits des Bibliothèques publiques de France, tome VII, dont la notice est consultable sur le
site http://cifr.bnf.fr . Sur le Speculum sanctorale (ou Miroir des Saints), voir LEOPOLD DELISLE, « Notice sur les
manuscrits de Bernard Gui », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres
bibliothèques, 27/2, 1879, p. 273-292 ; et ANTOINE THOMAS, pour sa contribution dans l’Histoire littéraire de la
France, tome 35, 1921, p. 165-171.
6 Acta Sanctorum Février, tome I, p. 854-855 [BHL 335], d’après une copie d’André Duchesne. Dans cette
édition, le texte a été légèrement retouché pour l’appliquer à saint Amand.
7 In pago Herbatilico non longe à littore Oceani Galliae
3 8appelons aujourd’hui le pays de Retz. A l’époque mérovingienne, ce territoire était partie
intégrante du duché d’Aquitaine et il ne sera rattaché à la Bretagne que dans la seconde moitié
e
du 9 siècle.

Fils de parents nobles, Alain choisit contre l’avis paternel de se vouer à Dieu et se
retire alors dans un monastère de l’île d’Yeu. Il ne tarde pas à se distinguer par sa piété et par
les prodiges que Dieu accomplissait à travers sa personne, comme ce jour où il réussit à
mettre en fuite un serpent par une simple prière et un signe de la croix. Devant l’opposition de
ses parents qui veulent le forcer à quitter la vie religieuse, Alain prend son bâton de pèlerin et
demeure un certain temps près de Bourges, puis il entreprend le voyage jusqu’à Rome où
saint Pierre le gratifie d’une apparition. De retour en Gaule, il entame alors son métier de
prédicateur en témoignant de la puissance de Dieu par de nombreux miracles et prodiges. Un
jour qu’il pêchait en mer avec quelques compagnons, une grande tempête s’éleva au point que
tous avaient perdu espoir pour leur vie. Ils commencèrent par jeter par dessus bord tout le
superflu mais le péril n’était pas écarté. L’équipage s’adresse alors à Alain et lui demande
d’intercéder auprès de Dieu en leur faveur. Alain obtempère et saint Pierre lui apparaît une
seconde fois en lui confiant ce message de réconfort : « Ne craignez pas. Aucun de ceux qui
sont avec toi ne seront perdus. » Conformément à la parole de l’apôtre, la tempête s’apaisa au
petit matin et tous purent finalement rentrer au port sains et saufs.
Une autre fois, alors qu’il se trouvait dans le pays de Gand, saint Alain ressuscita le
cadavre d’un pendu puis, poursuivant sa mission vers l’est, il traversa le Danube et évangélisa
les Slaves avant de revenir à Maastricht où il fut nommé évêque.
Peu enclin à la vie sédentaire, il entreprit d’aller visiter les frères des monastères
établis au pays des Basques où il rendit la vue à un av

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