Yves, histoire d un prénom breton
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Description

Chaque nom a une histoire. Il naît, vit, s’épanouit avec plus ou moins d’intensité pour finalement décliner et s’éteindre à petit feu, frappé de désuétude. Cependant, il lui arrive quelquefois de ressusciter et il entame alors un second cycle de vie, souvent très différent du premier. Il arrive aussi qu’un nouveau venu, fraîchement installé, finisse par s’accommoder de son pays d’accueil pour réaliser à un moment donné une véritable usurpation d’identité, s’appropriant par la même occasion tout l’héritage de celui avec lequel il s’est assimilé. Et e ec’est précisément ce qui s’est passé en Bretagne autour des 13 et 14 siècles quand l’antique Eudon fusionna pour son plus grand avantage avec le jeune Yvon. Voici l’histoire peu ordinaire d’un prénom breton promis à une belle postérité.

Informations

Publié par
Publié le 18 mars 2013
Nombre de lectures 676
Langue Français

Extrait

Pierre Yves Quémener









Yves

Histoire d’un prénom breton










2012
















Chaque nom a une histoire. Il naît, vit, s’épanouit avec plus ou moins d’intensité pour
finalement décliner et s’éteindre à petit feu, frappé de désuétude. Cependant, il lui arrive
quelquefois de ressusciter et il entame alors un second cycle de vie, souvent très différent du
premier. Il arrive aussi qu’un nouveau venu, fraîchement installé, finisse par s’accommoder
de son pays d’accueil pour réaliser à un moment donné une véritable usurpation d’identité,
s’appropriant par la même occasion tout l’héritage de celui avec lequel il s’est assimilé. Et
e ec’est précisément ce qui s’est passé en Bretagne autour des 13 et 14 siècles quand l’antique
Eudon fusionna pour son plus grand avantage avec le jeune Yvon.
Voici l’histoire peu ordinaire d’un prénom breton promis à une belle postérité.



Eudon le vénérable

Eudon fut pendant plusieurs siècles l’un des noms les plus populaires de Bretagne. Il
enous est difficile de remonter au-delà du 9 siècle car à la vérité nos sources documentaires
sont tellement rudimentaires pour le haut Moyen Age qu’il serait bien hasardeux d’établir des
statistiques pour cette époque.

Le cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon constitue notre source la plus
e eabondante pour la période qui s’étend du 9 au 12 siècle. On y relève pas moins de 28
individus ayant porté le nom Eudon, ce qui le place à la dixième position dans le palmarès des
noms les plus portés.

Notre documentation n’est cependant pas uniforme sur toute la période. En fait, la
egrande majorité des chartes date du 9 siècle (70% du corpus), nous n’avons quasiment rien
e e epour le 10 siècle (3% environ) et le reste se répartit sur les 11 (18%) et 12 siècles (9%). J’ai
ventilé sur le tableau ci-dessous les occurrences des vingt noms les plus fréquents, selon qu’ils
e e e
figuraient dans des documents du 9 siècle ou des siècles suivants (notés 11 -12 par
simplification) :



2

Noms les plus fréquents dans le Cartulaire de Redon
Noms les plus fréquents Total IXe s XIe-XIIe
1. Daniel 53 2 51
2. Gaufridus 42 42
3. Guillelmus, Willelmus 38 38
4. Riuuallon 38 5 33
5. Judicael 37 37
6. Robertus 33 33
7. Euen, Even 32 8 24
8. Uuetenoc, Guethenoc 29 13 16
9. Bili 29 11 18
10. Eudon 28 5 23
11. Bernardus 27 4 23
12. Arthuuius 26 25 1
13. Herveus 26 1 25
14. Paganus 23 23
15. Radulfus 21 21
16. Buduuoret 20 20
17. Alan 19 3 16
18. Catuuallon 19 9 10
19. Conan 19 5 14
20. Gauslinus 19 1 18



Ce rapide comparatif illustre bien les principales caractéristiques de l’évolution
anthroponymique bretonne au Moyen Age central, période pendant laquelle le stock
onomastique se renouvelle considérablement. D’après Bernard Tanguy, un peu moins de 10%
e e e
seulement des anthroponymes attestés aux 9 et 10 siècles se rencontrent dans les actes du 11
e 1
et 12 siècles. Les noms francs font alors irruption dans le corpus breton et plusieurs d’entre
eux se retrouvent déjà en tête du palmarès à la seconde période : Gaufridus, Guillelmus,
Robertus, Bernardus, Radulfus, Gauslinus. On notera par ailleurs la percée extraordinaire des
e eDaniel, nom vétérotestamentaire qui occupe aux 11 et 12 siècles la place qui sera celle de
e
Jean à partir du 13 siècle. Nous remarquons également la fréquence inattendue des Paganus
(Païen), nom porté notamment par plusieurs moines, et qui se justifie probablement par une
attribution avant le baptême.

2Notre premier Eudon est cité dans un document daté du 30 avril 838. L’un des
porteurs les plus célèbres est indéniablement Eudon de Penthièvre (vers 999-1079), fils
cadet du Duc de Bretagne Geoffroi Berenger et d’Havoise de Normandie. En conflit avec son
frère aîné Alain – duc depuis 1008 – il obtient en 1035 un vaste territoire constitué à son
intention dans les évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier, Saint-Malo et Dol. Personnalité de
premier plan sur la scène politique de l’époque, il a sans doute contribué à la grande
popularité du nom en Bretagne.



1 BERNARD TANGUY, « Les noms d’hommes et les noms de lieux », dans Cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur
de Redon, 1998, p. 57
2 AURELIEN DE COURSON, Cartulaire de l’abbaye de Redon, 1863, Document 58, p. 47
3
Le nom connaît alors un succès croissant et se diffuse dans tout le duché. Les données
du cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé nous permettent de suivre sa
e e
progression en Cornouaille aux 11 et 12 siècles. Le cartulaire rassemble des documents
rédigés de 1029 à 1232 mais la grande majorité des chartes se situe dans la fourchette 1066-
1186.

Nous y relevons vingt-huit Eudon, score qui le place désormais à la cinquième
position du palmarès.


Noms les plus portés dans le cartulaire de Quimperlé
Noms les plus fréquents Total en %
1. Riuallon 45 3,2%
2. Guillelmus 36 2,6%
3. Even 32 2,3%
4. Daniel 30 2,2%
5. Eudon 28 2,0%
6. Guegon 26 1,9%
7. Haerueus 22 1,6%
8. Moruan 20 1,4%
9. Altfret 18 1,3%
10. Guihomarch 18 1,3%
11. Judicael 18 1,3%
12. Alan 16 1,2%
13. Gaufridus 15 1,1%
14. Gradlon 15 1,1%
15. Dungual 14 1,0%
16. Tangui 14 1,0%
17. Bernard 13 0,9%
18. Conan 13 0,9%
19. Rudalt 12 0,9%
20. Aldroen 11 0,8%
Les dix premiers 275 19,9%
Les vingt premiers 416 30,0%
Corpus complet 1385




e
Au 13 siècle, Eudon gagne encore du terrain. Il figure maintenant en tête du
classement dans la liste des hommes de Trégunc et Nevez cités dans un document du
e 3cartulaire de Quimper daté de la fin du 13 siècle.




3
ABBE PEYRON, Cartulaire de l’église de Quimper, BCDAA 1901, Doc. 7-8, p. 76-85. Cf. FRANCIS GOURVIL,
e« Noms de famille, prénoms, surnoms et noms de lieux à Trégunc et Nevez au 13 siècle », BSAF n° 106, 1978,
p. 239-269. L’auteur précise que « bien que placés en tête dans le cartulaire, ces actes ne sont pas datés. Mais il
e eme paraît impossible d’y voir des textes antérieurs à la fin du 13 ou au début du 14 . » (p. 240).
4
Noms les plus fréquents à Trégunc et Nevez vers 1300
Noms les plus fréquents Total en %
1. Eudo 17 10,6%
2. Gaufridus 16 9,9%
3. Guillermus 16 9,9%
4. Daniel 15 9,3%
5. Guido 14 8,7%
6. Alanus 13 8,1%
7. Rivallonus 11 6,8%
8. Johannes 8 5,0%
9. Petrus 7 4,3%
10. Cadoredus 5 3,1%
11. Ancherus 3 1,9%
12. Conanus 2 1,2%
13. Christianus 2 1,2%
14. Deyranus 2 1,2%
15. Grazlonus 2 1,2%
16. Henricus 2 1,2%
17. Herveus 2 1,2%
18. Matheus 2 1,2%
19. Natalis 2 1,2%
20. Nicolaus 2 1,2%
Les dix premiers 122 75,8%
Les vingt premiers 143 88,8%
Corpus complet 161


On notera ici l’étonnante concentration des noms – les dix premiers de la liste
représentent désormais 75% du corpus – phénomène qui n’est pas dû à la taille réduite de
l’échantillon présenté mais bien caractéristique de l’évolution anthroponymique de la fin du
Moyen Age.

Le parcours exceptionnel du nom Eudon dans le corpus onomastique breton depuis le
e
9 siècle en fait clairement l’un des noms les plus emblématiques de la région, bien qu’il soit
aujourd’hui complètement oublié. Etymologiquement, il aurait été formé à partir du vieux
breton eu, apprécié, excellent, et don, correspondant au gallois dawn, don, faculté innée,
4grâce, pouvoir.

La graphie utilisée dans les documents en latin est presque toujours Eudo, quelquefois
Heudo, avec toutes les déclinaisons latines habituelles (Eudo, Eudonem, Eudonis, Eudoni,
Eudone). En aucun cas, ce nom authentiquement breton ne doit être confondu avec le
5germanique Odo (ou Odon), très

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