17-étude de cas LBlondieau
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1 MODALITES ET PORTEE DES ATTEINTES FAMILIALES A L’INTEGRITE PSYCHOLOGIQUE – Approche à partir d’une analyse de cas. –Colloque international sur la protection de l’enfance,Tunis, 4- 6 nov.2002- Luc BLONDIEAU, psychologue, thérapeute et intervenant sur mandat de l’Aide à la Jeunesse Avant d’entrer dans le vif du sujet qui nous occupe, il n’est pas inutile de l’introduire en réfléchissant aux mots retenus pour le désigner, et à l’effet de ces mots sur l’imaginaire collectif mais aussi professionnel. Le concept de « maltraitance » est d’une grande difficulté d’emploi entre les intervenants psychosociaux et les familles. Le mot est stigmatisant pour des personnes généralement déjà culpabilisées. Le recours à ce vocable qui contient un préfixe lourdement connoté (cfr. : « l’axe du mal » de G.W. BUSH) induit presque naturellement une sorte de volonté de nuire, d’intentionnalité malveillante de la part des protagonistes adultes, en raison du caractère transitif et par là « proactif » du verbe « maltraiter ». D’autre part, cette terminologie laisse penser que le phénomène ne concerne que les relations interindividuelles, voire intrafamiliales, participant ainsi à la bouc-émissarisation des usagers de notre aide et de leurs proches, en même temps qu’à une atomisation réductrice du problème. Aussi vais-je user (très souvent) du mot « maltraitance » avec toutes ces réserves en tête, bien conscient qu’il faudrait lui substituer d’autres ...

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 1  MODALITES ET PORTEE DES ATTEINTES FAMILIALES A L’INTEGRITE PSYCHOLOGIQUE – Approche à partir d’une analyse de cas.  –Colloque international sur la protection de l’enfance,Tunis, 4- 6 nov.2002-       Luc BLONDIEAU, psychologue, thérapeute et   intervenant sur mandat de l’Aide à la Jeunesse  Avant d’entrer dans le vif du sujet qui nous occupe, il n’est pas inutile de l’introduire en réfléchissant aux mots retenus pour le désigner, et à l’effet de ces mots sur l’imaginaire collectif mais aussi professionnel.  Le concept de « maltrait st d’ grande difficulté d’emploi entre les intervenants ance » e une psychosociaux et les familles. Le mot est stigmatisant pour des personnes généralement déjà culpabilisées. Le recours à ce vocable qui contient un préfixe lourdement connoté (cfr. : « l’axe du mal » de G.W. BUSH) induit presque naturellement une sorte de volonté de nuire, d’intentionnalité malveillante de la part des protagonistes adultes, en raison du caractère transitif et par là « proactif » du verbe « maltraiter ».  D’autre part, cette terminologie laisse penser que le phénomène ne concerne que les relations interindividuelles, voire intrafamiliales, participant ainsi à la bouc-émissarisation des usagers de notre aide et de leurs proches, en même temps qu’à une atomisation réductrice du problème. Aussi vais-je user (très souvent) du mot « maltraitance » avec toutes ces réserves en tête, bien conscient qu’il faudrait lui substituer d’autres expressions plus adéquates, quoique moins synthétiques : « atteinte à l’intégrité, violences relationnelles, abus de pouvoir… ».  Permettez-moi d’entrée de jeu de noter une évidence triviale : on maltraite le plus souvent alors qu’on est dans un état de stress soi-même, et ce n’est pas minimiser les conséquences ni la responsabilité associées au fait, que de le dire. Nous en avons tous fait l’expérience un certain nombre de fois, quand nous étions nous-mêmes auteur de formes( certes) « mineures » de maltraitance, au détriment de notre conjoint, de notre enfant, de nos collègues, de l’une ou l’autre de nos connaissances, mais aussi : des usagers de notre aide. A ces moments-là, nous faisions face à des tensions internes et externes importantes, et la tentation était grande de les évacuer en leur trouvant une cause bien identifiable et étrangère à nous.    ----- En réalité, si l’on contextualise la maltraitance, on retrouve le plus souvent quatre facteurs  qui se cumulent et interagissent pour enclencher selon le cas son apparition, sa résurgence, ses pics : -Un vécu largement inconscient d’agression par l’environnement général ; (I) -Un vécu préconscient/conscient d’agression par l’environnement proche ; (II) -Un besoin d’y réagir pour ramener un bien-être perdu ; (III) -La tendance à justifier nos réponses impulsives- émotionnelles à la situation, en les  rationalisant à nos propres yeux et devant autrui sous forme et au travers de croyances elles-mêmes agissantes. (IV)
 
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 Ces inducteurs du sentiment de maltraitance et du risque subséquent de maltraiter soi-même, nous agressent aussi, à titre personnel (nous ne différons pas tellement de nos semblables, auprès desquels nous évoluons plutôt sur un continuum, en bien des aspects).   Il en va de même dans l’exercice de notre pratique psychosociale :  La préoccupation importante que peut entraîner pour nous l’abord d’une nouvelle situation de maltraitance dans bien des cas encore mal définie quant à ses risques,- peut atteindre la relative sécurité fournie par l’expérience et par la possibilité de travailler en réseau sur la situation, et constituer une agression environnementale professionnelle (facteurs I/II), que nous tenterons de réduire (f III) par des efforts de maîtrise et des exigences de normalisation peut-être prématurées au regard des capacités actuelles des protagonistes,- nos imagos et nos mythes de travail prenant le relais et le contre-pied de leurs croyances (f IV).   On verra qu’à partir de nos vécus d’agression par « le(s) maltraitant(s) » de la situation (car ils vont agir avec nous transférentiellement les émotions de colère, les moti d’attaque et ons d’opposition défensive qui animent leurs relations naturelles…), nous aurons tendance à chercher protection dans des modes de pensée prétendument rationnels et professionnels,… parfois fort éloignés des enseignements issus des recherches les plus avancées dans le domaine. Que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Par exemple, dans l’idéologie du lien familial sacré, dont Maurice BERGER a montré les aspects décoinçants recherchés par les travailleurs psychosociaux, en même temps que l’impasse en ce qui concerne une vision réaliste des effets destructeurs de la maltraitance familiale. Ou dans une toute autre direction, quand nous effectuons sans le savoir des abus d’interprétation ou de placages culturels contribuant, par surimposition de nos références, à « La fabrique de l’enfant maltraité » dont parlent Laurence GAVARINI et Françoise PETITOT .  Ainsi, quand par l’entremise de l’analyse de cas proposée, nous allons aborder quelques unes  des croyances tenaces impliquées dans la relation entre les personnes maltraitantes, leurs victimes, et les professionnels de l’aide , il sera juste de le faire avec circonspection, sans nous isoler arbitrairement du phénomène étudié. Au contraire, nous opterons pour une formulation capable de porter des ambivalences, de s’adresser réflexivement à nos stéréotypes et nos préjugés tout autant qu’à ceux (parfois les mêmes) par lesquels vont se défendre les usagers…    La situation qui va servir de support à cette réflexion est adressée à la Conseillère de l’Aide à la Jeunesse de Namur, début Juin 2001. Une plainte anonyme auprès de la police a amené à auditionner les adultes et enfants d’une famille recomposée. Le garçon (3 ème d’une fratrie de 4, et qui a alors presque 10 ans), en réaction à une dispute qui l’opposait à la cadette, a été frappé violemment au visage par le père : coups de pieds et de poings puis jet d’eau au tuyau d’arrosage pour nettoyer le sang sur le visage. La mère n’est pas intervenue durant la scène, et a conseillé à son fils de dire, si on l’interrogeait, qu’il avait reçu une gifle de son père. Les informations recueillies signalent un climat de violence, des sanctions sursévères et fréquentes, un homme considéré comme tout puissant et adulé par son épouse.  
 
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Une Juge d’instruction constitue son dossier, pendant que les enfants sont confiés à leur grand-mère maternelle (GMM), sur consensus général. Cependant, la maman y vient sans arrêt, et convainc ses enfants, à l’exception de l’aînée (Julie, 15 ans ½), de rentrer chez elle. Une plage horaire est instituée pour ces contacts mère-enfants, mais les conflits familiaux se déchaînent au-dessus de leur tête, et leur placement est négocié puis réalisé, sauf pour Julie. Celle-ci stigmatise la violence de son beau-père, qu’elle dit ne plus vouloir voir.  Constatant qu’il n’y a plus lieu fin novembre, vu le contexte, de redouter des passages à l’acte violents de la part du (beau)père, et qu’en outre, il est malaisé de travailler à partir de la réalité de placement des enfants les questions fondamentales et les problèmes liés au système éducatif des parents, la Conseillère propose la réintégration familiale des 3 enfants placés, assortie de l’intervention d’un thérapeute chargé d’effectuer un travail avec l’ensemble du système familial, Julie comprise.  Quand cette intervention commence, les 3 cadets font corps avec père et mère, et rejettent l’aînée, comme responsable des tracas vécus par la famille (police, expertises, séparation par le placement…). Les adultes disent ne pas en vouloir tell ement à Julie, car elle est selon eux manipulée par ses deux grands-mères, mais ils vont passer systématiquement par ( la souffrance de) Julie pour se venger de celles-ci (et rester ainsi en relation avec elles).  Dès qu’ ll ’est trouvée écartée des deux adultes de la maison, Julie a appris de la bouche e e s d l’ et l’autre de ses grands-mères le secret de ses origines personnelles : elle n’est pas e une la fille d’Edouard qui vit avec eux depuis toujours, il n’est donc pas si grave pour elle d’être dans un tel conflit et rejet par rapport à lui. Elle apprend aussi que son frère Georges et l’aînée de ses deux sœurs, Odette, ne sont pas non plus de lui. Ils l’ignorent, ne connaissent pas l’identité et surtout l’histoire terriblement violente de leur père respectif.  Le père géniteur d’Odette a commis deux meurtres crapuleux, et s’est finalement tué en moto, lors de sa fuite après un braquage de bureau de poste de la région. Quant au vrai père de Georges, il est en détention depuis de très nombreuses années, après avoir été impliqué dans le vol de la carte bancaire d’un particulier, tué au couteau par un complice devant un guichet de paiement électronique bancontact. A sa sortie de prison (prochaine ?), il revendiquerait sa paternité sur Georges par test ADN, et le bruit court sourdement qu’il pourrait, vu son caractère, mal prendre les coups portés par Edouard à son fils…  Le père de Julie est présenté lui comme exempt de toute violence, mais bien qu’il accepte à présent de la voir, depuis qu’elle s’est manifestée à lui, il le fait « en cachette » : il craint que sa propre mère ’ ’ e fille l i est née d’une union hors mariage. n apprenne qu un u  On le comprend, LA PEUR EST OMNIPRESENTE dans cette situation, et concerne plusieurs familles, rapprochées par des unions successives ou par des filiations cachées. Tout le monde a peur de tout le monde, ou presque. Soit directement, soit à travers les révélations que certains peuvent utiliser contre d’autres, pour se blanchir ou se venger.  La mère des enfants et son mari actuel ( moins violent physiquement que les deux hommes qui l’ont précédé, et qui apporte une unité à la vie familiale de madame et de ses enfants) n’arrivent plus que très difficilement à contenir les révélations sauvages qui tentent les grands-mères et Julie, mais pourraient affecter durement les « petits », notamment leur relation avec leur beau-père et leur mère qui ont caché si longtemps des informations les concernant au premier plan.
 
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Une question douloureuse se posant régulièrement dans de tels cas : pour qui, pourquoi ces secrets ? Vraiment pour nous protéger, ou pour d’autres mobiles plus centrés sur les adultes ?  (Voir sur le sujet le livre constructif du psychologue François VIGOUROUX – cfr. la bibliographie donnée en fin d’article).   Un autre aspect, capital, doit être évoqué. Il a trait à l’enfance des deux adultes en position de parents autour des enfants. C’est-à-dire et aussi : aux histoires d’amour et de haine auxquelles leurs propres parents les ont mêlés.  La mère de Monsieur était selon lui aussi brutale et rejetante que son père, qui l’a frappé très souvent jusqu’à ce qu’il se rebelle à l’adolescence. Monsieur dit avec des moues de mépris et de dégoût détester l’un et l’autre de ses parents, dont il essayait de détourner sur lui l’agressivité pour protéger sa sœur.  La mère de madame s’est séparée de son père depuis longtemps, et remise en ménage avec un homme hyper violent quand il buvait, ce qui était fréquent voire chronique. Cet homme a été abattu de plusieurs coups de feu tirés à bout portant par le frère de madame, qui l’avait prévenu : s’il touchait encore leur mère (la GMM des enfants), il le tuerait, ce qu’il fit sous les yeux de leur frère et de leur mère après une xième séance de coups et de peurs,.  Cela fit dire à sa sœur et à son mari qu’on ferait mieux de regarder ailleurs que chez eux, pour trouver des faits de « vraie »violence. Cela dit, son frère qui n’avait aucun antécédent de violence et s’est livré spontanément à la police bénéficia d’une peine très mesurée (4 mois dans un Centre fermé de l’Etat pour mineurs), car il fut tenu compte du contexte d’agressivité brutale dans lequel il se trouvait impliqué, ayant réagi en quelque sorte pour compte de sa mère dans le cadre de la légitime défense…de celle -ci.  ANALYSE :   Certes, la maltraitance physique est ici bien présente, mais il faut remarquer qu’elle concerne des relations de famille partant de la génération aînée (que nous appellerons G1 ) précédant celle des parents eux-mêmes ( G2 ) mis en cause dans l’épisode avec Georges (lui-même de la G3 ), ou alors elle concerne des avatars personnels repérables chez les compagnons précédents de sa mère (Femme G2, soit FG2 ). Son mari actuel (Homme G2, soit HG2 ) exprime majoritairement son agressivité sur d’autres modes.  La violence physique participe donc ici surtout d’un substrat maltraitant issu de l’environnement affectivement ou historiquement proche (cfr. Fact.II), par rapport à la cellule familiale restreinte interpellant au départ l’Aide à la Jeunesse.  Le parcours de celle-ci, à travers les lourds secrets de famille eux-mêmes objets et outils de chantage, incurve le vécu parents/enfants des deux dernières générations vers une sphère moins brutalement « agie », celle de l’oppression plutôt que de l’agression, morale et psychologique plutôt que directement corporelle, ce qui pourrait aussi se lire, au risque de soulever dès cet instant un débat houleux, - comme une évolution, au sens d’un changement de formes cherchant dans l’inconscient dynamique familial à « sortir » du creuset historique des actings violents, par des formes de contraintes plus subtiles et, ici, moins violentes.
 
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 Dans ce sens, conserver la situation au SAJ dans le cadre d’une aide consentie, même si cette aide est parfois « combattue » par les protagonistes, mais par le biais de la parole, - cela en fait une aide (certes âprement) « débattue », - qui marque, soutient et stimule le recours progressivement plus important et socialisé à la communication digitale, par rapport à un fonctionnement-au-tout-émotionnel. Celui-ci enfermait jusqu’ici dans des échanges trop massivement analogiques, inaptes à définir la nature de la relation de manière non-équivoque (V. Une logique de la communication, de WATZLAWICK, BEAVIN et JACKSON ).    Film des emboîtements maltraitants transgénérationnels   de la famille-cible : tentative de script.   Aux codes G1, G2 et G3 … désignant les générations par ordre chronologique d’existence, nous allons accoler des temps respectifs T1, T2 et T3 … évoquant la période appartenant chaque fois plus spécifiquement, si l’on peut dire ainsi, à la génération-charnière, alors en principe « aux commandes » car assumant la fonction parentale de première ligne par rapport aux enfants.  Actuellement, la constellation familiale suivie évolue dans une ère largement articulée autour du vécu des jeunes adultes G2, et l’on pourrait donc dire conventionnellement que T2 (c’est-à-dire : la façon, le style, l’énergie, les projets… portés par ces adultes) s’impose (ou cherche à le faire) à G1 comme à G3.  Nous allons tenter de visualiser comment s’ébauchent et se perçoivent les jeux (au sens psychologique –cfr. : l’approche des Jeux telle que Eric BERNE l’a développée en Analyse Transactionnelle) maltraitants liés à des enjeux existentiels mal traités par une génération donnée, puis par celles qui lui succèdent. Chacune vit tour à tour le temps de la précédente qui lui est imposé, puis la construction et l’usufruit de son propre temps représenté et voulu comme différencié, puis encore : le temps des…suivants, c’est à dire de la progéniture, temps projeté comme préservé des aléas du passé familial, mais de fait aliéné notamment par les modalités de cette projection.  Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux jeux et enjeux jalonnant le déploiement de la lignée féminine, et cela surtout du côté de la mère de Georges, trame généalogique que nous avons eu l’occasion d’approcher davantage et sur laquelle semble s’être cristallisés les effets notoires de l’absence remarquable des hommes,…à l’exception du ( beau-)père de Georges.  Ici, les compagnons et les pères s’arrachent eux-mêmes à leurs femme(s) et enfants, s’auto-et-hétéro-maltraitant, par leur alcoolisme, leur violence comportementale, leurs actes anti-sociaux.  HG2, malgré une intégration socioprofessionnelle réussie (signe d’une certaine maîtrise des pulsions) et l’apport d’une réelle stabilisation à son épouse et aux enfants de celle-ci, n’échappe pourtant pas totalement à ce « destin » du masculin dans la grande constellation familiale, puisqu’il est poursuivi pour les coups sur Georges, coups qu’il a d’ailleurs reconnus.
 
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 En T1 :  La grand-mère maternelle de Georges, FG1, a peu connu son père, qui a quitté sa mère quand elle avait 8 mois. Sa sœur a pu reprendre par la suite des contacts réguliers avec lui, mais pas FG1 qui n’a cherché qu’un seul contact et s’en est contentée. Elle signale avoir été élevée par ses Grands Parents Maternels. Son premier mari, père des 4 enfants dont FG2 est la cadette, l’a quittée et a connu ensuite trois ans la prison, mais il n’a jamais commis de violences physiques –tient-elle à préciser.  Après cette séparation, elle a vécu avec l’homme que son fils aîné a fini par tuer, en raison de ses violences sous influence de la boisson. « Elles ne s’adressaient qu’à moi, jamais contre les enfants … (… ) Je n’aurais jamais admis une violence contre mes enfants» dit FG1. Depuis 15 ans, elle vit avec un homme « qui a eu ses problèmes mais s’est rangé ».   Première croyance à pointer : se mettre en position basse vis-à-vis de l’agresseur, éventuellement en allant jusqu’à accepter sur soi sa violence et pour tous les conséquences concrètes de ses comportements sur la vie de la maisonnée, peut contribuer à l’apaiser et à maintenir un niveau raisonnable de pression de sa part.  Cette forme de soumission où interagissent la peur, une adaptation tactique, voire un besoin d’expiation, est évidemment inopérante, et contribue à prolonger une situation des plus pénibles pour tous, dont l’effet destructeur est attesté par le geste grave du fils aîné. Mais aussi par la rancœur dévastatrice de FG2 à l’égard de sa mère, qu’elle rend responsable de la dépendance à l’alcool de cet homme, et de tout ce qui en a découlé. FG2 était « sa préférée » nous dit FG1, « on ne pouvait ni la toucher ni la punir ». FG2 a donc expérimenté de la sorte les bénéfices psychologiques en même temps que le prix à payer liés à l’obtention d’un statut privilégié auprès du représentant violent du sexe fort commandant la maisonnée.  Ici, le fonctionnement de FG1 « sur la croyance » a été suivi en termes de résultats par la mort violente de son compagnon, qui a fait de son fils le plus âgé un meurtrier. Les trois autres enfants ont vécu dans la peur également, y compris FG2 qui devait avoir des angoisses de mort par rapport à sa fratrie et à sa mère, même si celle-ci la trouvait préservée.  Ce postulat de l’intérêt qu’il peut y avoir à rechercher prioritairement l’accord avec la personnalité manifestement dominante pour conserver une marge de manœuvre ou ne pas perdre la face, n’est pas le seul fait des usagers de notre aide. Dans l’enseignement par exemple, le professeur qui cherche à se concilier les bonnes grâces du leader de la classe fait fausse route : l’élève en question sent très bien et de suite que cela correspond à une assise mal assurée de l’adulte. Il augmente encore sa prise de pouvoir sur ses pairs et sur le professeur, qu’il n’estimera pas. (V. Eduquer face à la violence, de Pierre HARDY et Abraham FRANSSEN ). Idem dans l’intervention socio-éducative…   Seconde croyance à relever : l’enfant épargné par les formes physiques de la violence intra-familiale ne subit pas de « vraie » maltraitance.  En fait, cette façon de penser recouvre la compétition existant entre le souci de protéger réellement son enfant, le désir de pouvoir continuer à l’imaginer comme relativement indemne malgré les traumas collectivement subis, et le besoin de diminuer le taux (l’étau) de l’angoisse personnelle, par une minimisation a posteriori des conséquences.
 
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FG1 semble bien être « co-dépendante » de la situation de maltraitance en restant au côté de son auteur, lui-même dépendant non seulement à l’alcool, mais aussi à l’adrénaline sécrétée par ses emportements… ? …mais aussi et encore : dépendant de son passé, d’une relation historique à la (première)femme que fut sa mère, relation vécue comme anti-développementale, et rejouée dans les relations conjugales ?…  Toujours est-il qu’en ne mettant pas de très sérieuses limites à la violence comportementale événementielle de son compagnon, FG1 a contribué sans le vouloir au saccage de l’adolescence de ses enfants. FG2 y voit aujourd’hui un projet délibéré de sa mère de lui gâcher son existence.  Cette interprétation est nodale, car lourde de conséquences. Elle repose sur une Autre croyance, relançant le moteur des affrontements interpersonnels :  le procès d’intentionnalité malveillante.   Il y a ici confusion entre l’intention et l’effet du comportement , confusion que nous pratiquons probablement tous à certains moments. Par exemple, quand nous nous disons lorsque les mots ou les actes de quelqu’un nous affectent : « il (elle) le fait exprès (pour m’atteindre)! ». En réalité, la seule chose sûre alors, c’est que je suis atteint. Ce qui a présidé au comportement problématique de l’autre, pour autant qu’il puisse en avoir conscience, je n’y ai guère accès qu’en en parlant sans jugement avec lui.  Quoi qu’il en soit, en T1 , la vie de FG2 n’a pas été une partie de plaisir. La rage qui en découle, longtemps étouffée en raison de la position de dépendance matérielle et affective à l’égard de la mère pendant la jeunesse, va s’autoriser à s’exprimer à l’âge adulte.  En T2 : Le temps d’une indépendance espérée devait commencer pour FG2 lorsqu’elle a quitté, très jeune (à 16 ans), le domicile maternel. Son ressentiment peut trouver un exutoire par sa grossesse immédiate, qui relègue sa maman au statut vieilli de grand-mère. Et aussi et déjà par sa mise à distance précoce de sa mère. Mais ces unions successives immatures amènent énormément d’inquiétude et de souffrance chez FG2… et chez ses enfants. Ces épisodes l’obligent également à recourir de manière régressive à l’aide de sa mère, avec pour résultat de réinstaurer la dépendance haïe, et d’augmenter encore la frustration.  De plus, en se mésalliant avec des hommes lâches (le père de Julie était déjà engagé dans une autre relation) ou/et brutaux(deux des trois autres papas de ses enfants), FG2 copie au départ les déboires de la vie conjugale de sa mère, et cela doit la culpabiliser.  On peut penser que son désir de vengeance vis à vis de sa mère s’est combiné avec les représentations abîmées du masculin fournies par les hommes de sa mère, pour faire choisir à son tour par FG2 des hommes successivement violents. Leur capacité d’extérioriser l’agressivité pouvait être assimilée à des signes de virilité, mais aussi de force personnelle recherchée par ces femmes dans l’espoir et l’illusion de s’entourer d’alliés puissants face aux conflits les opposant les unes aux autres.  Ainsi se construit une croyance supplémentaire : s’allier à un être « fort de caractère » va protéger le couple construit du reste du monde vécu comme hostile , dans une représentation quelque peu paranoïde de ce dernier qui s’explique par les nombreuses agressions de la sécurité familiale et personnelle durant l’enfance.
 
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L’affirmation d’une personnalité forte a quelque chose de rassurant ou d’intimidant ( selon notre propre état d’esprit), exerce un pouvoir de fascination ou « force » le respect…  Dans la situation examinée ici, l’image recherchée d’un père cruellement manquant se profile également. Ce besoin est si impérieux qu’il y a grand risque qu’il ne compose que très peu avec la réalité des hommes croisés.  Un scénario transgénérationnel s’enclenche, car la vie de FG2 et de ses enfants avec de tels compagnons, non seulement va molester la génération suivante, mais entraîner de sévères critiques de la part de la génération précédente. En désavouant les unions de sa fille, FG1 va tenter de distancier et d’exorciser son propre passé culpabilisant.  L’affrontement atteint alors la troisième génération, qui se divise en deux clans. Certains (les trois plus jeunes, dont Georges, l’agressé) défendent leur mère et son couple (ainsi que les secrets qu’ils protègent). L’aînée soutient sa grand-mère FG1, entre-temps assagie, devenue une grand-mère attentive (en laquelle Julie ne reconnaît vraiment pas le monstre décrié par sa mère), là où elle ne pouvait pas en tant que maman épargner de grands tourments à la génération intercalée(G2).  Le sentiment historique de mauvaise conscience est toujours là, et vient comme contredire par retours du refoulé la bonne évolution. Dès lors, il se cherche inconsciemment une issue, sous forme de réparation dans le présent, par procuration à travers le vécu des deux générations suivantes.  Dans la configuration d’une maltraitance descendant les degrés d’une lignée familiale, cela revient pour les personnes occupant la position de grands-parents, à dénoncer chez leur enfant (souvent : leur fille) un refus d’assistance à (petits-) enfants mis en danger par les exactions du conjoint mal choisi. La « faute » entâchant la famille change de veste.   On voit bien l’impossibilité pour la fille devenue adulte (FG2) d’accepter un tel procès de la part de la personne qui a précisément introduit comme cela l’insécurité dans son existence !  Une certaine guerre des générations est ouverte, véritable phénomène de société constaté par tous les intervenants psychosociaux aidant la Jeunesse : une génération nourrit l’illusion de pouvoir régler son lourd contentieux avec celle qui la précède en se coupant d’elle et en la privant de tous contacts avec ses petits-enfants pour la punir ( dissuasivement ?).   On assiste alors à un découpage de l’arbre familial en deux clans. Il y a rupture des relations de FG2 avec sa mère et son beau-père, ainsi qu’interruption prolongée puis forte conflictualisation résiduelle des relations avec Julie, qui s’est associée à eux pour déposer plainte. Julie n’a toujours pas repris contact avec le mari de sa mère, qu elle sait dorénavant être son beau-père. ( Le parallélisme est ici, lui aussi, maltraitant : il crève les yeux !). Les relations personnelles des trois petits avec leur sœur aînée n’ont pas résisté, pas plus que celles avec leur grand-mère maternelle chez qui Julie réside depuis un an. Par ailleurs et pour rappel, Georges et sa sœur immédiatement aînée ne connaissent pas leur famille paternelle biologique respective, à laquelle les secrets substituent la famille de HG2, dont lui-même se coupe et les coupe totalement.
 
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Tout cela relève de ce que JORGE BARUDY appelle des troubles au niveau de l’organisation hiérarchique de la famille :  ?? Des coalitions se forment transversalement aux générations, dans lesquelles les enfants (soit : les plus faibles) deviennent fantassins dans une bataille entre adultes de la grande famille. Ils sont chosifiés par les uns, contre-agressés par les autres, sommés de changer de camp sous peine d’être sanctionnés dans la relation…  ?? Le respect des générations antérieures se perd en tant que valeur transmissible. La seconde génération apprend à la troisième qu’il est permis de se débarrasser de ses parents, de les combattre sans merci…  ?? Des « triades dysfonctionnelles » s’installent : Grand-parents/ petits-enfants contre parents, rompant le lien fonctionnel d’obéissance sur lequel l’éducation mise généralement (trop) dans un système rigide. Or, l’agression du noyau familial par les affrontements avec « l’extérieur » et par les divisions qui en résultent tend à refermer et à durcir le système,…presque indépendamment de la (bonne) volonté de ses membres. Les systémiciens ont bien montré qu’une structure dynamique organisée se protège en recherchant l’homéostasie ou maintien de ses équilibres, s’il le faut sans référence aux intérêts particuliers de ses éléments.   Etienne DESSOY , en s’appuyant sur la théorie de l’organisation des systèmes d’ Edgar MORIN , a conceptualisé dans son étude sur « L’homme et son milieu » le jeu d’antagonismes réglant le fonctionnement d’un système, notamment entre la tendance unitaire imposée par celui-ci pour se maintenir, et la tendance autonome de ses membres.  Ainsi, dans un couple ou dans une famille coexistent des lois organisationnelles (conjugales ou familiales) et des lois personnelles (fondant la singularité des individus). Leur compromis sans lequel la communauté n’est pas viable aboutit à des valeurs (à octroyer une importance donnée à chacune des tendances en présence), qui « ne correspondent pas à l’idéal de chaque personne prise isolément ».  Les intervenants psychosociaux pourront à l’occasion constater que le système refuse de changer alors que ses membres s’y engagent parfois sincèrement dans le travail avec eux. Le système peut même, s’il se sent menacé par trop d’antagonismes internes ou/et par des remises en cause extérieures trop radicales, imposer à ses membres ce que BARUDY  nomme une « écologie de survie », par exemple : celle d’une partie du système au détriment d’une autre partie.   C’est très exactement ainsi que Julie s’est trouvée évincée de la cellule familiale qui lui a servi de base jusque là dans l’existence. Mais c’est aussi comme cela que son frère et ses deux sœurs ont perdu le contact avec leurs racines (ou les personnes qui en tenaient lieu). Par alliance avec leurs parents tour à tour assimilés aux plus forts auprès desquels il vaut mieux se ranger ou aux victimes qu’il faut soutenir, selon les rebondissements de la situation, les trois plus jeunes « noircissent » leurs grands-mères et expriment des motions de haine à l’égard de leur aînée (voire des désirs d’élimination, comme Georges face à Julie dans le bureau de la Conseillère). Ce faisant, ils se font à leur tour persécuteurs…  
 
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On se retrouve bien ici au centre d’une maltraitance psychologique ou morale massive, avec des « conflits de finalités entre les forts et les faibles », dans le groupe de référence. Le système peut selon sa propre logique laminer les désirs individuels de préserver malgré les difficultés et les divergences certaines relations affectivement très signifiantes.  Selon le taux de brimade imposé aux volontés personnelles par leur système de vie dans son modus operandi pour garantir sa pérennité, on peut se trouver aux antipodes de l’affirmation de foi de BARUDY : « Personne, malgré des tragédies historiques, n’a le droit d’utiliser ( ou de contraindre) une autre personne de façon abusive » . Le problème est qu’on se trouve en présence d’un système composé de gosses et d’adultes, et que le rapport de forces apparent entre des générations de grandes personnes en cache un autre, en terme d’influence, entre personnes (normalement) mûres, désireuses d’expurger les plaies infectées du passé, et leurs jeunes enfants, obligés de « jouer le jeu ».  Or, le « jeu » est ici avant tout un jeu d’adultes, et les enfants en sont les jouets, les « objets transitionnels » comme le relève BARUDY, par lesquels père et mère « tentent de réparer les carences du passé », sans se rendre compte qu’ils confisquent ainsi gravement les possibilités d’individuation de leurs enfants, - qu ils « s approprient leur projet existentiel ». Ils leur ’ ’ dérobent une part de leur vie en la surdéterminant, et peuvent même orienter tout leur avenir, au risque que leurs enfants galvaudent complètement leur potentiel inné.  Songeons ici à l’oncle maternel des enfants, devenu assassin par devoir de protéger une mère ayant estompé elle-même toutes les normes de protection. Pré-adulte au moment des faits, n’étant pas connu comme spécialement agressif ou querelleur jusque là, on peut dire qu’il s’est trouvé alors comme « aspiré » dans le système de violence toléré/subi par sa mère, et qu’il est dorénavant confronté avec la violence de son propre geste.  Listons les ATTEINTES PSYCHOLOGIQUES   venant prolonger le socle de brutalité physique en voie d’atténuation dans le dernier repli bigénérationnel de cette famille (liste non exhaustive) :  ?? Vécus de peur, de colères, de frustration, de susceptibilité…pouvant déboucher sur la déconstruction de la sécurité de base, sur l’installation d’une position existentielle paranoïde de type « I’m OK, You’re not OK » depuis laquelle toute altérité devient subjectivement menaçante. ?? Choc des valeurs personnelles, perturbées par la conscience de participer aux attaques destinées à des personnes aimées, sentiment d’agir contre-nature en s’élevant contre ses géniteurs, en souhaitant leur disparition, au moins figurée. ?? Sentiment de lâcheté du fait de l’affiliation au plus fort, voire au plus redouté. ?? Caricature des relations, en perte sérieuse de liberté et d’authenticité, par immersion dans la configuration « Persécuteur-Victime-Sauveur ». D’un côté, une partie non négligeable du libre arbitre à conquérir est escamotée par les contraintes d’un fonctionnement sur le mode action/réaction. D’un autre côté, la victimisation des adultes protecteurs étendue à leurs enfants complique sinon hypothèque leur confiance en eux. ?? Des signes de dépression et d’autodévalorisation sont présents. Ils peuvent traduire le retournement partiel contre soi-même de l’excédent d’agressivité accumulée, dans un dessein inconscient d’équilibrage et de déculpabilisation des pulsions offensives. ?? Remords devant la rivalité fratricide et les coups « calculés », comme par exemple, la révélation de secrets aux plus jeunes, instrumentalisés pour déstabiliser les aînés…
 
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?? Légitimation de la violence relationnelle, de la guerre psychologique destinée à provoquer les douleurs morales les plus grandes possibles, formes de sadisme (et de masochisme) qui peuvent se transmettre dans les interactions à la génération à venir… ?? Difficulté d’investir les procédures d’émancipation et de croissance classiques ( la scolarité, les activités extérieures…), car il y a véritable détournement de l’attention et des investissements énergétiques par les mobiles conflictuels répétitifs. ?? Insécurité quant à la relation d’attachement : si mes parents peuvent renier complètement ou durablement les leurs et un de leurs enfants, cela peut m’arriver aussi (dans les deux sens) : obligation de me conformer à leurs attentes pour conserver la relation. ?? Modèle parental anti-éducatif de résolution des problèmes et conflits : polémiques incessantes et vaines (« la différence entre une polémique stupide et stérile, et une polémique intelligente, c’est que dans celle-ci, vous ne pouvez pas exclure que votre pensée évolue » dit Elisabeth LEVY ), issue fatidique : rejet global de l’autre(opinion). ?? Nous voyons aussi dans cette situation que les enfants se briment incroyablement pour soigner la rage et la culpabilité de leurs parents.    Diagnostic global et implications pour l’intervention :    Schématiquement, BARUDY distingue deux formes de maltraitance :  1. La maltraitance comme expression d’une crise dans le cycle vital d’une famille :  ?? Elle est ponctuelle ou commence à être épisodique, faute d’issue ; ?? La crise est antérieure à l’intervention : les parents ont conscience de la violence ; ?? L’intervention consiste à encadrer la crise. Approche par la solidarité, la stimulation des ressources permettant l’atteinte d’un nouvel équilibre : restauration de relations hiérarchiques saines, mise en place d’un dialogue triangulé parents/enfants autour des motifs de tensions et de souffrances…  2. La maltraitance comme situation organisationnelle de la phénoménologie familiale, qui concerne très souvent les famille transgénérationnellement perturbées :  ?? Elle est chronique, et ses protagonistes y sont accoutumés (elle fonctionne peut-être même comme une addiction ?). La violence intrafamiliale est devenue une façon de régler les conflits et les contradictions, contribuant à maintenir la cohésion et l’homéostasie du système ; ?? La violence ne fait pas crise au point où l’entendent les systémiciens : état qui précède et permet un changement significatif. ?? L’intervention consiste à ouvrir la crise, et à la maintenir tant que le changement n’est pas opéré (restauration du respect de chacun…).  Dans le cas étudié, nous sommes en présence de la seconde forme de maltraitance. La crise n’a été ouverte qu’à la suite de l’interpellation de la police/justice. Les tentatives de la régler depuis lors restent chez les protagonistes articulées autour de la bouc-émissarisation haineuse de certains d’entre eux, et du projet de se protéger de leur malfaisance supposée par repli cloisonné sur elle-même de la cellule familiale réduite, toujours amputée de l’aînée des enfants.
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