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(c) Droits réservésCours du 29 septembreIntroductionApproche de notre problématique, Linguistique et littérature.Linguistique : discipline relevant des sciences humaines, qui a pour objet l'étude du langage et deslangues.Littérature : l'un des modes d'expression artistique privilégiés des sociétés occidentalescontemporaines, qui consiste à produire des objets linguistiques, sous une forme orale ou écrite, enfonction de critères esthétiques déterminés. Les langues et la faculté de langage, qui font l'objet d'étude de la linguistique, constitue donc lematériau de base de la littérature. Ceci signifie, d'une part, que la littérature est par nature l'un des champs que le linguiste se doitd'investir ; d'autre part, que l'écrivain ne saurait exercer son art sans s'interroger sur la langue qui estla sienne et/ou la faculté de langage. 1. Analyse linguistique de la littératureOn date en général l'émergence de la linguistique, au sens moderne du terme, à compter du début du20e siècle, et de l'oeuvre pionnière de Ferdinand de Saussure. Or, dès cette période, certainslinguistes se sont sentis obligés de prendre position quant à la nature des liens censés exister ou nonentre leurs études et celles visant l'expression littéraire. Pour illustrer ce point, nous nous pencherons sur les travaux de Charles Bally (§ 1.1), puis, plusrapidement, sur ceux de Leo Spitzer (§ 1.2) et de Roman Jakobson (§ 1.3).1.1. Charles BallyTraité de stylistique française de Charles ...

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(c)
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Cours du 29 septembre
Introduction
Approche de notre problématique,
Linguistique et littérature
.
Linguistique
: discipline relevant des sciences humaines, qui a pour objet l'étude du langage et des
langues.
Littérature
: l'un des modes d'expression artistique privilégiés des sociétés occidentales
contemporaines, qui consiste à produire des objets linguistiques, sous une forme orale ou écrite, en
fonction de critères esthétiques déterminés.
Les langues et la faculté de langage, qui font l'objet d'étude de la
linguistique
, constitue donc le
matériau de base de la
littérature
.
Ceci signifie, d'une part, que la littérature est par nature l'un des champs que le linguiste se doit
d'investir ; d'autre part, que l'écrivain ne saurait exercer son art sans s'interroger sur la langue qui est
la sienne et/ou la faculté de langage.
1. Analyse linguistique de la littérature
On date en général l'émergence de la linguistique, au sens moderne du terme, à compter du début du
20e siècle, et de l'oeuvre pionnière de Ferdinand de Saussure. Or, dès cette période, certains
linguistes se sont sentis obligés de prendre position quant à la nature des liens censés exister ou non
entre leurs études et celles visant l'expression littéraire.
Pour illustrer ce point, nous nous pencherons sur les travaux de Charles Bally (§ 1.1), puis, plus
rapidement, sur ceux de Leo Spitzer (§ 1.2) et de Roman Jakobson (§ 1.3).
1.1. Charles Bally
Traité de stylistique française
de Charles Bally (Heidelberg et Paris, Winter et Klincsieck, 1909).
La « stylistique » dont traite Bally est une discipline strictement linguistique, et sans rapport direct
avec l’étude du « style » des écrivains.
Ceci tient au fait que la « stylistique » avait été définie dans les années 1870 comme l’étude des
procédés d’expression propres à une même communauté linguistique, par le philologue allemand
Wilhelm Wackernagel.
Définition de la nature du langage selon Bally :
1
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un système de moyens d’expression
, c'est-à-dire un système de symboles vocaux destinés à
communiquer ou simplement à manifester ce qui se passe en nous, nos
pensées
. (1951 : 5)
Nos pensées
: deux grands types de représentations mentales, les « idées » et les « sentiments ». Les
idées reflètent « toute la partie
intellectuelle
de notre être pensant » (1951 : 5) ; cependant, ce n’est
pas là la finalité première du langage. Celui-ci, selon Bally, « exprime avant tout des sentiments
» (1951 : 6).
En effet, pour le linguiste genevois, « l’homme moyen, celui par qui le langage se fait et se
transforme, est un être essentiellement affectif » (1951 : 9) :
Supposons que quelqu’un, rencontrant une autre personne à un endroit où sa présence
n’était pas attendue, exprime son étonnement de cette rencontre ; les deux faits de pensée : 1.
rencontre de la personne rencontrée, 2. surprise causée par cette rencontre pourraient être
énoncés sous forme de jugement pur (…) ; l’expression de ce jugement serait à peu près
celle-ci : «
Je suis étonné de vous rencontrer ici
». Encore faut-il, pour que cette forme de
pensée soit exclusivement intellectuelle, que l’
intonation
, l’inflexion de la voix, soit assez
inexpressive pour ne révéler aucune trace d’élément affectif ou émotif. (…) Imaginez
maintenant une proportion toujours plus grande d’émotion dans le fait de pensée, vous
obtiendrez une gradation parallèle dans l’expression : «
Tiens ! Vous êtes ici ? » – «
Comment ! vous ici ? » – « Vous ! »
, jusqu’à ce qu’enfin l’émotion, ne trouvant plus dans les
mots d’expression adéquate, s’extériorise dans une exclamation pure, telle que :
« Oh ! »
.
La distinction entre « idée » et « sentiment » ne rend pas parfaitement compte, cependant, du
fonctionnement de la langue. Bally note en effet que nous n’exprimons pas nos pensées pour nous
même ou dans le vide. Nous parlons toujours à quelqu’un, et dans un contexte donné. Il convient de
prendre en compte cette dimension qu’il appelle « sociale » du langage
1
:
Mais on ne peut guère parler sans parler à quelqu’un, ou sans penser à quelqu’un ; il n’y a
que la pensée pure, étrangère aux conditions fondamentales de la vie (pensée scientifique,
littéraire, etc.) qui puisse s’affranchir de ces conditions. Envisageons donc le langage comme
expression d’une pensée communiquée à autrui ou exprimée avec la représentation d’autrui.
(1951 : 8)
Cette dimension sociale, extérieure au sujet parlant, vient se surimposer à l’expression de ses
sentiments personnels, avec le poids des représentations collectives et des contraintes qui lui sont
1
Cet aspect de la réflexion de Bally explique sans doute en partie pourquoi on redécouvre, aujourd'hui, la « modernité » de cet auteur, car son
système touche à des aspects de la communication linguistique qui n’ont été vraiment étudiés que dans le dernier quart du vingtième siècle, dans
le cadre de l’analyse du discours, de la pragmatique énonciative, ou encore des théories interactionnelles.
2
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inhérentes. Ainsi, le versant affectif du langage se subdivise-t-il, dans la théorie de Bally, en deux
sous-ensembles distincts :
L’expression intellectuelle des faits de pensée mise à part comme quantité négligeable
(dans le langage spontané, bien entendu)
,
l’expression linguistique oscille sans cesse entre
deux pôles qui sont 1) les
sentiments individuels
et la poussée émotive pure, 2) les
sentiments sociaux
, nés de considérations étrangères à l’individu. (1951 : 9-10 ; les
parenthèses sont de Bally)
Définition de la stylistique
comme la discipline linguistique qui s’intéresse exclusivement à la
communication des sentiments :
Définition :
La stylistique étudie donc les faits d’expression du langage organisé au point
de vue de leur contenu affectif, c'
est-à-dire l’expression des faits de la sensibilité par le
langage et l’action des faits de langage sur la sensibilité
. (1951 : 16)
Les modalités expressives ainsi visées sont à la disposition de l’ensemble de la communauté
linguistique, et elles ne sont donc pas le fait d’un individu isolé.
Nous en arrivons ainsi à la question qui nous occupe dans le cadre de ce cours :
Bally écarte explicitement la littérature de son champ d’étude, pour lui préférer la seule langue
parlée :
Chacun porte en soi, dans la langue qu’il emploie à tout instant et qui exprime ses pensées
les plus intimes, les éléments de l’information la plus fructueuse et la plus sûre. Ainsi nous
dirons que la stylistique ne saurait mieux commencer que par la
langue maternelle
, et cela
sous sa forme la plus spontanée, qui est la
langue parlée
. (1951 : 20)
et, sur cette base, il oppose la stylistique et le style, dans un passage resté célèbre de son
Traité
:
Tout autre chose est d’étudier le
style
d’un écrivain ou la parole d’un orateur. (…) On a dit
que le « style, c’est l’homme », et cette vérité, que nous ne contestons pas, pourrait faire
croire qu’en étudiant le
style
de Balzac, par exemple, on étudie
la stylistique individuelle
de
Balzac : ce serait une grossière erreur. Il y a un fossé infranchissable entre l’emploi du
langage par un individu dans les circonstances générales et communes imposées à tout un
groupe linguistique, et l’emploi qu’en fait un poète, un romancier, un orateur. (1951 : 19)
En effet :
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dans la langue parlée l’interaction des individus et la contrainte sociale sont au premier
plan, tandis que la langue écrite, surtout dans ses formes littéraires et poétiques, laisse plus de
place à la volonté individuelle et au choix (« Introduction », in
Linguistique générale et
linguistique française
, Berne, A. Francke, 1965, 24)
On retrouve ici la conviction, fortement enracinée dans les esprits depuis la période romantique
2
,
que la littérature offre un moyen d’expression qui favorise la manifestation de la subjectivité. Elle
se traduit, dans le cadre des conceptions développées par Bally, comme un affaiblissement du
versant social, au bénéfice de l’expression des sentiments individuels.
Pour qu’il y ait « style », le linguiste genevois considère toutefois que la « volonté individuelle »
ne suffit pas. Il faut encore qu’elle réponde à
une intention spécifique
:
en second lieu et surtout, (le littérateur)
emploie la langue dans une intention esthétique
;
il veut faire de la beauté avec les mots
comme le peintre en fait avec les couleurs et le
musicien avec les sons. Or cette intention, qui est presque toujours celle de l’artiste, n’est
presque jamais celle du sujet qui parle spontanément sa langue maternelle. Cela seul suffit
pour séparer à tout jamais le style et la stylistique. (1951 : 19)
Alors que le discours de « l’homme commun », pour reprendre la dénomination de Bally, n’a
d’autre visée que l’expression des sentiments par tel ou tel moyen mis à sa disposition, le discours
littéraire surimpose à la seule expression des sentiments une visée esthétique que ne possède pas la
langue dans ses emplois usuels. Par conséquent, un tel discours portera nécessairement la marque
du sujet parlant ou, plus exactement,
de l’intention qui est sienne de produire de la beauté
. C’est
à l’identification de ces marques individuelles que doit se consacrer l’analyse de style.
Il existe toutefois, dans les écrits de Bally, une ambiguïté autour de la notion d’intention. Les
citations reproduites ci-dessus laissent entendre que c’est uniquement l’intention esthétique qui
singularise le discours d’un individu, en le conduisant à employer de manière particulière les
procédés stylistiques de la langue. Dans d’autres passages, Bally laisse entendre que ce n’est pas
seulement l’intention qui modifie la nature du discours, mais le recours à une autre langue que « la
langue commune » :
la langue littéraire est le résultat d’un besoin esthétique incompatible avec la banalité et
2
Sur ce point, voir le chapitre IV de mon
Analyse de la poésie
, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? ».
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surtout avec la pauvreté de la langue commune. (1951 : 237)
ou encore :
Que l’écrivain soit un idéaliste ou un peintre fidèle de la réalité, l’expression authentique
de la langue courante ne le servira jamais complètement. (1951 : 244)
Ce qu’il dénomme « la langue littéraire » renvoie donc à la fois à tel emploi volontaire ou «
conscient » de la langue commune, dans une visée esthétique, et aux discours qui résultent de ces
emplois, et qui constituent par là même une « somme » de discours littéraires. Cela tient au fait que
Bally se penche parfois sur le processus de création en lui-même, qu’il définit comme un usage
singulier de la langue commune, et parfois sur la résultante de ces usages, qui débouche sur une
collection d’objets singuliers dans lesquels nous reconnaissons des exemples de « langue littéraire
».
Le linguiste genevois était d’ailleurs conscient de cette dichotomie, et il essaiera d’en rendre
compte en opposant les notions de
langue littéraire
et de
style individuel
:
la langue littéraire n’est que la somme et la résultante des styles individuels. (1951 : 245)
ou encore, plus explicitement :
Langue littéraire et style : voilà une distinction qui mérite d’être faite soigneusement. La
langue littéraire est une forme d’expression devenue traditionnelle ; c’est un résidu, une
résultante de tous les styles accumulées à travers les générations successives, l’ensemble des
éléments littéraires digérés par la communauté linguistique, et qui font partie du fonds
commun tout en restant distincts de la langue spontanée. (1951 : 28)
C’est ainsi que Bally en viendra, dans une tentative de classification restée célèbre, à
assimiler la
langue littéraire
ainsi définie
à une langue de spécialité parmi d’autres
:
La langue littéraire a surtout une valeur sociale, c’est un symbole de distinction, de bonne
tenue intellectuelle, d’éducation supérieure ; la linguistique ne peut l’envisager autrement que
comme (une) langue spéciale (…). A ce titre, elle a sa place – place d’honneur, il est vrai –
aux côtés de la langue administrative, de la langue scientifique, de la langue des sports, etc.
(1952 : 28)
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Si la distinction entre « stylistique » et « style » est clairement articulée dans le
Traité
, il n’en
demeure pas moins que :
quand on s’attache à l’étude des textes, la confusion entre l’observation stylistique et
l’observation des faits de style est un danger permanent : on croit étudier la nature d’un fait
d’expression, et en réalité l’on étudie
l’emploi
qu’en fait un auteur. (1951 : 25-26)
Plusieurs facteurs convergents concourent à assimiler le style et la stylistique :
Le premier tient au caractère collectif du langage. Ainsi que nous l’avons déjà vu, les
« sentiments » exprimés par le langage sont soit de nature individuelle, soit de nature sociale. La
dimension sociale de la communication linguistique induit nécessairement un classement du sujet
parlant au sein du groupe dans lequel il s’exprime, relativement aux autres membres de cet
ensemble
3
. Or, comme le fait remarquer Bally, cela ne va pas sans soulever un sérieux problème :
On peut se demander comment et dans quelle mesure le langage d’un individu diffère du
langage de tout le groupe
lorsqu’il est placé dans les mêmes conditions générales que les
autres individus de ce groupe
. Chaque individu a sa manière propre d’employer son idiome
maternel ; il lui fait subir, dans certaines circonstances ou habituellement, des déviations
portant sur la grammaire, la construction des phrases, le système expressif ; il lui arrive
d’employer dans l’usage courant des mots dont les autres se servent rarement. Ces
particularités sont en général peu apparentes, mais elles ne sont pas entièrement négligeables
(…) c’est dans ce sens, et dans ce sens seulement, qu’on peut parler d’une stylistique
individuelle. (1951 : 18-19)
Ainsi, Bally est amené à poser au seuil de son
Traité
qu’il existe deux stylistiques : une stylistique
« collective » en quelque sorte, qui est celle à laquelle il souhaite se consacrer, et qu’il espère
concourir à fonder dans la sphère francophone ; et une « stylistique individuelle », dénomination
qu’il emploie pour rendre compte du fait que chaque locuteur a un emploi singulier de sa langue.
La différence entre la « stylistique individuelle » et le « style » tient à ce que la première n'est pas
habitée d’une intention esthétique, et demeure plus modeste quant aux moyens mis en oeuvre, aussi
bien d'un point de vue quantitatif que qualitatif.
Mais, s’il existe une « stylistique individuelle », cela suppose nécessairement que la « langue
3
Se reporter, pour plus de détails, au § 12 du
Traité
, qui débute par ces mots : « Le langage est encore un fait social au premier chef parce qu’il
classe
d’une manière ou d’une autre le sujet parlant. »
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commune » contient en germe des procédés qui autorisent une relative créativité linguistique. Or, de
tels procédés ne sauraient différer de ceux auxquels recourt un artiste, de manière plus systématique
ou plus talentueuse :
L’homme qui parle spontanément et agit par le langage, même dans les circonstances les
plus banales, fait de la langue un usage personnel, il la recrée constamment (…) ; si l’on y
prenait garde, on verrait que (ces créations) se font au nom des tendances souterraines qui
régissent le langage ; qu’(elles) se détachent sur le fond de la langue usuelle, comme les
créations de style se détachent sur le fond de la langue littéraire conventionnelle ; que ces
deux types d’innovations, trouvailles spontanées du parler et trouvailles de style, dérivent
d’un même état d’esprit et révèlent de procédés assez semblables. (1952 : 28-29)
Bally en vient ainsi à reconnaître que la « stylistique individuelle », dans le cadre de la « langue
commune », et le « style individuel », dans le cadre de la « langue littéraire », s’appuient sur des
propriétés linguistiques similaires. Le linguiste genevois ira encore plus loin dans ce sens dans
l’article qu’il publie quelques années plus tard sous le titre « Stylistique et linguistique générale » :
…la stylistique telle que je la comprends a une singulière affinité avec l’expression
littéraire. Cela tient à une cause profonde : l’expression littéraire, si l’on fait abstraction des
valeurs esthétiques qui lui appartiennent en propre, repose entièrement sur l’expression des
faits de sensibilité et sur les impressions produites par le langage. (…) Cette pénétration du
langage et de la sensibilité n’est pas propre à l’expression littéraire seulement, c’est la marque
de tout langage spontanée ; l’écrivain se contente de transposer à son usage les thèmes qu’il
trouve dans le langage de tout le monde et de les faire servir à ses fins, qui sont esthétiques et
individuelles, tandis que le langage de tous est actif et social. La tâche de la stylistique (…)
est précisément, tout en se confinant à la langue commune, de mettre à nu les germes du
style, de montrer que les ressorts qui l’actionnent se trouvent cachés dans les formes les plus
banales de la langue. Style et stylistique sont deux domaines à la fois distincts et voisins : tout
signe expressif de la langue pose cette question : dans quelles conditions un type expressif
employé par tout le monde peut-il se transformer en un procédé littéraire, reconnaissable à
ces deux caractères : intention esthétique et marque individuelle ? (1952 : 60-61)
Il n'existe plus, entre les deux types de productions langagières, qu'une simple différence de degré
et non de nature : la langue quotidienne n’en renferme pas moins les « germes du style », pour
reprendre la métaphore employée par l’auteur :
le langage étant une institution sociale, suppose toujours qu’on sacrifie quelque chose de
sa propre pensée à celle de tout le monde. Plus les combinaisons linguistiques d’un écrivain
lui restent propres, plus on peut parler de style ; mais c’est une différence de degré, non de
nature. (article « Stylistique et linguistique générale », 1952 : 61)
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1.2. Leo Spitzer (1887-1960)
Les cèlèbres
Etudes de style
de Leo Spitzer (Gallimard, 1970) s'ouvrent sur un chapitre intitulé « Art
du langage et linguistique », qui commence par ces mots :
Par ce titre, on entend suggérer l'unité dernière de la linguistique et de l'histoire littéraire. J'ai
voué toute ma vie de savant à rapprocher ces deux disciplines (p.45)
A Vienne, Spitzer suivit les cours de linguistique française de Meyer-Lübke, et ceux d'histoire
littéraire de Becker. Comme il l'écrit : « parti du dédale de la linguistique, j'ai fait mon chemin
jusqu'au jardin enchanté de l'histoire littéraire » (id.)
Il établit le lien entre étude linguistique et étude littéraire de la manière suivante : il commence par
développer un exemple d'analyse étymologique (se reporter au passage concerné des
Etudes de
style
), puis il commente en ces termes :
Notre analyse étymologique a éclairé un pan d'histoire linguistique, qui est en connexion
avec la psychologie et l'histoire de la civilisation. Elle a suggéré un réseau de relations entre
le langage et l'esprit du locuteur. Ce réseau, il aurait pu être révélé aussi bien par l'étude
d'une évolution syntaxique, ou morphologique, ou même d'une évolution phonétique (p.53)
De même :
Le meilleur document pour l'âme d'une nation c'est sa littérature ; or celle-ci n'est rien d'autre
que sa langue telle qu'elle est écrite par des locuteurs privilégiés. Ne peut-on alors saisir
l'esprit de cette nation dans ses oeuvres littéraires les plus importantes ? Il aurait été
présomptueux de comparer l'ensemble d'une littérature nationale avec la totalité de sa langue
: plus modestement, je suis parti de la question : peut-on reconnaître l'esprit d'un écrivain
français à son langage singulier ? (...) Ce que j'avais dans l'esprit, c'était une définition plus
rigoureusement scientifique d'un style individuel : une définition de linguiste qui eût
remplacé les remarques occasionnelles et impressionnistes des critiques littéraires. La
stylistique, à mon sens, pouvait faire le pont entre la linguistique et l'histoire littéraire. (pp.
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53-54)
Cette stylistique « de linguiste » - qui ne saurait être assimilée avec celle de Bally - est ainsi définie :
la déviation stylistique de l'individu par rapport à la norme générale doit représenter un pas
historique franchi par l'écrivain ; elle doit révéler une mutation dans l'âme d'une époque, -
mutation dont l'écrivain a pris conscience et qu'il transcrit dans une forme linguistique
nécessairement neuve : ce pas historique, psychologique aussi bien que linguistique, peut-
être serait-il possible de le déterminer.
L'idée que l'écart individuel reflète une mutation générale de la langue ET de la psychologie d'un
peuple, repose sur certaines représentations aujourd'hui datées de l'histoire de la langue, mais elle
montre aussi que, pour Spitzer, les méthodes pertinentes pour étudier la langue et le style ne
sauraient différer :
Quand je lisais des romans français modernes, j'avais pris l'habitude de souligner les
expressions dont l'écart me frappait par rapport à l'usage général ; et souvent, les passages
ainsi soulignés semblaient une fois réunis prendre une certaine consistance. Je me
demandais si on ne pouvait pas établir un dénominateur commun pour toutes ces déviations
ou presque : ne pourrait-on pas trouver le radical spirituel, la racine psychologique des
différents traits de style qui marquent l'individualité d'un écrivain, comme on a pu trouver la
racine commune de formations verbales bien capricieuses ? (p. 54)
Qui plus est, compte tenu de la conception de la littérature qui était celle de Spitzer, qui en fait le
mode d'expression supérieur d'esprits qui le sont tout autant, il existe un lien nécessaire entre le fait
même de créer et l'inscrption de cette activité créatrice dans la langue, au prétexte que le langage
« commun », comme aurait dit Bally, ne saurait suffire :
La vigueur dans la pensée ou la sensibilité s'accompagne toujours d'innovations dans le
langage ; la créativité mentale s'inscrit aussitôt dans le langage, où elle devient créativité
linguistique ; la banalité et la rigidité dans le langage ne suffisent pas aux besoins
d'expression d'une forte personnalité (p. 57)
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On voit comprend Spitzer en vient ainsi à assigner, au linguiste et au littéraire, un même objet et
une même démarche :
Le linguiste, tout comme son collègue littéraire, doit toujours remonter à la racine de tous
ces procédés qu'on appelle littéraires ou stylistiques, et dont les historiens de la littérature
doivent dresser la liste (id.)
1.3. Roman Jakobson (1896-1982)
Définition de la « poétique » dans « Linguistique et poétique »,
in Essais de linguistique générale
,
Ed. de Minuit, 1963, p. 210 :
L'objet de la poétique, c'est, avant tout, de répondre à la question : Qu'est-ce qui fait d'un
message verbal une oeuvre d'art ? Comme cet objet concerne la différence spécifique qui
sépare l'art du langage des autres arts et des autres sortes de conduites verbale, la poétique a
droit à la première place parmi les études littéraires.
Mais, par ailleurs :
La poétique a affaire à des problèmes de structure linguistique, exactement comme l'analyse
de la peinture s'occupe des structures picturales. Comme la linguistique est la science globale
des structures linguistiques, la poétique peut être considérée comme faisant partie intégrante
de la linguistique.
Défense de l'analyse linguistique de la poésie, dans « Poésie de la grammaire et grammaire de la
poésie »,
in Une vie dans le langage
, Minuit, 1984, p. 127 :
L'étude linguistique de la poésie est d'une double portée.
D'un côté la science du langage doit évidemment étudier les signes verbaux dans tous leurs
arrangements et toutes leurs fonctions ; elle ne peut donc se permettre de négliger la fonction
poétique qui participe, comme les autres fonctions verbales, de la parole de chaque être
humain dès la prime enfance et joue un rôle crucial dans la structuration du discours. (...)
D'autre part, toute recherche dans le domaine de la poétique suppose une initiation à l'étude
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scientifique du langage, car la poésie est un art verbal et implique donc avant tout un usage
particulier du langage.
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