L’ETUDE VISUELLE
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle2007L’ETUDE VISUELLECe nouveau texte de N. Brenez est le plus structuré et le plus clair des trois que nous aurons étudiés cette année. Mais l’exploitation que l’on peut faire des outils théoriques qu’elle propose ici est, en revanche, délicate dans la mesure où elle exige une certaine culture cinématographique d’une part et une grande précision dans l’analyse d’autre part.Dans ce texte, est examinée une forme cinématographique spécifique, appelée l’étude visuelle.DéfinitionLire texte 1 – p. 1L’étude visuelle suppose la mise en relation de deux films ou de deux extraits de films. Elle consiste en un travail d’analyse filmique. Mais l’originalité de cette analyse est qu’elle est faite non avec des mots, mais avec les moyens mêmes du cinéma, image et son.Une étude visuelle est un extrait de film qui a pour fonction première de citer, analyser et interpréter un autre extrait de film.L’étude visuelle appartient à un ensemble de formes filmiques qui ont en commun d’être des interprétations ou exégèses d’autres formes. Cette catégorie large de films exégétiques comprend les making off, les essais filmés, les leçons de cinéma…Il faut retenir deux caractéristiques de cette forme qu’est l’étude visuelle :1. C’est une forme filmique contemporaine : elle appartient à un cinéma de l’après, un cinéma qui vient après tout un pan déjà révolu de l’histoire du cinéma. L’étude visuelle caractérise en priorité le cinéma ...

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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007
L’ETUDE VISUELLE
Ce nouveau texte de N. Brenez est le plus structuré et le plus clair des trois que nous aurons étudiés cette année. Mais l’exploitation que l’on peut faire des outils théoriques qu’elle propose ici est, en revanche, délicate dans la mesure où elle exige une certaine culture cinématographique d’une part et une grande précision dans l’analyse d’autre part. Dans ce texte, est examinée une forme cinématographique spécifique, appelée l’étude visuelle.
Définition Lire texte 1 –p. 1 L’étude visuelle suppose la mise en relation de deux films ou de deux extraits de films. Elle consiste en un travail d’analyse filmique. Mais l’originalité de cette analyse est qu’elle est faite non avec des mots, mais avec les moyens mêmes du cinéma, image et son. Une étude visuelle est un extrait de film qui a pour fonction première de citer, analyser et interpréter un autre extrait de film. L’étude visuelle appartient à un ensemble de formes filmiques qui ont en commun d’être des interprétations ou exégèses d’autres formes. Cette catégorie large de films exégétiques comprend les making off, les essais filmés, les leçons de cinéma… Il faut retenir deux caractéristiques de cette forme qu’est l’étude visuelle : 1. C’est une forme filmique contemporaine : elle appartient à un cinéma de l’après, un cinéma qui vient après tout un pan déjà révolu de l’histoire du cinéma. L’étude visuelle caractérise en priorité le cinéma des années 70-90, dit cinéma post-moderne. Si les films des années 2000 reprennent encore un cinéma antérieur à eux, c’est moins pour l’étudier que pour le citer dans un but ludique (clin d’œil au spectateur cinéphile). La dimension critique de l’étude visuelle est moins perceptible dans le cinéma de fiction des 10 dernières années. 2. C’est une forme que l’on trouve soit dans un cinéma de fiction occupé à reprendre des formes filmiques plus anciennes, soit dans le cinéma expérimental. On appelle cinéma expérimental, l’ensemble des films qui ne relèvent ni du régime fictionnel ni du régime documentaire, mais plutôt du régime poétique : comme un poème audiovisuel, le film expérimental repose sur une recherche d’ordre formel : les éléments qui le
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 constituent ne composent ni un récit ni une tentative pour documenter le réel mais sont articulés pour créer des compositions visuelles et sonores inédites. Ce cinéma est dit « expérimental » pour deux raisons : Il ne cesse d’inventer de nouvelles formes expressives, Il fait subir au « médium cinématographique », c’est à dire à la lumière, à la couleur, au son… des traitemen ts inhabituels, d’ordre expérimental : scratching de la pellicule, effets de surexposition, de voilement, de solarisation, distorsions sonores… C’est dans le cadre du cinéma expérimental surtout que s’impose aujourd’hui l’étude visuelle en tant que forme destinée à analyser, critiquer, développer les capacités expressives du cinéma.
Enjeux Après avoir défini ce qu’est l’étude visuelle, Brenez en énumère les enjeux : Enjeux analytiques : démonter, expliquer une séquence de film déjà existante. Enumérer ses éléments constituants, analyser son montage, réfléchir sur ses fondements idéologiques. Enjeux critiques : faire apparaître ce que cette séquence a d’original, d’unique. Révéler au contraire ce dont elle manque. En proposer une ou plusieurs versions alternatives. Brenez compare la démarche qui sous-tend l’étude visuelle et celle que depuis des années met en pratique un cinéaste comme Jean-Luc Godard . Lire texte 2 : p. 2 Godard s’est attaché, pendant une décennie, de 1985 à 1995, à réaliser en vidéo un monumental essai filmique, intitulé Histoire(s) du cinéma . Il cherche dans cet essai de 8 fois 50 minutes non pas à retracer l’histoire du cinéma jusqu’aux années 90, mais à décrire la manière dont les films vus et aimés par un même individu (Godard lui-même) constituent une mémoire vivante du cinéma. Godard ne traite pas chronologiquement de l’histoire du cinéma : il opère des rencontres surprenantes entre des images appartenant à des époques, des genres, des régimes et même des domaines artistiques différents (fictions, documentaires, archives cinématographiques et télévisuelles, photographies, tableaux, images mentales nées de l’évocation portées par les textes littéraires…). Faire cohabiter deux images différentes permet d’éclairer l’une par l’autre et de faire surgir, de leur association, une image nouvelle, qui déplace le sens de la première comme de la seconde. Ce montage consiste à rapprocher ce qui ne semble pas apparenté, associer des éléments lointains dont le rapport est d'autant pus
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 fort qu'il est moins prévisible. Il substitue à l'organisation initiale, narrative, informative, des images et des sons une autre organisation, qui consiste en la confrontation productive de données hétérogènes. Ext 1 : Histoire(s) du cinéma 2 : Cohen/vidor Résonance de la chanson de Léonard Cohen sur des images de duel au soleil. Le visage de jennifer Jones subitement semble apaisé, comme promis à l'extase. L'instant d'après, la juxtaposition de la musique de Psycho à des plans tirés du même film insiste sur la crispation des doigts qui fouillent la terre. Ext 2 : Histoire(s) du cinéma 2 : la guerre, Strada / Allemagne année zéro Les images et les sons empruntés sont transformés, déformés (recadrage, ralenti, image gelée), de façon à ce que l'auteur puisse se les réapproprier en les insérant dans un contexte nouveau, qui leur donne une nouvelle signification. Les sons et les images ne sont plus employés comme des signes, renvoyant à un sens précis ou à des objets du monde qu'ils représenteraient, mais ils sont des traces, renvoyant à d'autres images et d'autres sons dans un vaste réseau d'échos, dans un brassage mémoriel qui est celui de l'auteur des Histoires. Les images et les sons se superposent comme autant de strates qui correspondraient à différents niveaux de conscience et de mémoire. C'est en cela qu'ils sont porteurs d'une histoire, parce qu'ils s'inscrivent dans le temps intime de la mémoire de celui qui les énonce et de celui qui les reçoit. Ex : des échos de l'Ange bleu (chanson de Marlène) sont associés à des images du vent de Sjöström. L'image qui end à s'effacer sous la violence du vent contamine la voix qui elle aussi se perd dans la mémoire, avec les stigmates du temps : elle sonne comme un vieux disque, comme cette image qui s'évanouit.
Modèles Brenez indique également quels sont les modèles dont s’inspire l’étude visuelle : Etude littéraire : qui analyse de mots avec d’autres mots. Etude musicale : exploration en musique d’une formule musicale : variations Goldberg de Bach ou variations Diabelli de Beethoven, études de Chopin… Le cinéaste qui se livre à l’étude visuelle d’un film antérieur n’est plus seulement un analyste ou un critique, mais un authentique créateur : il s’efforce de reprendre et de développer un extrait filmique comme un instrumentiste qui interprète une partition, comme un compositeur qui brode sur le motif musical proposé par un autre (Goldberg ou Diabelli).
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 Etude graphique enfin : l’étude visuelle est comparable à ces feuilles d'étude où un dessinateur, progressivement, infléchit la courbe d'un bras, ou la disposition d'un corps, en une suite de repentirs qui se recouvrent l'un l'autre. L’étude visuelle permet de reprendre les motifs, situations, dispositifs, de films déjà tournés pour en élaborer certains traits selon une perspective nouvelle, en explorer certains aspects laissées à l'état d'ébauche, en explorer les variantes. Exemple pictural -Etudes pour Adam –Raphaël, 1508
Fondement idéologique Brenez remarque également que le cinéaste qui pratique l’étude visuelle est amené à réfléchir sur le rapport qu’il entretient avec l’histoire du cinéma. Le cinéaste qui se consacre à des études visuelles d’œuvres antérieures peut les concevoir comme des hommages : il adoptera alors une attitude respectueuse envers les maîtres du passé dont il cherchera à expliciter et perpétuer le style. Un hommage en effet implique que l’on accepte le passé comme un héritage, qu’on le respecte et qu’on le mette en valeur. Mais l’étude visuelle peut être autre chose qu’un hommage : une tentative pour se démarquer du film originel, pour en déplacer les enjeux idéologiques ou formels. Il n’est pas question alors de reprise respectueuse mais de réécriture créatrice . L’œuvre d’origine est transformée, elle devient source d’inspiration. Si l’hommage est mortifère dans la mesure où il embaume l’œuvre, la réécriture créatrice est au contraire un prolongement qui revitalise le modèle, même si elle est impertinente. L’étude visuelle peut aussi avoir pour but de confronter une œuvre avec d’autres, de comparer différents modèles à partir desquels va s’élaborer un film inédit. La chronologie sera alors battue en brèche, les époques et les styles se mêleront sans obéir à l’ordre du temps, dans une perspective anhistorique.
Hommage Reprise
Déplacement ou confrontation Réécriture créatrice
Brenez va faire le pari qu’une étude visuelle peut elle aussi, à son tour, être analysée. C’est un paradoxe : l’étude visuelle remplace l’analyse filmique traditionnelle et se suffit à elle-même. En étudiant une étude, en faisant apparaître la manière dont le cinéma analyse et critique le cinéma, Brenez fait ce que l’on appelle de la méta-critique : elle réfléchit non sur le contenu
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 thématique ou la forme d’une séquence (analyse filmique traditionnelle), mais sur les outils théoriques que cette séquence met au point et développe.
L’exemple choisi sera celui de Brian De Palma , un cinéaste qui s’est, systématiquement et depuis toujours, consacré à étudier l’œuvre d’autres cinéastes, en particulier Hitchcock. De Palma est un réalisateur de films de fictions qui reprend, de film en film, des scènes d’anthologie de l'histoire du cinéma pour les réécrire : la scène la plus fréquemment citée dans son œuvre est celle de la douche dans Psychose. Mais on se souvient d’autres reprises impressionnantes : la fusillade finale de Scarface , qui reformule la scène du Cuirassé Potemkine dans les escaliers d’Odessa, celle de la révélation photographique dans Blow up … Je vais donc reprendre point par point les éléments de l’analyse de N. Brenez sur Hitchcock et De palma, puis examiner d’autres études visuelles pour appliquer les principes méthodologiques tirés du texte.
Formes de la reprise Pour réaliser une étude visuelle, il faut reprendre un extrait de film existant. Le mot reprendre, la notion de « reprise », recouvrent des réalités très différentes :
1. On peut reprendre une scène à l’identique : c’est ce que l’on nomme une citation. Ext 4 : Almodovar -Tout sur ma mère / Eve Les « guillemets » sont remplacés par la mise en abîme et le surcadrage dans le poste de TV. L’extrait de film n’est pas modifié, simplement montré. La citation a fonction explicative : ici, la scène du film de Mankiewicz annonce la situation que vont vivre les personnages du film d’Almodovar et permet d’en comprendre les enjeux cachés.
2. On peut reprendre une séquence et l’intégrer à un contexte narratif nouveau. Ext 7 : Almodovar -Femmes au bord de la crise de nerfs  Cette fois, l’extrait est démonté / remonté : on ne le voit pas en continuité mais fragmenté par le montage et surtout associé dans le cadre à la séance de post-synchronisation : le drame qui se joue dans le film source ( Johnny Guitar , Nicholas Ray, 1953) est l’inversion de celui qui va se nouer dans le film d’Almodovar. La simple inclusion qui caractérise la citation est remplacé par un montage qui associe entre trois séries d’images : celles du film de Ray, celles de la séance de post-synchronisation, celles de Pepa endormie. La façon dont la séquence
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 d’origine est enchâssée dans la scène de post-synchronisation permet de percevoir simultanément le personnage et l’acteur, l’émotion exprimée et l’émotion simulée, le moment pathétique et celui qui en explicite la dimension de simulacre, de trompe l’œil (ou l’oreille). Ce double jeu souligne le caractère duplice, trompeur, du personnage masculin (acteur de doublage qui mène une double vie). Le passage est littéralement entrelacé à la trame narrative du film second. Dans les deux cas toutefois, le film premier est cité : il s’agit d’un remploi in se. Il existe une façon moins littérale de reprendre un extrait de film : le remploi in re. L’extrait d’origine n’est pas directement cité mais reformulé et cette fois totalement intégré au film second : la scène reprend des motifs, situations, personnages de la scène première, mais elle se déroule dans la diégèse du film second et est interprétée par les personnages de ce film second. Ext 5 et 6 : Tout sur ma mère + Opening night : remploi in re d’un extrait d’Opening night, qui cite lui-même la scène du début d’Eve
Chez De Palma on va trouver surtout des remplois in re . On ne verra jamais telle quelle une scène d’un film d’Hitchcock, d’Antonioni ou d’Eisenstein chez De Palma. Mais le travail de réécriture auquel se livre le cinéaste américain va plus loin que celui d’Almodovar par rapport à Cassavetes. Alors que Almodovar décalque la scène de Cassavetes, De Palma considère les séquences qu’il reprend comme une réserve de motifs, de personnages, de situations, d’effets stylistiques dans lequel il peut puiser. La scène reprise sera présente de manière latente, parfois presque méconnaissable, elle sera décomposée en ses éléments constituants et ces éléments ensuite seront réarticulés d’une manière entièrement nouvelle. De Palma, écrit Brenez, cite non des séquences entières, mais des techniques narratives, des effets stylistiques, des sons, des corps, des gestes, de raccords, des couleurs, des partitions. Reprenons un à un ces « effets citationnels » : Citer des sons, des corps, des gestes, des partitions. Dans Blow out , De Palma importe le cri de Marion sous la douche, pour en tirer des variations tantôt grotesques, tantôt terrifiantes. Il cite aussi le corps nu sous la douche, et le geste de la main qui tient le couteau et frappe, à d’innombrables reprises dans ses films. De Palma reprend aussi des bribes de la musique que Bernard Hermann a composée pour nombre de films d’Hitchcock, qu’il démonte et déplace. Citer des techniques narratives : par exemple la technique hitchcockienne du Mc Guffin, qui consiste à construire une intrigue policière, ou un thriller, autour d’un prétexte narratif
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 insignifiant. Peu importe selon Hitchcock la raison pour laquelle des personnages s’opposent et se poursuivent, seul compte le déroulement, les rebondissements de l’enquête. Le pourquoi est sans importance, c’est le comment  qui prime. L’exemple canonique du Mc Guffin c’est l’enjeu dramatique de La mort aux trousses , ou des enchaînés . De la même manière, dans Blow out , le récit est polarisé autour de deux Mc Guffin, tout aussi insignifiants l’un que l’autre, que De Palma renvoie dos à dos. Jack le preneur de son témoin malgré lui d’un meurtre maquillé en accident mène l’enquête. Mais l’enjeu politique (le meurtre d’un sénateur) n’est qu’un prétexte dans le film. Jack, qui est un homme de cinéma, mène l’enquête non pour dénoncer un complot politique, mais pour démontrer les pouvoirs illusoires de l’image et du son. En cela le film de De Palma est très différent d’un autre film des années 70, Les hommes du Président de Alan Pakula, qui, lui, s’attache vraiment à démonter les rouages du Watergate. Dans Blow out , il y a un second Mc Guffin, encore plus insignifiant que le premier, que le film récupère ironiquement à la fin : toute l’entreprise de Jack, finalement, aura tourné autour de la recherche d’un cri pour doubler une scène de film porno. Au moment où il a surpris l’accident, Jack était à la recherche de sons. A la fin du film, la mort de Vicky, la jeune femme qui l’a aidé tout au long de son enquête, va lui fournir le bon cri pour le doublage. Ironiquement, le prétexte professionnel devient la seule raison d’être du parcours de Jack : il n’a pas réussi à faire la preuve du crime commis, seulement à trouver le cri recherché. L’enjeu dramatique semble totalement dérisoire. Citer des effets stylistiques L’un des effets stylistiques les plus connus d’Hitchcock est le contraste entre la série et la démarque. Pour faire avancer l’intrigue, Hitchcock souvent développe une série de plans analogues entre eux, puis soudain fait apparaître un élément qui se démarque de la série, qui fait tache. C’est la série des plans sur le paysage désertique où Carry Grant attend un hypothétique rendez-vous dans La mort aux trousses , soudain interrompue par le plan de l’avion qui sulfate un champ où « il n’y a rien à sulfater ». C’est la série des plans tranquilles de Mélanie traversant en canot à rames Bodega Bay dans Les Oiseaux , soudain interrompue par l’apparition de l’oiseau qui fonce vers elle et va la blesser. Ext 8 : Hitchcock -Les Oiseaux , traversée de la baie. De Palma reprend souvent cet effet stylistique. Dans Blow out , il le transpose sur le plan sonore : dans la série des bruits naturels qu’enregistre Jack au bord du lac, s’inscrit un son anormal, celui du fil d’acier dont se sert le meurtrier. Ce son se démarque de la série et suscite aussitôt l’interrogation, le suspense.
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007
Citer des raccords, des couleurs Toute l’intrigue de Blow out  repose sur un faux raccord entre un corps et un cri. Ce faux raccord son/image renvoie au raccord tout aussi problématique entre le corps de Norman Bates dans Psychose et la voix qui est associée au personnage lorsque pour la première fois il apparaît sous la forme de la mère dans le film d’Hitchcock. Ext 9 : Hitchcock -Psychose , apparition de Norman travesti dans la cave Dans cette scène, on part du cri de Lina, la sœur de Marion, lorsqu’elle découvre le cadavre momifié de Mrs Bates. Ce hurlement est amplifié et musicalisé : les glissandi aux cordes qui accompagnaient le meurtre sous la douche prolongent le cri de la jeune femme. Ces sons musicaux eux-mêmes se mêlent à un autre cri, celui de Norman qui apparaît travesti en femme et armé de son grand couteau. Mais ce cri débute tandis que le corps de N est passé hors champ : la perspective sonore est anormale : le cri semble venir de loin et ne correspond pas à la position de N dans la pièce. Les mots prononcés « I’m Norman) ne correspondent à aucun mouvement d’articulation labial chez Norman : d’où vient cette vois ? on a un effet de ventriloquie étrange qui invite à se poser des questions : est-ce la voix de la mère qui parle déjà ici à travers Norman, mais c’est une voix masculine… Ce raccord corps/voix particulièrement énigmatique du film d’Hitchcock, De Palma le reprend et le développe à l’échelle d’un film entier. Pour la couleur, même chose : De palma se livre à un jeu de variations sur le rouge par exemple. Le sang que Hitchcock se refuse à filmer « en couleur » dans Psychose , va littéralement baigner les scène de douche reprises par De Palma : Carrie et le bal du diable , Blow out où le décor est animé de lourd rideaux rouges, on le verra tout à l’heure.
En décomposant des scènes connues en leurs éléments constituants, de Palma parvfient parfois à transformer la citation jusqu’à la fondre littéralement au tissu narratif du film qu’il réalise. La scène citée est totalement refaite, réinterprétée. Venons en maintenant à l’examen détaillé de certaines études visuelles depalmiennes, pour montrer comment la réécriture non seulement transforme la scène initiale, mais en favorise l’analyse et en propose une interprétation. Il faut partir de la scène source de la douche pour en rappeler les caractéristiques figuratives. Ce sera l’occasion de prendre connaissance d’une analyse figurative type. Connaître le traitement figuratif qu’Hitchcock fait de cette scène permettra d’apprécier la manière dont De Palma la réinterprète et en proposer des traitements alternatifs.
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007
Ext 10 : Hitchcock – Psychose-Scène de la douche - Lire texte 3, p. 3 Ce passage insiste sur l’invention formelle  de la scène hitchcockienne d’une part et sur sa dimension réflexive  d’autre part. En effet la scène est revendiquée par Hitchcock lui-même comme un moment expérimental : elle expose et réfléchit les problèmes figuratifs que pose une scène de meurtre brutale, dans ce film de 1960 qui marque une étape cruciale dans la représentation de la violence à l’écran. Analyse figurative 1. Les trois états plastiques du plan Image floue du début (l’apparition floue du meurtrier derrière le rideau) : image mentale, rêvée Image nette, presque gelée de la fin (l’œil du cadavre, la bonde): image objectale Images opacifiées et animée d’un intense cinétisme entre les deux On passe de l ’idée du meurtre à la vision du cadavre. Entre les deux, des plans brefs montés cut représentent l’acte de tuer et posent le pb de la représentation de la mise à mort violente dans un contexte de renouveau du cinéma après une période de censure. Ces plans intermédiaires proposent des solutions plastiques à ce pb figuratif : Suggérer sans montrer : opacification  de la scène (rideau de pluie, vapeur d’eau), cinétique  envahissante ( montage accéléré de plans fixes mais envahi par le mouvement des corps : visage hurlant de Marion, mouvements de ses mains, de ses pieds, gestes de la main tenant le couteau), recours à labstraction : multiplication de plans striés, blancs, ou informes. Jouer des contraires et faire vaciller les catégories : injecter de l’informe dans le net et de la précision dans le flou , de manière à ce que le spectateur ne soit jamais sûr de ce qu’il voit. Associer des fragments détaillés du corps de Marion (étude anatomique du corps) à l’ombre massive et composite du tueur. Le corps de Marion est découpé par le montage : on ne la voit pas mourir en tant que personnage, on ne la voit pas recevoir des coups, on perçoit seulement des morceaux disloqués de son corps. Le corps du tueur est travesti : on ne voit pas qui il est, on perçoit seulement un ensemble vague d’attributs féminins et masculins (coiffure, robe féminines, silhouette, démarche masculine). L’ensemble offre une représentation difficile à discerner, confuse, mais terriblement efficace. La violence de l’acte meurtrier n’est pas représentée mais nous
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 pouvons la déduire de l’enchaînement des plans : le meurtre réside entre  les plans, dans notre regard qui relie des images dont aucune ne le figure.
2. Les trois régimes d’images La scène articule trois régimes d’images : images interdites et absentes (pénétration du couteau non directement représentée) images infra visibles mais actuelles (plans brefs, opacifiés ou abstraits…) images induites par le spectateur (corps effectivement tailladé) C’est la série des plans infra visibles, presque subliminaux qui permet d’imaginer les images du corps entaillé que la scène nous refuse.
3. La puissance performative de l’image filmique On a compris le pb figuratif : comment représenter un acte interdit (la pénétration du couteau dans la chair). On a envisagé les solutions plastiques proposées par Hitchcock, fondées sur l’ellipse de l’acte, l’opacification, le passage à l’abstraction. Mais ces solutions plastiques ne suffisent pas à compenser l’image absente : il faut associer à ces effets plastiqueuses un principe figuratif  nouveau qui garantira l’efficacité de la scène, très violente malgré l’absence de monstration du meurtre à proprement parler. Ce principe sera celui de la transformation de la mise en scène elle-même en acte, l’exaltation de la puissance performative de la mise en scène.  Puisque l’acte violent ne peut être représenté, il sera directement perpétré par la mise en scène : ce sont les cadrages  en plans serrés autour de fragments anatomiques associés aux coupes  entre les plans qui vont tailler et démembrer le corps. Ce principe figuratif qui confère une valeur performative à la mise en scène peut être dépassé : dans la scène centrale de Lost Highway  où Pete se trouve substitué à Fred dans la prison, la vision du corps souffrant du corps du personnage, la mise à vif de son visage, est remplacée par une dilacération de l’image filmique elle-même. C’est la matière colorée et lumineuse de l’image qui se trouve déchirée, surexposée, abîmée. La mise en scène n’opère plus, comme dans Psychose , sur le corps du personnage, mais sur le corps de l’image.
Quand De Palma va s’attacher à faire l’étude visuelle de la scène de la douche, il va remplacer le principe figuratif choisi par Hitchcock, celui de la valeur performative accordée à la mise en scène, par d’autres principes figuratifs, différents pour chaque étude proposée.
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Autour du texte de N. Brenez : L’Etude visuelle 2007 Etude visuelle 1 : Fantôme de l’opéra (Phantom of the Paradise) : une version parodique de la scène hitchcockienne Ext : Phantom of the Paradise : scène de la douche Le principe figuratif choisi est ici celui du travestissement : les deux personnages de la scène sont travestis, au sens propre et au sens figuré. Bonnet de douche, masque d’oiseau et voix déformée du fantôme. Chez Hitchcock, le tueur est une ombre vague, à peine entrevue, traitée, dit Brenez, comme une image mentale, ou fantasmatique. Ici, le corps du tueur est au contraire tout à fait net et dans un geste dont la valeur figurative est soulignée, le fantôme se sert du couteau pour déchirer le rideau flou qui le cache et apparaître encore plus nettement. Sous sa forme visible, le tueur est devenu une figure fantastique, un homme-oiseau qui donne une forme objective au fantasme. L’arme elle-même est remplacée par un substitut grotesque : une ventouse pour déboucher les canalisations. On peut noter aussi d’autre formes plus subtiles de travestissement : l’œil en GP du fantôme remplace celui du cadavre de Marion. La figure de victime, la figure du mort, n’est plus celle du corps sous la douche, mais celle de l’agresseur. L’œil est injecté de sang, bordé de rouge et concentre à lui seul l’idée de blessure. Autre élément : la venue de l’agresseur est annoncée par un plan objectif orienté, où le chanteur est vu, avant même l’arrivée du fantôme, depuis l’autre côté du rideau. Ce point de vue lié à l’instance d’énonciation est un relais de la caméra de surveillance, dont la présence est soulignée dès les premiers plans de la scène. La caméra de surveillance, comme la caméra omnivoyante à laquelle on associe les PV objectifs orientés (effet de panoramique enveloppant qui serre de plus en plus près le chanteur sous la douche) sont des façons d’insister sur la toute puissance de la mise en scène exerce qui épingle le personnage sous la douche. Ces choix de point de vue remplacent en quelque sorte les effets performatifs de la mise en scène d’Hitchcock : cadrage qui démantèle le corps + découpage qui le blesse). Comme dans la scène d’H, la mise en scène est associé à l’agresseur contre le corps nu sous la douche. On constate donc le principe de travestissement et de substitution à tous les niveaux.
Etude visuelle 2 : début de Blow out : une version critique de la scène hitchcockienne Ext 12 : première reprise de la scène de la douche
La première reprise de la scène de la douche était une étude visuelle à vocation d’abord analytique et parodique : les éléments de la scène étaient repris et travestis. Ici, l’enjeu est
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