L Ombre de la montagne
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L'Ombre de la montagne

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Areth et Priam sont deux jeunes frères qui tentent de survivre tant bien que mal dans un pays en proie à la famine. Devenus voleurs et meurtriers,ils se voient contraints de fuir la capitale et le seul foyer qu'ils aient jamais connus. Malgré l'hiver, la montagne semble être leur unique espoir. Pourtant, ses profondeurs recèlent des secrets qui pourraient bien changer à jamais leur destin.

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Publié le 22 décembre 2014
Nombre de lectures 6
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Langue Français

Extrait

L’Ombre de la montagneDeDavid DuménilRetrouvez plus de nouvelles et des informations sur la trilogie fantasyLe Livre de la Créationsur http://www.lelivredelacreation.niloo.fr
 Une vague de froid s'était abattue sur le pays succédant à un été chaud et sec responsable des plus mauvaises récoltes de ces dernières années. Ce schéma climatique se répétait depuis une décennie déjà, s'accentuant à chaque cycle. À la campagne, les paysans vivaient péniblement sur leurs maigres réserves mais en ville la situation était bien plus pénible.
 Dans la capitale, la situation était si tendue que tout vol de nourriture était désormais puni de mort. Sur la grande place, au milieu des étals des marchands, les rondes de garde s’enchaînaient de manière à dissuader toute tentative de larcin. Cette tension se ressentait sur la place du marché. Marchands et acheteurs avaient les nerfs à vifs, les uns surveillant leurs marchandises d’un œil protecteur, les autres tentant désespérément de marchander pour faire baisser le prix des produits de première nécessité. Des transactions douteuses s’effectuaient dans les recoins les plus sombres alimentant un marché noir où le prix des denrées les plus rares ne faisait que flamber. À l’image de la ville, la grande place n’était plus le lieu de vie et de convivialité qu’elle était autrefois.
 Areth et son frère Priam ne se détachaient guère dans la foule hétéroclite brassée par le marché. Comme beaucoup d’habitants, leurs vêtements rapiécés et mal ajustés à leur silhouette amaigrie trahissaient leur pauvreté et un rang social défavorable. Leurs yeux s’attardaient avecenvie sur les étals de fruits et légumes qui parsemaient la place tandis que leur ventre les suppliait de céder à la tentation.
Les deux frères étaient jeunes. Parmi le peu d’emplois journaliers que généraient la ville, ils n’étaient ni suffisamment qualifiés, ni suffisamment charpentés pour rivaliser avec les centaines d’hommes plus âgés qui proposaient également leurs services. Qui aurait voulu de deux gringalets pour décharger des marchandises sur les docks quand plusieurs dizaines de solides gaillards proposaient également leurs services et assuraient que le travail serait accompli beaucoup plus rapidement et efficacement ?
Leur dernier revenu remontait à une semaine déjà et leur dernier repas à plus d’un jour, si on pouvait appeler repas les quelquesfruits et légumes pourris qu’ils avaient récupérés dans le caniveau. Pourtant, avec un père mort au combat et une mère emportée par la maladie, les deux frères ne pouvaient compter que sur euxmêmes pour survivre. S’ils s’étaient rendus au marché aujourd’hui, ce n’était pas pour venir admirer du coin de l’œil des marchandises qui leur étaient inaccessibles. La faim les poussait dans leurs derniers retranchements, à passer une étape qu’ils s’étaient interdits de franchir auparavant.
Aujourd’hui, la faim etle corps dominaient la peur et la raison. Les deux frères se jetèrent un dernier regard d’encouragement puis prirent chacun une direction différente. Areth ne regarda pas son frère disparaître dans l’autre allée. Ils s’étaient fixés un objectif ensemble etdevaient ils l’atteindre. C’était ça ou se laisser mourir de faim. Il se faufila au milieu d’une foule de plus en plus dense. C’était lui qui avait la mission la plus délicate. Il arrivait dans la zone des bouchers, un des lieux les plus surveillés par les gardes non sans raison.
 Areth fit un premier tour pour repérer les cibles potentielles. Sa haute taille lui permettait d’avoir une bonne vue sur les étals des marchands et il avait dû mal à ne pas saliver devant ces carcasses de bœuf, cochon et mouton.Que dire de ces volailles suspendues par les pattes sur le haut des étals qui semblaient si alléchantes et si faciles à saisir ? Céder à la tentation sur un coup de tête
pourrait aussi lui être fatale, songeatil en croisant un groupe de trois gardes qu'il prit bien soin de ne pas regarder dans les yeux.
 Il refit un second passage. Il venait de repérer un étal assez large au coin de deux allées, qui lui offraient deux itinéraires de fuite possibles. Les pièces de bœuf ou de moutons étaient certes appétissantes et bien disposées mais beaucoup plus lourdes et difficiles à saisir en pleine course. Les volailles semblaient donc être le meilleur choix. Un voire deux poulets leur accorderaient à son frère et lui un bon repas pour plusieurs jours. À mesure, que le plan s’échafaudait dans sa tête, Areth sentait ses mains devenir moites et la tension monter dans tout son corps.
D’un tempérament sanguin, il était plus habitué à agir instinctivement qu’à planifier ses actions avant d’agir. Contrairement à son frère qui était d’une nature plus posée, lui fonctionnait à l’instinct. Leurs entraînements à l’épée reflétaient parfaitement ce contraste. Priam préférait suivre des enchaînements précis de bottes et parades tels que les lui avaient appris son père. Areth, trop jeune à sa mort, n’avait jamais pu profiter de cet enseignement. Plutôt que de copier les attitudes de son frère, il s’appuyait sur ses réflexes et sa souplesse pour anticiper les mouvements de son adversaire.
 Plongé au milieu de la foule du marché, à quelques pas de gardes armés, le jeune homme ne faisait pas aussi confiance à son instinct que d’habitude. Au vu de la situation environnante, une prudence relative s’imposait. Une prudence qui était principalement due à la peur qui l’envahissait peu à peu. Mais pas question de se laisser paralyser par ces émotions, ce vol était leur seul chance à son frère et lui.
À l’approche de sa cible, il accéléra le pas. Sa démarche était rigide, les bras tendus le long du corps prêt à s’emparer du butin. Le marchandde l’étal ciblé croisa son regard. Areth détourna aussitôt les yeux et baissa la tête tout en ralentissant. Il ne devait pas attirer l’attention! Il transpirait de peur désormais, s’imaginant les pires scénarios. Du coin de l’œil, Areth regarda à nouveau le boucher. Il se détendit un peu, le marchand discutait tranquillement avec un client.
Le jeune homme saisit sa chance. Il s’approcha le plus naturellement possible du stand, leva la tête, repéra deux poulets de belle taille, les saisit à pleine main et prit la fuite. Il bouscula plusieurs passants, manqua de perdre l’équilibre, avant de reprendre sa course sans jeter un regard autour de lui. Peu importait qu’on l’ait remarqué, que des gardes fussent à sa poursuite ou non, sa seule chance résidait dans une fuite éperdue jusqu’à un endroit sûr.
Le bruit derrière lui ne laissait toutefois aucun doute sur le fait que son vol n’était pas passé inaperçu. Déjà les cris des gardes retentissaient se mêlant aux hurlements du marchand. Areth se hâta de quitter lemarché et sa foule pour s’engager dans une enfilade de petites ruelles qui lui ferait perdre ses poursuivants de vue. Malgré tout, il n’était pas très discret avec ses deux volailles à la main.
 Il prit la direction des bas quartiers, choisissant les ruesles moins passantes. Il s’arrêta bientôt devant une vieille bâtisse aux murs craquelés par l’humidité. 17 ans passés entre ces murs et il avait la sensation que rien n’avait changé. La demeure familiale, malgré sa vétusté apparente, était parfaitement habitable. Areth y pénétra avec un petit pincement au cœur. Pour son frère et lui ce lieu représentait leur dernier lien avec leurs parents, le seul endroit de la ville où ils se savaient en sécurité.
Areth fixa sa prise d’un œil nouveau. Maintenant que le mélange d’excitation et de peur qui s’était accumulé en lui se dissipait, il réalisait qu’il avait enfin de quoi survivre quelques jours de plus. Pas question par contre de songer à ce qui arriverait ensuite. Il aurait bien le temps d’en discuter avec son frère.
Avant qu’il n’ait le temps de s’inquiéter du retard de son frère, la porte d’entrée s’ouvrit sur une silhouette voûtée. Priam entra d’un air chancelant laissant l’empreinte d’une main vermeille sur la porte lorsqu’il la referma. De son autre main, ilse tenait le flanc gauche où s’épanouissait une tâche de sang. Priam! s’exclama son frère en se portant à son secours. Que s’estil passé ?
Ce dernier retint une grimace de douleur.
On n’a pas le temps pour les explications. Ils sont à ma poursuite…Calmetoi, le coupa son frère en le forçant à s’assoir. Comment astu reçu cette blessure ? J’ai rencontré des gardes dans ma fuite, haleta son frère encore essoufflé par sa course. Ils m’ont poursuivi. Je pensais les avoir semés mais deux d’entre eux m’ont rattrapé. Je crois que j’en ai tué un…
Areth en resta coi. Tous deux étaient parfaitement conscients des implications d’un tel acte. Si voler dans la capitale était devenu passible de mort, le meurtre d’un garde ne pouvait rester impuni. Les soldats allaient chercher les coupables dans toute la cité et fouiller les bas quartiers s’il le fallait. Ce n’est pas tout. Tu te souviens de Jon Parth?
Areth secoua la tête. Ce nom ne lui évoquait rien.
Tu devais être trop jeune. C’était un ami de notre père. Il luiest arrivé de passer ici quelque fois. C’était lui le second garde et je peux t’assurer au regard qu’il m’a lancé qu’il m’a reconnu…
 Sa voix se brisa sur la fin. Il poussa un gémissement de douleur et se releva repoussant la main de son frère qui tentait de le bloquer. Voilà pourquoi on n’a pas le temps de traîner! Il sait où on habite et les gardes peuvent arriver d’une minute à l’autre.
 Areth comprit que son frère avait raison. Ce coup du sort allait les obliger à abandonner leur foyer. Mais pas question de partir avec son frère dans cet état. Laissemoi d’abord bander ta blessure. Tu perds trop de sang et tu n’iras pas loin comme ça.Priam acquiesça d’un air résigné. Son frère n’avait pas tort mais la douleur ne lui faisait pas oublier la terreur quil’avait envahi lorsqu’il s’était retrouvé poursuivi. Il avait eu l’impression de perdre tous ses repères et il était parti dans la mauvaise direction. C’était pour cela que les gardes avaient pu le rejoindre. Que dire de l’effroi qu’il avait ressenti en voyant s’écrouler le soldat transpercé par son arme? À ce moment, il avait compris que sa vie serait bouleversée à jamais, qu’il s’était condamné à fuir cette ville qui avait été le centre de son existence depuis sa naissance. Cet instant d’inattention luiavait valu cette entaille au flanc qui avait ravivé en lui l’instinct de survie: il devait tout faire pour mettre son frère en sécurité.
En quelques minutes, Areth nettoya rapidement la plaie avec de l’eau et enroula le flanc de son frère d’un bandage suffisamment serré pour stopper l’hémorragie. Il savait que la plaie avait besoin d’être recousue mais cela devrait attendre. Les deux frères s’emparèrent de quelques affaires, de la nourriture si chèrement volée puis prirent à nouveau la fuite.  Il était trop dangereux pour eux de rester en ville, ils le savaient, aussi prirentils la direction de la porte nord. Les montagnes leur fourniraient un refuge sûr en attendant que l’agitation retombe dans la ville. Peutêtre alors pourraientils revenir chez eux…Alors qu’ils arrivaient en vue de l’entrée de la ville, Priam s’arrêta brusquement. Areth jeta un œil au bout de la rue. Les gardes les avaient devancés et l’alerte avait été donnée. Au lieu des deux soldats de faction habituels, dix hommes armés scrutaient avec attention les personnes quittant la ville. Priam jeta un regard impuissant à son frère. On est bloqué ici. Il va falloir trouver un endroit où se cacher en ville. Areth secoua la tête et désigna d’un mouvement du menton les deux chevaux attachésà quelques pas. Avec eux, on peut s’en sortir. On aura plus de chance en dehors de la ville qu’à l’intérieur.Sans laisser le temps à son frère de protester, il s’avança vers les bêtes. Il réfléchissait à toute vitesse tentant d’échafauder un plan qui leur permettrait de sortir sain et sauf. Les gardes cherchaient probablement un à deux jeunes fugitifs tout dépendait si le vieil ami de son père avait donné son signalement. À cheval, ils auraient un peu moins l’air de vagabonds en fuite et seraient de toutefaçon moins vulnérables.
Les deux propriétaires n’étaient pas en vue et Arethse risqua à monter sur le cheval le plus proche qui docile se laissa faire. Puisque leur premier vol les avait conduits à cette situation, autant que le second leur permît de s’en sortir. Son frère l’imita non sans mal, handicapé par sa blessure. Malgré le bandage, une nouvelle tâche rougeâtre commençait à imbiber sa veste.
 Laissant leur monture avancer au pas, les deux frères se dirigèrent vers les portes. Les soldats les fixèrent avant même qu’ils arrivassent. Areth ne chercha pas à les regarder dans les yeux et se contenta de fixer la route devant lui qui s’ouvrait sur les collines et les montagnes en arrière plan. Son frère se porta à sa hauteur et ils franchirent la porte ensemble en retenant un soupir de soulagement.
Un détail attira soudain l’attention d’un des gardes. Il en fit part à son capitaine à ses côtés qui remarqua lui aussi la tâche ensanglantée qui maculait le vêtement du cavalier. Le signalement qu’ils avaient faisait état d’un homme blessé au flanc.Arrêtezvous! s’exclamatil en seplaçant devant le cheval de l’intéressé. Déclinez votre identité !  Les deux frères se figèrent sur leur monture. Areth adressa un regard déterminé à son frère désignant les montagnes au loin d’un signe de tête. Priam acquiesça imperceptiblement. D’un mouvement commun, ils éperonnèrent leur monture et partirent au galop renversant les gardes pris par surprise. Ignorant les cris derrière eux, ils se hâtèrent de franchir le sommet de la première colline pour disparaître de la vue des soldats.
 Après vingt minutes de course éperdue, ils firent passer leurs montures au trot pour les ménager. Un regard derrière eux suffit à les rassurer sur l’absence de poursuivants. Du moins pour le moment…Après l’incident aux portes, ils vont se lancer rapidement à notre poursuite, annonça Priam avec dépit.  Areth hocha la tête résigné lui aussi. Il faut s’y résoudre, on est des fugitifs désormais. Le tout c’est de conserver notre avance jusqu’à atteindre les montagnes. Là, il sera facile de les perdre.
Ils n’atteindraient lespentes des monts enneigés en face d’eux que le lendemain. Ils s’accordèrent une pause vers midi pour grignoter une partie des provisions volées. Même si cette nourriture calmait enfin la faim qui les tenaillait depuis plusieurs jours, elle avait un goût b ien amer. En quelques heures, ils venaient de perdre tout ce qui faisait leur vie jusque là. Leur foyer, leurs habitudes, tout n’était désormais que des souvenirs.Au moins conservaientils leur liberté et leur vie, songea Priam conscient que cette situation était principalement due à ses actes. S’il avait gardé la tête froide lors de ce vol, il n’aurait pas tué ce garde ni mis son frère en danger. Bien sûr les soldats auraient tenté de retrouver les voleurs mais bien à l’abri dans leur maison, le ventre plein, son frère et lui auraient été hors d’atteinte.
Les circonstances en avaient voulu autrement. Alors que c’était lui qui aurait dû protéger son frère, celuici était en train de le soigner. Areth s’activait du mieux qu’il pouvait pour refermer la blessure. Le sang avait coagulé formant une croûte noirâtre qu’il avait dû nettoyer à l’eau faute de mieux. Si elle s’infectait, il n’aurait pas les connaissances suffisantes pour aider son frère et isolés comme ils étaient cette perspective pourrait bien être fatale. Le jeune homme se refusait à avoir de telles pensées. S’ils avaient échappé aux gardes, ce n’était pas pour laisser son frère mourir dans les montagnes. Il allait falloir se battre pour survivre mais après tout c’était ce qu’ils faisaient chaque jour depuis la mort de leurs parents. Ensemble, ils pouvaient surmonter n’importe quelle épreuve, Areth en était convaincu.
 Le reste de la journée se passa sans encombre. La nuit fut plus difficile. Le sommeil les fuyait et le moindre bruit suspect les gardait en alerte. Ils repartirent donc aux premières lueurs de l’aube, fatigués mais incapables de rester sur place plus longtemps. Ils ne prirent pas le temps de nettoyer les traces de leurs camps. Leurs poursuivants n’auraient aucun mal à suivre les tracesde leurs chevaux sur le sol meuble.
En milieu d’après midi, les deux jeunes hommes se résolurent à abandonner leurs chevaux. Ils avaient atteint les montagnes et leurs montures les gênaient à présent dans les pentes raides et légèrement enneigées. Emmitouflés dans des capes en laine trouvées dans les fontes, ils poursuivirent leur ascension. Ils passèrent une nouvelle nuit à l’extérieur sur un aplomb rocheux. Cette foisci ce n’était pas la peur de leurs poursuivants qui les maintint éveillés mais le vent mordant qui soufflait sans répit. Blottis l’un contre l’autre, ils peinaient à réchauffer leurs membres engourdis.
Le lendemain ils poursuivirent leurs ascension avec encore moins d’énergie que la veille. Néanmoins, ils devaient persévérer. Ils leur étaient arrivés de s’aventurer en ces lieux, quelques années auparavant en été et ils savaient qu’un vaste plateau s’étendait juste après ce sommet. De là,
ils parviendraient bien à atteindre une caverne qui leur fournirait un abri contre le froid tandis que le s chutes de neige effaceraient leurs traces.
Priam profita d’une pause dans l’ascension pour regarder en contrebas. Il avait une vue panoramique sur la région avec la capitale qui se dessinait à l’horizon. Il voyait également tout le chemin qu’ils avaientparcouru jusque là en suivant un sentier sinueux et escarpé qui montait vers les hauteurs. Des reflets lumineux sur le bas de la montagne confirmèrent ses pires craintes. Les rayons du soleil illuminaient les armures de leurs poursuivants. Areth les avait aperçus lui aussi et son visage emmitouflé dans sa cape ne laissait pas transparaître la peur qui lui montait au corps. Jusque là, il avait nourri le vain espoir que les soldats auraient abandonné leur poursuite.
 La proximité de leurs poursuivants leur donna un regain d’énergie et surmontant la peur qu’ils leur inspiraient, ils reprirent leur ascension. Ils foulèrent enfin le plateau enneigé de leurs pieds engourdis. D’un commun accord, ils continuèrent à avancer plein nord sur ce terrain inhospitalier encette saison. La neige au sol gênait leur progression et le ciel s’obscurcit déversant sur eux son chargement de paillettes blanches. Mus par leur instinct de survie, tels des animaux traqués, ils progressèrent jusqu’à ce que la nuit tombât. Plongés dansl’obscurité, à peine aidés par le pâle éclat de la lune le plus souvent dissimulée derrière les nuages, ils parvinrent enfin à trouver un abri au creux d’une paroi rocheuse.
L’entrée de la grotte était étroite mais haute, à peine assez large pour laisser passer un humain. Les deux frères amaigris s’y engouffrèrent avec empressement. Protégés de la neige et du vent, ils eurent tout à coup l’impression d’avoir plus chaud. Priam se laissa choir sur le sol, vidé de toute énergie. Les points de suture faits par son frère s’étaient distendus et sa plaie s’était rouverte alors qu’elle se faisait plus douloureuse. Il avait réussi à faire fi de la douleur jusque là, trop obnubilé par sa fuite et engourdi par le froid. Maintenant qu’il était à l’abri, la souffrancese rappelait à lui plus vive que jamais. Areth l’observa un instant avant d’annoncer: Je vais chercher de quoi faire un feu !
 Priam hocha la tête. Il aurait voulu protester, dire que ressortir était trop dangereux mais il savait bien que sans feu leur survie était compromise. Il regarda donc son frère s’emmitoufler dans sa cape pour repartir affronter le froid tandis qu’il s’enveloppait dans la sienne en fermant les yeux se laissant gagner par la fatigue.
Areth ne vit pas son frère s’endormir. Il revintsur ses pas se fiant à son instinct puisque les traces de leur passage avaient déjà été effacées par la neige. Il se souvenait avoir traversé un bosquet de pins à quelques centaines de mètres de là. Il ramassa les branches les plus sèches qu’il put trouver les assemblant en un tas compact qu’il ramena ensuite jusqu’à la grotte.
 Une fois le feu allumé, il laissa son frère dormir et se mit à préparer un repas. Il lui restait encore un poulet entier qu’il mit à rôtir au dessus des flammes. Maintenant qu’ilsétaient au chaud et à l’abri, trouver de la nourriture allait devenir leur nouvelle préoccupation.
 Lorsque son frère se réveilla, ils mangèrent en silence savourant ce repas. Areth insista ensuite pour vérifier l’état de la blessure de son frère, ce qu’ille fit grimacer. Le plaie était vit rouverte et violacée. Il s’efforça de la recoudre mieux que la première fois. Son frère le remercia
d’un timide sourire. Le repas consistant avait beau lui remplir l’estomac, Priam se sentait toujours autant épuisé. Repose toi à nouveau, lui conseilla Areth. Tu devrais faire de même. Nous sommes en sécurité ici, les soldats auront bien du mal à retrouver nos traces avec cette tempête de neige. Ils ne risqueront pas leur vie pour nous trouver.
Areth s’allongea au côté deson frère. Sans qu’il s’en rendît compte, le sommeil l’emporta en quelques minutes. Lorsqu’il se réveilla, son frère était adossé contre lui toujours en train de dormir. Il se leva avec précaution, se frotta les yeux encore embrumés et parcourut leur abri du regard. Il ne l’avait pas remarqué au début mais la cavité naturelle se prolongeait vers le fond en un tunnel obscur que la lumière des flammes n’éclairait qu’en partie.
Intrigué, le jeune homme s’avança à pas prudents vers cette partie de la grotte.Le passage semblait se frayer un chemin dans les profondeurs de la montagne et il ne parvenait pas à en voir le bout. Cela l’intriguait. Avec un peu de chance, il pouvait y avoir de la vie dans ce tunnel: chauve souris, rongeurs ou autres qui pourraient leur permettre de survivre sans avoir à chercher de la nourriture à l’extérieur.
La prudence aurait voulu qu’il attendît le réveil de son frère mais ce tunnel obscur l’attirait d’une manière étrange. Après tout, il ne risquait rien à l’explorer un peu. Sonavait besoin de frère repos et il devait trouver une occupation au risque de se retrouver à ressasser de mauvais souvenirs, seul au milieu de cette grotte.
Il se fabriqua une torche sommaire et commença son exploration. Le tunnel s’enfonça rapidementsous les tonnes de roche de la montagne s’incurvant à droite à gauche par moment comme les méandres d’un ruisseau. Malgré l’obscurité et le silence environnants, l’état d’Areth était plus proche de l’excitation que de la peur. Sans s’en rendre compte, il avançait très vite se laissant porter par la pente et l’envie de découvrir ce que dissimulait l’extrémité de ce tunnel.
La chute fut brutale. Le sol se déroba sous ses pieds, lui faisant perdre l’équilibre et il bascula la tête la première dans un abîme d’obscurité.
La douleur lui fit reprendre conscience. Elle s’insinuait dans tête lui vrillant le crâne et descendait jusqu’à sa cheville gauche, s’amplifiant dès qu’il essaya de bouger. Il lui fallut un moment pour se rappeler ce qu’il s’était passé. Il était plongé dans le noir le plus complet, sa torche avait disparu dans sa chute. Sa première pensée fut pour son frère resté seul làhaut avec sa blessure. Il y avait fort peu de chance pour que Priam puisse s’en sortir seul vu l’état dans lequel il l’avait laissé. Avalé par ce gouffre, Areth avait la sensation d’avoir abandonné son frère à son sort juste pour satisfaire sa curiosité. S’il avait été plus prudent, il aurait forcément remarqué que le sol était instable et qu’un ravin se tenait prêt à l’engloutir !
Les remords seraient pour plus tard. Il lui fallait remonter sans tarder. Son frère n’aurait pas la force de venir le chercher et s’il le faisait quand même il risquait fort de tomber dans le même piège et cela, Areth ne pouvait le concevoir. Il se força à se mettre debout malgré la douleur qui émanait de tout son corps. Il ignorait de combien de mètres il avait chuté mais son inconscience avait dû lui sauver la vie. Sa douleur à la cheville l’inquiétait plus et ses craintes se confirmèrent lorsque sonpremier pas lui arracha un cri de douleur : elle était cassée.
 Il allait devoir faire avec. Serrant les dents pour éviter de crier à nouveau, sans pouvoir empêcher des larmes de douleur de suinter de ces yeux désormais inutiles dans ce lieu dépourvu de toutes sources de lumière, il tendit les mains en avant essayant de repérer au toucher la configuration des lieux. La roche était étonnamment chaude sous ses paumes.
 À tâtons, il se mit à progresserdans l’obscurité traînant la jambe plus que marchant. Désorienté, privé de la vue et blessé, Areth n’en conservait pas moins une volonté de fer qui porta ses fruits. Une faible lueur se dessina dans la pénombre devant lui. Pourtant, à mesure qu’il approchait de cette source de lumière, son espoir de sortir de cedédale obscur s’amoindrissait. Les parois du tunnel étaient tapissées d’une mousse phosphorescente qui diffusait une luminescence tout juste suffisante pour que le jeune homme puisse distinguer son environnement.
Areth tendit l’oreille. Il percevait comme l’écho d’une musique lointaine. Concentré sur ce nouvel objectif, il comprit bien vite qu’il s’agissait du ruissèlement d’un cours d’eau. Il réalisa alors que la soif lui avait asséché la gorge et qu’il s’était déjà écoulé plusieurs heures depuis sa chute.
 Il pénétra dans une grotte envahie du sol au plafond par la mousse phosphorescente gorgée par l’humidité ambiante. L’eau suintait d’une des parois à moins d’un mètre du sol avant de s’écouler dans une rigole creusée au fil du temps et de poursuivre sacourse à travers la caverne pour disparaître à nouveau avalée par un mur. Areth s’agenouilla et trempa ses mains en coupe dans le liquide pour se réhydrater. Dans sa bouche l’eau n’était pas si froide qu’il l’aurait cru comme si son passage dans la rochel’avait réchauffée. Une fois sa soif étanchée, il se risqua à goûter la mousse lumineuse. Spongieuse et difficile à mâcher, elle n’avait aucun goût et Areth décida de ne pas renouveler l’expérience. Il avait l’habitude de sentir la faim tenailler son ventre.
 Il observa plus attentivement la grotte. Outre le tunnel dont il sortait, deux autres issues se présentaient à lui formant une fourche. Logiquement, il s’engagea dans celle qui semblait remonter vers la surface. La mousse phosphorescente laissa vite place à l’obscurité complète l’obligeant à nouveau à se laisser guider par ses tâtonnements sur les parois du tunnel. Après un certain momentil avait perdu toute notion du temps  ses mains heurtèrent une nouvelle paroi.
Areth sentit son cœur se serrer.Frénétiquement, il chercha autour de lui un vide lui indiquant un nouveau passage où s’engager. Rien de tel: ce tunnel était un cul de sac. Il poussa un hurlement de rage, presque bestial. Son frère avait besoin de lui. Il lui fallait à tout prix trouver une issue ! Il sentait la rage monter en lui le gagnant dans un bouillonnement de sensations à travers tout son corps. Il y avait de quoi se révolter : contre luimême déjà pour s’être si bêtement laissé piégé, contre ces soldats qui les avait pourchassés jusque ici et même contre ses parents qui les avait abandonnés son frère et lui, les laissant se débrouiller seuls…
 Areth se sentit soudain mal. Il avait chaud, trop chaud et sa tête commençait à lui tourner. Il fut tout à coup pris de vertige se mettant à chanceler et se retrouva à genoux sur le sol cherchant à retrouver sa respiration. Que lui arrivaitil ? Dans un état de semiconscience, il se remit debout et fit demitour, trébuchant à chaque pas, se heurtant aux parois tel un ivrogne dans une ruelle étroite. Seraitce la mousse qu’il avait avalée qui lui faisait cet effet? Incapable de réfléchir plus avant et d’avoir les idées claires, il savait pourtant ce qu’il avait à faire: retourner dans la caverne au ruisseau et tenter de prendre le second tunnel.
Il rejoignit la grotte tant bien que mal mais s’effondra aussitôt. Il avait la sensation que son corps ne lui obéissait plus. Il voulait bouger ses bras, essayer de ramper mais même ses doigts ne répondaient plus à sa volonté. Soudain, il fut pris de violentes convulsions qui secouèrent tout son corps.Il n’était plus qu’un pantin désarticulé gisant sur un tapis de mousse phosphorescente à plusieurs dizaines de mètres sous la montagne.Cette pensée fut la dernière avant qu’il ne sombrât dans l’inconscience.
 À plusieurs reprises, il reprit conscience durant de courts intervalles. Il parvint même à se traîner jusqu’au ruisseau et à y boire quelques gorgées avant de perdre à nouveau connaissance.
 Areth cligna les yeux éblouis par la luminescence de la mousse autour de lui. Il se sentait différent. Il lui fallut un moment pour comprendre pourquoi : il ne ressentait plus aucune douleur. De sa main, il tâta sa cheville droite. Aucun gonflement, aucune douleur. Elle ne devait pas être cassée finalement, à croire que ce repos forcé avait suffit à remettre les choses en ordre. Il se leva avec prudence, craignant d’être pris de vertige. Au contraire, il se sentait en pleine forme, revigoré et empli d’une étrange énergie.
Il se souvenait difficilement de ce qu’il s’était passé. Il y avait ce cul de sac et ensuite juste des bribes de mémoire peu significatives lui revenaient. Peu importe, s’il était remis en forme, il pouvait reprendre sa recherche d’une sortie. Après s’être désaltéré une dernière fois, il s’empara d’une brassée de mousse qu’il compacta en deux boules qu’il pouvait tenir en main. Si la phosphorescence persistait, elles lui fourniraient un minimum de lumière dans les tunnels.
 Il enchaîna les tunnels les uns après les autres. Il arriva plusieurs fois à des intersections multiples mais ne prit pas le temps de réfléchir et se laissa guider par son instinct ou par un sixième sens. Petit à petit, il sentit qu’il commençait à remonter ou tout du moins à ne plus s’enfoncer dans les entrailles de la terre.Les boules de mousses lui fournissaient suffisamment de lumière pour qu’il n’ait plus à progresser à tâtons et il avançait rapidement, se prenant presque à courir parfois. Pourtant il devait rester prudent, il ne s’agissait pas de chuter à nouveau.
 Justement, il arriva sur un passage particulièrement périlleux. Une fine corniche se dessinait accolée à la paroi, surplombant un gouffre insondable. Areth se demanda si ce n’était pas là que sa mésaventure avait débuté. La suite lui donna raison. Une lumière vive et dansante brilla bientôt au loin: celle d’un feu. S’il y avait un feu, c’était que son frère avait réussi à l’alimenter et qu’il était toujours en vie. La joie éclaira son visage et il sentit le nœud qui lui entravait l’estomac depuis le début s’estomper d’un seul coup. Finalement, les choses allaient se terminer mieux qu’il ne le pensait.
Il se mit à courir vers son frère et la sortie avant de s’arrêter net. Des voix. Des gens étaient en train de parler dans l’abri rocheux. Areth se plaqua contre la paroi et avança plus prudemment. Il avait beau réfléchir il n’arrivait pas à comprendre comment des hommes pouvaient se trouver dans la grotte. Il s’inquiétait d’autant plus qu’il ne reconnaissait pas la voix de son frère.…, voilà déjà un jour qu’on estbloqué par cette tempête, râla quelqu’un d’une voix rauque se terminant par une quinte de toux. Ne te plains pas, au moins on est à l’abri du vent ici et on a un feu.Lui par contre ne risque pas d’en profiter vu comment il était gelé lorsqu’on est arrivé, ricana un des personnages.
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