Recueil de rêves et de cauchemars
82 pages
Français

Recueil de rêves et de cauchemars

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Description

Recueil de huit nouvelles ayant à trait au rêve ou à une réalité qui se délite face au questionnement existentiel du narrateur.
- Un rêve fabuleux
- Foudroyant
- Le train de l'impossible
- Il est devant ta porte
- Le sommeil n'est pas un lieu sûr
- Le bagage
- Le monde est vert comme une orange
- Le monde des ombres

Informations

Publié par
Publié le 01 mai 2015
Nombre de lectures 9
Licence : En savoir +
Paternité, pas d'utilisation commerciale
Langue Français

Extrait

Sommaire
- Un rêve fabuleux
- Foudroyant
- Le train de l'impossible
- Il est devant ta porte
- Le sommeil n'est pas un lieu sûr
- Le bagage
Recueil de rêves
et de cauchemars
- Le monde est vert comme une orange
- Le monde des ombres
Un rêve fabuleux
J’ai rêvé que j’étais président de la République et que je devais affronter l’invasion d’oiseaux bleu venu de l’espace pour nous chier dessus. J’ai rêvé que j’étais devenu un monstre immense aux longs poils noirs et aux grandes dents comme des lames, aux yeux blancs larges comme des soucoupes et que je combattais une meute de lions dans la forêt. J’ai rêvé que l’Atlantide se trouvait au pôle nord et que les rois qui y habitaient étaient des géants figés dans la pierre qui fumaient des bulles et bavaient de la mousse. J’ai rêvé que Zoro affrontait Crocodile avec l’aide de Shanks et que Luffy combattait Big Mom dont le pouvoir était d’invoquer des cauchemars. J’ai enfin rêvé que je mangeais des fraises étranges au goût affreux. Puis une fille m’a réveillé. Célia : tu dors ?
Un homme doit faire face à une invasion bien étrange. Pour sauver son pays il se met à la recherche d’une mystérieuse fraise, mais son voyage le fera traverser les contrées absurdes, pleines de monstres et d’individus spéciaux. Vous êtes prêts ? Alors embarquez pour un rêve fabuleux.
***
DES OISEAUX BLEUS
Il pleuvait. La pluie était en réalité presque invisible mais le ciel était gris, vaste toit argenté, le sol était mouillé et l’air lui-même était humide, d’où Pommier déduisit il qu’il devait pleuvoir. Son assistant fit apparaitre un parapluie et le déploya au dessus de sa tête. Il jeta un coup d’œil par-dessous. Comment pourrait il être sûr qu’il pleuvait effectivement ? Il sentait confusément qu’il pleuvait, comme un savoir gardé au fond de lui-même, mais l’absence de pluie était troublante.
Il pleuvait sans pleuvoir. Il baissa la tête et s’assied dans son véhicule présidentiel, un gros 4x4 noir aux vitres teintées dans lequel il se sentait bien. Il était agacé. La journée ne commençait pas bien. N’était il pas accompagné d’un docteur tout de blanc vêtu ? Où était il passé ? Il s’était effacé avec la pluie. Tout comme leur sujet de conversation, puisqu’il ne s’en souvenait plus. Il fronça les sourcils, réfléchit intensément. Non, ça ne lui revenait pas.
Il pianotait frénétiquement sur son accoudoir tandis que son chauffeur s’insérait dans la circulation. Les voitures semblaient ne pas bouger. Des ombres figées dans une pluie qui n’existait pas. Le chauffeur accéléra, vouvoya entre les voitures. Il allait peut être un peu trop vite pour les réglementations de vitesse. Un peu d’action, songea Pommier à qui la ville semblait peuplée de fantômes. Comme le fantôme de pluie.
La voiture fit soudain une embardée violente qui le trimbala dans tous les sens. Elle s’arrêta au beau milieu d’une place dégagée. Il sorti, de plus en plus énervé. Quoi encore ? Les dalles étaient grises, imbibées d’eau. Ci et là des flaques clapotaient quand bien même rien ne tombait.
__ Allons nous abriter, dit il à son assistant en désignant les immeubles dont les balcons protégeraient de la pluie qui n’était pas là.
Ils coururent en rentrant leur tête dans les épaules, par de petites foulées un peu chaloupées et soupirèrent d’aise à l’abri près des murs. Le ciel sembla se dégager. Il était bleu. Il ne pleuvait plus. Le ciel bougeait ? Des choses tombaient, cette fois ci il le voyait distinctement.
Des millions d’oiseaux bleus de la taille de son poing bruissaient dans le ciel. Comme d’instinct, Pommier su qu’ils venaient d’outre espace et qu’ils étaient intelligents. Leurs intentions ne semblaient pas amicales car ils arrosaient tous les malheureux passants et la ville toute entière de leurs déjections avec une haine certaine. Qu’avaient-ils fait pour déplaire à des oiseaux venus d’un autre monde ? Pommier l’ignorait mais un tel manque de diplomatie finit de le faire sortir de ses gonds.
Suivis de son assistant terrifié il s’engagea jusqu’au palais présidentiel. Partout dans les rues, c’était la panique. Les gens courraient et hurlaient, ne savaient pas quoi faire ni où aller pour faire face à une invasion de petits oiseaux bleus. C’était l’hystérie la plus totale. Face à cette absurdité pénétrant comme un bulldozer dans leur vie bien huilée, ils pétaient proprement tous leurs plombs. Pommier ne se laissait pas démonté, après tout il était le Président de la République et c’est à lui qu’ils se tourneraient tous pour résoudre cette crise.
Les abords du palais présidentiel étaient bien plus calmes que le reste de la capitale. Les oiseaux bleus, après leur première offensive qui faisait figure d’avertissement et de démonstration de force, s’en étaient allé autre part, peut être dans leur arbre cosmique. L’armée avait promptement été déployée autour du palais. Il devait y avoir plusieurs milliers de soldats qui s’entassaient dans la rue, personne n’ayant manifestement pensé à leur donner d’ordre après celui de regroupement. Le Président se fraya un passage, les soldats en bérets rouge se bousculant et s’écrasant les uns les autres pour lui faire de la place, et gagna enfin l’abri calme et tranquille du bâtiment.
Dans un petit salon richement décoré l’attendaient nombre de personnes auxquelles il ne prêta aucune attention, et son Premier ministre, Ségoline Aubryal. C’était une femme d’une quarantaine d’années aux longs cheveux bruns, au front haut et bombé et aux bajoues qui tombaient de chaque coté de son menton. Ses yeux de même que son sourire exprimaient une espèce de gaieté sérieuse comme si elle ne savait pas trop si elle devait se réjouir d’occuper ce poste ou simplement faire en sorte de mériter sa place. Elle accueillie l’arrivée de Pommier avec soulagement.
__ Le monde entier connait la même situation, lui apprit-elle avec gravité d’un ton guilleret. Toutes les capitales du monde ont été envahies par ces diaboliques petits oiseaux bleus qui se sont mis à chier partout. Plusieurs pays auraient déjà donné leur reddition, le combat leur apparaissant comme trop abominable.
__ Savons vous plus de choses sur ces volatiles ? demanda Pommier d’un ton las en s’effondrant dans un fauteuil.
__ Cette première attaque n’aurait été qu’un aperçu de leur puissance, afin que l’on sache de quoi ils sont capables. Ils semblent vouloir se comporter comme en territoire conquis. Ils demandent la coopération des gouvernements pour que tout se passe pour le mieux. Pour l’instant leur principale exigence est qu’on leur remette tous les gens nommés Mrozinski et Cygankiewicz. Ils n’ont pas dit pourquoi, ni ce qu’ils comptaient en faire.
__ On ne négocie pas avec les terroristes, s’insurgea le Président en bondissant de son fauteuil. Que la police recherche toutes les personnes nommées Mro… qui portent ces noms et les mettent en sécurité.
__ A long terme, que proposez vous ?
__ Qu’on déploie l’armée et qu’on leur tire dessus, proposa Pommier en se rasseyant. Ils sont tellement nombreux qu’il suffira de viser le tas pour en descendre plein.
__ Si je peux me permettre, Monsieur le Président, il y a mieux à faire, intervint quelqu’un.
__ Qui parle ? gronda Pommier en se relevant.
__ Mon nom importe peu, minauda l’inconnu.
__ Fort bien, convint le Président en se rasseyant. Que proposez vous ?
__ Vous pourriez certes ordonner à vos hommes de mitrailler ces oiseaux qui n’ont après tout pour seule arme leurs déjections à l’impact plus moral que physique, mais cela serait il bon pour votre popularité ?
__ Tous ces oiseaux, on résoudrait les crises de la faim pendant un bon bout de temps.
__ Certes mais j’ai bien mieux à vous proposer. Vous pourriez partir à la recherche d’une fraise mystérieuse. Le peuple serait totalement impressionné par l’héroïsme de son chef d’Etat, bravant tous les périls pour le sauver d’une invasion d’oiseaux bleus extra-terrestres.
__ Quelle idée fabuleuse ! rugit Pommier en sautant de son siège. Et où puis je donc trouver cette fraise mystérieuse ?
__ Je l’ignore. Vous devrez vous rendre auparavant au pôle nord à la recherche de l’Atlantide, seuls les anciens rois savent où elle est. Vous devrez partir seul et par vos propres moyens. Gardez à l’esprit que votre voyage sera semé d’embuches. Nombreux seront ceux qui se dresseront entre vous et la fraise mystérieuse. Et qui sait comment réagiront les oiseaux bleus s’ils ont vent de cette expédition ?
__ Je suis prêt à traverser toutes les épreuves, jura Pommier sans savoir s’il devait s’asseoir ou rester debout. Plus tôt je partirais et plus vite je trouverais cette fraise mystérieuse.
Il se tourna vers le Premier ministre.
__ Je vous confie le gouvernement de l’Etat en mon absence. Prenez en grand soin, Madame Aubryal.
__ Je suis sûre que vous trouverez cette fraise mystérieuse, même si je n’ai pas bien compris en quoi elle nous servirait…
MONSTRE,LIONS ET LOUPS
Il neigeait. Il en était intimement persuadé, bien qu’il ne vît nulle part de la neige et que le sol lui-même n’en montrait nulle trace. Il faisait froid, de cela il était sûr et il le sentait. Une forêt s’étendait devant lui. Ce n’était pas une de ces forêts civilisées, au sol plat et aux arbres sagement alignés, tous de la même taille. Elle était sauvage et terrible, pleine d’humus et de rochers, de ravins et de dénivelés. Les arbres livraient bataille entre eux et contre les buissons, fleurs et fougères. La mousse s’incrustait là où elle le pouvait, c'est-à-dire quasiment partout. Les branches formaient un toit
oppressant. Etait il encore dehors ? Il se trouvait comme dans une salle dont les arbres étaient les colonnes et les feuillages le plafond. Une salle aux dimensions immenses car il s’y perdait.
Ce qu’il faisait dans cette forêt, il ne se posa même pas la question. Il savait simplement qu’il devait y être. La vie partout étalait sa répugnance, il les entendait, tous ces animaux grincer, piailler et geindre, même s’il ne les voyait pas. Il épousseta son manteau de la neige qui n’était pas là.
Et soudain il se transforma en monstre. Sa carcasse se décupla, ses membres s’allongèrent, il renversa sa tête en arrière et hurla, de douleur peut être, d’étonnement surement. Il mesurait désormais deux bons mètres et était aussi imposant qu’un buffle. Une épaisse fourrure noire lui couvrait tout le corps, des poils longs et durs. Ses griffes rallongeaient ses mains, mesuraient dix centimètres chacune. Sa figure s’était pourvue d’une gueule rectangulaire comme celle d’un alligator et des crocs comme des lames en sortaient. Ses yeux n’étaient plus que deux soucoupes blanches, lumineuses.
Il ne s’inquiéta pas outre-mesure, la chose lui apparaissant en définitive parfaitement naturelle. Il se mit à quatre pattes et bondit à travers les bois. L’air lui fouettait la face, lui faisant éprouver quelque frisson. Il se sentait libre. Mais il savait qu’un danger rôdait.
Sur des rochers moussus se tenaient des lions. Ils paraissaient nains à coté de lui. Ils le craignaient mais le haïssaient aussi. Ils étaient une dizaine, l’entourant presque. Le premier rugit et sauta. Pommier le rattrapa au vol et le déchira en deux avec ses puissantes griffes. Il ouvrit grand la gueule et elle était assez longue pour décapiter ces petits lions. Il ne devait cependant pas s’attarder. Alors il courut loin des lions, croisant au passage des loups à la fourrure d’argent qui reculèrent en grondant. Comme il continuait son chemin galopant, lions et loups le poursuivirent comme une seule meute de chiens derrière leur proie.
Il n’en avait cure. Il entendait des voix humaines, droit devant. La forêt s’éclaircie puis disparue complètement et avec elle, lions et loups. Lui-même redevint humain alors qu’il franchissait le cercle de pierres qui entourait le campement de voyageurs. Ils étaient une centaine et dansaient sans s’occuper de lui.
Pommier eut peur pour la première fois car quelque chose le guettait. Se frayant un passage parmi les danseurs il aperçu un monstre, son double. Il vit à quel point il était terrifiant. Immense masse de poils noirs avec ses yeux inhumains, froids, sans vie, ses crocs et ses griffes si longues, si longues. Le monstre se retournait contre lui et les autres dansaient en papotant. Il se cacha parmi eux, le cœur battant en rythme avec la musique effrénée.
Le monstre marchait lentement, avec délicatesse, progressant avec la certitude que sa proie ne lui échapperait pas. Seule sa tête immonde dépassait de la masse de chapeaux colorés et de coiffures élaborées. Ses yeux sans pupilles le suivaient sans jamais le quitter. Pommier ne comprenait pas pourquoi personne ne lui prêtait attention. Ils l’ignoraient lui aussi, quand bien même il les bousculait.
Le monstre se rapprochait. Pommier suffoquait. Il savait qu’il ne pourrait s’en sortir, que le monstre le rattraperait quoi qu’il fasse. Et comme il concevait cette pensée, le monstre fut là, juste devant lui. Pommier était tétanisé. Le monstre dévoila ses crocs en une parodie de sourire, lui qui n’avait pas de
joues, puis disparu. Pommier le chercha en vain parmi la foule qui se retirait dans un concert de murmures et de chuchotis.
Bientôt il fut seul. Alors il reprit sa route.
DE LA GLACE ET DES GÉANTS
Le navire évoluait dans les eaux glacées. La mer était d’un bleu foncé, les glaciers autour d’eux, blancs et le navire était gris. Lui avait revêtu un manteau de fourrure noire. Les murs de glace se mouvaient comme un labyrinthe maritime cherchant à les piéger dans son dédale. Il avait conscience des autres gens sur le navire, mais ils ne se montraient pas. Il demeurait à l’avant avec la désagréable impression d’être piégé dans cette mer glacée.
Le paysage était à la fois monotone et foisonnant de diversité. Toutes ces montagnes de glace avaient leurs particularités, leurs formes, leurs fissures, s’effondraient parfois sans raison dans un craquement sonore. Ils semblèrent être parvenus à un cul de sac. Le boulevard de glace s’achevait sur une large banquise, une plage d’eau gelée flanquée de collines blanches.
Non, ce n’étaient pas des collines, s’aperçu bien vite Pommier, s’étaient des tours, des tours fondues, affaissées qui encadraient un mur dégoulinant. On discernait encore ci et là des ouvertures distordues de ce qui avait dû être portes et fenêtres. Ils accostèrent sur ce qui restait de l’Atlantide.
Pommier se promenait parmi les ruines sans se soucier de la glace glissante ni du froid mordant, l’une et l’autre pouvant tout aussi bien ne pas exister. Ce à quoi il ne prêtait pas attention disparaissait de son entendement. Le monde n’existait plus au-delà de ce qu’il voulait bien percevoir.
Ainsi, plutôt que de perdre son temps à divaguer dans les ruines momifiées, se retrouva t-il directement dans ce qu’il voulait être une salle du trône. Le toit avait depuis longtemps fondu, de même que la plupart des murs. Il n’en restait que quatre trônes, deux par deux se faisant face, même si Pommier n’en compta que trois. Il savait qu’il y en avait quatre, mais un manquait. Toujours cette distorsion entre sa perception et la réalité.
Il y avait cependant bel et bien quatre occupants. L’un des trônes en supportaient deux, ce qui devait résoudre le problème de siège disparu. Pommier était écrasé face à leur taille. Il ne pouvait prétendre qu’à être une fourmi à coté d’eux, aussi s’effaça t-il pour les laisser tranquille, car ils se réveillaient.
Comme ils se dégageaient de l’étreinte de leurs fauteuils de pierre, le givre qui les y retenaient emprisonnés se craquela et éclata en morceaux qui plurent comme de la neige alentour. Il y avait ici la reine et son roi osseux, ainsi que deux courtisanes et le médecin royal à qui ils devaient le remède qui les maintenaient en vie. Tiens, voila qu’ils étaient cinq ! Pommier ne put expliquer cette étrangeté et l’instant d’après il ne la remarquait même plus. Autant dire qu’ils avaient toujours été cinq.
Le roi atlante, vieillard maigrelet, squelette ambulant à la couronne démesurée et à la barbe de cristaux, fut le seul à quitter son siège pour déambuler en claudiquant dans la salle sans murs, plafonds ou portes. La reine, petite femme si figée qu’elle disparaissait presque dans le creux de son trône qu’avaient creusés les âges, le couvait d’un regard bienveillant, seule marque de sa vivacité. Le
vieillard s’adressa au médecin, le seul de tous qui avait l’air fort, vigoureux et en bonne santé et dont le visage exprimait une grande noblesse.
__ Il nous faut encore de ton remède pour traverser les temps, dit le roi d’une voix forte.
__ Sire, répondit le médecin en s’inclinant, j’en ai encore assez pour cent milles ans.
Il se baissa et ramassa une mallette de la taille d’une maison qui reposait à ses pieds. Il dû la secouer pour en faire partir la glace. Il l’ouvrit sous les regards de convoitise des quatre autres. Sans qu’il n’ait esquissé le moindre geste, ils se mirent tous à fumer des bulles et à baver de la mousse d’un air béat. Le roi, qui semblait avoir gagné un regain de vigueur, se jucha sur le trône qu’occupaient les deux courtisanes, assez grand pour six. Elles étaient toutes les deux rousses, mais quand l’une était fine et jolie, l’autre était petite et joufflue. C’est donc naturellement que le roi caressa la première et l’embrassa, leurs bouches devenant deux orifices ronds comme des culs de bouteille. La délaissée roucoula d’un plaisir partagé.
Et puis ils se figèrent tous. Pommier n’avait pu les interroger mais il connaissait désormais le chemin. Il hocha la tête en remerciement et retourna au navire.
PIRATES ET CAUCHEMARS
Il faisait désormais assez chaud pour qu’il abandonne son manteau au profit d’une simple chemise de lin. Les cordages claquaient au vent, le bois grinçait, les marins criaient. Le ciel comme la mer était bleu, semblaient ne faire qu’un, un immense globe azur sur les parois duquel on aurait pu naviguer, remonter l’horizon et côtoyer les nuages.
Pommier regarda l’eau en contrebas. Dire qu’ils évoluaient au dessus de milliers de mètres d’eau ! Qu’est ce qui leur permettait réellement de flotter, de ne pas sombrer dans les profondeurs et de continuer leur route en nageant avec les poissons ? Si le ciel et la mer se confondaient ne devaient ils pas pouvoir également nager dans le ciel, voler dans la mer ? Le monde mit sans dessus dessous, oiseaux évoluant avec crustacés et randonneurs équestres parmi les coraux.
C’était à la fois fascinant et inquiétant. Et comme le frisson enveloppait son être, il se senti en danger. Le ciel se voila, et disparue l’harmonie céleste, terrestre et maritime. Il y avait quelque chose au dessus d’eux, quelque chose de très gros. Les vagues s’agitèrent, la mer se creusa, se souleva, se déchaina. Les voiles battirent avec hystérie, manquèrent de s’arracher. Le navire sur lequel il se sentait quelques instants encore en sécurité lui apparut comme une simple coquille de bois laissée à la fureur des éléments.
Etait ce un navire ce qui volait au dessus d’eux ? Un navire gigantesque à la coque de pierre rongée par les coquillages et le corail, des grottes duquel tombait parfois quelque poulpe surpris. Aussi longues que leur mat, une centaine de rames pagayaient dans le vide, essayant de se soustraire à la gravité.
En vain ! Le vaisseau de pierre s’écroula, soulevant des falaises d’eau tout autour de lui. Leur voilier fut emporté, s’éleva par-dessus l’horizon et fut rabattu sur la terre étrangère. Nullement meurtri alors même que son navire venait d’être déchiqueté par l’atterrissage, Pommier se releva et
s’épousseta de la poussière coraline qui l’enveloppait. Des hommes à l’allure peu commode manœuvraient pour l’encercler.
Il les identifia immédiatement comme étant des pirates. Et le chef d’entre eux était juste devant lui. C’était en réalité une femme et elle ressemblait à une poire géante. Un ventre énorme et parfaitement rond que supportaient deux petites jambes aux longs pieds ridicules, un cou difforme large aux épaules et s’évasant comme un entonnoir jusqu’à une petite tête allongée. Ses grosses lèvres rouges formaient un sourire carnassier et ses yeux méchants étaient encadrés par une imposante chevelure rousse bouclée. Elle portait une chemise blanche sans manche et un pantalon court noir, et tenait posée sur son épaule droite une grosse massue en fer.
__ Je m’appelle Grosse Maman, dit-elle avec un rire gras, je suis le pirate la plus redoutée de ces mers et je m’empare de votre navire, graa grah graah.
__ Vous venez de détruire notre navire, fit remarquer posément Pommier.
__ Dans ce cas je m’emparerais de vos vies, graaaah !
Pommier jeta un regard alentour. L’équipage avait disparu, mis à part les pirates il n’y avait plus que lui.
__ Je suis seul.
__ Alors tu vas le regretter.
Elle tendit la main droite vers lui, paume ouverte et dévoila ses dents d’un air méchant. Pommier recula d’un pas en fronçant les sourcils. Avait-il des hallucinations ? L’air devint flou, les formes se contorsionnèrent devant lui. Tout disparu au profit de silhouettes aux couleurs psychédéliques. C’étaient des fantômes fluorescents de créatures qui lui apparurent monstrueuses. Il était entouré de cauchemars ectoplasmiques. Seule la pirate Grosse Maman demeurait humaine avec sa nature intrinsèquement laide de poire difforme. Et elle riait.
Il tourna les talons et s’enfui, poursuivit par ce grognement exaspérant.
Graaah graa graah
UN NAVIRE EN PERDITION ET UNE FRAISE
Il se trouvait sur un navire, longue embarcation pleine de fenêtres carrées, jusque sous la coque, raison pour laquelle il coulait. Il était aussi long qu’un stade olympique et tout de jaune peint. Pas un jaune criard, vif, mais faiblard, décoloré. Tout une ville aux maisons étroites et rectangulaires avait poussée sur le navire, faisant peser une masse que celui-ci ne semblait pas pouvoir supporter. Et comme sa coque était toute trouée, son constructeur ayant manifestement pensé qu’il était d’une bonne idée de mettre des fenêtres sans vitre partout, l’eau s’engouffrait à gros goulots, noyait les compartiments, gagnait les rues rectilignes.
A peine Pommier venait il de peser le pied sur le navire que celui-ci prenait l’eau. C’était une chose bien étrange qu’il l’ait attendu bien sagement pour chavirer. Il se dit que le navire avait dû en réalité être conçu précisément pour couler, sans quoi il n’y aurait eu aucune logique à sa réalisation.
Il sauta de toits en toits, tous plats et rapprochés qu’ils étaient, voyant avec angoisse l’eau dévorer la ville flottante, ou plutôt coulante. Il avisa avec soulagement un pont démesuré qui reliait le navire à une ile à la face ravagée par l’industrie minière. Il devait y avoir une parenté entre le pont et le navire car il était lui aussi percé de milles trous carrés en tout sens et Pommier dû prendre soin à ne pas mettre les pieds dedans par inadvertance, ou il serait tombé dans la mer déchainée.
Le pont faisait bien cent mètres de long mais il parvint à terre rapidement. Quand il jeta un coup d’œil derrière lui, pont et navire avaient disparus, emportés il ne savait où, il ne s’en soucia pas. La falaise était creusée de partout et vomissait des rails, de petits wagonnets attendant parfois sagement leurs mineurs depuis longtemps partis.
Pommier se baissa pour ramasser une frite dans un matériau qu’il ne reconnu pas. De l’argent, du cuivre, de l’or ? Un peu des trois et autre chose sans doute. Il ne savait pas ce que l’on extrayait de cette ile mais on l’avait fait en quantité parce qu’on en avait laissé partout, de ces frites de métal inconnu. Comme si quelqu’un en avait ordonné l’extraction totale sans même avoir réfléchi à quoi en faire, et n’y voyant finalement aucune utilité, en avait abandonné des tonnes.
Il suivit un chemin qui montait à travers la falaise jusqu’à une petite cabane en bois coincée dans les rochers. L’intérieur était constitué d’une seule pièce, une cuisine. Une table en bois occupait le centre et des plans de travails, placards et éviers tout le pourtour. Des fenêtres aux volets bancals perçaient les murs et donnaient sur la plage ou la mer éclatante au soleil.
L’abandon était aussi marqué ici. Des piles d’assiettes salles, des sacs et mêmes des aliments. Sur une impulsion, Pommier alla se laver les mains. Un mince filet d’eau tiède coula de l’évier, comme à contrecœur. Il s’essuya sur une serviette rouge crépues qui trainait et regarda autour de lui. Il y avait un vieux saucisson sur la table. Il s’en saisit, coupa un morceau avec un couteau prit là mais renonça à le manger. Un chat sorti de nulle part vint se frotter à lui en miaulant. Il lui donna un bout de saucisson.
C’est alors qu’il vit dans un autre évier une chose rouge difforme. Il s’en approcha avec appréhension. C’était aussi gros que son poing, tout bosselé, une espèce de tubercule pleine de points noirs dans laquelle il devina tout de même une fraise d’un genre spécial.
Cédant à ses instincts habituels, il fut persuadé qu’elle était délicieuse. Il la prit et mordit une de ses excroissances. Un jus blanc lui coula sur le menton. Il fit une grimace horrible. Non seulement la fraise lui donnait l’impression d’avoir croqué un morceau de farine mais en plus le goût était affreux. Il la reposa avec dégoût.
Il sorti de la cabane et descendit sur la plage. Passant sous une arche de pierre qui enjambait le sable pour plonger dans la mer, l’ombre l’enveloppa et l’obscurité fut sur lui.
UNE FILLE
Il faisait noir. Un bourdonnement sinistre l’avait réveillé. Le bruit que ferait une ponceuse rouillée sur du bois trop dur. Ses paupières se soulevèrent. Il se trouvait dans sa chambre, affalé sur son lit. Son esprit était encore plein de vapeurs brumeuses. Des images confuses d’oiseaux, de monstres, de
géants fumant des bulles et bavant de la mousse, de cauchemars et d’une fraise au goût affreux s’imposèrent à lui. Il les balaya d’un grognement.
Son bras se tendit et il attrapa le galet noir qui reposait à coté de lui, sur sa table de chevet. Il lut le message qui y était affiché.
Célia : Je déteste devoir travailler quand toi tu dors !
Il tapota sur les touches avec une mauvaise humeur feinte.
Pommier : Je dormais, merci à toi de m’avoir réveillé…
Il sourit, reposa son portable et profita encore quelques instants de la chaleur de ses draps. Perdu dans l’image d’une jeune fille aux cheveux blonds, il ne pensa même plus aux rêves de la nuit.
Foudroyant
Foudroyant ! Ça commence avec une explosion. Et tout d’un coup, comme une vague submerge dans mon corps l’émotion. Ah ! Je ne peux y résister – et pourquoi irais-je à l’encontre de cette volonté sublime ? Je cède !
Je ris. J’éclate et propulse de l’air alentour. Je bondis ! Saute d’un meuble à l’autre comme si le sol était maudit. Suspendu à une colonne de bois, je mets ma main droite en visière sur mon front. Je contemple mon royaume. Vigie de mon bateau fantôme, que dis-je, de cette épave croulante, mon regard perce l’horizon – fichtre non ! un mur, deux murs, je suis entouré de remparts de plâtres recouverts de papier peint moisi.
J’avale les marches d’une traite. Où es-tu ? Petit, petit… Ici ? J’ouvre une porte. Dans cette pièce, réunis autour d’une table d’abondance, festoient les morts. Que peuvent-ils bien manger ? Hey, je m’en fiche ! Mais n’était-ce pas un placard ? Comment peut-on mettre autant de monde dans un placard ? Baste, ais- je mon temps à perdre avec ça ? Mince, il est vrai, je l’ai déjà perdu !
Ah ah ! Le tapis fleuri fané me fait penser à une forêt couverte d’humus en décomposition. Jusqu’à ces planches branlantes, grinçantes. Je glisse dans les dalles fendues de la cuisine. Je saisis une miche de pain, l’émiette sur mon chemin. Hé hé, vais-je pouvoir l’appâter ? De quoi se nourri l’amour ?
Je rase les murs. Quel genre de piège dois-je monter pour l’attraper ? N’est-il pas lui-même un piège ? Où es-tu donc, mon petit ectoplasme de rouge coloré ? Quoi, qu’est ce qui bourdonne ? Serait-ce mon cœur qui battouille ? Serais tu en moi, spectre amoureux ? Je déchire promptement ma chemise et en éparpille les lambeaux. Je tape ma poitrine mais vain ! il n’y a rien, quel dépit.
Ah ah, si tu crois pouvoir m’échapper. Ainsi tu veux jouer à cache-cache ? Jouons plutôt à chat perché ! Je grimpe sur une commode et je cherche, je cherche un sens à la vie. Mais y en a-t-il seulement un ? Il y a-t-il un sens à l’écume des vagues se brisant sur les rochers, inlassablement ?
Soudain une ombre. Serait-ce Méphistophélès venant me proposer quelque pacte démoniaque mon âme en échange de la clé qui ouvre toutes les portes ? Mais diable ! mon âme je l’ai déjà égarée, quelque part par là… Un souffle de vent et l’ombre vacille. Ce n’était que la turbulence d’une bougie. Je m’approche d’elle, l’impudente ! je la souffle, elle l’a bien mérité. Je suis le seul à avoir le droit de projeter des illusions dans mon monde.
Un bruit ! Quel craquement sinistre, l’avez-vous entendu ? A glacer le sang. Dans cette baraque patraque, un rien peut devenir effrayant, hé, si vous n’êtes pas aussi fou que moi ! Ah ah ! Cela vient de ce couloir. Des rangées de portraits vides s’alignent. Leurs occupants en ont eu marre et ils se sont tirés dare dare, je les comprends parfaitement.
Je hurle. Je cris, vide mes poumons. L’un d’eux est encore habité, et il bouge pardi ! Mais non, fichtre quelle peur, ce n’est que mon reflet dans un miroir. Suis-je donc vraiment ainsi, me demandes je en me contemplant avec fascination ? Suis-je ce squelette aux côtes émaciées, la peau brunissant sur les os, et au cœur en citrouille ?
Je vous ai eu ! C’est seulement ma démence qui parle, je ne suis qu’un homme parmi d’autres. Je dois me remettre à sa recherche, alors je tombe, satané escalier ! Je roulibotte sur les marches les
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