Balzac et la justice de paix - article ; n°1 ; vol.44, pg 117-140
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1992 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 117-140
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 59
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Michel Lichtlé
Balzac et la justice de paix
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44. pp. 117-140.
Citer ce document / Cite this document :
Lichtlé Michel. Balzac et la justice de paix. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44. pp.
117-140.
doi : 10.3406/caief.1992.1783
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1992_num_44_1_1783BALZAC ET LA JUSTICE DE PAIX
Communication de M. Michel LICHTLÉ
(Sorbonně)
au XLHP Congrès de l'Association, le 23 juillet 1991
Remplacées depuis 1958 par de plats «tribunaux d'ins
tance», les justices de paix n'ont plus aujourd'hui à nos
yeux qu'une existence lapidaire. Fièrement arborée au
fronton de ces multiples temples de Thémis, d'un goût si
caractéristique, qui de nos jours encore constituent l'un
des plus remarquables ornements d'innombrables chefs-
lieux de cantons, la dénomination de justice la paix dési
gnait la présence, au cœur de la France profonde et
jusqu'en ses zones les plus reculées, d'une institution dont
le nom même annonçait un programme: fonder sur la
justice la paix, et aussi, d'autre part, fonder la justice sur
la paix, par substitution au douloureux combat judiciaire
de l'arbitrage, porteur de consensus.
Ce programme, on le devine, était né dans l'esprit des
Constituants, et c'est en effet la loi du 24 août 1790 qui
créa les juges de paix, afin de «juger sommairement,
sans frais et sans ministère d'avoués », écrit Merlin dans
son célèbre Répertoire de jurisprudence (1), «les contes
tations de peu d'importance, celles surtout dont la décision
est plus de fait que de droit ». Il faut, disait Thouret en
(1) 5eme édition, 1826, t. 16, p. 128, article «Juge de paix». 118 MICHEL LICHTLÊ
présentant à l'Assemblée cette nouvelle institution, « que
tout homme de bien, pour peu qu'il ait d'expérience et
d'usage, puisse être juge de paix ]...]. La justice de paix
sera dégagée des formes qui obscurcissent tellement les
procès que le juge le plus expérimenté ne sait pas qui a
tort ou raison» (2). Cette institution fut donc conçue dès
l'origine comme une magistrature à part, qui ne serait
pas exercée par des spécialistes du droit, et dont les
sentences, rendues sur un certain nombre de points très
précis, que précisait la loi, seraient fondées sur la simple
équité. Aussi, plus que les autres, les juges de paix avaient-
ils, selon le législateur, vocation à être élus, leur magis
trature tenant essentiellement à la confiance personnelle
qu'ils inspireraient à leurs concitoyens (3).
La même loi du 24 août 1790 les érigeait en outre en
conciliateurs des différends dont le jugement était réservé
aux tribunaux civils ordinaires. « A l'époque de la loi qui
créait les justices de paix », note sous la Restauration un
analyste des institutions judiciaires, « la Révolution, sous
plus d'un rapport, ne faisait que commencer, et tâchait
de réaliser ces idées vagues et romanesques de fraternité
entre tous les citoyens [...]. Le projet de prévenir des
procès ruineux et surtout destructifs de cette alliance
étroite qui devait unir les membres de la grande famille
ne pouvait manquer de frapper les esprits [...]. On résolut
d'établir des magistrats rapprochés des parties, connaissant
de près les citoyens, au fait de leurs relations, du sujet de
leurs disputes, des animosités qui les portaient à invoquer
la justice [...]; des magistrats qui, éclairant les parties
sur leurs véritables intérêts, usant de leur crédit auprès
des uns, de leur influence auprès des autres, pourraient
ramener à des voies de douceur ceux qui, sans cette
(2) Cité ibid., p. 129.
(3) Voir à ce sujet G.L.J. Carré, Les Lois de l'organisation et de la compét
ence des jurisdictions civiles, Paris, Béchet, 1826, t. 2. p. 274. BALZAC ET LA JUSTICE DE PAIX 1 1 9
intervention, auraient eu à soutenir des procès intermi
nables [...] » (4). C'est en termes lyriques que fut donc
exaltée à l'Assemblée la noble mission des juges de paix :
«Représentez-vous», s'écria un député, «un magistrat
qui ne pense, qui n'existe que pour ses concitoyens. Les
mineurs, les absents, les interdits sont l'objet particulier
de ses sollicitudes ; c'est un père au milieu de ses enfants.
Il dit un mot, et les injustices se réparent, les divisions
s'éteignent, les plaintes cessent ; ses soins constants assu
rent le bonheur de tous : voilà le Juge de Paix » (5).
D'autres lois ensuite élargirent les attributions de ces
nouveaux juges : celle du 16 septembre 1791 sur la pro
cédure criminelle les investit des fonctions d'officier de
police; le Code du 3 brumaire an IV les appelle à la
présidence des tribunaux de police qui connaissent des
délits mineurs (6). Et l'on saisit ici une troisième spécificité
des justices de paix : non seulement elles se distinguent
par leur proximité du justiciable, non seulement elles
conseillent autant qu'elles jugent, mais en outre elles réu
nissent en elles des pouvoirs judiciaires de natures fort
différentes : « Ce qui a fait la grandeur de la création des
justices de paix», déclare à la Chambre un député en
1837, «ce n'est pas d'avoir donné aux contestations de
peu de valeur un juge rapproché des justiciables et une
procédure expéditive et peu dispendieuse [...]. La grandeur
consiste à avoir attribué au même homme le jugement
des petits procès et la conciliation des plus grands; à
avoir placé sous sa main la tutelle des intérêts de famille ;
à avoir concentré sur un magistrat placé à la portée de
tous, et à chacun des points du territoire, l'universalité
des attributions qui constituent ce que l'on peut appeler
la justice élémentaire, rendue inséparable du maintien de
(4) Meyer, Institutions judiciaires, cité par G.L.J., Carré, op. cit, p. 268.
(5) Cité dans Merlin, op. cit., p. 129-130.
(6) Voir Merlin, p. 128-129. 120 MICHEL LICHTLÊ
l'esprit de famille et de la pacification de tous les intérêts.
Voilà la grande et belle part de l'Assemblée constituante
dans l'institution des juges de paix » (7).
La plupart des institutions judiciaires créées par la
Constituante furent ensuite profondément bouleversées.
Il est d'autant plus remarquable que celle des justices de
paix ait survécu. Nombreuses sans doute furent les mod
ifications qui la transformèrent au fil des ans, et plus
nombreux encore les projets de réforme qu'elles inspirè
rent (8). L'institution elle-même, cependant, ne fut guère
contestée : elle s'était imposée à l'opinion, et Balzac, i
ncontestablement, partagea l'attachement de ses contem
porains à ce qu'il appelle dans Ursule Mirouët une « im
portante magistrature » (9) - « si précieuse au pays », pré-
cise-t-il dans Les Paysans (10).
Il n'y a pas lieu de s'étonner dès lors que les juges de
paix soient nombreux dans La Comédie humaine, et
présents d'ailleurs dès les œuvres balzaciennes de jeunesse.
Sans doute cette présence reste-t-elle en quelque sorte
seconde : si tout le monde se souvient des conversations
du Médecin de campagne ou du Curé de village dans
lesquelles Balzac développe des thèses qui lui sont chères
en les attribuant à des juges de paix, il est clair que ces
juges ne sont nullement des protagonistes de ces récits,
et même le juge Bongrand, qui fait tant pour l'orpheline,
n'est pas le héros ďUrsule Mirouët. Mais ne pourrait-on
en dire autant des notaires, si présents pourtant dans La
Comédie humaine ? Cette lacune au demeurant, aux yeux
(7) Rapport fait par M. Renouard à la Chambre des députés le 29 mars
1837, publié dans Commentaires de la loi du 25 mai 1838 sur les justices de
paix par M. L. Giraudeau, avocat, Rédacteur en chef du Répertoire et des
Annales de la science des juges de paix, Paris, s.d., (1838), p. 8.
(8) Voir G.L.J. Carré op. cit., p. 265.
(9) Pléiade, t. III, p. 796. Les références à La Comédie humaine renvoient à
l'édition

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