Etude Rusin
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_____________________________________________________ N° 9 Janvier 2007 Pologne « libérale » versus Pologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers l’économie de marché Philippe RUSIN Philippe RUSIN Études du Pologne « libérale » versus Pologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers l’économie de marché Philippe RUSIN Les analyses développées dans les Études du CEFRES engagent la seule responsabilité de leur auteur. © CEFRES 2007 Etudes du CEFRES N° 9 « Il [le libéralisme] en vint à être considéré comme un dogme « négatif » parce qu’il ne pouvait offrir aux individus guère plus qu’une part du progrès commun, progrès qu’on trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libéralisme devint la cause de son déclin. Le succès déjà atteint rendit l’homme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore existants, qui apparurent à la fois insupportables et 1inutiles » (Hayek, 2005, p. 21) . Pologne « libérale » versus Pologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers l’économie de marché Philippe Rusin Maître de conférences en sciences économiques à l’Université Paris-VIII, en délégation CNRS auprès du CEFRES La transition de la Pologne vers l’économie de marché est généralement considérée ...

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  _____________________________________________________   N° 9 Janvier 2007     
 
 Pologne « libérale »usrsvePologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers léconomie de marché   Philippe RUSIN
 
 
 
         Pologne « libérale »rsveusPologne « solidaire »
Les deux facettes de la transition
vers léconomie de marché
Philippe RUSIN
  
 
 
  
 
 
 
 
  
  
  
 
 
 
 
  
  
  
 
 
 
 
 Les analyses développées dans lesÉtudes du CEFRESengagent la seule responsabilité de
leur auteur.
 
© CEFRES 2007
 
 
Etudes du CEFRES N° 9
« Il [le libéralisme] en vint à être considéré comme un dogme « négatif » parce quil ne pouvait offrir aux individus guère plus quune part du progrès commun, progrès quon trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libéralisme devint la cause de son déclin. Le succès déjà atteint rendit lhomme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore existants, qui apparurent à la fois insupportables et inutiles » (Hayek, 2005, p. 21)1.
   Pologne « libérale »versusPologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers léconomie de marché Philippe Rusin Maître de conférences en sciences économiques à lUniversité Paris-VIII, en délégation CNRS auprès du CEFRES La transition de la Pologne vers léconomie de marché est généralement considérée comme lune des expériences les mieux réussies de la région. De fait, la Pologne affiche des performances nettement supérieures aux autres pays en transition en matière de croissance économique sur les quinze dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous. Certes, la rupture avec le système socialiste sest traduite, là comme partout ailleurs, par une profonde récession : le PIB a chuté de 18% en termes cumulés sur la période 1990-1991. Mais cest le pays où la récession a été la plus courte – la reprise étant amorcée dès le deuxième trimestre de 1992. Cest aussi le premier à avoir retrouvé (en 1996) son niveau de PIB de 1989. Cest finalement le pays dont le PIB a le plus progressé (+ 47%) en termes cumulés en 2005 par rapport à son niveau davant la transition. Cette croissance est encore plus impressionnante (+ 78%) si lon prend comme référence le niveau plancher atteint par le PIB en 1991, même si la Pologne est encore loin davoir rattrapé le niveau de vie moyen européen (selon Eurostat son PIB par habitant exprimé en standards de pouvoir dachat sélève à 50% de la moyenne de lUnion européenne élargie en 2005).
                                                 1 et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie située à la fin de létude.Les noms  
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LT
BG
Etudes du CEFRES N° 9
HU EER
CZ
Comparaison des taux de croissance du PIB des PECO et des Etats baltes (base 100 en 1989) 150 Pologne (PL) Slovénie (SI)PL 140 Hongrie (HU) Slovaquie (SK) 130Estonie (EE) République tchèque (CZ) Roumanie (RO)SI Lettonie (LV) 120Lituanie (LT) Bulgarie (BG) 110 100 90 80 70 LV 60 50 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Sources : Commission économique des Nations-Unies pour l'Europe, Economic Survey of Europe, 2003 N°2, Appendix Table B.1, p. 112 et 2005 N°2, Appendix Table A.1, p. 59. Données actualisées sur la base des statistiques nationales.  Ces performances sont dautant plus remarquables que le socialisme réel a laissé le pays dans une situation catastrophique sur le plan économique : à la fin de lannée 1989, les finances publiques enregistrent un déficit de 8% par rapport au PIB, tandis que le pays connaît de profonds déséquilibres sur le marché intérieur qui se traduisent par une forte poussée inflationniste (250%), alimentée par lindexation à 80% des salaires obtenue lors des négociations de la « Table ronde ». La pénurie générale de biens est aggravée par la priorité donnée aux exportations pour servir la dette extérieure, qui sélève à 38 milliards de dollars. Façonné selon les dogmes socialistes, lappareil de production polonais est alors dominé par 8 500 conglomérats dEtat – produisant plus de 70% du PIB – qui emploient une main-dœuvre pléthorique, perçoivent des subventions massives et utilisent une technologie obsolète. La Pologne est enfin spécialisée dans les secteurs de lindustrie lourde (mines, sidérurgie, chantiers navals, etc.) – tous en déclin à lOuest – et lagriculture. La défiance de la population à légard de la situation générale du pays se manifeste alors par une très forte dollarisation de léconomie : à la fin de lannée 1989, la composante en devises de la masse monétaire totale dépassait 70% ! Lobjet de cette étude est dinterroger les facteurs à lorigine du nouveau visage de la Pologne, et de les remettre en perspective au regard des débats académiques qui ont éclairé la transition, notamment sur la stratégie des réformes. En la matière, limage de la Pologne, particulièrement à létranger, reste indéfectiblement rattachée à la « thérapie de choc » et à son promoteur, Leszek Balcerowicz, alors ministre des Finances. Mise en œuvre à partir du 1erjanvier 1990, avec lappui financier du Fonds monétaire international (FMI), cette politique repose sur une très forte libéralisation des prix et du commerce extérieur, une réduction drastique des subventions accordées aux entreprises dEtat et leur privatisation
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rapide. Pour stabiliser léconomie, un ancrage nominal du taux de change du złoty sur le dollar est mis en place – à un niveau fortement dévalué, aligné sur le cours du marché noir. Il sagit de rompre avec la planification centralisée et précipiter en quelques mois le pays dans le marché. On relèvera toutefois la position polémique défendue par Stiglitz2, qui voit au contraire en la Pologne un exemple de transition dite « gradualiste » : « La Pologne est le pays dEurope de lEst qui a le mieux réussi. (…) La Pologne a commencé par une « thérapie de choc » pour ramener lhyperinflation à des niveaux plus modérés, et, en raison de son recours initial et limité à cette politique, beaucoup simaginent que sa transition est du type « thérapie de choc ». Mais cest entièrement faux. La Pologne a vite compris que la thérapie de choc était adaptée pour abattre lhyperinflation mais pas pour changer la société. Elle a suivi une politique de privatisation gradualiste, édifiant en même temps les institutions de base dune économie de marché » (Stiglitz, 2002, pp. 237-238). Manifestement, Stiglitz minimise les résultats de la thérapie de choc en les réduisant à la désinflation, alors que le plan Balcerowicz a par-dessus tout produit un changement radical de lenvironnement économique. Certes, la thérapie de choc a été assouplie seize mois après son lancement, mais cette période – qualifiée dextraordinary politics par Balcerowicz (1995, p. 311) lui-même – a été suffisamment longue pour assoir la crédibilité des réformes et convaincre les agents économiques de leur caractère irréversible. Dès lors, ces derniers ont été contraints de sadapter aux nouvelles règles du jeu. En outre, nous verrons quil est erroné dimputer les performances économiques de la Pologne à une « politique de privatisation gradualiste ». Dailleurs, le « gradualisme » décrit par Stiglitz ne peut objectivement pas être considéré comme un choix stratégique délibéré des réformateurs polonais ; cest davantage un constat que lon peut dresser a posteriori, mais qui va à lencontre des desseins revendiqués par les gouvernements polonais successifs. En réalité, il sagit dun euphémisme qui masque la lenteur dun processus soumis à des contraintes à la fois politiques, économiques et sociales. Le choix des réformateurs en Pologne, comme dans la quasi-totalité des pays en transition, était de privatiser le plus vite possible les entreprises dEtat, en employant des méthodes là encore radicales. Nous verrons effectivement que la transition de la Pologne à léconomie de marché a réservé bien des surprises par rapport à lidée que les réformateurs sen faisaient en 1989. Les succès ne sont pas là où on les attendait… Pour sen convaincre, il suffit de se référer au débat sur les stratégies de privatisation au début des années quatre-vingt-dix, et de voir la lenteur avec laquelle les institutions internationales (la Banque mondiale, en particulier) ont révisé leurs recommandations sur les réformes à suivre.
                                                 2de son poste de chef économiste à laJoseph Stiglitz (prix Nobel déconomie) a démissionné avec fracas Banque mondiale en novembre 1999. Il est devenu, par la publication de son pamphlet contre les politiques préconisées par les institutions de Bretton Woods (Stiglitz, 2002), la caution académique du courant altermondialiste. 
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QUELLE STRATEGIE DE PRIVATISATION? En schématisant, deux approches théoriques se sont opposées : dun côté, une approche évolutionniste sen remettait à la création dentreprises quiex nihilo à leur et développement3pour mener à bien la privatisation de léconomie4. Et de lautre, une approcheradicaleque la privatisation des entreprises dEtat était un qui considérait préalable à lémergence du nouveau secteur privé ; en conséquence, cette dernière approche plaidait en faveur dune accélération de ces privatisations, notamment sous la forme dune distribution gratuite des droits de propriété des entreprises dEtat à la population. Nous commençons par présenter une synthèse des argumentaires croisés de ces deux approches. Étant donnée labondance de la littérature sur la r quelques auteurs parmi les plus influents dans leps ivdaétbiastast ioacn,a dnéomuis qnuoeus5 todtnl e , analyse ssemmoil sétim à s par rapport au courant auquel nous les avons rattachés, est apparue comme la plus représentative. Lapproche évolutionniste de la privatisation : « la stratégie du développement organique »6du nouveau secteur privé Lapproche évolutionniste, essentiellement défendue par Kornai, met en avant la dimension qualitative de la privatisation de léconomie7. Dans cette logique, elle rejette toute stratégie qui consisterait à accélérer « artificiellement » la privatisation des entreprises dEtat : selon Kornai, la distribution des droits de propriété à la population impliquerait leur transfert formel », mais nassurerait pas lémergence dun « gouvernement dentreprise efficace au sein des entreprises dEtat. En se référant à lhistoire du capitalisme, Kornai (1990, p. 50) affirme que seuls les entrepreneurs de « chair et de sang » qui composent le nouveau secteur privé – étant guidés par de bonnes incitations – sont en mesure de mener à bien la privatisation de léconomie : « Les entrepreneurs sont les principaux artisans du développement du système capitaliste ; ils constituent les agents les plus intelligents et les plus chanceux pour accumuler – soit rapidement, soit à travers des générations successives – le capital. (…) Leurs entreprises pénètrent et se retirent des marchés ; certaines survivent, tandis                                                  3suite de notre analyse en employant lexpressionPhénomène auquel nous ferons référence dans la  « nouveau secteur privé ». 4pour désigner laugmentation de la part du »  privatisation de léconomieNous utiliserons lexpression « secteur privé dans la création de richesse (le PIB) ; et nous adopterons lexpression « privatisation des entreprises dEtat » pour désigner le seul transfert dactifs qui appartenaient à lEtat vers des agents privés. 5Ces auteurs ont pour la plupart été employés comme conseillers auprès des différents gouvernements des pays en transition pour les aider à déterminer leur politique de privatisation. 6Kornai, (2000, p. 265). 7János Kornai est lun des grands économistes hongrois contemporains. Auteur dun livre de référence qui analyse finement le fonctionnement de lancien système socialiste (Kornai, 1984), il a joué un rôle de tout premier plan dans les débats académiques autour de la transition, notamment à travers la publication dun ouvrage en 1990 dans lequel il expose sa stratégie des réformes (Kornai,1990).
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Etudes du CEFRES N° 9  que dautres disparaissent. Il y a ceux qui natteignent que le stade du petit commerce, ou dune modeste PME, mais il y a aussi ceux dont lentreprise se développe au point de devenir une multinationale » (Kornai, 1990, pp. 73-74). En outre, selon Kornai (1990, p. 50), lexpansion du nouveau secteur privé doit conduire à un processus de stratification sociale à travers lémergence des petits entrepreneurs, qui sont appelés à constituer le cœur de la classe moyenne naissante, qui sera à même de consolider lassise démocratique du capitalisme. Cette condition est là encore incompatible avec lapproche radicale de la privatisation : « Le développement du secteur privé se fait étape par étape. Il est impossible dinstituer la propriété privée par une attaque de cavalerie. Lembourgeoisement est un processus historique long » (Kornai, 1990, p. 54). A lextrême, Kornai (1995, pp. 52-53) va même jusquà défendre lidée que la privatisation au sens strict nest pas indispensable : si dune part le nouveau secteur privé se développe rapidement, et dautre part le secteur public stagne, alors le différentiel de taux de croissance qui en résulte entraînera la privatisation de léconomie sans quil soit nécessaire de recourir à la privatisation des entreprises dEtat. Pour autant, conscient du poids initial dominant de lancien secteur dEtat, Kornai insiste sur la nécessité de limiter son pouvoir de nuisance en durcissant autant que possible la contrainte budgétaire qui pèse sur les entreprises dEtat8. Kornai résume ainsi sa pensée dans la conclusion de son premier chapitre consacré à la propriété : « A mon avis, nous allons devoir compter durant les deux prochaines décennies avec léconomiedualequi a émergé en Hongrie au cours des dix ou vingt dernières années – dans ses deux composantes : le secteur dEtat dune part, et le secteur privé dautre part. Pour commencer, le poids du secteur dEtat ne pourra être réduit que graduellement, et nous devrions nous efforcer de le rendre plus efficace, mais nous ne devons pas pour autant entretenir de vains espoirs. Il nexiste pas de remède miracle susceptible de le transformer en un espace dentreprenariat véritable. Que cela nous plaise ou non, le secteur dEtat conservera de nombreux handicaps. Cest pourquoi nous devrions nous efforcer de minimiser ces aspects négatifs à travers une discipline financière stricte et un contrôle parlementaire adéquat, tout en essayant dempêcher le secteur dEtat daccaparer trop de ressources au détriment du secteur privé » (Kornai, 1990, p. 101).
                                                 8Notons à ce propos que, fort de ses précédents travaux sur la firme socialiste (Kornai, 1984), Kornai doute de la possibilité de durcir effectivement cette contrainte : « Tant que le secteur dEtat restera le secteur dominant de léconomie nationale, les entreprises – du fait de leur mode de fonctionnement – ne seront jamais soumises à une contrainte budgétaire dure. Il est temps dabandonner lespoir que la contrainte budgétaire peut être durcie » (Kornai, 1990, p. 62).
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Lapproche radicale de la privatisation : « leuthanasie économique » de la propriété dEtat9 Lapproche radicale partage lanalyse de Kornai selon laquelle cest la création dentreprises ex nihiloqui constitueen théoriela voie la plus efficace de privatisation au sens large de léconomie : « Le nouveau secteur privé est constitué de petites entreprises qui sont directement gérées par leurs propriétaires et sont mues par un système dincitations efficace, tandis que les entreprises privatisées pâtissent des problèmes posés par un gouvernement dentreprise faible (…). En outre, les entreprises privées crééesex nihilo pas nont hérité des problèmes structurels et culturels des anciennes entreprises dEtat privatisées » (Balcerowicz, 1995, p. 194). Maisen pratique, lapproche radicale estime que lémergence du nouveau secteur privé se heurte à trop dobstacles pour apparaître comme une stratégie crédible à même de gouverner les politiques publiques de privatisation. Le principal obstacle, cest bien sûr la lenteur de ce processus, compte tenu du poids initial prépondérant occupé par les entreprises dEtat, à la fois dans la création de richesse et dans lemploi – compris entre 70 et 100% selon les pays en transition : « Certains experts estiment que la taille du secteur privé reste trop faible pour quil puisse se développer spontanément et, donc, modifier fondamentalement le contexte dans lequel évoluent les entreprises. Cette évolution « naturelle » serait trop lente pour être efficace » (Grosfeld, 1990, p. 151). En outre, à la lumière des toutes premières années de la transition, et en se focalisant sur la percée la plus évidente du nouveau secteur privé dans les services, les partisans de lapproche radicale tirent la conclusion suivante : essentiellement constitué de très petites entreprises, faiblement dotées en capital, le nouveau secteur privé est incapable de pénétrer les branches de lindustrie manufacturière – étant donnée lexistence de barrières technologiques et financières à lentrée – et donc den assurer la restructuration : « Le fait que léconomie polonaise avait besoin de développer les secteurs du commerce, des services et de la construction nest pas en question. En revanche, étant donnée la très faible avancée de la restructuration des entreprises dEtat dans lindustrie manufacturière, on peut se demander dans quelle mesure la croissance du [nouveau] secteur privé est capable de se substituer à la restructuration des entreprises dEtat. Kornai a depuis longtemps défendu lidée que seul le nouveau secteur privé – et non lancien secteur dEtat – peut être considéré comme le moteur de la croissance en Europe de lEst. Mais la réalité montre que lentrée de nouvelles entreprises privées dans lindustrie manufacturière ne peut clairement pas, dans un proche avenir, remplacer la transformation des entreprises dEtat existantes. Lindustrie manufacturière moderne requiert une taille critique et un niveau technologique trop importants pour être mise sur pied rapidement à partir de la création dentreprisesex nihilo (Blanchard et – surtout avec un apport limité en capitaux étrangers » Dbrowski, 1993, pp. 132-133).
                                                 9Lewandowski et Szomburg (1989, p. 261).
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De même, Johnson sinterroge : « Même dans les pays où il est relativement fort, le secteur privé peut-il constituer le socle dune économie industrielle moderne ? » (Johnson, 1994, p. 245). Nivet dresse un constat similaire et tire la conclusion qui en découle : « Le degré de sophistication et la taille nécessaires à la viabilité dune entreprise industrielle rendent complexe sa créationex nihilo. (…) La grande privatisation, cest-à-dire celle des entreprises dEtat, nen paraît donc que plus essentielle » (Nivet, 1994, p. 124). Cest pourquoi il faut faire en sorte que le secteur privé, dans son ensemble, atteigne rapidement une « masse critique » qui permette de basculer du système économique socialiste à léconomie de marché : « La privatisation des entreprises dEtat reste lélément clé de la stratégie de transformation. Cette dernière ne saurait en effet se limiter au développement progressif du secteur privé grâce à « lentrée libre » de nouvelles entreprises. Une telle stratégie pourrait mettre en péril le processus fragile de transition. La coexistence pendant une longue période de petites firmes actives et dun secteur public important et inefficace nest pas une option politiquement viable. Elle ne permettrait pas non plus à léconomie toute entière de bénéficier du dynamisme du secteur privé : on peut supposer en effet quen dessous dune certaine « masse critique » de lactivité privée, la routine et le comportement « opportuniste » du secteur dEtat dominant ne pourront être surmontés » (Grosfeld et Nivet, 1992, pp. 228-229). Concrètement, la persistance du poids économique dominant de la propriété dEtat représente un environnement économique hostile de nature à entraver lémergence lente du nouveau secteur privé, et menace ainsi de bloquer lavancement des réformes : « Leffacement naturel de la propriété dEtat est un processus trop lent, qui risquerait de contaminer lensemble de lenvironnement économique » (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 261). « Le scénario le plus probable verrait la poursuite ou le retour de la politisation des entreprises dEtat et de leurs pertes financières. Ces pertes risquent dabsorber lépargne nationale et en conséquence, un vaste secteur dEtat tendrait à évincer le développement du secteur privé. A lextrême, la croissance du secteur privé pourrait stopper et le pays serait pris dans un équilibre très inefficace avec un vaste secteur dEtat gaspilleur » (Balcerowicz, 1995, p. 197). Dès lors, la rapidité de la privatisation au sens large devient un enjeu majeur – voire une conditionsine qua nondu succès – de la transition : « La Pologne devra satteler de façon aussi radicale et rapide que possible à la privatisation pour parvenir avant la fin de la décennie à une structure de propriété comparable à celle des économies occidentales » (Sachs, 1993, p. 18). « Une course contre la montre est engagée pour mettre un point final à la transformation de la propriété dEtat en propriété privée. Si cette étape est trop longtemps retardée, les bonnes performances macroéconomiques acquises par la Pologne à ce jour risquent dêtre remises en cause » (ibid., p. 80).
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En conséquence, la propriété dEtat doit disparaître : lapproche radicale est partisane de « leuthanasie économique » de la propriété dEtat (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 261). Or, de quels moyens disposent les pouvoirs publics pour accélérer la privatisation de léconomie ? Pour le développement du nouveau secteur privé, laction de lEtat sest limitée à des mesures de libéralisation favorables à la création dentreprisesex nihilo qui ont été votées et mises en place dès le début de la transition. Pour la privatisation des entreprises dEtat, lexpérience britannique menée au cours des années quatre-vingt par Margaret Thatcher montre quelle risque de sétaler sur plusieurs décennies si elle se limite aux techniques standard de transfert des actifs publics vers la sphère privée10. En conséquence, lapproche radicale défend lidée que le seul levier qui reste à la disposition des gouvernements des pays en transition pour accélérer la privatisation de léconomie, cest le recours à des méthodes non standard de privatisation, dont lobjectif est le suivant : « Le cœur de notre proposition est un transfert réel et radical des droits de propriété de  lEtat vers les citoyens » (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 263). « Il est nécessaire de faire un pas radical en mettant en place un nouvel ordre institutionnel et organisationnel. Cest seulement à ce stade quun processus évolutionniste pourra réellement samorcer » (Grosfeld, 1994, p. 61). Ces méthodes se voulaient ainsi « une réponse pragmatique aux obstacles réels rencontrés par le processus de privatisation » (Grosfeld, 1994, p. 58). Les deux principales approches que nous venons de présenter divergent donc assez nettement sur les modalités de la privatisation de léconomie. Il était important de rappeler leurs positions et leurs arguments respectifs, car ce débat académique ne sest pas limité au seul niveau théorique, mais a très directement débouché sur des recommandations concrètes en matière de politique économique et a finalement très largement orienté les stratégies nationales de privatisation à lEst. A cet égard, lapproche radicale a été fortement relayée par les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale) auprès des gouvernements de la région. De sorte que des programmes non standard de privatisation ont été mis en place dans pratiquement toutes les économies en transition11des droits de propriété à la population a pris. En Pologne, cette distribution le nom de « programme de privatisation de masse ».
                                                 10Vente de gré-à-gré à un investisseur stratégique étranger, introduction en bourse sous la forme dune offre publique de vente (OPV), reprise par les salariés, etc. 11Pour une liste exhaustive, voir Liebermanet al.p. 13). Seules la Hongrie et lEstonie ont tabl. 2,  (1997, délaissé ce type de schéma en privilégiant la vente directe de leurs entreprises dEtat à des investisseurs étrangers.
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