Fusion des régions : tribune de Patrick Weiten
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LE PRESIDENT La part des anges « Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt » S'il fallait expliquer la réforme territoriale à ses enfants - après tout ce seront les premiers concernés -, c'est à partir de ce proverbe que l'on pourrait résumer le débat qui agite en ce moment la société (politique) française. Dans le rôle du sage, le Président de la République française, initiateur de la réforme et gardien des institutions, et son Premier ministre, chargé de la mettre en œuvre selon une méthode qui s'apparente à de la marche forcée, arguant du fait qu'il n'est pas possible, dans la société de l'immédiateté (tant décriée en général), de réformer en douceur et en "laissant du temps au temps" (une expression qui a fait florès chez les admirateurs d'hier devenus les contempteurs d'aujourd'hui). La Lune La lune dont il est question pourrait être qualifiée de "vieille lune" tant elle fait débat depuis que le peuple souverain a pris sa destinée en main au moment de la révolution française : l'organisation des différents échelons de la République est au cœur de cet héritage qui a fait de la France une vraie Nation. Le sujet est d'importance pour le citoyen puisqu'il concerne le cœur même de tout système politique, en l'occurrence la répartition du pouvoir et la dialectique rhétorique qu'elle impose.

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Publié le 21 août 2014
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Langue Français

Extrait

LE PRESIDENT La part des anges « Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt » S'il fallait expliquer la réforme territoriale à ses enfants - après tout ce seront les premiers concernés -, c'est à partir de ce proverbe que l'on pourrait résumer le débat qui agite en ce moment la société (politique) française. Dans le rôle du sage, le Président de la République française, initiateur de la réforme et gardien des institutions, et son Premier ministre, chargé de la mettre en œuvre selon une méthode qui s'apparente à de la marche forcée, arguant du fait qu'il n'est pas possible, dans la société de l'immédiateté (tant décriée en général), de réformer en douceur et en "laissant du temps au temps" (une expression qui a fait florès chez les admirateurs d'hier devenus les contempteurs d'aujourd'hui). La LuneLa lunedont il est question pourrait être qualifiée de "vieille lune" tant elle fait débat depuis que le peuple souverain a pris sa destinée en main au moment de la révolution française : l'organisation des différents échelons de la République est au cœur de cet héritage qui a fait de la France une vraie Nation. Le sujet est d'importance pour le citoyen puisqu'il concerne le cœur même de tout système politique, en l'occurrence la répartition du pouvoir et la dialectique rhétorique qu'elle impose. L'IdiotDans le rôle del'idiot(ou plutôt des nombreux idiots), celui qui ne veut pas de cette réforme, celui qui n'a pas compris quels étaient les enjeux d'une prétendue modernité, celui qui veut que rien de change jamais (très vite accusé de conservatisme), celui que l'on taxe de vouloir protéger coûte que coûte son petit pré carré : l'élu local, stigmatisé par le pouvoir central et la technocratie agissante et croqué de manière caricaturale sous l'image d'un petit potentat qui n'aurait pas perçu la dimension des débats tant il aurait l'œil rivé sur la gestion de sa carrièrecar non content de ne pas tout comprendre, il est accusé de s'accrocher à ses émoluments et prébendes. Le DoigtDans ce proverbe en forme de scénario d'action, ce que l'on oublie peut être un peu vite c'est l'importance...du doigt. Il est bien plus essentiel que la lune si l'on veut comprendre quelles sont les logiques à l'œuvre. Il est assurément salutaire de voir différemment et poser quelques questions essentielles qui remettront peut être en cause de manière innovante la (les) prémisse(s) d'un raisonnement imposé par une forme d'habitude de penser qui remonte historiquement à la traditionnelle opposition entre les jacobins et les girondins et qui continue indéniablement à formater les systèmes de pensée. Car on ne laisse guère le choix dans la confrontation des points de vue tant la réflexion nationale est cadenassée, tant l'on cherche à contraindre l'élévation de la pensée par l'enfermement dans les postures manichéennes. Il y aurait d'un côté les partisans de la réforme qui s'inscriraient dans le mouvement et de l'autre ses détracteurs qui ne seraient que d'épouvantables conservateurs. La sempiternelle querelle des anciens et des modernes revisitée à la sauce de la science politique et administrative. Enfermer dans des postures pour justifier des impostures intellectuelles est une méthode certes éculée mais toujours aussi efficace.
Il faut le dire sans ambages : le projet proposé à la représentation nationale ne constitue pas juste une réforme de grande ampleur de nos institutions ; il constitue un point d'arrêt définitif à la décentralisation telle qu'elle avait été pensée et portée sur les fonds baptismaux par Gaston Defferre avec la célèbre loi du 2 mars 1982 et la noria de lois et règlements d'application qui s'en sont suivis. Une décentralisation si souvent discutée, voire attaquée à de nombreuses reprises, par les jacobins de droite et de gauche dès les années 90 lorsqu'il s'est agi de favoriser le développement des intercommunalités, sonnant ainsi, de manière insidieuse mais ô combien redoutable, la première étape de ce qui ne manquerait de sonner 20 ans plus tard le glas des communes. En incitant à l'époque, avec la carotte des dotations de l'Etat et le bâton des règles et des normesdraconiennes, au regroupement intercommunal, se profilait sinon unerecentralisation rampante, tout au moins un premier éloignement entre le citoyen et ses élus. Un éloignement accru d'une part par des transferts de compétences aux intercommunalités menant tout droit à la déresponsabilisation municipale (je ne peux régler le problème concret d'un citoyen car ce n'est pas de ma compétence) et, d'autre part, par la mise sous tutelle financière de fait des collectivités territoriales par l'Etat. C'est donc une nouvelle société, un nouveau modèle de société, qu'on cherche à nous imposer sous le double prétexte fallacieux d'urgence et d'efficacité. L'urgence empêche de voir différemment ce qui est donné comme acquis et évite de se poser logiquement d'autres questions. Car que se passerait-il si l'on se posait d'autres questions ? La rhétorique du plus gros qui mange le plus petit n'est pas toujours vraie ; même dans la nature, le plus fort ne sort pas toujours vainqueur de son affrontement avec le plus faible. Et le credo en vigueur qui est de dire : de plus grandes régions produiront de plus grandes politiques n'est qu'un leurre, car pourquoi dès lors ne pas supprimer les 22 régions ? Et dire pour cela qu'un État seul suffit. Il sera grand, très grand, très puissant et non dispersé. C'est d'ailleurs peut être là l'aboutissement d'une logique que d'aucuns voudront peut-être embrasser un jour... La question qui prévaut, on l'aura compris depuis toutes ces années où l'on s'est évertué à implanter dans les esprits des Français l'idée selon laquelle le "millefeuille administratif" constituait une faiblesse, est celle des échelons à maintenir ou à détruire. La mise en accusation du département est-elle de ce point de vue fondée? La réalité du terrain repose sur un seul état : la cohésion territoriale autour de laquelle s'articulent trois échelons, régional, local et intermédiaire. Dès lors, vouloir à tout prix créer des métropoles, des super structures, sans considérer cet équilibre, c'est très rapidement basculer dans l'immobilisme le plus complet, rallonger des délais aux décisions, aux interventions, à la mise en place effective et efficiente des politiques relevant des compétences allouées aux nouvelles régions. Signalons par ailleurs que les études menées aux USA et dans le Nord Américain prouvent l'échec de ces grandes mégalopoles ayant fusionné. Échec sur le plan des économies et sur le plan sociétal. Légitimer la réforme avec des promesses d'économies et de réduction du millefeuille est un miroir aux alouettes. Plus une administration gagne en volume, plus elle perd en réactivité. C'est une vérité indiscutable qu'il faut néanmoins rappeler à nos concitoyens devant lesquels nous sommes redevables et comptables. Qui sait le mieux si la création d'une déviation autour de la commune de Charleville-Mézières est de l'intérêt supérieur pour la collectivité : le maire ou l'expert routier de la Région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne qui se trouve à Strasbourg et dessine des plans à partir d'un seul cadastre ? Qui peut analyser les besoins d'un territoire de Moselle-Est comme Creutzwald dont les problématiques sont liées au Bassin houiller ? Le Président de la Moselle ou le président de la "super région" nouvellement créée aux antipodes des réalités ou des spécificités locales, et qui ignore que les structures et les services proposés sont les plus faibles de Lorraine (pour passer une IRM il faut attendre 50 jours contre 38 en moyenne au niveau national) alors que dans le même temps la population y est vieillissante et porte les stigmates de son histoire ?
Au lieu d'aller vers la cohésion territoriale et donc sociale, nous nous acheminons, dans le nouveau système envisagé, vers l'éclatement de celle-ci. Les ménages seront obligés de trouver leur bonheur dans une matrice formatée et pensée selon des modèles types et imaginés à partir de données statistiques. La matrice est pensée pour le consensus et si les ménages ne peuvent assumer les frais de fonctionnement de la super structure qui leur offre une possibilité d'accueil, ils iront voir plus loin, vivre plus loin, dans les zones rurales ou industrielles et donc moins dynamiques car moins peuplées et moins riches, moins desservies par une politique de proximité et surtout moins onéreuses au niveau de la pression fiscale. Les ménages devront désormais vivre sur ces cercles tarifaires des métropoles et "faire avec" des territoires dévitalisés. La DévitalisationCar c'est vers une"dévitalisation"des territoires que l'on s'insinue à pas de géant. Cette "dévitalisation" peut s'entendre au sens orthodontique du terme car avec cette réforme, les territoires seront vidés de leurs tissus vivants. Et ainsi, de territoires en territoires, le sourire sera engageant car d'une blancheur irréprochable, mais la mâchoire avec laquelle l'on entendait dévorer la modernité, sera composée de nombreuses "dents creuses", non opérationnelles et ne tenant qu'à un fil (lequel ?). La France dévitalise ses territoires au moment où il était urgent de revitaliser : tout est dit, tout est déjà acté dans cette chronique d'un déclin annoncé. Les journalistes et les hommes politiques les plus hardis ou les plus fous, ici et là, lors des débats parlementaires et dans la presse, ne s'y sont pas trompés qui utilisent des termes comme "vampirisme" ou encore "évaporation" selon Edouard Balladur lui-même qui avait lancé le projet de réforme territoriale en 2009 et avant le rapport Attali. La Part des Anges Il ne restera bientôt au citoyen quela "part des anges"dans ce démembrement des compétences. Il faudra donc "compter" avec des "espaces en voie de disparition" (selon la terminologie des géographes Daniel Behar et Philippe Estebe) qui vont se développer au fur et à mesure que prendront de l'ampleur les métropoles et les superstructures à potentiels économiques importants. Alors que l'on sait que les problèmes sont désormais mondiaux et leurs règlements locaux, en France, si l'on n'y prend garde, les difficultés s'agrandiront au fur et à mesure que les territoires croîtront en taille... Il est encore possible de lutter contre ce déterminisme méticuleusement préparé par le gouvernement et le Président de la République. Il faut briser la lutte programmée entre les territoires et rééquilibrer les forces en présence notamment en refusant une approche exclusivement quantitative. Le combat n'est pas perdu. Comme le disait Winston Churchill,"tout le monde savait que c'était impossible à faire. Puis un jour quelqu'un est arrivé qui ne le savait pas, et il l'a fait".Quelqu'un, quelques uns, pourraient amener le dextre présidentiel à désigner d'autres lunes bien plus utiles au pays avec peut-être d'autres doigts... Patrick Weiten
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