La participation des couples au marché du travail :
Une analyse économétrique
Emmanuel Duguet, Véronique Simonnet
Version préliminaire, commentaires bienvenus
Octobre 2002
Résumé
Nous estimons un modèle de participation au marché du travail des personnes en couple dans lequel les participations des conjoints sont endogènes. A partir des données INSEE de lenquête « Jeunes et Carrières » de 1997, appariées à celles de latlas des zones demploi, nous constatons dune part la pertinence de la prise en compte de la simultanéité des décisions des hommes et femmes en couple pour expliquer leurs choix de participation ; dautre part que leffet du travailleur additionnel est principalement lié à larrivée denfants. La présence dun ou plusieurs enfants diminue fortement lactivité féminine et augmente sensiblement lactivité masculine. Ainsi la charge familiale mais aussi la nationalité et dans une moindre mesure le revenu familial et le contexte local opposent les choix de participation des hommes et femmes qui pour de nombreuses raisons (origine sociale ou niveau déducation semblable) devraient être les mêmes.
Université de Bretagne Occidentale et EUREQua, UMR CNRS 8594, Université Paris de I -Panthéon-SorbonneTEAM, UMR CNRS 8059, Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne
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Introduction
Le comportement dactivité des hommes et des femmes a considérablement changé au cours des quarante dernières années. Alors que le taux dactivité et demploi des hommes a diminué, le taux demploi des femmes a fortement augmenté, ceci principalement grâce à laccroissement du taux demploi des femmes mariées. On peut dès lors sinterroger sur les conséquences de ces changements sur lévolution des inégalités de revenus entre ménages. Laugmentation de lemploi des femmes en couple a-t-elle contribué à accroître le nombre de ménages où les deux membres travaillent régulièrement ou a-t-elle complété une participation irrégulière de certains conjoints au marché du travail ? Cette dernière hypothèse, dite hypothèse du travailleur additionnel, veut que le ou la conjointe dune personne au chômage offre plus de travail que nimporte quel(le) autre conjoint(e) pour compenser la perte de revenu occasionnée au sein du ménage. Face à une diminution du revenu non salarial (revenu de son conjoint), une femme augmente son offre de travail. Cependant, loffre de travail des femmes dépend de nombreux autres éléments. Laugmentation de leur investissement en capital humain, la mise à disposition de services sociaux qui permettent de concilier vie familiale et activités marchandes mais aussi laccroissement du nombre dopportunités demploi dans leurs zones de résidence sont des facteurs déterminants. Pour comprendre lévolution de lactivité des hommes et des femmes en couple, il convient non seulement de considérer la décision de participation de chacun des deux membres comme une décision prise conjointement au sein du couple mais aussi de tenir compte de lensemble des caractéristiques du couple et de la zone demploi dans laquelle le couple réside.
Dans cette étude, nous modélisons le choix de participation des personnes en couple comme une décision prise simultanément par les deux membres. Nous étudions alors les déterminants de loffre de travail des hommes et femmes en couple en ayant soin de préciser les effets liés aux caractéristiques propres des individus, les effets liés aux caractéristiques de leurs conjoints et ceux liés aux caractéristiques du marché du travail local. Nous avons recours pour cela aux données de lenquête « Jeunes et Carrières » de lINSEE effectuée auprès de 9260 ménages en mars 1997 ainsi quaux données de lAtlas des zones demploi qui complètent notre connaissance des zones de résidence des couples enquêtés. Notre étude se présente comme suit. Dans une deuxième section, nous présentons le contexte théorique et empirique à létude du choix de participation des personnes en couple. Dans une troisième section, nous donnons un aperçu des données de lenquête « Jeunes et Carrières » et de celles de lAtlasdes zones demploi. La présentation de la méthode destimation est introduite à la quatrième section. Nous commentons les résultats de ces estimations dans la cinquième section et concluons dans la section six.
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Contexte
Le comportement d'activité des hommes et des femmes a remarquablement changé au cours des quarante dernières années. Alors que le taux d'activité et le taux d'emploi des hommes a diminué dans la plupart des pays développés à partir de 1973, le taux d'emploi des femmes a fortement augmenté. En France, la progression de l'activité professionnelle des femmes s'est poursuivie dans les années récentes, leur taux d'activité est désormais de 48,3% en moyenne et avoisine les 80% pour celles ayant entre 25 et 49 ans. Les femmes représentent maintenant 46% de la population active totale contre 35% en 1968.
L'augmentation du taux d'emploi des femmes est due essentiellement à l'accroissement de l'emploi des femmes mariées. Ce fait comme l'évolution de la participation des hommes au marché du travail a entraîné des changements importants dans la contribution des hommes et des femmes au revenu du ménage. On peut s'interroger sur les conséquences de l'augmentation de l'activité des
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femmes sur les inégalités de revenus entre ménages. Si dans la plupart des pays développés, on observe que les pays caractérisés par un fort taux d'emploi des femmes sont aussi ceux présentant une distribution des revenus entre ménages plus égalitaire, le Royaume-Uni, le Portugal et quelques régions de l'Italie font encore exception (Del Boca, Pasqua, 2002). L'effet de l'emploi des femmes sur les inégalités de revenu entre ménages dépend en fait de la nature du couple auquel appartient la femme qui entre sur le marché du travail. Si les femmes qui entrent sur le marché du travail sont les femmes mariées à des hommes ayant de faibles revenus ou une participation irrégulière au marché du travail, la participation de celles-ci contribue à réduire les inégalités de revenus. Si ce sont plutôt les femmes mariées à des hommes ayant de hauts revenus qui sont entrées massivement sur le marché de travail alors les inégalités entre ménages se sont accrues. En d'autres termes, l'augmentation de l'emploi des femmes a contribué à accroître le nombre de ménages où les deux membres travaillent et le nombre des ménages où les deux membres ne travaillent pas.
L'impact de l'emploi des femmes en couple sur la distribution de revenus dépend en partie des facteurs qui motivent leur décision de travailler. L'augmentation de l'investissement en capital humain, l'accroissement du nombre d'opportunités d'emploi, la mise à disposition de services sociaux qui permettent de concilier la vie familiale et les activités marchandes et le besoin de contribuer au revenu du ménage lorsque ce dernier appartient aux plus petits déciles de la distribution, semblent être les principaux facteurs expliquant l'accroissement de l'emploi des femmes. Au cours des vingt dernières années, les salaires réels ont diminué pour les hommes les moins qualifiés et la proportion des hommes au chômage a crû. L'accroissement de l'emploi des femmes sur le marché du travail a dès lors pu correspondre à la volonté de contrecarrer la mauvaise performance de leurs conjoints sur le marché du travail. C'est lhypothèse du travailleur additionnel selon laquelle le ou la conjointe dune personne au chômage devrait offrir plus de travail que nimporte quel(le) autre conjoint(e) pour compenser la perte de revenu occasionnée au sein du ménage. Des études menées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne dans les années 70 et 80 montraient une légère relation positive entre le fait que le mari soit au chômage et loffre de travail des femmes mariées (Lundberg, 1985). Plus récemment, une relation inverse a été mise en évidence en France, en Grande-Bretagne et en Italie. Barrere-Maurisson et al. (1985), Davies et al. (1992), entre autres, ont montré que les femmes de chômeurs avaient moins de chance que les autres d'être employées. Del Boca, Locatelli et Pasqua (2001), et Rossetti et Tanda (2000) ont mis en évidence un fort effet dappariement entre semblables (assortative mating) : les femmes qui travaillent sont plus souvent mariées à des hommes employés avec de hauts revenus et de hauts niveaux d'éducation. Ceci confirme les résultats de Winkler (1998) selon lesquels les personnes plus éduquées et ayant des revenus élevés ont plus de chance de se marier avec des personnes elles-mêmes plus éduquées et plus aisées financièrement et, dans une autre mesure, ceux de Jacobsen et Rayack (1996) qui montraient que les personnes moins éduquées ont plus de chance de se marier avec des personnes elles-mêmes moins éduquées. Cette littérature, qui met en lumière un phénomène de polarisation de l'activité des personnes en couple, est concentrée sur l'étude empirique du comportement d'activité des femmes mariées ou en couple. Elle relève des taux de participation sur le marché du travail des femmes mariées à des chômeurs beaucoup plus faible que celui des femmes mariées à des hommes employés (Davieset al., 1992 ; Dexet al., 1995)1et tente de mettre en évidence le phénomène de "travailleur découragé"2en
1Giannelli et Micklewright (1995) qui étudient la participation au marché du travail dans 11 pays durant les années 80, montrent que 7 pays présentent des taux demploi des femmes mariées à des chômeurs très significativement inférieurs à ceux des femmes mariées à des hommes employés et aucun pays ne montre des taux demploi des femmes mariées à des chômeurs supérieurs à ceux des femmes mariées à des hommes employés.2Contrairement à l'effet du travailleur additionnel, leffet du travailleur découragé incite lindividu dont le conjoint est au chômage à réduire son offre de travail par le simple fait que lindividu croit désormais quil est plus difficile de trouver un emploi.