Radioscopie des Droits de l Homme en République Démocratique du Congo (RDC): Entre violations et impunité
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Radioscopie des Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (RDC) : Entre violations et impunité. Par PISSANG KELLER Fernand* Géographiquement, la République Démocratique du Congo (RDC) est le troisième pays africain par sa superficie après le Soudan et l’Algérie. Le pays regorge les 2/3 de la forêt tropicale africaine, un réseau fluvial de plus de 14000 km de voies navigables, une ouverture de 37 km sur l’océan Atlantique correspondant à l’embouchure du fleuve Congo. Au niveau de ses frontières, la RDC est entourée du Rwanda, de la RCA, du Burundi, de l’Angola, du Congo-Brazzaville, de l’Ouganda, du 1Soudan et de la Zambie. Sur le plan politique, la RDC s’est particulièrement illustrée au cours de ces dix dernières années, par des troubles socio-politiques et institutionnelles récurrentes ayant débouché à une escalade de violence aussi bien à l’intérieur du pays qu’au niveau de ses frontières terrestres et maritimes. Ces troubles, bien qu’ayant sapé l’infrastructure économique de base, ont toutefois provoqué une impunité généralisée et une absence de sécurité à l’intérieur du pays. Dans un récent Rapport sur la situation des Droits de l’Homme en RDC, les Experts du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies concluaient à de graves violations du Droit International Humanitaire et qui, dans certains cas, pourraient constituer des crimes contre l’humanité. Ces violations ...

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Publié le 19 décembre 2011
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Radioscopie des Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (RDC) : Entre violations et impunité.
 ParPISSANG KELLER Fernand* Géographiquement, la République Démocratique du Congo (RDC) est le troisième pays africain par sa superficie après le Soudan et l’Algérie. Le pays regorge les 2/3 de la forêt tropicale africaine, un réseau fluvial de plus de 14000 km de voies navigables, une ouverture de 37 km sur l’océan Atlantique correspondant à l’embouchure du fleuve Congo. Au niveau de ses frontières, la RDC est entourée du Rwanda, de la RCA, du Burundi, de l’Angola, du Congo-Brazzaville, de l’Ouganda, du 1 Soudan et de la Zambie. Sur le plan politique, la RDC s’est particulièrement illustrée au cours de ces dix dernières années, par des troubles socio-politiques et institutionnelles récurrentes ayant débouché à une escalade de violence aussi bien à l’intérieur du pays qu’au niveau de ses frontières terrestres et maritimes. Ces troubles,bien qu’ayant sapé l’infrastructure économique de base, ont toutefois provoqué une impunité généralisée et une absence de sécurité à l’intérieur du pays. Dans un récent Rapport sur la situation des Droits de l’Homme en RDC, les Experts du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies concluaient à de graves violations du Droit International Humanitaire et qui, dans certains cas, pourraient constituer des crimes contre l’humanité. Ces violations proviendraientaussi bien de groupes de miliciens tels que l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), que l’armée nationaleconstituée de la coalition des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), de la Police Nationale Congolaise (PNC), del’Agence Nationale de Renseignements (ANR) et d’autres services de renseignements qui seraient responsables d’exécutions sommaires, d’actes de violence sexuelle, de tortures et de mauvais 2 traitements. Le terme « radioscopie » utilisé permet de rendre compte que la situation des Droits de l’Homme demeure préoccupante pour l’ensemble de lasociété congolaise. Elle porte particulièrement atteinte à toutes les catégoriessociales en partant de l’exploitation d’enfants-soldats, en passant le viol commis sur les femmes et enfants, les violations massives des Droits de l’Homme, des exécutions sommaires dans les prisons et/ou des crimes commis en toute impunité. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme(FIDH), dans un Rapport récent, notait que le viol perpétré par des hommes armés était devenu une « arme de guerre » utilisée de manière massive et systématique par toutes 3 les parties au conflit, en toute impunité.En conséquence, ce crime s’est banalisé sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones de relative stabilité. S’en prendre aux femmes etaux enfants est devenu un mode de coercition destiné à terroriser les populations civiles de les faire fuir de leurs localités d’origine, de les forcer à se soumettre ou soi-disant, punir l’ennemi. Lesviolences sexuelles comme les viols sont plutôt commis dans le prolongement des pillages. *- PISSANG KELLER Fernand est Docteur en Science Politique etchercheur à l’Institut d’Etudes Politiques et Internationales de l’Université de Lausanne (Suisse).1 - NANTET Bernard, JOBIN Jean-Pierre, (Dir),Au cœur de l’Afrique, Toulouse, Ed Milan Jeunesse, Collection Les encyclopes, 2004, 255p, pp.23-27 2 - Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), Trentième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (S/2009/623) ; Rapport du Haut-commissaire aux Droits de l’Homme sur la situation des Droits de l’Homme et les activités du Haut-commissariat en République Démocratique du Congo (A/HRC/13/64) 3  -Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), «Crimes sexuels en République Démocratique du Congo (RDC) : Briser l’impunité», Paris, Publication de la FIDH, n°498, mars, 2008, 20p, p.6 1
Le contexte actuel montrel’impunité au sein des services de sécurité en RDC demeure très préoccupante dans l’ensemble du pays.Les allégations d’exécutions sommaires, de viols, de tortures et de traitements cruels, inhumains et dégradants de la part de membres des FARDC et de la PNC sont de plus en plus nombreuses. Selon la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC), les services de renseignements civils et militaires, les Services spéciaux de la police nationale à Kinshasa et la Garde Républicaine sont régulièrement cités dans des crimes à motivation politique, notamment l’intimidation de membres de l’opposition, de journalistes et des défenseurs des Droits de l’Homme. Comment comprendre les enjeux des violations des droits humains en RDC ? Et quelle analyse systémique dégager à partir de cette impunité généralisée et des violations multiformes qui règnent dans le pays ?  Etat deslieux général de la situation des Droits de l’Homme en RDCUne analyse générale de la situation des Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo montre un contexte dans l’ensemble préoccupant. La situation ne cesse de se dégrader dans tout le pays et plus particulièrement à l’Est de la RDC dans les régions du Nord et du Sud Kivu. Dans un Rapport de 2010, la MONUC soulignait que la plupart de violations subies par la population de ces régions, étaient le fait des FADRC. Celles étaient commises dansle cadre l’Opération Kimia II menée contre les rebelles du FDLR et de la LRA. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies recensait entre mai et septembre 2009 au moinsexécutions sommaires dans la région Nyabiondo (Nord-Kivu), 8« 62 disparitions, de centaines de milliers de déplacés ; de milliers de personnes violées, 1000 civils tués et 4 de nombreux villages réduits en cendres ». Comme se présente toutefoisl’état des lieux des Droits de l’Homme en RDC? 1 - Tortures et exécutions sommaires dans les régions du KivuLa violence qui règne particulièrement dans les régions du Nord et du Sud Kivu depuis plus de dix opposant les différentes factions rebelles aux groupes de l’armée nationale a progressivement plongé le pays dans un chaos indescriptible et contribué aux violations multiformes des droits humains. Ces violations ont occasionné une crise humanitaire de grande envergure faisant 1,9 millions de déplacés à l’Est du Congo en 2010 d’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour 5 les Réfugiés (UNHCR).Le catalogue de violations des Droits de l’Homme est aussi étendu que diffus. On note : -Des meurtres commis par les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Ces meurtres portent l’estampille d’une stratégie de revanche, dans la mesure où en 2009, les rebelles du FDLR massacraient à coups de machette de nombreux civils, violant systématiquement les femmes avec une brutalité déconcertante ou brûlant des familles entières dans leurs maisons. Animés par leur quête de revanche, les violations perpétrées par les rebelles du FDLR dans les régions du Kivu, portaient la marque d’attaques à grande échelle en vue de s’emparer de villages entiers ou d’endroits stratégiques tels que les sites miniers de diamant, de coltan, de cassitérite, de l’or, etc. Incapables de résister aux assauts réguliers des forces armées loyales (FARDC), les rebelles du FDLR conçurent une campagne délibéréed’intimidation et de vengeance contre les civils, articulée autour de facteurs déjà évoqués. Dans un premier temps, l’objectif était de prendre l’avantage sur l’armée et le Gouvernementen matière d’information et de soutien de la part de la population civile en punissant notamment celle-ci accusée de collaborer avec l’Etat et de soutenir la coalition des armées
4 - Conseil de Sécurité des Nations Unies,Rapport du Conseil de Sécurité sur sa mission en République Démocratique du Congo (13-16 mai 2010)13p, pp.3-4, New York, n°S/2010/288, juin, 2010, 5 - United Nations of High Commissioner for Refugees (UNHCR),“Republic of the Congo”,Global Report 2010, Geneva, January, 2011, 101p, pp.33-37 2
nationales. Ensuite, le FDLR perpétrait des massacres auprès des populations civiles congolaises en représailles contre les meurtres Hutus rwandais par les FARDC qui tuaient au moins 100 civils en 6 2009. -Quant aux meurtres commis par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo 7 (FADRC), ils étaient à la fois opportunistes et ciblés dans le cadre de l’Opération Kimia II. Les meurtres isolés ou opportunistes, étaient généralement commis lors de pillages ou d’agressions sexuelles, ou pour des motifs purement subjectifs. Ainsi, les soldats se vengeaient de civils qui refusaient de céder leurs biens, leurs produits vivriers ou leurs objets personnels. Les massacres ciblés de civils par les FARDC portaient atteintes aux populations installées à proximité de repaires présumés de groupes rebelles ou soupçonnées d’avoir soutenu les rebelles du FDLR ou de la LRA. Dans un récent Rapport, l’ONG International Crisis Group (ICG) relevait que le 27 avril 2009, les FARDC massacraient à l’arme blanche ou par bastonnade, une cinquantaine de réfugiés Hutus 8 rwandais suspectés d’être des sympathisants du FDLR dans un camp au Sud-Kivu. -Les violences sexuelles et exécutions extrajudiciaires constituent également le lot quotidien des violations des droits humains en RDC. Dans les deux régions du Kivu en particulier, les violences sexuelles commises contre les femmes ont connu des proportions alarmantes au cours de ces dernières années. Le phénomène s’inscritdans une tendance générale à la systématisation de la violence et à la discrimination à l’encontre des femmes et des filles. Dans les régions incriminées, tout comme dans l’ensemble du pays, des femmes et des fillettes, et même des bébés subissent fréquemment des viols collectifs où des hommes en armes introduisent dans leurs vagins des fusils, des morceaux de bois, du sable ou de la colle ; mutilent leurs organes génitaux ou arrachent systématiquement des fœtus du ventre de leur mère, etc. Pour la MONUC, de nombreuses victimessont mortes durant ces dernières années pour avoir essayé de résister au viol, ou juste après l’avoir subi. Certaines ont été réduites en esclavage sexuel et tuées leurs « geôliers» lorsqu’ils ne pouvaient plus abuser d’elles parce qu’elles étaient malades ou blessées. Des membres de la famille qui tentaient de s’interposer étaient tués, de même que les hommes qui refusaient d’obéir quand les 9 agresseurs leur ordonnaient de violer des femmes de leurs familles. Quant à la situation des enfants, en dehors des viols quotidiens auxquels ils sont soumis, ils sont les principales victimes des conflits armés où ils sont la plupart de temps enrôlés dès le très bas âge. Dans le cadre des opérations de démobilisation menées par les Nations Unies au cours des quatre
6  - Conseil de Sécurité des Nations Unies,Lettre datée du 21 mai 2010, adressée au Président du Conseil de Sécurité par le Président du Comité du Conseil de Sécurité créé par la Résolution (1533) 2004 concernant la République Démocratique du Congo, New York, n°S/2010/252, 25 mai, 2010, 26p 7 - Après le retrait du Rwanda en RD Congo en février 2009, le Gouvernement Congolais a lancé une deuxième opération militaire dénommée Kimia II visant, comme la première, à neutraliser les rebelles du FDLR. L’opération prévoyait une planification conjointeimportante entre la RDC et la MONUC, laquelle a déployé des moyens considérables en appui des FARDC, notamment en assurant des transports, en fournissant rations et carburants et en s’occupant de l’évacuation des blessés pour certains bataillons des FARDC opérant dans les deux régions du Kivu (Source : Conseil de Sécurité des Nations Unies,Rapport du Conseil de Sécurité sur sa mission en République Démocratique du Congo (13-16 mai 2010), op cit, p.8 8 - International Crisis Group (ICG), «Congo : Pas de stabilité au Kivu malgré le rapprochement avec le Rwanda », inRapport Afrique, n°165, 16 novembre, 2010, disponible sur le site : www.crisisgroup.org/fr/afrique/afrique-centrale 9 -Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation de laRépublique Démocratique du Congo (MONUSCO)/ Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Rapport final des Missions d’enquête du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme sur les viols massifs et autres violations des Droits de l’Homme par une coalition de groupes armés sur l’axe Kibua-Mfopi, en territoire Walikalé, Province Nord-Kivu, du 30 juillet au 02 août 2010, Kinshasa, juillet, 2011, 25p, pp.13-15 3
premiers mois de 2009, 1617 enfants avaient été retirés des groupes armés dans le Nord-Kivu et 2020 dans le Sud de cette région. Ces enfants étaient enrôlés aussi bien dans des groupes de miliciens, que ceux de l’armée nationale. Ainsi par exemple d’après le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), entre janvier et octobre 2009, des unités intégrées des FARDC procédaient à 107 nouveaux enrôlements, alors que 127 supplémentaires étaient imputés aux groupes rebelles les Patriotes Résistants Congolais (PRC), 29 aux FDLR et 22 à des groupes armés non 10 identifiés. -Hormis les violences sexuelles, les meurtres à caractère politique enregistrés entre 2007 et 2008 prouvent que les violations des droits humains restent un problème préoccupant dans le pays. Au cours de cette période, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH) recensaient de nombreux civils tués par les forces congolaises à cause de leur obédience politique. Ces dernières tentaient de contrer la menace que représentait l’opposition politique. Pour le HCNDH en mars 2007, 300 personnes furent tuées à Kinshasa lors de violences de nature politique s’inscrivant dans le contexte d’une tentative des forces de sécurité congolaises (sous l’initiative du Président Kabila) de mettre fin à la menace que représentait la milice privée du chef rebelle Jean-Pierre Bemba, à l’époque sénateur. La coalition FARDC, Garde Républicaine et d’autres forces de sécurité de l’Etat perpétraient durant cette période des assassinats ciblés contre des partisans présumés ou réels de M. Bemba; torturaient ou tuaient des opposants qu’ils détenaient illégalement11 dans des prisons politiques, des camps de concentration et de torture de l’armée, etc. -Les défenseurs des Droits de l’Hommeet les journalistes ne sont guère épargnés par ces violations. Leur situation, notamment à l’Est du pays, reste des plus précaires. Ils sont régulièrement victimes d’actes de harcèlement et d’intimidation. Les hommes politiques stigmatisent fréquemment les défenseurs des Droits de l’Homme notamment pour leur appui aux travaux de la Cour Pénale Internationale et surtout, de leur action de sensibilisation qu’ils mènent, en particulier lorsque celle-ci porte sur des violations commises par des acteurs étatiques. L’intimidation est destinée à fairetaire les défenseurs des Droits de l’Homme, à empêcher l’ouverture d’enquêtes et à répandre leur peur au sein de la société civile. -En milieu carcéral, on note un état désastreux des prisons du pays et de nombreux détenus meurent d’inanition. LeGouvernement fait très peu face à ses obligations de garantir au moins des conditions minimales de détention, des détenus meurent de maladie, de traitements cruels et dégradants et des évasions se produisent régulièrement. Etant donné la quasi-absence de registres d’écrous et de dispositif de surveillance, le nombre réel de décès dans les prisons n’est pas connu à cause de la surpopulation carcérale. Par ailleurs, l’administration centrale n’alloue un budgetqu’à une seule prison pour l’ensemble du territoire, les autres étant tenues de s’autofinancer. Dans la plupart des prisons, les détenus assurent eux-mêmes le contrôle des établissements, les agents de l’Etat ne 12 contrôlant que l’extérieur des prisons.Dans une prochaine analyse, il importe d’étudier lescauses exactes de cette impunité. 10  - Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA),République Démocratique du Congo. Plan d’action humanitaire 2011. Revue à mi-parcours, Genève, mars, 2011, 113p, pp.51-55 11 -Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation de la République Démocratique du Congo (MONUSCO)/Haut Commissariatdes Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Rapport des missions d’enquête du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme sur les viols massifs et autres violations des Droits de l’Homme commis dans les villages de Bushani et Kalambahiro,en territoire Masisi, Province Nord-Kivu, les 31 décembre et 01 janvier 2011, Genève, juillet, 2011, 116p 12 -Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Deuxième Rapport conjoint de sept Experts des Nations Unies sur la situation en République Démocratique du Congo, Genève, Conseil des Droits de l’Homme, Treizième session, Point 10 de l’ordre du jour «Assistance technique et renforcement des capacités », 8 mars, 2010, 26p 4
2L’impunité sur les violations des droits humains en RDCL’impunité sur les violations des droits humains en RDC provient du fait que les autorités nationales ne traduisent pas en justice les auteurs d’infractions. L’impunité est le principal facteur à l’origine de la persistance des violations multiformes de ces droits. L’impunité résulte à l’origine de défaillances systémiques. Par exemple, on constate aujourd’hui que le systèmejudiciaire, garant de la protection des Droits de l’Homme en RDC, est complètement désorganisé et l’impunité y règne pour tout type de meurtres. De nos jours, des criminels de guerre présumés continuent en toute quiétude d’occuper des hauts postes de commandement dans les forces armées nationales ou encore, des massacres sont perpétrés impunément sans que des enquêtes soient ouvertes à leur sujet, et la quasi -totalité des exécutions extrajudiciaires restent impunies. Pour comprendreles causes de cette impunité à l’origine de l’inertie du système judiciaire, il faut se rendre à l’évidence de la faiblesse institutionnelle de l’appareil étatique. Celle-ci a permis le développement du phénomène de la corruption, l’absence d’Etat de droit et favorisé l’ingérence politique à tous les niveaux. Dans ce cocktail Molotov de faiblesse systémique, tout accusé ayant de l’argent ou «d’appuis solides» au sein de la hiérarchie administrative, peut échapper sans trop de peine à la justice. La corruption touche l’ensemble de l’appareil judiciaire: la police se fait payer pour arrêter ou libérer des auteurs présumés ; des juges monnaient leurs jugements ; et les greffiers et autres agents administratifs exigent de l’argent aux usagers pour exécuter les décisions de justice. Unrécent Rapport du Conseil de Sécurité sur la situation en République Démocratique du Congo fait clairement apparaître que le secteur de la justice de ce pays manque cruellement de capacités opérationnelles.«Depuis sa création dans les années 1960, il n’a jamais disposé de moyens nécessaires pour poursuivre les auteurs d’infractions et faire appliquer les décisions des tribunaux. La faiblesse des salaires à aggravé la corruption, et peu de citoyens ont accès à une assistance juridique. Moins de 60% des 180 tribunaux de première instance nécessaires ont été mis en place, les lois sont obsolètes et les installations judiciaires et les établissements pénitentiaires sont extrêmement délabrés (…) Malgré la promulgation, le 20 juillet 2006, de deux lois ayant trait à la pénalisation de la violence sexuelle, celles-ci sont quasiment inappliquées. En 2005, au Sud-Kivu, sur 14200 cas de violences sexuelles recensés par les structures de santé, seuls 287 ont été déférés devant les 13 tribunaux. Soit, moins de 1% de victimes de viol ont donc vu leur cas traité en justice. ». Hormis le secteur judiciaire, l’armée n’est pas non plus épargnée par la persistance de l’impunité. Bien au contraire, celle-ci y a dressé son lit au point où violer les Droits de l’Homme est devenu assez banal pour les hauts gradés. La raison n’en est pas tant le manque de moyens et les obstacles institutionnels auxquels heurte le Gouvernement, mais bien de l’absence de volonté politiqued’enquêter sur les officiers supérieur accusés de violations graves, et de les arrêter ou les poursuivre. Une question se pose cependant: en dépit de la faible capacité de l’Etat congolais à réprimer les auteurs de violations des Droits de l’Homme, peut-on parler d’un« silence coupable » des Nations Unies à travers la Cour Pénale Internationale censée combattre l’impunité de la violation des droits humains en RDC ? La Cour Pénale Internationale (CPI), créée par la Convention de Rome du 17 juillet 1998, est une juridiction permanente destinée à punir les crimes les plus graves contre le droit international humanitaire (DIH), lorsque les criminels ne peuvent être jugés dans leurs pays. La compétence de la CPI s’étend d’une part, aux infractions considérées par le DIH comme les plus graves telles que les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression. D’autre part, elle ne peut intervenir que si le crimea été commis sur le territoire d’un Etat ayant signé la
13 -Bureau des Nations Unies pour les Droits de l’Homme enRépublique Démocratique du Congo,Enquête spéciale sur les événements de mars 2007 à Kinshasa, Kinshasa, Rapport Spécial, janvier, 2008, 16p, pp.12-14 5
14 Convention, ou si le mis en cause est un ressortissant de l’un de ces Etats.Or, dans le cas d’espèce de la RDC il va sans dire qu’elle est membre signataire de cette charte au moment de sa création. Les exactions et autres violations de Droits de l’Homme qui y sévissent dans le pays montrent à quel point le mandat de la CPI destiné à empêcher que l’impunité puisse s’installer dans le pays paraît encore circonspect, voire très limité. Car, au cours de ces dix dernières années , hormis quelques arrestations récentes d’anciens chefs de guerre accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, le mandat de la CPI en RDC demeure inefficace. On constate par exemple que Thomas Lubanga (Président de l’Union des Patriotes Congolais), Jean-Pierre Bemba (leader du Mouvement de la Libération du Congo), Germain Katanga (Président de l’Union des Patriotes Congolais), Mathieu Ngudjolo (responsable du Front des Nationalistes et Intégrationnistes) ou encore le Congrès National pour la Défense des Peuples (CNDP) de Laurent Nkunda sont placés sous les verrous à La Haye. Lubanga, Bemba et Nkunda sont poursuivis pour les seules chargesde circonscription, d’enrôlement et d’instrumentation d’enfants soldats. Leschefs d’accusation retenus contre Katanga et Ngudjolo, portent par contre sur l’esclavage sexuel, excluant toute charge de viol contre ces derniers. A traversces arrestations, on constate que la CPI politique applique une politique ciblée axée particulièrement sur les chefs rebelles. Or, il est important que cette juridiction s’attaque d’abord au mal en partant depuis la racine c’est-à-dire en réprimant aussi bien les responsables des FARDC que les chefs rebelles, et même toute personne présumée ou suspecté d’acte de torture, de viol et/ou de cruauté à l’encontre des Droits de l’Homme.A la lumière de cette observation, quelle conclusion tirée de la situation des Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo? Conclusion En guise de conclusion, je constate que la situation actuelledes Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (RDC) demeure encore précaire. Bien que le pays ait pu ratifier au cours de ces dernières années de nombreux accords internationaux en matière de protection des droits humains, bien qu’il soitconstamment sous pression des institutions comme la CPI, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, etc. qui exigent que le pays mettent en place des règles de gouvernance démocratique dans le cadre de leur coopération économique, institutionnelle et politique, il va sans dire que les droit humains restent encore systématiquement bafoués en RDC. Que ce soit ducôté de la coalition de l’armée nationale ou des groupes rebelles, l’impunité demeure totale ; les exécutions sommaires, les disparitions forcées, les arrestations arbitraires, les mauvais traitementsà l’endroit des civils sont récurrents ; les enfants exploités et les femmes régulièrement violées. A travers l’ensemble du pays, la police et l’armée continuent de procéder à des arrestations en abusant de leurs pouvoirs de façon flagrante et en soumettant les détenus à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Dans les régions du Nord et du Sud Kivu, de l’Equateur, du Katanga et de l’Ituri (particulièrement), les meurtres, les viols et les enlèvements se perpétuent. La présence des groupes armés dans ces zones continuentà entretenir un climat de terreur et d’insécurité donnant lieu à nombreux incidents et abus des Droits de l’Homme.Ce qui va l’encontre de la lutte contre l’impunité et contribue à renforcer le cycle de la violence en préservant ou en renforçant le pouvoirdes auteurs de ces violations. En dépit de quelques procès retentissants menés auprès de la CPI au cours de ces dernières années, la grande majorité des violations graves des Droits de l’Homme n’ont pas fait l’objet de poursuites, ni même d’enquêtes. Unedes principales causes de ce blocage reste l’ingérence systématique d’acteurs politiques et militairesdans l’administration de la justice. Cette ingérence s’est poursuivie ouvertement et en toute impunité, y compris dans les cas les plus graves
14 - PETIT, Franck, « Sensibilisation à la CPI en RDC: ‘‘Sortir du profil bas’’», New York,International Centre for Transitional Justice, Occasional Paper Series, mars, 2007, 32p 6
de violations des Droits de l’Homme. Les moyens limités du système judiciaire et l’absence de soutien logistique continue également à contribuer à la culture de l’impunité. --------------------------------------------Références bibliographiquesBureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA),République Démocratique du Congo. Plan d’action humanitaire 2011. Revue à mi-parcours, Genève, mars, 2011, 113p, pp.51-55 Bureau des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo, Enquête spéciale sur les événements de mars 2007 à Kinshasa, Rapport Spécial, janvier, 2008, 16p, pp.12-14 Conseil de Sécurité des Nations Unies,Lettre datée du 21 mai 2010, adressée au Président du Conseil de Sécurité par le Président du Comité du Conseil de Sécurité créé par la Résolution (1533)2004 concernant la République Démocratique du Congo, New York, n°S/2010/252, 25 mai, 2010, 26p Conseil de Sécurité des Nations Unies,Rapport du Conseil de Sécurité sur sa mission en République Démocratique du Congo (13-16 mais 2010), New York, n°S/2010/288, juin, 2010, 13p, pp.3-4 Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), «Crimes sexuels en République Démocratique du Congo (RDC): Briser l’impunité», Paris, Publication de la FIDH, n°498, mars, 2008, 20p, p.6 Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH), Trentième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (S/2009/623); Rapport du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme sur la situation des Droits de l’Homme et les activités du Haut Commissariat en République Démocratique du Congo (A/HRC/13/64) Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Deuxième Rapport conjoint de sept Experts des Nations Unies sur la situation en République Démocratique du Congo, Genève, Conseil des Droits de l’Homme, Treizième session, Point 10 de l’ordre du jour « Assistance technique et renforcement des capacités », 8 mars, 2010, 26p International Crisis Group (ICG), « Congo : Pas de stabilité au Kivu malgré le rapprochement avec le Rwanda », inRapport d’Afrique, n°165, 16 novembre, 2010, disponible sur le site : www.crisisgroup.org/afrique/afrique-centrale Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation de la République Démocratique du Congo (MONUSCO)/ Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Rapport final des missions d’enquêtedu Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme sur les viols massifs et autres violations des Droits de l’Homme par une coalition des groupes armés sur l’axe Kibua-Mfopi, en territoire Walikalé, Province Nord-Kivu, du 30 juillet au 02 août 2010, Kinshasa, juillet, 2011, 25p, pp.13-15 Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation de la République Démocratique du Congo (MONUSCO)/ Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNDH),Rapport des missions d’enquête du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme sur les viols
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massifs et autres violations des Droits de l’Homme commis dans les villages de Bushani et Kalambahiro, en territoire Masisi, Province Nord-Kivu, le 31 décembre et 01 janvier 2011, Genève, juillet, 2011, 116p NANTET Bernard, JOBIN Jean-Pierre, (Dir.),Au cœur de l’Afrique, Toulouse, Ed Milan Jeunesse, Collection Les encyclopes, 2004, 255p, pp.23-27 PETIT, Franck, « Sensibilisation à la CPI en RDC: ‘‘Sortir du profil bas’’», New York,International Center for Transitional Justice (ICTJ), Occasional Paper series, mars, 2007, 32p United Nations of High Commissioner for Refugees (UNHCR), “Republic of Congo”, inGlobal Report 2010, Geneva, January, 2011, 101p, pp.33-37
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