Lettre-projet de candidature à la direction de Sciences Po
13 pages
Français

Lettre-projet de candidature à la direction de Sciences Po

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
13 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Dominique Reynié Professeur à Sciences-po Lettre-projet de candidature à la direction de Sciences Po Paris, le 14 juin 2012 Madame et Messieurs les membres des Comités de sélection Dans le cadre de ma candidature à la direction de Sciences Po, j’ai l’honneur de vous adresser cette « lettre-projet » qui éclaire quelques orientations principales qui me paraissent favorables au développement et au rayonnement de notre institution. Il va de soi que les conditions tragiques dans lesquelles notre Directeur nous a quittés font que ce document présente une vision plus qu’il ne décrit un programme d’action détaillé. Je me tiens à la disposition des Comités de Sélection et des Conseils pour préciser ou développer les points qui sont présentés ici. Ma candidature à la direction de Sciences Po s’inscrit dans l’héritage intellectuel de Richard Descoings, parce que le bilan des mandats qu’il a conduits est exceptionnellement bon. Si nul ne peut prétendre n’avoir jamais pris que des bonnes décisions au titre des fonctions qu’il occupe, ce qui a été accompli à l’initiative de Richard, en seize ans, forme une œuvre dominée par une ambition mobilisatrice, la justesse des grands choix, la capacité à faire d’une idée une réalité et la cohérence de l’ensemble. La grande décision stratégique fondatrice a été de présenter au monde entier notre « Ecole » sous les traits d’une « université ».

Informations

Publié par
Publié le 19 octobre 2012
Nombre de lectures 239
Langue Français

Extrait

1
Dominique Reynié
Professeur à Sciences-po
Lettre-projet de candidature à la direction de Sciences Po
Paris, le 14 juin 2012
Madame et Messieurs les membres des Comités de sélection
Dans le cadre de ma candidature à la direction de Sciences Po, j’ai l’honneur de vous adresser cette
« lettre-projet » qui éclaire quelques orientations principales qui me paraissent favorables au
développement et au rayonnement de notre institution. Il va de soi que les conditions tragiques dans
lesquelles notre Directeur nous a quittés font que ce document présente une vision plus qu’il ne décrit
un programme d’action détaillé. Je me tiens à la disposition des Comités de Sélection et des Conseils
pour préciser ou développer les points qui sont présentés ici.
Ma candidature à la direction de Sciences Po s’inscrit dans l’héritage intellectuel de Richard
Descoings, parce que le bilan des mandats qu’il a conduits est exceptionnellement bon. Si nul ne peut
prétendre n’avoir jamais pris que des bonnes décisions au titre des fonctions qu’il occupe, ce qui a été
accompli à l’initiative de Richard, en seize ans, forme une oeuvre dominée par une ambition
mobilisatrice, la justesse des grands choix, la capacité à faire d’une idée une réalité et la cohérence
de l’ensemble.
La grande décision stratégique fondatrice a été de présenter au monde entier notre « Ecole » sous les
traits d’une « université ». Ce choix déterminant a permis à notre établissement d’être immédiatement
identifié par les grands acteurs de la communauté scientifique mondiale qui n’étaient pas tous
familiers de la diversité de nos statuts. « Grande Ecole » en France, Sciences Po est devenue une
grande Université dans le monde.
Répondant au principal défi représenté par le changement d’époque, les réformes accomplies ont
permis à Sciences Po d’épouser le rythme du nouveau monde, comme en témoigne le degré
d’internationalisation auquel nous sommes arrivés aujourd’hui en matière de recherche et
d’enseignement comme pour ce qui concerne la population des étudiants.
Le directorat de Richard Descoings a également été marqué par une plus grande ouverture de
Sciences Po à des étudiants issus de milieux sociaux peu ou pas représentés dans l’enseignement
supérieur d’excellence. Plus largement, le débat déclenché par la création des CEP a permis au pays
tout entier de réfléchir à cette grande question. Citoyens, responsables politiques, chefs d’entreprise,
représentants du monde syndical et associatif ont été amenés à débattre puis à prendre position sur
les ratés de la méritocratie républicaine et sur les moyens d’en corriger les défauts.
Enfin, il est juste de rendre hommage, ici, à l’ensemble de notre communauté. Les mandats de
Richard Descoings n’auraient pu être aussi riches en initiatives innovantes et en réussites sans le
soutien des Conseils et sans l’implication totale des enseignants-chercheurs comme de l’ensemble
des équipes administratives et pédagogiques de Sciences Po.
______
2
Notre maison se trouve dans une situation paradoxale. Après les mandats de profonde transformation
conduits sous la direction de Richard Descoings, nous ressentons aujourd’hui la nécessité d’une
période de stabilisation, afin de consolider les acquis d’un long cycle de réformes. Cependant, la
période qui s’ouvre sera vraisemblablement dominée par la raréfaction des sources publiques de
financement et par un accès de plus en plus disputé aux sources privées. Le prochain directeur devra
être capable de mobiliser l’ensemble des salariés, les étudiants, les enseignants, la communauté des
diplômés, les partenaires, publics et privées. C’est en ce sens que la fonction de directeur de
Sciences Po contient une dimension éminemment politique. Elle suppose une forte capacité de
mobilisation, à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est parce que Richard Descoings avait une
interprétation très politique de la fonction qu’il a pu initier et conduire les grandes réformes qui font
aujourd’hui l’unanimité. Seule une même compréhension de la fonction permettra de piloter une
période de stabilisation qui ne peut être couronnée de succès sans déployer le projet de Sciences Po
ni savoir répondre aux défis considérables d’une période au cours de laquelle l’ensemble de nos
interlocuteurs et de nos soutiens devront affronter une tension inédite sur les ressources. La conquête
des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses ambitions légitimes doit conduire Sciences Po à
ne pas confondre stabilisation et immobilisme. Diriger, ce n’est pas seulement « gérer ».
1. EN MATIÈRE DE RECHERCHE, SCIENCES PO DOIT REVENDIQUER L’EXCELLENCE
Le monde est devenu un enchevêtrement de crises : crise économique, crise financière, monétaire,
sociale, politique, écologique, crise morale, crise de l’ordre international et des institutions qui
s’efforcent de le garantir, crise de l’emploi… L’émergence d’un monde nouveau, depuis les années
90, contient nécessairement un appel à la recherche, à l’expertise, à la formation et au débat. Pour
notre institution, en raison de la spécificité de nos sciences sociales, c’est évidemment un moment
propice. Sciences Po a été imaginé dans une période à certains égards comparables à celle que nous
connaissons aujourd’hui. Face au désarroi des élites, Boutmy projetait de « refaire une tête de peuple
à la France » ; face aux humanités spéculatives, qu’il jugeait incapables d’éclairer la décision, Boutmy
voulait mobiliser les sciences sociales fondamentales pour en extraire un ensemble de savoirs
pratiques utile à la décision, à l’action et à la société ; face à l’ignorance publique et aux poussées de
la démagogie qu’il redoutait dans l’extension du droit de suffrage, il voulait préparer des esprits
informés, critiques, compétents et responsables qui pussent être capables « de donner le ton, de
proche en proche, à toute la nation »
1
.
Pour Sciences Po, la priorité de la recherche est un effet direct de son inscription dans le monde
universitaire. Le mandat qui s’ouvre ne peut que placer la recherche au coeur de nos priorités. C’est
dans la logique du choix stratégique qui a été fait d’inscrire Sciences Po dans la catégorie des
« universités ». Parce qu’il n’y a pas de formation supérieure d’excellence qui ne soit adossée à la
recherche, « il n’y a pas d’Université de rang international qui ne fasse de la recherche une priorité »
2
.
Il ne faut cependant pas oublier que la recherche joue à Sciences Po un rôle important depuis
longtemps, grâce aux centres de recherche, dont certains existent depuis plus de 50 ans, et grâce aux
formations de troisième cycle d’alors.
1 La première « refondation » de Sciences Po, avec Jacques Chapsal, a eu lieu après la seconde guerre mondiale, dans le
même type de contexte. Il fallait, une fois encore, « refaire une tête de peuple à la France », pour accompagner l’avènement de
l’Etat providence, le changement de république, la décolonisation, la croissance des Trente Glorieuses ou l’intégration
européenne. La deuxième refondation vient d’avoir lieu, avec Richard Descoings, accompagnant cette fois l’effondrement du
communisme, la globalisation économique, l’explosion du numérique, la montée en puissance des pays émergents et les
révolutions arabes.
2 Richard Descoings, Sciences Po.
De la Courneuve à Shangaï,
Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 109.
3
A.- Les objectifs de la recherche en sciences sociales
Si l’on place la recherche au coeur de Sciences Po, il faut dire quels objectifs lui sont assignés. La
recherche en sciences sociales doit viser quatre objectifs :
1. Elle doit
contribuer au progrès des connaissances
; c’est le grand débat scientifique ; la
recherche doit identifier, observer, mesurer, décrire et comprendre les phénomènes complexes dont
on pense qu’ils déterminent ou éclairent la marche du monde ;
2. La recherche doit
inspirer les programmes d’enseignement
, des plus fondamentaux,
avec les formations en histoire, économie, sociologie, droit ou science politique, aux plus
opérationnels, avec les formations dispensées dans les Masters professionnels ;
3. La recherche doit
répondre à la demande sociale d’expertise
en organisant les
passerelles entre la science et l’action, publique ou privée. Les sciences sociales sont non seulement
des sciences
de
la société mais aussi des sciences
pour
la société. Comme toutes les sciences elles
doivent participer aux progrès de la connaissance ; comme toutes les sciences, elles doivent aussi
démontrer leur utilité.
On sait que Boutmy a voulu créer une Ecole «
des
sciences politiques », et non une Ecole «
de
science politique » précisément parce qu’il voulait mettre l’accent non seulement sur la connaissance
de savoirs fondamentaux, mais aussi sur la maîtrise de savoirs pratiques capables d’aider les sociétés
à dépasser les difficultés qu’elles rencontrent
3
.
Confrontées à une multitude de changements, nos sociétés attendent des enseignants-chercheurs
qu’ils proposent davantage leurs expertises afin non seulement d’analyser un problème donné, mais
aussi, désormais, de formuler des recommandations, voire d’indiquer les conditions de leur mise en
application. En France, le récent développement des
think tanks
illustre les progrès de cette demande
et se traduit par la multiplication des points de passage entre la science et l’action, entre la science et
la décision. Les enseignants-chercheurs, qui sont,
de facto
, de plus en plus souvent sollicités pour
conduire ce type de travaux, doivent être encouragés en ce sens. Il faut oeuvrer à la valorisation de
telles contributions dans le parcours professionnel d’un enseignant-chercheur, dès lors que les
travaux répondent aux critères de la démarche scientifique. C’est une autre façon d’oeuvrer à la
notoriété d’une institution, à la diffusion de ses recherches et à la levée de fonds.
Ceci pourrait être conçu et réalisé à Sciences Po à la manière du « LSE Experts Directory », qui
propose au public un index nominatif et thématique des experts présents dans l’institution.
En matière d’expertise, le PRES représente un potentiel considérable. Il ouvre largement l’éventail
des compétences en offrant à Sciences Po une place de choix, dès lors que les objets de la recherche
ou de l’expertise possèdent une dimension politique, économique, juridique ou sociale, ce qui est
presque toujours le cas. Il suffit de songer à la question cruciale de la gestion des risques, qui permet
d’articuler la plupart des programmes de formations et de recherche proposés à Sciences Po, avec
les Universités partenaires, l'EHESP (École des hautes études en santé publique), l'IPGP (Institut de
physique du globe de Paris), sans compter les organismes de recherche participant à l'Idex, par
exemple, dans ce cas, l’INSERM.
4. La recherche ne doit pas seulement comprendre, elle doit aussi expliquer, c’est-à-dire
prendre part au débat public
, en diffusant sous une forme simplifiée les résultats de l’activité
scientifique. Le partage de la connaissance est le moindre des devoirs pour une activité dont une
bonne partie des financements combine les subventions publiques et les dons. Le partage est enfin
un atout, lorsqu’il permet d’accroître la visibilité d’une science ou de l’activité scientifique auprès de
publics que l’on sollicite par ailleurs pour des arbitrages budgétaires (élus locaux, nationaux,
européens, responsables publics, chefs d’entreprise, etc.). Pour les sciences sociales, l’enjeu de la
vulgarisation et de la visibilité constitue aussi un enjeu financier.
3
Pour information, je voudrais préciser qu’une partie de ma thèse pour le doctorat en science politique, dirigée par Georges
Lavau puis Jean Leca, a porté sur la création de l’Ecole libre des sciences politiques (cf.
L’ordre démocratique. Les fondements
pratiques d’une politique de masse de type démocratique
, Paris, 1994, Sciences Po, volume III, pp. 967-984).
4
B.- La revendication de l’excellence implique d’en assumer les conséquences
L’importance que nous devons accorder à la recherche pour nous situer au niveau de l’excellence
scientifique internationale implique certaines conséquences que l’on peut mettre en lumière :
1. En premier lieu, cela implique de
poursuivre la politique de création de postes
. La place
de Sciences Po sur la scène scientifique mondiale dépend pour une part déterminante de ce facteur
qui conditionne tant le volume que la diversité de la production, permettant d’améliorer la visibilité, le
« ranking » de notre institution, comme de multiplier les contrats ouvrant à financements.
2. Il faut ensuite
intensifier et renforcer le soutien à la publication des travaux
, à leur
diffusion en langue anglaise et à leur référencement. De ce point de vue, la production des doctorants
ou des jeunes docteurs doit être fortement encouragée et accompagnée par la création de « Writing
Centers
».
Un « Writing Center »
4
, au sein de la bibliothèque permettrait d’accompagner les
doctorants lorsqu’ils rédigent leur « papers » ou leur thèse. Il s’agit de les aider dans la réalisation
d’un travail éditorial de type scientifique en proposant un encadrement en matière de relecture, de
correction, de mise en page, etc. Cette aide a l’avantage de faciliter et d’accélérer le passage à la
publication, ouvrant ainsi au doctorant ou au jeune docteur les portes de la diffusion numérique, et
favorisant la visibilité et le rayonnement de ses travaux et de l’institution qui les a rendus possibles.
3. Dans la mesure du possible,
les Masters et les « écoles » proposant des Masters doivent être
rattachés à un département de recherche
. Pour les Masters de l’Ecole doctorale, cet ancrage est
leur raison d’être. Pour les autres, le propre d’un Master est d’associer un contenu appliqué, de type
professionnel, et un contenu plus fondamental, de type scientifique. Il s’agit donc de les considérer au
cas par cas mais en affirmant qu’un lien avec la recherche est toujours un gage de qualité dans la
formation dispensée et les compétences acquises. L’ancrage dans la recherche est acquis, et il paraît
plus aisé sinon plus naturel, pour les masters qui concernent les métiers de la finance, de l’économie,
du droit
5
, le Master Governing the Large Metropolis, ou le Master Urbanisme.
Tous les Masters ne peuvent ainsi s’inscrire dans le cadre singulier de la recherche, comme le montre
le cas du Master Etudes et Marketing, Sciences Po ayant depuis longtemps renoncé à soutenir la
recherche dans ce domaine, d’ailleurs moins développée en France qu’ailleurs. Cependant, il
demeure que les outils et les méthodes nécessaires au monde du Marketing sont les mêmes dans le
monde de la science politique quantitative. Il existe des passerelles trop longtemps négligées, au nom
d’une séparation d’autant plus incompréhensible que le consommateur et le citoyen sont une seule et
même personne.
Il faudrait réfléchir à l’ouverture d’un programme de recherche dans le domaine du Marketing. Les
entreprises et leurs marques sont aujourd’hui confrontées à des problèmes inhabituels qui relèvent
d’un processus de politisation, ce que certains travaux expliquent par le déclin des instances
politiques traditionnelles entraînant une recherche de compensation de la part des individus. La
réputation des entreprises, de leurs marques, leur acceptabilité, sont directement et de plus en plus
fortement affectées par des formes de jugement public qui se trouvent à mi-chemin du consommateur
et du citoyen. La responsabilité sociale des entreprises a pris une ampleur sans précédent. Les
entreprises, leurs marques, les services ou les produits qu’elles proposent font l’objet de mises en
cause politiques de la part du public, ou d’attentes politiques implicites, qu’il est devenu impossible
d’ignorer : développement durable, commerce équitable, mais aussi diversité des recrutements, parité
des Conseils d’administration, rémunérations, transparence des décisions, etc. Aux « 4 P » du « mix
marketing » (Product, Price, Promotion, Place), il faut désormais ajouter « Politics ».
Un tel programme de recherche permettrait de renforcer la qualité de nos formations en Master, de
développer notre programme de recherche, d’enrichir et de resserrer ses liens avec le monde de
l’entreprise.
4.
L’excellence scientifique implique l’accès à une documentation de premier plan
. Il n’y a pas
de recherche sans bibliothèques ni fonds de documentation et, dans ce domaine, le paysage
est en mutation. Une grande bibliothèque de recherche en sciences sociales ouvrira en 2016 à
4
Cf. par exemple le
Writing Center
de la Nortwestern University, à Chicago, celui de la Memorial University of Newfoundland,
au Canada, ou celui de la Melbourne University, en Australie.
5
Cf. l’exemple du Master « Finance et Stratégie », qui s’inscrit dans le département d’économie ou les Masters de l’Ecole de
droit.
5
Aubervilliers (PRES Condorcet). Ce nouveau bâtiment deviendra la plus grande bibliothèque
en sciences sociales de France, ravissant le titre à Sciences Po qui le détenait jusque-là.
En 1
er
et 2
ème
cycle, les fonds disponibles sont jugés suffisants pour répondre aux besoins des
étudiants. Pour la recherche, en revanche, des choix seront certainement nécessaires compte tenu de
l’importance que représente l’accès à un fonds de qualité et, par ailleurs, des moyens financiers
requis pour entretenir ces fonds. Les juristes le disent, en droit, le fonds disponible à Sciences Po ne
peut ni ne pourra rivaliser avec celui de Cujas ; cela implique que nos enseignants-chercheurs et nos
doctorants devront continuer à utiliser principalement le fonds disponible à Cujas. Pour la recherche
en économie, si notre fonds est jugé satisfaisant pour les publications, selon nos économistes, il est
en revanche très lacunaire pour ce qui concerne les bases de données dont les abonnements sont
particulièrement coûteux (Dauphine, l’INSEAD ou HEC en possèdent de meilleures, chacun de ces
établissements mettant l’accent sur une documentation servant ses spécialités). En sociologie et en
histoire, le fonds Sciences Po est encore adapté aux exigences d’une recherche de haut niveau. En
science politique, le fonds dont nous disposons demeure une référence nationale et internationale.
D’une manière générale, sur cet aspect, le PRES doit permettre de mutualiser les fonds, ce que
facilite la numérisation. Cependant, si la numérisation est l’une des réponses aux défis que représente
la mobilisation d’un fonds de documentation à la hauteur des ambitions affichées par notre institution
en matière de recherche, elle suppose de mobiliser des moyens financiers très importants. En effet,
au coût de la numérisation s’ajoute celui de la maintenance informatique, car la numérisation des
fonds de documentation implique la création et le développement de systèmes informatiques à la fois
lourds et complexes.
5. Revendiquer l’excellence en sciences sociales suppose donc d’être en mesure de
maintenir le niveau des ressources financières
.
2. NOUS DEVONS INITIER ET CONDUIRE DE GRANDS DÉBATS SCIENTIFIQUES
Pour Sciences Po, la revendication de l’excellence en matière de recherche en sciences sociales
suppose certes de prendre une part active aux programmes de recherches, mais cela suppose aussi
de prendre l’initiative d’ouvrir et de conduire de grands débats capables de mobiliser la communauté
des chercheurs. On peut ici en donner quelques exemples.
A. Quelles sont les nouvelles frontières des sciences sociales ?
L’hypothèse d’un passage à l’« anthropocène »
6
peut illustrer, ici à titre d’exemple, ce que l’époque
appelle comme réflexion structurante à travers de nouveaux grands débats qui redéfinissent les
relations entre les sciences de la nature et les sciences sociales. C’est un ancien débat scientifique,
épistémologique, philosophique et politique qui fait retour, puisque les savoirs sur l’Homme et sur la
société se sont constitués comme « sciences » au XIXe siècle, dans un jeu d’imitation et de
différenciation avec les sciences de la nature.
Pour Sciences Po, il est à proprement parler
fondamental de contribuer à déterminer la situation des sciences en général et des sciences
sociales en particulier pour le siècle qui commence
.
Les effets que l’activité humaine est susceptible de produire sur l’environnement naturel et sur la
nature humaine soulèvent de graves questions auxquelles nos universités s’attachent déjà à
répondre. Mais ce n’est que le début d’un questionnement ; sur le plan juridique : n’est-ce pas la fin de
toute responsabilité lorsque les dommages causés par notre action sont potentiellement irréparables ?
Sur le plan politique : quelle légitimité permet de prendre des décisions qui engagent possiblement la
sécurité présente d’une société tout entière, peut-être celle des générations futures, voire qui modifie
l’identité de la nature humaine ; sur le plan économique : quels impacts la gestion des nouveaux
risques peut avoir sur la vie des entreprises et la profitabilité des investissements consentis ; ou sur le
plan sociologique : quels effets les technologies nouvelles peuvent avoir sur les représentations
6
L’anthropocène désigne cette période débutant avec la révolution industrielle et au cours de laquelle l’influence de l’activité
humaine sur l’environnement est peu à peu devenue si grande qu’il serait possible de lui imputer l’avènement d’une nouvelle
époque géologique.
6
collectives et sur l’ordre social, si l’on songe, pour prendre trois exemples, à l’explosion des réseaux
sociaux, au potentiel considérable des nanotechnologies ou du génie génétique.
Sciences Po doit prendre une part active à cette révolution scientifique et politique. C’est conforme à
sa vocation pour les sciences sociales en général, pour la science politique en particulier et pour la
portée pratique de la connaissance. Compte tenu de l’immense richesse scientifique qu’il agrège,
notre PRES fournit le cadre idéal pour poser ces grandes questions qu’associent les sciences
sociales et les sciences du vivant, la décision et la gestion du risque, l’innovation et la croissance.
B. La mutation des systèmes politiques doit faire l’objet d’un grand programme de recherche.
D’un côté, la crise de la dette, la globalisation économique et le vieillissement démographique
semblent capables de fragiliser, voire de déstabiliser les démocraties occidentales et le système
institutionnel européen, tandis que, d’un autre côté, les révolutions arabes, la croissance économique
et le développement humain que connaissent les pays émergents pourraient conduire à redessiner la
carte des régimes politiques. Outre les unités de recherche déjà citées, on peut voir ici que le CEE,
l’École de droit et le département d’Économie peuvent être parties prenantes dans le cadre d’un tel
projet d’étude.
De même, la crise historique des finances publiques qui affecte les démocraties menace le
fonctionnement, voire la survie des systèmes de solidarité et de redistribution sans l’efficacité
desquels la stabilité politique est impossible.
Des programmes de recherche ambitieux doivent être conçus pour étudier le processus de
fragilisation qui affecte les systèmes politiques en ce début de XXIe siècle. Ces programmes doivent
être conçus au sein de Sciences Po, entre les différentes unités de formation et de recherche, comme
avec les institutions partenaires, universités et centres de recherche. On ajoutera que ce type de
recherche constitue par ailleurs un enjeu identitaire pour Sciences Po.
C. Pour un programme international de recherche sur les nouvelles générations
Institution universitaire, Sciences Po s’adresse avant tout aux nouvelles générations, celles des
jeunes gens qui ont entre 16 et 24 ans. Or, ces jeunes, aujourd’hui, constituent les premières
générations nées au coeur de ce processus de globalisation si souvent décrit et commenté, à juste
titre, comme un bouleversement historique d’une ampleur inédite.
1.
C’est un programme pour la recherche, afin de mieux comprendre le monde
émergent :
au cours de la décennie qui vient, lorsque leurs représentants parviendront aux
responsabilités, les 16-29 ans donneront au changement historique déjà à l’oeuvre toute la force et
cette intensité qu’il ne nous est pas encore donné de voir. Il faut l’anticiper. Ainsi, il est frappant de
noter à quel point, dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, qui
entretient un lien si intime avec la globalisation, ce sont d’ores et déjà les plus jeunes qui conçoivent,
créent et font prospérer les nouveaux espaces, les nouveaux outils, les nouveaux médias et les
nouvelles entreprises qui sous-tendent et ordonnent les cultures du monde, à l’intérieur d’une culture
planétaire. Google et Facebook en sont deux illustrations majeures.
2.
C’est un programme pour l’enseignement, afin de mieux observer comment
s’informent, apprennent, réfléchissent et travaillent nos étudiants. Nous formons en effet les
premières générations qui ont été immergés dans la culture de l’écran.
A partir de maintenant,
les générations d’étudiants qui arrivent à Sciences Po auront baigné dans la culture de l’écran. C’est
par l’écran qu’elles appréhendent les savoirs. L’antique matérialité de l’écrit disparaît peu à peu du
monde étudiant pour laisser la place à des supports qui déterminent nécessairement un nouveau
rapport à la connaissance, aux informations disponibles, comme un nouveau type de lecture, de
pensée et d’écriture. Le temps est venu d’essayer d’en mesurer et d’en comprendre les
conséquences sur l’enseignement, la lecture, la compréhension, voire l’organisation du travail des
étudiants et des enseignants.
Prenons un exemple. Les moteurs de recherche, via internet, ne permettent plus à nos étudiants de
ne pas trouver immédiatement les réponses à une question qu’ils se posent ou qui leur est posée. Si
l’accessibilité de l’information constitue un progrès gigantesque, il n’est pas moins nécessaire de
7
réfléchir aux conséquences négatives que pourrait avoir sur l’esprit de nos étudiants, sur la nature
comme sur le niveau de leurs compétences, l’habitude prise de ne plus avoir à imaginer ou à spéculer
dans l’attente d’une réponse ou d’une information. Il faut certainement oeuvrer à une promotion des
processus de réflexion, au travail d’argumentation, à la fortification de la démarche critique, qui ne
sont pas toujours compatibles, chez de jeunes gens, avec l’abondance et l’immédiate accessibilité des
informations.
Sciences Po dispose de la force d’attraction et de la légitimité permettant d’institutionnaliser et de
pérenniser un baromètre mondial de la jeunesse qui intègrerait sans peine un nombre croissant de
pays
7
. Que sont les générations émergentes ? Quelles sont leurs valeurs, leurs aspirations, leurs
craintes, leurs disponibilités ? Comment jugent-elles la marche du monde ? Quelle est la géographie
de leurs opinions ? Comment évolue-t-elle, d’année en année ? Le CERI, le Centre européen, le
CEVIPOF, le CDSP, l’OSC, voire l’équipement DIME-SHE (Equipex), pourraient prendre une part
déterminante dans la conception, la conduite de l’enquête comme dans l’analyse et la diffusion des
résultats. L’expérience montre que la levée de fonds pour rendre possible la réalisation de telles
enquêtes est à portée de main (j’ai pu réunir 1 M€ pour réaliser les deux premières enquêtes).
3. FORMATION : QUE FAUT-IL NE PAS OUBLIER D’ENSEIGNER À NOS ÉTUDIANTS ?
Nous avons pour mission de préparer nos étudiants à réussir leur vie professionnelle et leur vie de
citoyen. Nous devons les aider à se doter d’un esprit informé, critique et à acquérir une solide culture
en sciences sociales, à maîtriser des savoirs professionnels spécialisés, à être responsables, mais
capables d’initiative et de décision, à être ouverts à l’innovation, tout en sachant raisonner à l’échelle
du monde mais aussi de l’Europe. Mais, compte tenu des changements qui sont à l’oeuvre à l’échelle
de l’histoire, nous devons aussi mettre l’accent sur quelques points particuliers.
1.
Le sens du risque
. Dans nos sociétés, devenues si savantes, un procès excessif a pu être
instruit contre le risque, contre la science même, au nom du principe de précaution, au nom des
risques technologiques, bien réels comme vient de nous le rappeler la catastrophe de Fukushima,
mais qui sont inextricablement liés à l’aventure humaine. Dans quelques parties du monde, chez
nous, l’hostilité à certaines expressions du progrès a pris une telle importance qu’elle tend à rendre
sinon impossible pour le moins très difficile la poursuite des recherches. C’est un enjeu éminemment
stratégique si l’on songe à l’importance que revêtent d’ores et déjà l’invention scientifique et
l’innovation technologique dans la création des richesses et dans la redistribution planétaire du
pouvoir économique, politique et culturel.
Il est certain que le savoir ne se confond pas avec la sagesse ou la prudence sans un effort
intellectuel supplémentaire et spécifique. Pour certains, la capacité de l’Homme à connaître
dépasserait désormais non seulement sa capacité à devenir sage, laquelle serait restée identique,
mais aussi sa capacité à connaître les conséquences de ses actes, voire sa capacité à connaître les
conséquence de sa connaissance.
Nos étudiants doivent réfléchir sur de tels enjeux, mais ils doivent le faire pour définir l’action juste, le
progrès utile, le risque calculé, non pour renoncer à toute action, à toute décision et finalement à
l’histoire. Ici, sur le vieux continent, l’expression de réticences ou de franches oppositions au progrès
de la connaissance peut décourager des investisseurs et accélérer la délocalisation des intelligences
et des moyens financiers vers des zones plus favorables à la science profitant parfois d’une sorte de
« dumping éthique ». La carte mondiale des brevets déposés dans le domaine des OGM montre, par
exemple, que la France a non seulement perdu la position de leader qu’elle détenait depuis le XIXe
siècle, mais aussi que l’immense patrimoine scientifique s’est peu à peu flétri, faute d’avoir été cultivé.
7
En 2011, dans le cadre de mes fonctions à la Fondation pour l’innovation politique, j’ai conçu une enquête internationale,
auprès de 25000 jeunes âgés de 16 à 29 ans, dans 25 pays, sur les 5 continents. L’administration en a été confiée à l’institut
d’études TNS Opinion. Un premier livre est issu de ce travail (
2011, la jeunesse du monde. Une enquête planétaire
, Paris,
Éditions Lignes de repères/Fondation pour l’innovation politique, 2011). Cette année, en 2012, une deuxième enquête vient
d’être réalisée, cette fois en partenariat avec l’ONU, dans le cadre de « Rio+20 ». Elle a été conduite dans 30 pays, sur les 5
continents, auprès de 30000 jeunes âgés de 16 à 29 ans. Elle vient de donner lieu à une nouvelle publication :
Youth and
Sustainable Development
, Paris, juin 2012, Fondation pour l’innovation politique/Nomadéis) qui prépare un ouvrage complet
dont la parution est prévue à l’automne.
8
Cette perte d’une partie de nos meilleures compétences techniques et scientifiques se fait au profit de
pays émergents mais aussi au profit d’anciennes puissances plus engagées que nous dans ce type
d’innovation.
Il serait regrettable que le vieux continent perde peu à peu son industrie, ses usines et leurs ouvriers,
en raison d’un coût du travail trop élevé, et que nous ayons ensuite à déplorer le même phénomène
pour notre science, ses laboratoires et leurs chercheurs, cette fois en raison d’un coût éthique et
politique trop élevé. On disait, autrefois, « les pacifistes sont à l’Ouest mais les missiles sont à l’Est » ;
on pourrait observer aujourd’hui que le principe de précaution a été adopté chez nous, quand les
brevets sont déposés par le reste du monde.
2.
Il faut notamment intégrer dans nos formations la révolution administrative du
partage des données d’informations publiques.
Pour la France, l’Europe et, plus largement, le
monde occidental, la crise financière conduit à une profonde recomposition des puissances publiques.
La figure de l’Etat en sera modifiée. Loin de croire à sa disparition ou à son effacement, car l’on voit
bien ce que le nouveau monde requiert comme régulation, c’est une autre métamorphose qui est en
cours. L’enseignement dispensé à Sciences Po doit l’accompagner, la comprendre, l’anticiper, la
gouverner. Le rôle de notre maison dans ce changement doit être central, comme ce fut le cas, déjà,
lorsqu’à la Libération, la création de notre Etat providence, bouleversant toute notre organisation
économique, politique et sociale, fit surgir de nouvelles élites, capables de prendre en charge cet
immense chantier, avec la création de l’ENA, la création de la FNSP et le rôle que l’IEP s’est vu
confier, par voie de conséquence, dans la formation de ces nouveaux gouvernants.
Sciences Po doit prendre une part active à la révolution de l’ouverture et du partage des données
d’informations publiques, ce que l’on désigne sous le terme de «
open data
». Il est devenu
indispensable de
former les agents de la fonction publique à l’ouverture des données d’informations
publiques
8
.
Avec la généralisation des usages d’internet, les mentalités ont intégré la notion de réseau, d’ubiquité
et d’interaction à distance (
online
). C’est dans ce contexte que les gouvernements, confrontés à deux
demandes de nature différente, soit une meilleure utilisation de l’argent public et une simplification des
démarches administratives, sont entrés dans l’ère de l’administration dématérialisée et du
gouvernement électronique. Les responsables politiques sont désormais tenus de rendre des comptes
plus précis sur la manière dont ils utilisent l’argent public.
Le principe de la transparence et de la gouvernance ouverte (
open government
) modifie en
profondeur la conduite des affaires publiques. A l’ancien modèle hiérarchique, vertical et secret, on
voit se substituer un modèle plus participatif, horizontal et public, plus favorable à la gestion
responsable où chacun croit pouvoir devenir acteur et le devient, en effet, de plus en plus souvent.
Ceci constitue, d’une part, une évolution sensible de l’administration vers une sorte d’administration
citoyenne, et d’autre part un changement dans les pratiques des agents des administrations.
L’ouverture des données publiques n’est pas seulement une condition du développement de notre
culture démocratique, elle est aussi un facteur de la croissance économique, en raison du
développement des usages de ces données et des applications qu’elle permet (en direction de la
téléphonie mobile) et qui pourraient être développées par l’industrie (notamment avec les données
géolocalisées).
Conscient de l’effet de levier économique produit par l’usage des données d’information publique,
l’Etat a décidé d’en faciliter l’ouverture (open data) avec la création en 2011 d’un portail unique
(data.gouv.fr) de réutilisation des informations publiques, placé sous l’autorité du Premier ministre.
Mais en amont, ce projet réclame l’implication des agents publics dans les processus d’innovation et
l’appropriation des compétences pour stimuler la volonté de changement. C’est ainsi que Sciences
Po, engagé depuis toujours dans la formation aux métiers de l’administration, doit ouvrir à la
recherche et à l’enseignement de nouvelles voix dédiées à la création, au traitement et à la diffusion
des données d’information publique. Au-delà des compétences en termes de « métiers », c’est toute
la culture de la gouvernance ouverte qui doit être rendue accessible aux professionnels de la sphère
8
Depuis quelques années, l’administration ouverte connaît des progrès fulgurants dans le monde, en particulier au Canada, en
Nouvelle-Zélande, en Australie, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni.
9
publique en mettant en perspective des possibilités encore inédites d’interactions entre les agents
eux-mêmes, comme entre les agents et les citoyens, dans le but d’améliorer la qualité des services
publics. Cette formation générale, à la fois théorique et pratique, poserait les bases communes de
savoir-faire en matière de création et de traitement des données publiques afin de les rendre
utilisables par le plus grand nombre, le grand public et par les entreprises.
Cela concerne donc les métiers du public, et ce volet pourrait s’ajouter au dossier que constitue la
réflexion en cours sur la création d’une École d’Affaires Publiques (EAP) ; cela concerne aussi les
métiers de la recherche, ceux du secteur marchand, les métiers de la communication ou du
journalisme, avec notamment l’apparition d’un datajournalisme qui paraît devoir jouer un rôle
croissant.
L’émergence de nouvelles perceptions de l’information est liée à l’usage généralisé des outils
multimédias, aux technologies interactives du web et à la revendication du droit à l’information,
notamment s’agissant des données d’information publique. Le monde de la presse est traversé,
bousculé par cette révolution ; il doit s’adapter à ces nouveaux comportements du public afin de mieux
répondre à ses attentes. Une école de journalisme innovante doit préparer les nouvelles générations
de journalistes non seulement à la maîtrise des outils numériques comme support de diffusion mais
aussi à l’exploitation des ressources en ligne.
Le journalisme de données
requiert du professionnel
de l’information la capacité de rechercher les données d’information dans les multiples bases
institutionnelles, de les traiter, de les présenter et de les diffuser de manière structurée et signifiante.
C’est ce que l’on appelle le datajournalisme qui repose sur des méthodes exigeantes. L’école de
journalisme de Sciences-po s’adapte à l’évolution du journalisme et propose des spécialisations en
datajournalisme. Nos voisins outre Manche ont initié ce type de formation à Londres (City University
London). L’enseignement dispensé pourrait porter sur les techniques de : recherche de contenus à
partir des jeux de données ; d’interprétation de ces données ; de représentation en temps réel des
informations produites par l’infographie et la datavisualisation ; d’ergonomie, de design, de
datamanagement, de vérification…
3.
Promouvoir l’esprit d’entreprise, susciter les vocations de créateur d’entreprise
. Les
formations proposées par Sciences Po offrent à nos étudiants la maîtrise de savoirs théoriques et
pratiques qui répondent aux attentes du monde professionnel et en particulier du monde de
l’entreprise. Il demeure indispensable de promouvoir l’esprit d’entreprise pour lui-même, dans le but
de favoriser l’émergence des entreprises de demain et de compenser les effets du brutal
vieillissement démographique qui frappera très bientôt la classe des entrepreneurs. Depuis 2008, le
programme Sciences Po Entrepreneurs intégrant l’Incubateur de Sciences Po propose un parcours
pédagogique dont le but est d’encourager les vocations. Il faut déployer encore cet effort en faveur
non plus seulement de l’entreprise, mais de la direction d’entreprise et de la création d’entreprise.
En dehors de ce qui est déjà en place, qui concerne des étudiants ayant déjà choisi de s’intéresser à
la création d’entreprise, il s’agit d’imaginer un programme de sensibilisation auquel nul étudiant ne
devrait pouvoir se soustraire. La formation par l’expérience de l’altérité, c’est aussi l’apprenti haut
fonctionnaire qui découvre l’univers culturel de l’apprenti entrepreneur, et inversement.
4.
L’idée européenne
. Dans un moment marqué par la crise européenne des finances
publiques, l’hostilité à l’Union est une opinion montante dans chacun des pays qui la composent. Les
gouvernements nationaux sont pris entre la nécessité de coopérer de plus en plus étroitement avec
les institutions communes et les Etats membres, et une opinion nationale plus hostile à l’Union parce
qu’elle voit une sorte de pouvoir tyrannique dans les implications de la solidarité européenne. La
situation historique est particulièrement préoccupante. Qui peut assurer aujourd’hui que l’Union
survivra à la crise de l’Euro ?
Les nouvelles générations ont besoin de réapprendre l’Europe, la généalogie dont l’Union est le
résultat, la communauté de destin que représente cet ensemble, les valeurs communes. Sciences Po
devrait s’engager auprès des grandes universités européennes, dans chacun des pays membres, à
composer un programme commun d’enseignement qui assurerait la diffusion et le partage d’un savoir
commun, avec notamment le concours de l’Ecole doctorale, du Master Affaires publiques
européennes et du Centre d’études européennes.
10
L’internationalisation de Sciences Po ne doit pas se faire au détriment de l’Europe, non pas comme
espace commun, nous avons plus de 125 accords avec des Universités européennes, mais comme
ensemble politique. Au-delà des premiers cycles spécialisés, des modules de formation ou des
équipes de recherche dédiées, il faut cultiver et promouvoir l’esprit européen auprès de tous les
étudiants de Sciences Po mais plus particulièrement auprès des étudiants européens qui doivent
davantage réfléchir aux raisons profondes de l’Union.
La marche de fait vers une fédéralisation de l’Union, notamment pour tenter de répondre à la crise de
l’euro, doit être accompagnée par une recherche spécifique, visant à éclairer les conditions
économiques, juridiques et politiques qui président à un tel mouvement historique.
4. SCIENCES PO DOIT PARTAGER L’EXCELLENCE SCIENTIFIQUE AVEC TOUS LES
PUBLICS
Sciences Po a lancé en 2007 un programme innovant de e-cours (Projet pilote lancé à l’initiative de
Richard Descoings, avec Olivier Duhamel et moi-même). Le programme SPIRE permet désormais de
donner accès à de nombreux travaux issus des recherches conduites à Sciences Po. Fort de cette
réussite, Sciences Po développerait une offre de formations en ligne à partir de quatre formats
différents, destinés à des publics différents :
1.- Une
offre réservée aux étudiants de Sciences Po
. Ce mode de diffusion des
enseignements offre la possibilité à un public plus large, n’ayant pas les disponibilités pour être
présents dans les locaux de l’institut, d’apprendre sans se déplacer et à des rythmes adaptés à
chaque situation personnelle. La condition matérielle requise pour suivre ces cours en ligne est d’avoir
à disposition un ordinateur connecté à internet. L’offre de cours en ligne est l’une des réponses à la
nécessité de faciliter l’accès des étudiants handicapés à Sciences Po.
2.- Une
offre réservée à la « communauté Sciences Po».
Cette communauté comprendrait
les étudiants de Sciences Po et les étudiants des IEP de province. Les enseignants de tous les
établissements concernés se constitueraient en réseau de professeurs. Ils élaboreraient ensemble,
quel que soit leur IEP de rattachement, l’offre de formation et la dispenseraient via une plateforme
commune propulsée par Sciences Po. Cette plateforme permettrait également d’offrir une vitrine des
travaux de recherche, de valoriser la production des enseignants chercheurs de l’ensemble de cette
communauté. Les modalités de diffusion des contenus seraient multiples : vidéos, archives,
documents sonores, documents sous forme de textes, cartographie, questionnaires d’évaluation des
connaissances, messagerie, forum… Ce projet aurait pour objectif de contribuer à refonder les
relations entre Sciences Po et le réseau des IEP de France.
3. - Une
offre payante, ouverte aux entreprises, aux salariés
ainsi qu’à toute personne
intéressée. Ce programme payant de formations online serait destiné à ceux qui souhaitent
développer une expertise ou se réorienter dans un autre domaine d’activités. Mais ce programme
payant pourrait aussi être ouvert aux particuliers soucieux de renforcer leurs savoirs et de trouver de
nouvelles stimulations intellectuelles sans visée diplômante. On pourrait envisager diverses modalités
de formation parmi lesquelles, par exemple le «
peer to peer »
(mis en place, par exemple, par Mac
Gill University, au Canada)
4.- Une
offre de formation gratuite et ouverte à tous
. Depuis sa naissance, Sciences Po
est déterminé à contribuer activement à la formation d’un débat public aussi rigoureux que possible.
Cette exigence est l’une des raisons d’être du geste initial d’Emile Boutmy, effrayé, en son temps, par
les progrès de la démagogie, la radicalisation des confrontations et l’affaissement intellectuel des
élites dirigeantes. Sciences Po participe depuis toujours à la vie démocratique et au débat public, c’est
l’un des reproches qui lui est parfois adressé, lorsque l’on veut confondre la préoccupation pour la
qualité du débat public avec un projet d’influence.
L’engagement dans le processus d’ouverture à l’ « éducation prioritaire » au travers des conventions
ZEP relève de cette même vocation constitutive de l’identité de notre maison. La volonté de mettre à
la portée du plus grand nombre des formations d’excellence, réputées élitistes, doit nous conduire à
partager plus largement nos connaissances et nos talents en offrant des formations gratuites, à
l’image, par exemple, du MIT ou de Harvard (
http://mitx.mit.edu/
).
11
La diffusion d’une « culture civique » pourrait constituer la base des contenus de cette formation
gratuite ouverte au plus grand nombre, en privilégiant les formats thématiques de courte durée (10
mn) sur supports variés (podcasts, vidéos, textes) adaptables aux différents terminaux (ordinateurs,
tablettes, téléphones mobiles).
Cet effort de partage correspond à l’esprit de générosité des donateurs qui soutiennent Sciences Po.
Ils seraient certainement très heureux et très satisfaits de contribuer ainsi à la diffusion d’un savoir
utile, au-delà de la communauté des élèves et des anciens élèves. C’est le même esprit de générosité
qui fut à l’origine du projet d’une « Fondation pour la citoyenneté », lancé par Alain Lancelot lorsqu’il
était directeur de Sciences Po, et qui devait être accueilli sur le site de l’ancien hôpital Laennec. Une
réflexion en ce sens a été poursuivie, y compris récemment, autour d’Olivier Duhamel et à l’initiative
de Richard Descoings.
5.
POUR
FINIR,
QUELQUES
POINTS
AUXQUELS
IL
FAUT
VEILLER
TOUT
PARTICULIÈREMENT
1.
Faire face au défi des ressources nécessaires à nos ambitions
. Ces dernières années,
les ressources ont connu une forte augmentation annuelle. C’est à cette condition que des réformes
ont pu être engagées. Le premier défi qui attend la nouvelle direction est certainement de répondre au
problème des ressources. La situation de nos finances publiques, nationales mais aussi locales, et le
contexte économique et financier général, indiquent que si les marges de progression existent, elles
se trouvent du côté des ressources propres. Le montant des droits de scolarité semble devoir suivre
une évolution plus favorable. Il n’est cependant pas insensible à la conjoncture économique dont
dépend directement le revenu des familles de nos étudiants. La participation des entreprises devra
être consolidée puis développée, malgré la conjoncture économique morose. La formation
professionnelle a connu une belle progression sur le long terme mais elle est désormais affectée par
la conjoncture et par la concurrence. Pourtant, la globalisation économique, le vieillissement
démographique ou la révolution numérique permanente favorisent le développement des programmes
de formation des actifs. Sciences Po devrait jouer un rôle majeur.
Enfin les ressources issues du mécénat et des dons devront être l’objet d’un effort croissant. Il
faut noter que le montant de ces ressources, pour ce qui concerne la partie provenant de donateurs
soumis à la fiscalité française, peut être impacté par la réforme que la nouvelle majorité souhaite
conduire cet été. La modification, voire la suppression, de certaines dispositions facilitant le don peut
réduire le rendement des campagnes de levée de fonds qui se déroulent par ailleurs dans un
environnement de plus en plus concurrentiel. D’un autre côté, la multiplication des fondations
universitaires et la tendance générale à chercher dans de tels modes de financement les ressources
compensant l’érosion des ressources publiques annoncent un environnement plus concurrentiel que
jamais. Moins de dons et plus de prétendants seront aussi bien les deux traits caractérisant l’activité
du fundraising dans les années qui viennent. Le développement des campagnes lancées hors de nos
frontières et la mobilisation accrue des
Alumni
constituent certainement deux sources appelées à
jouer un rôle plus important dans le financement des activités de Sciences Po.
2.
Réfléchir aux réformes institutionnelles dont notre institution a besoin
. Notre maison
a besoin d’évoluer aussi sur le plan institutionnel. C’est un chantier qu’il faut prendre le temps d’ouvrir,
avec une ambition raisonnable. Sans prétendre, par définition, connaître les questions à poser et
encore moins les réponses à apporter, il me semble que l’on peut dessiner à titre indicatif quelques
pistes de discussion utiles, parmi lesquelles la limitation à deux mandats du poste de directeur,
l’ouverture du Conseil d’administration aux représentants élus des étudiants, une meilleure publicité
de la vie de la maison, de ses instances, de leur composition ainsi que des décisions prises,
notamment dans l’utilisation des ressources et tout particulièrement en matière de rémunération.
3.
Consolider les CEP
. Il est indispensable de préserver la contribution de Sciences Po à
une réflexion sur les défauts de la méritocratie ordinaire et à une action pour en limiter les effets
pervers. Les CEP représentent une réponse. Il convient d’en assurer la pérennisation, notamment par
une consolidation de leue statut juridique. Une réflexion commune avec les différents IEP de France
pourrait, ici aussi, permettre de prolonger et d’enraciner le dispositif mis en place par Sciences Po.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents