La France est-elle une république bananière ? (sorti le 22 avril 2009)
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La France est-elle une république bananière ? (sorti le 22 avril 2009)

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Extrait

Introduction
Le 3 février 1975, Eh Black, le patron de la United Fruit Company, l'une des plus importantes compagnies bananières américaines, se suicidait en sautant de la fenêtre de son bureau new-yorkais. L'enquête montrait rapidement que l'homme d'affaires était mouillé jusqu'au cou dans une gigantesque affaire de corruption en Amérique centrale. La multinationale américaine avait en effet acheté le président du Honduras, Oswaldo Lopez Arellano, pour une somme de 1,25 million de dollars en échange de sa promesse de réduire les taxes à l'exportation de bananes. Devant l'ampleur du scandale, l'armée hondurienne déposait le président corrompu. Le coup d'État symbolisait l'acte de décès officiel du système dit de la « république bananière », en vigueur en Amérique centrale depuis une cinquantaine d'années. Pendant toute cette période, la United Fruit avait financé et manipulé la majorité des régimes fantoches au pouvoir dans la région, corrompant les généraux afin, notamment, qu'ils bloquent toute velléité de réforme agraire dans leurs pays. Le système de corruption institutionnalisé avait par exemple permis à la United Fruit de posséder jusqu'à 70 % des terres dans un pays comme le Guatemala ou d'employer jusqu'à 60 % de la population active du Honduras.
Dans les livres d'histoire, la United Fruit est devenue le symbole de l'influence corruptrice des multinationales sur les régimes des pays du tiers- monde. Les pratiques de la compagnie américaine ont donné naissance au concept de république bananière. Il désigne un pays dirigé par une élite corrompue monopolisant tous les pouvoirs et protégée par une police et une armée à son service exclusif. Un système de gouvernement basé sur la prévarication, le trucage des élections, l'appropriation des richesses et le maintien de la terreur.
À première vue, il s'agit là d'un régime daté et localisé, aux antipodes des principes démocratiques tels qu'on les connaît dans notre pays. En France, le bourrage des urnes est un épiphénomène quasi inexistant, sauf parfois en Corse et dans le Ve arrondissement de Paris, et l'alternance politique une règle invariable. Le fonctionnement des institutions respecte à peu près harmonieusement la lettre de la Constitution et les éventuels conflits se règlent devant les sages de la rue Montpensier. Les affaires de corruption encombrent les tribunaux. Les droits des citoyens ne sont pas seulement garantis par la justice mais également par toute une série d'autorités indépendantes aux acronymes compliqués. Le fichage est balisé par la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), les écoutes téléphoniques sont encadrées par la CNCIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité), la pluralité dans les médias télévisuels est contrôlée par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), les bavures policières le sont par la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité), les infractions boursières par l'AMF (Autorité des marchés financiers), les discriminations par la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité), etc. Même les détenus des prisons françaises peuvent recourir à l'arbitrage du nouveau « défenseur des droits des citoyens », institué en juillet 2008. Et pourtant.
Si les pouvoirs en France semblent respecter la lettre d'une démocratie harmonieuse, son esprit est sans cesse bafoué. La corruption, par exemple, reste un phénomène endémique. Selon l'indice mis au point par l'ONG Transparency International, la France ne pointe qu'au 19e rang des pays les moins corrompus du monde, loin derrière Singapour et Hong Kong par exemple. En la matière, la justice éprouve les pires difficultés à endiguer le phénomène. La plupart des grands procès de ces vingt dernières années, à quelques exceptions près, se sont conclus par des non-lieux ou des peines symboliques. Le personnel politique en a été à peine effleuré. Alain Juppé a payé - seul - les affaires de la mairie de Paris avec un an d'inéligibilité avant de se faire réélire triomphalement maire de Bordeaux. La plupart de ses collègues condamnés par la justice ont recouvré une rapide virginité par les urnes. Plus généralement, le taux de renouvellement du personnel politique est infiniment lent comparé à ce qui se passe dans les grandes démocraties. Partout, aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne, le chef de l'exécutif ayant terminé son mandat disparaît de la scène politique. En France, la trajectoire de Valéry Giscard d'Estaing, après sa défaite à la présidentielle de 1981, est emblématique de l'incapacité française à lâcher le pouvoir et à provoquer le renouvellement des élites. Vingt ans après son départ de l'Élysée, VGE siégeait encore à l'Assemblée nationale avant de quitter son siège en 2002. Il lui faudra encore deux ans pour abandonner son dernier mandat, celui de président du conseil régional d'Auvergne, et prendre une retraite fort tardive. De François Mitterrand à Nicolas Sarkozy en passant par Jacques Chirac, les mêmes
stigmates du pouvoir absolu perdurent: les phénomènes de cour qui conduisent toutes les institutions, de la justice à la presse, à ménager le clan au pouvoir; l'indulgence prudente de l'opposition dont les membres les plus ambitieux se rallient pendant que les plus prudents mesurent au trébuchet jusqu'où ne pas s'opposer trop loin; la raison d'État, les privilèges de caste, le clientélisme et la connivence avec les milieux économiques font prendre de larges libertés avec les principes généraux de la démocratie pluraliste et transparente.
On peut dès lors légitimement se demander si la France d'aujourd'hui, toutes choses égales par ailleurs, n'emprunte pas à des moeurs de républiques bananières d'autres temps et d'autres lieux.
Chapitre 1 : Une démocratie irréprochable ?
Le 14 janvier 2007, en lançant sa campagne présidentielle lors d'un grand meeting à Villepinte (Seine-Saint-Denis), le candidat Nicolas Sarkozy mettait l'accent sur les perversions du système démocratique français. Il appelait alors de ses voeux l'avènement d'une « démocratie irréprochable [...] où les nominations ne se décident plus en fonction des connivences et des amitiés mais de la compétence ». Le futur chef de l'État appelait alors de ses voeux l'avènement d'un « État impartial » et promettait d'en finir avec le « fait du prince », incompatible avec cette « république irréprochable ».
Le « tour extérieur »
Quatre mois plus tard, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Une fonction qui lui permet aujourd'hui de décider, seul, comme ses prédécesseurs, des nominations dans les 6 000 emplois les plus élevés dans l'administration et les sociétés nationales.
Dans cette liste discrétionnaire figurent de nombreux « fromages de la République », des postes prestigieux et confortablement rémunérés comme par exemple la présidence du centre Pompidou, du Louvre, de l'Institut géographique national ou de l'Institution nationale des Invalides. Ceux-ci sont traditionnellement attribués à des amis méritants du régime.
L'autre catégorie de fonction, à laquelle appartiennent les patrons d'administration centrale, les préfets ou les hauts magistrats, est beaucoup plus sensible. Ces postes-là permettent de verrouiller le pouvoir. Ils sont donc traditionnellement attribués, au sein du clan qui le détient, aux hommes du président.
Jacques Chirac a sans conteste joui de cette prérogative présidentielle avec le moins de scrupules. À la fin de ses deux mandats, il avait ainsi réussi à caser ses plus proches fidèles dans toutes les fonctions les plus stratégiques de la République. Quand il a quitté l'Élysée, Philippe Séguin présidait la Cour des comptes et Jean-Louis Debré, le Conseil constitutionnel. Deux de ses principaux fidèles gardaient donc un oeil sur l'usage de l'argent public et sur la légitimité des lois. Laurent Le Mesle, l'ancien conseiller de l'Élysée pour les affaires judiciaires, siégeait comme procureur général près la cour d'appel de Paris au sein de laquelle sont instruites toutes les affaires judiciaires concernant Jacques Chirac. Bertrand Landrieu, son ex-chef de cabinet, était préfet d'Île-de-France et la Caisse des dépôts et consignations était dirigée par un autre ancien collaborateur, ex-conseiller, Augustin de Romanet, entre autres.
Le verrouillage des postes stratégiques a toujours été l'un des piliers du chiraquisme. Le clientélisme également. Sous la présidence Chirac, les proches dans le besoin comme les soutiens que l'on veut conserver sont particulièrement choyés. Les nominations discrétionnaires au Conseil économique et social, institution sans véritable pouvoir si ce n'est celui de distribuer un traitement de 2 500 euros par mois à chacun de ses membres, ont été légion sous le régime chiraquien. Le chef de l'État y a par exemple recasé une série d'anciens collaborateurs de la mairie de Paris (comme Anne Cuillé, Michel Roussin ou Jean-Jacques Aillagon), de l'Élysée (comme Philippe Massoni), du RPR (comme Jean-Claude Pasty, un des bénéficiaires présumés des emplois fictifs financés illégalement par la Ville de Paris). D'autres proches soutiens de la Chiraquie, comme le philosophe Luc Ferry, le navigateur Gérard d'Abboville, le leader paysan Luc Guyau ou encore l'éditorialiste Alain-Gérard Slama, ont également bénéficié d'un poste tranquille de conseiller économique et social par la grâce de leur champion Chirac.
En vertu de la Constitution française, le chef de l'État peut donc, comme on le voit, prodiguer nombre de bienfaits autour de lui. Il a même le pouvoir de mettre ses grognards les plus méritants définitivement à l'abri du besoin, par exemple en les nommant au Conseil d'État. Officiellement, cette haute institution est à la fois chargée de conseiller le gouvernement dans sa tâche législative et de juger définitivement les conflits administratifs les plus épineux. Officieusement, elle peut également' servir à accorder une rente à vie aux
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