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Une nouvelle Europe ?

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Israël
Une nouvelle Europe ?
Shlomo Elbaz
L’Europe est le dernier des soucis d’Israël en ce moment :
la diplomatie et l’avenir du pays au sein du Moyen-
Orient se jouent de l’autre côté de l’Atlantique et le senti-
ment dominant est que l’on ne peut plus compter sur
l’Europe…
Une saison pas comme les autres
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e printemps particulièrement souriant nous aura gratifiés, ici
en Israël, non seulement d’une floraison sans précédent, mais
aussi d’une série d’événements et de commémorations :
attentats suicidaires au nom d’Allah, devenu pourvoyeur généreux de
«notre attentat quotidien», attentats suivis de représailles prévisibles,
qui appellent de nouveaux attentats et ainsi de suite – le classique et
inévitable cercle vicieux. Mais il y a eu également un progrès notable
vers la reprise du dialogue, le revirement spectaculaire de Sharon,
favorablement salué par les partisans du compromis et déploré
comme une trahison par l’extrême droite israélienne.
Alternant avec l’actualité politique et le terrorisme aveugle, ce fut
pour nous la saison de notre calendrier la plus fournie en commémo-
rations et célébrations, les unes funèbres (Journée de la Shoa, Journée
des soldats tombés au champ de bataille), les autres patriotiques et
joyeuses en principe (Fête de l’Indépendance, Journée de Jérusalem),
sans compter les fêtes traditionnelles (Pâque, Lag Baomer, Shavouot-
Pentecôte). Les fêtes ne manquent pas, mais le cœur n’y est pas tout à
fait. Comme l’a déclaré récemment l’écrivain et homme de paix David
Grossman, l’Israélien n’est jamais sûr, quand il quitte son domicile le
matin, qu’il rentrera sain et sauf à la fin de la journée. La supériorité
militaire d’Israël (argument souvent invoqué contre lui) n’élimine pas
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l’angoisse et le sentiment permanent d’insécurité. «
La peur fait délirer
les hommes
»(Spinoza).
Dans un tel contexte, demander à l’Israélien, avec son agenda
chargé et sa sensibilité mise à rude épreuve, ce qu’il pense de l’Europe
(élargie ou non), c’est comme demander à une personne fraîchement
endeuillée ce qu’elle pense du temps qu’il fait. L’Europe ? C’est le
dernier de ses soucis en ce moment, et pas seulement parce que notre
diplomatie et notre avenir au sein du Moyen-Orient se jouent ailleurs,
de l’autre côté de l’Atlantique. Le sentiment dominant ici est qu’on ne
peut plus compter sur l’Europe. Le point de rupture se situe au
moment du déclenchement de l’opposition de grande envergure à la
guerre d’Irak.
Europe, avec qui es-tu ?
L’Israélien moyen, pas seulement le radical ultra-nationaliste, mais
même celui qui a toujours milité pour la paix, en a gros sur le cœur
quant à son rapport à l’Europe : déception, dépit, aversion, surtout
vis-à-vis des pays dans lesquels ont eu lieu des manifestations
monstres, où l’opposition à la guerre virait souvent vers un anti-
sionisme aussi virulent que primaire, qui se traduisit plus d’une fois
par des actes de violence, carrément antisémites.
Comment oublier tout cela ? La France, surtout, a été perçue en
quelque sorte comme le chef de file de cette dérive qui a vu les verts
et les gauchistes pacifistes défiler aux côtés d’éléments douteux isla-
mistes, voire racistes, clamant des slogans assimilant sans vergogne le
sionisme au nazisme, croix gammée et étoile de David confondues. Le
tort causé aux relations franco-israéliennes, en particulier, est énorme.
Les milieux officiels français en sont conscients et préoccupés, et la
visite récente du ministre des Affaires étrangères en Israël en est la
preuve. Il faut réparer les dégâts (tout en tranquillisant les leaders
palestiniens qui ont eu également droit à sa visite). Un des quotidiens
israéliens rendant compte de l’événement a intitulé son article «Un
baiser à la française». Après la gifle, le baiser.
Mea culpa
?
Ah ! si seulement l’Europe élargie, doublant ainsi le nombre de ses
membres, pouvait atténuer les préjugés, les parti pris et les excès
consécutifs à la mobilisation anti-israélienne des immigrants nord-
africains et islamistes dont l’action se fait sentir davantage en Europe
occidentale (tout particulièrement en France et en Belgique) que dans
les pays est-européens nouvellement affiliés ! Ces derniers auront-ils
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les mêmes réflexes anti-américains primaires que les milieux dits
progressistes français, allemands, belges, italiens, etc. ? Les Etats-Unis
y seront-ils perçus comme le Grand Satan, Israël devant se contenter
du rôle plus modeste de petit Satan ? Nous sommes là devant l’in-
connu.
Un élargissement bénéfique ?
En dépit des considérations et des supputations énoncées ci-dessus,
on ne peut en aucun cas minimiser l’interdépendance euro-méditer-
ranéenne et, plus particulièrement, euro-israélienne pour toutes les
raisons du monde : géo-politiques, économiques, culturelles. L’ironie
de la situation est encore plus grande quand on sait, la déplorant
parfois, la tendance qu’a Israël depuis sa création à se considérer
comme faisant plutôt partie de l’Europe que du tiers-monde moyen-
oriental. Qu’on songe à la participation de nos équipes de foot-ball et
de basket dans les championnats et tournois d’Europe et à celle de nos
chanteurs à l’Eurovision ! Cette fuite vers un espace culturel autre est
assez compréhensible vu le conflit qui nous oppose à l’environnement
arabo-islamique encore très éloigné de la démocratie et, de toute
façon, politiquement hostile pour l’instant. Ceux qui ont milité
comme moi dans un mouvement de paix qui s’adressait tout spéciale-
ment aux séfarades et orientaux d’Israël et qui croyait à la co-existence
judéo-arabe, L’Orient pour la paix, ne peuvent que souhaiter l’amé-
lioration de nos rapports avec la nouvelle Europe, ses institutions et
ses médias, dans la mesure où celle-ci saura garder une attitude
neutre et objective. C’est alors qu’elle bénéficiera de la collaboration
d’Israël dans un effort commun pour faire progresser le processus de
paix et, parallèlement, aider les pays de la région à s’acheminer vers
la démocratie.
La toute récente et surprenante acceptation par Sharon de la feuille
de route américaine laisse présager une avancée sur la route semée
d’embûches qui doit déboucher sur la solution du conflit. Ce coup de
théâtre à la Sharon, s’il est suivi d’effet des deux côtés, pourra créer un
climat de confiance et c’est dans cette perspective que l’Union euro-
péenne devra agir, effaçant l’impression de parti pris produite par les
positions unilatérales européennes d’avant la guerre d’Irak. Tout
dépendra du sens des responsabilités dont feront preuve les instances
de la nouvelle Union européenne et du trait d’union qu’elle réussira à
constituer entre l’Occident et l’Orient. L’impératif d’impartialité d’une
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part et la confiance établie d’autre part permettront à la nouvelle
Union de jouer un rôle plus significatif dans la recherche d’une solu-
tion du conflit palestino-israélien. La coopération entre Israël et la
future Palestine, réunis peut-être un jour en une Confédération, créera
un foyer de rayonnement dans cette région du globe d’où sont issus
bien des éléments des civilisations juive, chrétienne, musulmane. Les
mêmes mythes qui s’affrontent actuellement et se répercutent sur le
plan politique pourraient devenir source d’inspiration pour une co-
existence pacifique et créatrice.
Avant et pendant la guerre d’Irak, on parlait de l’axe Paris-Berlin-
Moscou, évoquant ainsi, sans le vouloir, un autre axe de sinistre
mémoire. Ne faudrait-il pas souhaiter, comme le suggère Jacques
Attali dans un article récent, voir se constituer un axe Londres-Paris-
Jérusalem, axe plein de promesses non seulement économiques, mais
également culturelles et spirituelles ? Palestiniens et Israéliens, voyant
dans cette même terre de Palestine leur commune «patrie du cœur»,
mais sachant que pragmatiquement il faut la partager – politiquement
mais non affectivement –, cesseront de s’entretuer pour quelques
arpents de terre çà et là, puisque dans leur cœur, dans leurs rêves,
dans leur spiritualité, tout Eretz-Israël-Palestine est leur patrie
profonde, ouverte aux pèlerinages, aux projets communs interconfes-
sionels, éthiques, universels.
Où le mythe est roi
Il n’y a aucun doute : quelle que soit la religion et de chaque côté de
la barrière du conflit, au Moyen-Orient le mythe est roi. Vouloir
combattre mythes et rites, éliminer foi religieuse et rêves messia-
niques, serait vain et probablement nuisible. La raison et la logique
sont impuissantes dans un environnement saturé de croyances
ancrées, de rites ancestraux, où l’intégrisme habilement exploité par
les forces politiques s’infiltre chaque jour plus profondément. Il
faudrait plutôt connaître les textes fondamentaux et les principes
éthiques communs aux trois monothéismes et, en l’occurrence, au
judaïsme et à l’islam, et donner la parole aux chefs spirituels authen-
tiques qui n’ont pas succombé à l’emprise politique, aux dérives et
aux excès, autrement dit mobiliser le mythe et, dans une vaste
campagne de désintoxication et de projets éducatifs, le mettre au
service de la coexistence, de la tolérance et, pourquoi pas, de la frater-
nité.
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Est-ce une utopie ? peut-être. Mais voilà que, ces jours-ci même, est
apparu un projet original autant qu’audacieux, considéré par beau-
coup comme une folie. Son initiateur et promoteur, Emile Shoufani,
est un prêtre catholique de Nazareth, directeur de lycée, Palestinien
sujet israélien, homme de paix qui, pendant des années, a organisé des
rencontres entre les lycéens arabes de son lycée et des lycéens juifs de
Jérusalem. Ne se contentant pas de cela et assistant le cœur serré à la
détérioration de la situation, la liste des morts s’allongeant sans cesse
des deux côtés, il décide de prendre le taureau par les cornes. Il choisit
le thème le plus douloureux et le plus problématique pour nous juifs
et le plus controversé dans bien des milieux arabes, celui de la Shoa et,
plus généralement, celui de la souffrance juive à travers l’histoire.
La Shoa étant le point culminant de cette souffrance, il organise un
pèlerinage à Auschwitz d’une délégation de 500 personnes (d’Israël,
de France et de Belgique), juifs, musulmans et chrétiens, toutes reli-
gions et ethnies confondues, les organisateurs étant convaincus que
«
la mémoire partagée de la Shoa peut devenir une contribution à la paix non
seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans les banlieues françaises
». Nos
voisins arabes pourront alors, peut-être, comprendre certaines réac-
tions de la société israélienne, prisonnière de ses angoisses et très
méfiante quant à sa sécurité. Le résultat est concluant : une dyna-
mique s’est créée à la faveur de l’ébranlement émotionnel et de la
réflexion commune sur ce que l’homme peut faire à l’homme, ainsi
qu’une prise de conscience que la Shoa n’est pas qu’une affaire juive
et qu’elle concerne l’humanité tout entière. Derrière tout cela se profile
l’idée quelque peu inspirée de la théorie de l’altérité et de la respon-
sabilité du philosophe Lévinas qui considère que notre responsablité
vis-à-vis de l’Autre, notre service de l’Autre, est la condition
sine qua
non
de la réalisation de notre moi. Ce pèlerinage sans précédent aura
eu pour résultat une mutation profonde, au-delà du politique, plus
significative encore chez les Palestiniens et, tout spécialement, chez les
musulmans.
Pro-palestinien ou pro-israélien ? Les deux !
Les gens bien intentionnés qui soutiennent la cause palestinienne
pour les raisons les plus valables croient servir celle-ci en adoptant
une position anti-israélienne radicale, unilatérale, qui ne tient compte
que des seuls faits incriminant Israël, ignorant ou minimisant la part
des Palestiniens dans le cycle de violence. Est-ce en attisant le feu
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qu’on espère jouer un rôle de médiateur objectif ? Ils ne se rendent pas
compte que dans ce conflit, fratricide en quelque sorte, on ne peut être
pro-palestinien sans être pro-israélien et que celui qui a choisi d’être
anti-israélien notoire est
ipso facto
anti-palestinien. Les intérêts des
deux parties sont interdépendants et seuls les extrémistes des deux
bords, dans une sorte de pacte tacite, s’entraident dans leurs efforts
pour faire échouer tout progrès, tout compromis. Ces extrémistes,
intégristes et illuminés de tous bords et de tous acabits, il faut les
isoler et éviter de leur fournir des raisons d’agir en multipliant les
contacts, en contribuant à créer un climat de confiance.
Conclusion
La prise de conscience euro-méditerranéenne ira sans doute en s’ac-
centuant, l’élargissement de l’Europe soulevant de nouvelles ques-
tions avec l’entrée en lice de pays, d’ethnies et de cultures qui font de
l’Europe une nouvelle mosaïque dont il est difficile de prévoir le
rapport vis-à-vis de la Méditeranée, principalement des rivages méri-
dionaux de celle-ci. C’est là que se pose la question de la perception
par Israël de cette nouvelle réalité géo-politique et géo-culturelle.
Deux thèmes apparaissent d’ores et déjà comme pertinents.
Le premier a été abordé ci-dessus. Il concerne notre sécurité quoti-
diennement menacée par un terrorisme aveugle et mortifère. A cet
égard l’intervention de la nouvelle Europe serait bénéfique, dans la
mesure où elle contribuerait à empêcher la diabolisation d’Israël et à
favoriser la reconnaissance de sa légitimité par ses voisins, légitimité
qui est loin d’être acquise, étant entendu qu’il n’est pas question de
porter atteinte aux droits des Palestiniens. Le second domaine, lié au
premier, est le fait que l’Union européenne, par sa raison d’être et
l’historique de sa formation progressive réussie, pourrait servir de
source d’inspiration, et même de modèle structurel pour une éven-
tuelle Union moyen-orientale. A la nouvelle Europe que, dans sa rela-
tion à notre région, elle a choisi la voie de la paix et de la réconcilia-
tion, ce qui suppose objectivité et impartialité.
Shlomo Elbaz est écrivain
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