Lettres du Havre
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Description

LETTRES DU HAVRE identités réelles et missives imaginaires Elodie Boyer / Jean Segui 65 220 Hôtel Marly : une enseigne, un bâtiment et des palmiers dans un ciel bleu qui nous transportent dans les années 50, au pays de l’anisette et de la pétanque. Un hôtel qui fait voyager dans le temps, avec son personnel simple et charmant, et ses chambres authentiquement décorées dans le style Perret, comme si la vie s’était arrêtée. Une bonne adresse, rue de Paris, pour le bonheur des Parisiens, assurément ! 220 I Cher monsieur, C’est avec un vif intérêt que j’ai pris connaissance de votre envoi daté du 22 avril dernier. Vous m’avez transmis pour examen, en vue de son éventuelle édition, un volumineux manuscrit intitulé Rêves du Havre, que j’ai longuement feuilleté avec une attention soutenue, avant de le soumettre à notre comité de lecture pour avis. De ce point de vue, je vous l’assure, vous accomplissez un exploit que peu d’anonymes peuvent se targuer d’avoir réussi dès leur première tentative. Ce succès est à mettre à votre crédit, c’est incontestable, et je vous adresse sans délais, dans une sorte de préambule, mes plus vives félicitations. En effet, je ne vous cache pas que j’ai aimé le concept profondément novateur de votre projet.

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Publié le 16 juin 2015
Nombre de lectures 4 274
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

LETTRES DU HAVRE
identités réelles et missives imaginaires Elodie Boyer / Jean Segui
65
220
Hôtel Marly : une enseigne, un bâtiment et des palmiers dans un ciel bleu qui nous transportent dans les années 50, au pays de l’anisette et de la pétanque. Un hôtel qui fait voyager dans le temps, avec son personnel simple et charmant, et ses chambres authentiquement décorées dans le style Perret, comme si la vie s’était arrêtée. Une bonne adresse, rue de Paris, pour le bonheur des Parisiens, assurément !
220 I
Cher monsieur,
C’est avec un vif intérêt que j’ai pris connaissance de votre envoi daté du 22 avril dernier. Vous m’avez transmis pour examen, en vue de son éventuelle édition, un volumineux manuscrit intitulé Rêves du Havre, que j’ai longuement feuilleté avec une attention soutenue, avant de le soumettre à notre comité de lecture pour avis. De ce point de vue, je vous l’assure, vous accomplissez un exploit que peu d’anonymes peuvent se targuer d’avoir réussi dès leur première tentative. Ce succès est à mettre à votre crédit, c’est incontestable, et je vous adresse sans délais, dans une sorte de préambule, mes plus vives félicitations.
En effet, je ne vous cache pas que j’ai aimé le concept profondément novateur de votre projet. Accompagner des photographies qui relèvent d’une expertise professionnelle très particulière avec des petites nouvelles semblables à de longues lettres, est un pari audacieux qui vient rompre avec les habituels manuscrits que nous recevons, relevantin finedu même genre littéraire : le recueil de nouvelles.
Nous avons eu le plaisir de faire connaissance avec votre style littéraire que nous avons estimé affirmé, bien posé, profondément atypique, conforme aux romans que vous avez édité chez nos courageux confrères.
Toutefois, s’il comporte d’indéniables qualités, votre style reste trop lourd. Des longueurs de phrases surprenantes associées à des mots qui n’ont hélas plus cours, rendent votre écriture presque inaccessible aux lecteurs de ce siècle, surtout dans le genre que vous avez choisi d’exploiter, celui de la nouvelle, discipline ingrate s’il en est. Par ailleurs, comme si cela ne suffisait pas, à votre prose déjà très tortueuse viennent s’ajouter à foison des adverbes et des adjectifs de toutes natures, qui visent, si je vous ai bien lu, à ciseler un texte, à y joindre des précisions, mais qui,
a contrario, le rendent lointain, peu propice à être capté, pour favoriser l’apparition d’une forme de saine vitalité susceptible de transformer votre ouvrage scrupuleusement édité, en un ami fidèle et vertueux qu’il serait difficile de quitter après une journée où ahaner fut harassant, pour les fidèles lecteurs de nos publications, ces derniers étant le véritable cœur de cible de notre maison depuis sa création durant le mois de novembre 1929. Lorsqu’une chose est belle, elle est simplement belle, nul besoin de préciser ce qu’est la beauté pour s’en faire une idée assurément.
Afin d’être bref et compréhensible de vous, notre comité de lecture, dans sa grande sagesse, a simplement considéré votre écriture trop pompeuse, peu adaptée à une époque fort complexe où les lecteurs sont de plus en plus rares et de plus en plus difficiles à satisfaire, tous partisans de phrases courtes, de mots simples, d’une forme rapide d’expression qui galope vers l’essentiel de l’action ou du sentiment. Ensemble, nous pouvons regretter ou admettre ce douloureux phénomène, mais il n’est pas utile de fuir longtemps l’évidence, acte gravissime qui mettrait en péril les économies déjà très fragiles, voire exsangues des entreprises d’édition.
C’est ainsi que votre cinquième nouvelle qu’il m’est plaisant de qualifier avec humour de “phare” dans votre manuscrit, intitulée comme le titre de votre ouvrageRêves du Havre, nous apparaît très audelà des espoirs raisonnablement admis par nos lecteurs. Je vous assure que personne ne rêve de vivre au Havre, sauf les amateurs inconditionnels d’austères immeubles en béton, de meubles en contreplaqué ou en Formica, et d’imprimés rococo, souvent parisiens, population pour laquelle nous portons, collectivement je vous l’avoue, une estime très lointaine. Notre soleil et notre vent, chez nous omniprésents, ne sont certainement pas étrangers à cette affection si distanciée. En effet, natif d’Arles, y résidant depuis toujours, je vous invite à séjourner une seule semaine dans cette cité chargée d’une véritable histoire afin que vous puissiez définitivement reconnaître les bonheurs
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authentiques de rêver vivre quelque part.
Pour conclure mon courrier, je vous invite donc à retravailler assidûment la totalité de vos nouvelles, en les raccourcissant et en utilisant un vocabulaire plus moderne, plus adapté à nos lecteurs qui ne sont pas tous des universitaires âgés, ni des amateurs de Marcel Proust ou de Roland Barthes.
Dans la mesure où vous estimeriez avoir répondu à nos très vives attentes, je vous invite à nous renvoyer votre manuscrit largement retouché, conformément au lot de suggestions qu’il m’est agréable de porter à votre connaissance dans mon aimable et présente missive. Dans ce cas nous serions éventuellement disposés à imaginer une probable publication que pour l’instant, vous l’avez sans doute compris, nous ne souhaitons pas considérer comme immédiatement possible.
Je vous prie de croire à nos vifs regrets puis dans un deuxième temps, d’agréer, Cher monsieur, l’expression de mes salutations très distinguées.
Le directeur de la publication des éditions de Midi Quatre
Adrien Perreire
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