Au terme de l'audition des principaux acteurs du secteur des transports en France et du président chargé de cette activité au Parlement européen, le rapporteur de la mission d'information présente ses conclusions, qui sont autant de propositions à l'occasion du début de la présidence française de l'Union européenne. Face au constat d'une croissance très rapide du volume des transports de personnes et de marchandises et à la part déterminante prise par le secteur routier, le rapporteur plaide pour un développement soutenable des transports qui redonne toute sa place à chaque mode de transport, en enrayant plus particulièrement le déclin du rail et du fluvial. Des propositions sont ainsi avancées pour le rééquilibrage des rapports rail - route, l'accompagnement du renouveau du transport fluvial, le soutien au développement de la flotte et des ports français en liaison avec le renforcement de la sécurité maritime, et pour des solutions à l'encombrement du transport aérien en Europe. Refusant la mise en concurrence sauvage des modes de transport entre eux, le rapporteur propose de privilégier la complémentarité par la mise en place, à l'échelle des Etats membres comme de l'Union européenne, de directions des transports à vocation multimodale ainsi que la création d'un observatoire communautaire des transports.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Extrait
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N2533 ______
ASSEMBLE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIME LGISLATURE
Enregistr la Prsidence de l'Assemble nationale le 4 juillet 2000.
RAPPORT DINFORMATION
DPOS
en application de larticle 145 du Rglement
PAR LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES CHANGES(1)
sur lestransports en France et en Europe,
ET PRSENT
PARM.ANDRLAJOINIE,
Dput.
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(1) La composition de cette commission figure au verso de la prsente page.
Transports
INTRODUCTION
SOMMAIRE
REDONNER TOUTE SA PLACE A CHAQUE MODE DE TRANSPORT, EN ENRAYANT PLUS PARTICULIREMENT LE DCLIN DU RAIL ET DU FLUVIAL
A. RQUILIBRER LES RAPPORTS RAIL-ROUTE
1. Rsoudre le sous-investissement patent en infrastructure et matriel du rail 2. Lutter contre le dumping social dans le transport routier 3. Favoriser lharmonisation technique entre les diffrents rseaux ferroviaires europens, la cohrence des politiques tarifaires et lmergence de structures de coopration communes 4. Stimuler la croissance du transport combin 5. Latout de la rgionalisation 6. Matriser les dplacements urbains et valoriser les transports collectifs
B. LA VOIE DEAU : UNE DYNAMIQUE DE RECONQUTE A ENCOURAGER
1. Le renouveau du transport fluvial 2. Des efforts amplifier pour dvelopper les infrastructures
C. SOUTENIR LE DVELOPPEMENT DE LA FLOTTE ET DES PORTS FRANAIS, FAVORISER LE CABOTAGE EN EUROPE, EN DONNANT LA PRIORIT LA SCURIT
1. Renforcer en priorit la scurit maritime 2. Agir contre le dumping social dans le transport maritime 3. Assurer lessor du cabotage
D. JUGULER LENCOMBREMENT DU CIEL EUROPEEN
1. Une vritable explosion du trafic arien a) Un ciel parmi les plus actifs dEurope b) Une consquence de la drglementation du transport arien 2. Les retards dans le transport arien : un prtexte pour une libralisation du contrat arien a) Vers la drglementation du contrle arien en Europe ?
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b) Les retards ne peuvent servir dalibi une fuite en avant librale c) Rpondre aux problmes des retards 3. Vers la saturation des plates-formes aroportuaires : lurgence dune dcision.
E. IMPULSER UNE POLITIQUE DES TRANSPORTS MULTIMODALE
1. Privilgier la complmentarit 2. Crer un observatoire communautaire des transports
EXAMEN EN COMMISSION
AUDITIONSauditions sont prsentes dans lordre chronologique des sances(Les tenues par la Commission [la date de laudition figure ci-dessous entre parentses])
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- Monsieur Jean-Claude BERTHOD, prsident de Novatrans (24 novembre 1999)73 - Monsieur Pierre FUMAT, prsident du Groupement national des transports combins (24 novembre 1999)101 - Monsieur Konstantinos HATZIDAKIS, prsident de la commission politique rgionale, des transports et du tourisme du Parlement europen, sur la politique des transports (1er dcembre 1999)111 - Monsieur Louis GALLOIS, prsident de la SNCF (21 dcembre 1999)129 - Monsieur Claude MARTINAND, prsident de Rseau ferr de France (22 dcembre 1999)167 - Monsieur Claude GRESSIER, directeur du transport maritime, des ports et du littoral (26 janvier 2000)199 - Monsieur Marc CHEVALLIER, prsident du comit central des armateurs de France, et de Monsieur Edouard BERLET, dlgu gnral (26 janvier 2000)227 - Monsieur Pierre GRAFF, directeur gnral de l'avication civile (5 avril 2000)241 - Monsieur Hubert du MESNIL, directeur des transports terrestres (26 avril 2000)271 - Contribution de Voies navigables de France : le transport fluvial et fluvio-maritime l'horizon 2020293
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La croissance des dplacements de personnes et de marchandises est une donne fondamentale des socits modernes. En vingt-cinq ans, les dplacements de personnes ont doubl en Europe occidentale alors que le transport de marchandises a augment de 80 % (en tonnes/kilomtres). De 1980 1996, le taux de croissance annuel du transport de passagers (+ 3,1 %) et de fret (+ 2,4 %) a t, dans un cas comme dans lautre, suprieur celui du PIB (+ 2,1 %).
Les bouleversements de lconomie mondiale ont plac la circulation des biens et des informations au cur des logiques industrielles. Lpuisement du modle taylorien dune production de masse standardise ainsi que la tendance se recentrer sur les mtiers de base incitent les entreprises tre beaucoup plus ractives et dvelopper des mthodes de flux tendus. La gestion des stocks a ainsi t remplace par la gestion des flux. La logistique devient alors une fonction stratgique du processus productif. Dans le mme temps, la prestation de transport est de plus en plus externalise. Le transport est, dans ces conditions, considr comme une source de gains de productivit potentielle et soumis une trs forte pression sur les prix de la part des donneurs dordre. Paralllement, une dmocratisation partielle du tourisme allie une mobilit plus grande des individus contribue doper la demande de transport.
Sur fond de concurrence intermodale, le secteur routier sest taill la part du lion de ce march florissant. Profitant de labsence de rgulation et des insuffisances des politiques publiques, il est devenu largement dominant : 88 % des dplacements de voyageurs et 75 % du transport de marchandises en Europe se font par la route. Cette suprmatie est croissante et tous les pays industrialiss sont concerns. Dans les pays de lEst
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europen o lconomie administre avait permis de conserver au ferroviaire une place importante, la route rattrape rapidement son retard. La souplesse et la libert quautorise le mode routier expliquent largement son attrait. Il permet en effet de relier nimporte quel point du territoire nimporte quel autre sans rupture de charge ni contrainte dhoraires.
Cette hgmonie de la route au dtriment des autres moyens de transport est trs proccupante. Elle risque daboutir une thrombose qui ne peut tre accepte par la socit. Elle gnre nombre de nuisances la charge de la collectivit. Si les impacts sanitaires, environnementaux et conomiques du transport routier sont diffus, ils nen sont pas moins importants. En termes de consommation des espaces, de congestion des zones urbaines et priurbaines, de pollution atmosphrique ou sonore et dinscurit, ce mouvement induit des cots masqus ou ignors. Par ailleurs, le respect des engagements pris par lUnion europenne Kyoto de diminuer les missions de gaz effet de serre est incompatible avec cette prdominance de la route mme si les progrs technologiques permettent de rduire les rejets des moteurs combustion. Alors quavec 1 kilogramme quivalent ptrole consomm un camion transporte une tonne de marchandises sur 50 kilomtres, par le fer la distance parcourue est de 130 km et de 275 km par convoi fluvial grand gabarit. Il est indispensable, pour cette raison galement, de privilgier des modes de transport hauts rendements nergtiques.
Le maillage des rseaux fluviaux et ferroviaires, mais aussi maritimes doit tre valoris afin de dlester le rseau routier. Il sagit en premier lieu de rompre avec le dsquilibre observ entre les modes de transport mais surtout de privilgier la recherche de complmentarit au dtriment de la concurrence. Si cet objectif nest pas nouveau, les actes ne sont pas la hauteur des enjeux. A ce jour, les responsables politiques ont aliment une inflation des crdits affects au dveloppement des infrastructures routires sans jamais russir contenir la croissance dmesure du trafic routier. La volont de mieux matriser ces investissements est reste lettre morte. Le
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libralisme appliqu dans certains pays et la drglementation recommande par les instances europennes nont pas apport de rponses satisfaisantes.
La vtust et linefficacit du systme ferroviaire en Grande-Bretagne, tragiquement mises en lumire par la catastrophe de Paddington en octobre 1999, les problmes de scurit maritime illustrs par le rcent naufrage de l Erika , et le dumping social dans les transports routiers sont quelques unes des consquences dun parti pris libral. En aucun cas, cette orientation na permis de dessiner une alternative au tout-routier et dadapter loffre de transport aux exigences sociales et environnementales.
Cest en ayant lesprit ce besoin dun dveloppement soutenable des transports que le bureau de la commission de la production et des changes a souhait, ma demande, que dans le cadre dune mission dinformation notre commission procde un examen approfondi et trace des perspectives davenir. La commission a auditionn des dirigeants dentreprises de transport, le prsident de la politique rgionale des transports et du tourisme du Parlement europen, le directeur gnral de laviation civile, le directeur du transport maritime, des ports et du littoral ainsi que celui des transports terrestres au ministre de lquipement, des transports et du logement.
Dans ce rapport synthtique, votre rapporteur ne vise pas lexhaustivit. Il a pour ambition de mettre en lumire les cueils auxquels sont confronts les modes alternatifs la route et de formuler des propositions pour sortir de limpasse tragique dans laquelle se trouvent aujourdhui les transports en France et en Europe.
REDONNER TOUTE SA PLACE A CHAQUE MODE DE TRANSPORT, EN ENRAYANT PLUS PARTICU-LIREMENT LE DCLIN DU RAIL ET DU FLUVIAL
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Connaissant une croissance continue des transports, la France et lEurope sont confrontes des dfis pour prserver lenvironnement, assurer la scurit des personnes et garantir un amnagement du territoire harmonieux. Un des moyens les plus efficaces de rsoudre ces problmes consiste faire voluer le partage modal, rquilibrer les modes de transport entre eux, en faveur notamment du rail et du fluvial.
En France, le transport routier na cess daccrotre son emprise depuis 30 ans, tant dans le dplacement des personnes (80,4 % en 1970 84,3 % en 1997) que dans lacheminement des marchandises (33 % en 1960 ; 62 % en 1985 et 73,6 % en 1997). Dans ce dernier domaine, le transport par voie deau est devenu marginal (de 10 % en 1960 2,6 % en 1997) tandis que le rail SNCF a perdu plus de la moiti de ses parts de march (57 % en 1960 23,8 % en 1997, pour tomber 17 % en 1999, selon le chiffre livr par M. Louis Gallois, prsident de la SNCF).
Ce mouvement de dclin du rail est gnral en Europe.
En 1997, en Allemagne, les parts de marchs du chemin de fer sont de 7,3 % ct voyageurs et de 19,6 % en matire de marchandises.
Quant au Royaume-Uni, en pointe dans la libralisation de ses activits ferroviaires, il se situe en queue de peloton avec seulement 4,8 % du trafic voyageurs et 7,8 % du fret assur par les chemins de fer.
Le constat de distorsion dans la captation des marchs entre modes de transport est flagrant :
Tandis que de 1980 1996, le taux de croissance moyen annuel du transport de passagers et du transport de marchandises a atteint respectivement + 3,1 % et + 2,4 % en Europe, le transport routier de fret a capt lessentiel (+ 3,3 %) tandis que le fluvial stagnait (- 0,3 %) et que le rail flchissait encore (- 0,8 %) dans ce domaine.
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Lcart continue donc de saccrotre. La situation est ce point paradoxale que le rail ne capte que 5 6 % du trafic fret international (secteur o les longues distances reprsentent pourtant un atout pour lui) et rsiste mieux en matire de trafic national (environ 20 % de parts de march en France).
Globalement le trafic de marchandises en France va, sur les dix ou douze prochaines annes, doubler. Est-ce que le chemin de fer y maintiendra sa part ? Cest--dire est-ce que le trafic ferroviaire de fret sera, sur les dix ou douze prochaines annes, multipli par deux ? Cest lobjectif que sest fix le Gouvernement par lintermdiaire du ministre de lquipement, des transports et du logement, M. Jean-Claude Gayssot. Une ambition au reste modeste quand on sait, par exemple, que, ce jour, seulement 8 % des volumes de marchandises changes par la France avec ses autres partenaires europens sont assurs par le rail. Il ne sagit pas de dplacer massivement le trafic de la route sur le chemin de fer, mais dviter que tout transite par la route dans des conditions que personne ne sait contrler, quil sagisse de la saturation du rseau routier et autoroutier, de la pollution dans un certain nombre de zones, ou de la scurit des circulations.
Ce dsquilibre est devenu socialement et financirement insupportable pour la collectivit, en particulier pour les pays de transit comme la France.
Le livre vert de la Commission europenne, intitul Vers une tarification juste et efficace des transports et publi en dcembre 1995, rendait compte dune tude valuant les cots externes du transport (accidents, bruit, pollution atmosphrique, changements climatiques ), dans 17 pays europens, 272 milliards dcus en 1991. Or, 92 % de ces cots, qui reprsentent 4,6 % du PIB, sont gnrs par le trafic routier, seulement 1,7 % par le trafic ferroviaire. Encore, ce bilan nintgre-t-il pas les cots dencombrement routier valus par lOCDE 120 milliards dcus chaque anne pour lUnion europenne (2 % du PIB).
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En France, une tude de la direction des affaires conomiques du ministre charg des transports, publie en mars 2000, value 151,4 milliards de francs en 1997 les cots environnementaux (congestion du rseau, accidents, pollution) gnrs par les trafics routiers qui viennent sajouter aux 101 milliards de francs dpenss pour lentretien, la construction et lexploitation des infrastructures. Ces charges pour la collectivit, en hausse de 10,2 milliards par rapport 1990, sont certes compenses en partie par les 196,3 milliards de recettes perues sur les usagers de la route, par le biais des pages et de la fiscalit. Toutefois, la majeure partie de ces versements est assure par les voitures (133,2 milliards), les poids lourds ne participant qu hauteur de 30,3 milliards de francs. Aussi, les auteurs de ltude relvent-ils que, tous rseaux confondus, le dficit du compte des poids lourds cest--dire la diffrence entre les paiements fiscaux ou de pages et ce que cote (tout confondu) le mode de transport considr slve environ 20 milliards de francs au cot complet et 8 milliards selon le calcul au cot marginal social.
A. RQUILIBRER RAIL-ROUTE
LES
RAPPORTS
La ncessit dune revitalisation du rail est une proccupation unanimement reconnue lchelle europenne y compris par la Commission de Bruxelles.
Pour cette dernire cependant, la rponse passe,a priori, par une libralisation du secteur, avec la possibilit dune mise en concurrence entre oprateurs (pas seulement des entreprises ferroviaires) via des gestionnaires dinfrastructures indpendants. Cette orientation est conue, pour lessentiel, en sappuyant sur les rseaux les plus porteurs en Europe. Mais la preuve de la
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pertinence de ce postulat reste dmontrer (quelle est lefficacit de la directive 91/440 du 29 juillet 91 sur la sparation infrastructure exploitation et les suivantes sur laccs linfrastructure ?)
Lexemple de la Grande-Bretagne, o British Rail a t dmantel et totalement privatis en 1993, ne plaide pas en faveur dune drglementation accrue et invite plutt la prudence. En effet, si les multiples socits qui grent dsormais les chemins de fer outre-Manche (Railtrack, nouveau propritaire des voies, les cinq entreprises de fret, les vingt-cinq franchises rgionales de transport de voyageurs et les trois firmes de matriel roulant) ont engrang un rsultat cumul de 10,72 milliards de francs en 1998, elles nont aucunement rsolu le lourd dficit dinvestissement dont souffre le rail depuis de longues annes.
Le bilan des rformes appliques est amer pour lusager : tarifs deux fois plus levs quen France en moyenne, retards chroniques (en hausse de 5 % sur douze mois et de 8,2 % sur deux ans au 31 juillet 1999), trains bonds en raison dune infrastructure sature.
La collision de Paddington, en plein cur de Londres, qui a fait une quarantaine de morts et une soixantaine de blesss en octobre 1999, a mis en lumire ltat dsastreux dun rseau incapable de supporter la hausse de 17 % du trafic en deux ans.
Au manque de fiabilit, sajoute un manque defficacit. La revue Rail Magazine , a ainsi tabli quil faut aujourdhui quinze minutes de plus quen 1978 pour rallier par le train le port de Swansea, au pays de Galles, partir de Londres. La libralisation, exprimente par les Anglais, a montr toutes ses limites et ses carences. Le redressement du rail ne peut se contenter de copieuses valorisations boursires, fussent-elles aussi sduisantes que les 65 milliards de francs atteints par Railtrack aprs avoir t mis sur le march pour 25 milliards en mai 1996.