Rapport d'information déposé par la mission d'information commune sur l'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales et l'accès au dossier médical
La loi n°2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a consacré le droit de chaque personne d'être informée sur sa santé et d'être indemnisée en cas de dommage survenu dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique. Afin d'évaluer les évolutions de la relation entre les usagers et les professionnels et établissements de santé depuis l'entrée en vigueur de cette loi, la commission des affaires sociales et la commission des lois de l'Assemblée nationale ont créé une mission d'information commune sur l'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales et l'accès au dossier médical. Au terme de ses travaux, la mission est parvenue à la conclusion que, si les apports de la législation de 2002 peuvent être considérés comme globalement positifs, l'effectivité du droit d'accès au dossier médical doit être renforcée et le régime d'indemnisation des infections nosocomiales doit être rendu plus juste.
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Langue
Français
Extrait
N°1810 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 2009. RAPPORT DINFORMATION DÉPOSÉ en application de larticle 145 du Règlement PAR LA MISSION DINFORMATION COMMUNE sur lindemnisation des victimes dinfections nosocomiales et laccès au dossier médical(1)ET PRÉSENTÉ PARM.Guénhaël HUET,Député.
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission dinformation commune à la Commission des affaires sociales et à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République sur lindemnisation des victimes dinfections nosocomiales et laccès au dossier médical est composée de: M. Guénhaël Huet, président-rapporteur ; M. Jean-Pierre Door, M. Henri Jibrayel(1), Mme Marietta Karamanli et Mme Catherine Lemorton(2).
(1) Jusquau 30 juin 2009. (2) À compter du 1erjuillet 2009.
CHAPITRE PREMIER : RENFORCER L EFFECTIVITÉ DU DROIT D ACCÈS DU PATIENT À SON DOSSIER MÉDICAL.................................................................. 13 I. UN RÉGIME JURIDIQUE ÉQUITABLE........................................................................... 14 A. LES OBLIGATIONS DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ....................................... 15
1. Le contenu du dossier........................................................................................ 15 a) Les documents non formalisés.......................................................................... 15 b) Le dossier constitué par un établissement de soins............................................ 16 c) Le dossier tenu par un praticien libéral............................................................ 16
2. La conservation du dossier............................................................................... 17 3. Le respect des délais de communication......................................................... 18
B. LE DROIT DACCÈS AU DOSSIER MÉDICAL.......................................................... 18
1. Les patients......................................................................................................... 19
2. Les représentants des patients......................................................................... 19 a) Le mandataire.................................................................................................. 19
b) Les représentants légaux de la personne mineure............................................. 20
c) Le représentant ou les représentants de la personne sous tutelle....................... 20 3. Les ayants droit en cas de décès du patient................................................... 20
4. Les tiers dûment autorisés par le patient ou par la loi.................................... 21 a) Les professionnels de santé concourant aux soins du patient............................ 21 b) Les personnes concourant à une mission dintérêt public.................................. 21 c) Les experts des contentieux liés à la responsabilité médicale............................ 22 II. UN ACCÈS MALAISÉ AU DOSSIER MÉDICAL............................................................ 23 A. LES FRÉQUENTS OBSTACLES RENCONTRÉS PAR LES PATIENTS................... 23 1. La nécessité dune meilleure information des patients................................... 23 a) Une information inefficace............................................................................... 23
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b) Des mises en place progressives des commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge................................................... 25
2. Les réticences des professionnels de santé.................................................... 26
a) Des réticences fondées sur la protection du patient........................................... 26 b) Des réserves liées à la crainte dune contestation............................................. 27
3. La transmission difficile des éléments du dossier........................................... 28 a) Un délai de réflexion de 48 heures contestable................................................. 28 b) Des coûts variables de reproduction des dossiers............................................. 29
c) Des transmissions défectueuses de dossiers...................................................... 31
B. UNE RÉELLE CONTRAINTE POUR LES PROFESSIONNELS ET LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ................................................................................ 32 1. La forte augmentation des demandes.............................................................. 32
a) Des demandes variables selon les secteurs.................................................... 32
b) et qui entraînent un surcroît de charges administratives dans les établissements de santé.................................................................................... 33 2. La brièveté du délai de communication des dossiers les plus récents......... 35
3. Les problèmes posés par larchivage des dossiers........................................ 36 a) Une gestion de plus en plus informatisée en cabinet libéral.............................. 36 b) Un approvisionnement constant de dossiers dans les établissements de santé... 36
C. UNE ABSENCE DE SANCTION DES COMMUNICATIONS NON ACCOMPLIES INCOMPLÈTES OU TARDIVES................................................................................ 38 1. La conciliation..................................................................................................... 38
2. Les autres procédures....................................................................................... 38 III. UNE ACCESSIBILITÉ RENFORCÉE AU DOSSIER MÉDICAL.................................... 40 A. DES COMMUNICATIONS DE DOSSIERS MIEUX ENCADRÉES............................ 40 1. Remédier aux différences des modes de conservation des éléments du dossier................................................................................................................ 40 2. Unifier le régime des facturations des communications des dossiers :........ 42
3. Modifier les délais de communication des dossiers de moins de cinq ans.. 44
4. Améliorer les possibilités de recours dun patient ou de ses ayants droit contre les refus ou les absences de réponse opposés à leur demande daccès au dossier médical............................................................................... 45 B. DES DROITS DES PATIENTS PLUS AFFIRMÉS...................................................... 47
1. Les droits des personnes majeures protégées............................................... 47 2. Les personnes ayant reçu un mandat exprès du patient............................... 48
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C. DES PRÉROGATIVES MIEUX DÉFINIES DES AYANTS DROIT DUN PATIENT DÉCÉDÉ................................................................................................................... 50 1. La communication sans condition du dossier aux parents de lenfant décédé qui na pas manifesté dopposition..................................................... 50
2. Lintégration du concubin et du partenaire dun pacte civil de solidarité aux ayants droit du patient décédé.................................................................. 51
CHAPITRE II : RENDRE PLUS JUSTE LE RÉGIME D INDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES................................................................................... 53 I. UN DISPOSITIF EFFICACE DE LUTTE CONTRE LES INFECTIONS NOSOCOMIALES.............................................................................................................. 53 A. INFECTION NOSOCOMIALE ET INFECTION ASSOCIÉE AUX SOINS.................... 53 B. UN DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LES INFECTIONS NOSOCOMIALES À LEFFICACITÉ AVÉRÉE........................................................................................... 56
1. Les structures de la lutte contre les infections nosocomiales........................ 56 a) Les structures locales : le comité de lutte contre les infections nosocomiales et léquipe opérationnelle dhygiène hospitalière................................................. 56
b) Les structures interrégionales : les centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales.............................................................................. 57 c) Les structures nationales : le comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins et le réseau dalerte, dinvestigation et de surveillance des infections nosocomiales.......................................................... 57 2. Les instruments de mesure de la lutte contre les infections nosocomiales.. 58
a) Les indicateurs................................................................................................. 58
b) Les enquêtes de prévalence............................................................................... 60 3. Des progrès incontestables dans les taux de prévalence des infections nosocomiales..................................................................................................... 61
4. Les limites de la lutte contre les infections nosocomiales.............................. 63 C. LES LACUNES DE LA CONNAISSANCE DES INFECTIONS CONTRACTÉES EN MÉDECINE DE VILLE............................................................................................... 65
II. UN RÉGIME D INDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES GLOBALEMENT SATISFAISANT..................................................................................... 66 A. LE RÉGIME JURISPRUDENTIEL ANTÉRIEUR À LA LOI DU 4 MARS 2002............ 66 1. Un régime différent selon le lieu de survenance de linfection....................... 66 2. Un régime jurisprudentiel favorable aux victimes............................................ 68 B. LE RÉGIME LÉGAL DINDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES ISSU DES LOIS DU 4 MARS ET DU 30 DÉCEMBRE 2002...................................... 68 1. Un régime fruit dun compromis entre protection des victimes, responsabilisation des établissements de santé et sauvegarde de lassurabilité des établissements...................................................................... 68
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2. Des règles légales dindemnisation des infections nosocomiales ayant une apparence de grande complexité mais unifiées...................................... 70 3. Une procédure simplifiée et accélérée............................................................. 74
a) Le choix par la victime de la voie dindemnisation............................................ 74
b) La procédure de règlement amiable devant la commission régionale de conciliation et dindemnisation........................................................................ 76 C. UN JUGEMENT GLOBALEMENT FAVORABLE DU RÉGIME DINDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES....................................................................... 78 1. Des règles de définition des régimes de responsabilité jugées globalement satisfaisantes................................................................................ 78 2. La procédure des commissions régionales de conciliation et dindemnisation : une procédure largement utilisée constituant un progrès largement reconnu............................................................................................. 79 a) Lincontestable succès de la procédure de la commission régionale de conciliation et dindemnisation........................................................................ 79 b) Les avantages du choix de la voie de la commission régionale de conciliation et dindemnisation........................................................................................... 81
III. UN RÉGIME D INDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES ENCORE PERFECTIBLE................................................................................................................... 84 A. UNE DÉFINITION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES INDEMNISABLES INSUFFISAMMENT PRÉCISE.................................................................................. 85 B. UN CHAMP DAPPLICATION DU RÉGIME DE RESPONSABILITÉ DE PLEIN DROIT TROP RESTREINT....................................................................................... 88 C. UN CHAMP DE COMPÉTENCE DES COMMISSIONS RÉGIONALES DE CONCILIATION ET DINDEMNISATION DANS LEUR MISSION DE RÈGLEMENT AMIABLE PROBLÉMATIQUE................................................................................... 91 1. Des critères daccès aux commissions régionales de conciliation et dindemnisation trop restrictifs.......................................................................... 91 a) Le critère de lincapacité permanente partielle................................................. 92
b) Le critère de larrêt temporaire des activités professionnelles ou du déficit fonctionnel temporaire..................................................................................... 93 c) Les critères exceptionnels de lincapacité à exercer son activité professionnelle antérieure et des troubles particulièrement graves dans les conditions dexistence...................................................................................... 95 2. Léchec de la fonction de conciliation des commissions régionales de conciliation et dindemnisation.......................................................................... 97 3. Vers une suppression des seuils daccès aux commissions régionales de conciliation et dindemnisation ?....................................................................... 99 D. UN ACCOMPAGNEMENT INSUFFISANT DES VICTIMES....................................... 101 E. UNE QUALITÉ DES EXPERTISES TROP VARIABLE............................................... 106
F. UNE MISE EN UVRE DES AVIS DES COMMISSIONS RÉGIONALES DE CONCILIATION ET DINDEMNISATION PARFOIS DÉFICIENTE............................. 108
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EXAMEN EN COMMISSION.......................................................................................... 111
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DE LA MISSION................................................. 121
CONTRIBUTION DE MMES MARIETTA KARAMANLI ET CATHERINE LEMORTON, MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE........................................................................................................... 123
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES RÉUNIONS ORGANISÉES PAR LA MISSION........................................................................................................... 125
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA MISSION AU COURS DE SES DÉPLACEMENTS........................................................................................................... 129
COMPTE RENDU DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION.................................... 133
GLOSSAIRE DES SIGLES UTILISÉS.......................................................................... 143
MESDAMES, MESSIE,SRU
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La santé est, très naturellement, lune des préoccupations majeures de nos concitoyens, et le droit à la santé lune de leurs aspirations les plus fortes. Les progrès de la science médicale au cours du siècle passé ont permis un allongement de la durée de vie sans précédent dans lhistoire et la prise en charge de pathologies jusque-là incurables. Cependant, malgré cette révolution dans la prise en charge de la santé des patients, les droits de ces derniers sont pendant longtemps restés dans un état embryonnaire. La relation entre le médecin et le patient était une relation fondamentalement inégalitaire, dans laquelle un sachant pratiquait son art sur un sujet nayant que très marginalement voix au chapitre. Si la deuxième moitié du XXe a vu saffirmer en doctrine, en siècle jurisprudence et dans des dispositifs législatifs épars la notion de droits des malades, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a constitué une avancée majeure dans laffirmation de ces droits : «par un projet de loi, des droits des malades () aLa proclamation, quelque chose de révolutionnaire, tant reste ancrée dans les mentalités l image dun malade non seulement diminué physiquement mais aussi amoindri juridiquement face au pouvoir médical auquel il sen remet entièrement»(1) . Parmi cesdroits reconnus aux malades, figuraient notamment ledroit à linformationet ledroit à lindemnisationen cas dintervention médicale ayant engendré un dommage.
Le droit à linformation comprend plusieurs facettes : il inclut le droit dêtre informé sur son état de santé, le droit dêtre informé des conséquences dun acte médical proposé, ou encore le droit dêtre informé dun événement indésirable survenu au cours dune prise en charge thérapeutique. Ce droit (1) Rapport (n° 3263, XIème législature) de MM. Claude Évin, Bernard Charles et Jean-Jacques Denis au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi relatif aux droits des ma-lades et à la qualité du système de santé (n° 3258), Volume I, p. 8.
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sexerce en premier lieu dans la prise en charge « quotidienne » des patients par les médecins, à travers linformation que le praticien doit donner à son patient à loccasion du colloque singulier. Mais ce droit peut aussi sexercer par laccès du patient aux informations écrites concernant sa santé, contenues dans ce qui est communément qualifié de « dossier médical ». La reconnaissance par larticle L. 1111-7 du code de la santé publique dundroit daccès direct du patient au dossier médicala indéniablement constitué une révolution, tant pour les patients que pour les professionnels de santé.
La loi du 4 mars 2002 a également affirmé le droit à indemnisation des patients et de leurs ayants droit en cas de dommage survenu dans le cadre dune prise en charge thérapeutique. En cette matière, le législateur est intervenu dans un contexte jurisprudentiel particulier, la dernière décennie du XXe ayant été siècle marquée par une évolution rapide et foisonnante du droit de la responsabilité médicale, tant devant le juge judiciaire que devant le juge administratif. Les juridictions avaient en particulier eu à se prononcer sur ledroit à indemnisation des patients en cas dinfection survenue au cours dun séjour dans un établissement de santé, dite « infection nosocomiale ». Ces infections ont pris une place importante dans les débats sur la qualité du système de santé et les risques sanitaires, en raison dun certain nombre de situations ayant suscité lattention des médias, mais aussi du caractère choquant quelles peuvent avoir pour les patients en raison du lieu même et du contexte dans lesquels elles surviennent. Il peut en effet être difficile pour un patient de comprendre pourquoi et comment il a pu contracter une infection, dont les conséquences peuvent être graves, à loccasion de soins réalisés dans un établissement de santé,a fortiorisi ces soins visaient à prendre en charge une affection relativement bénigne.
Lintervention du législateur de 2002 visait donc à répondre à cette légitime aspiration des victimes à obtenir réparation des préjudices subis en cas dinfection nosocomiale, tout en cherchant à éviter les conséquences négatives des évolutions jurisprudentielles intervenues au cours des années précédentes, ce qui nécessita dailleurs une « retouche » législative par loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale. La loi du 4 mars 2002 a également instauré une procédure originale de règlement amiable des litiges en matière médicale, ayant vocation à sappliquer notamment aux demandes dindemnisation faisant suite à une infection nosocomiale, dont lobjectif était de simplifier, daccélérer et de pacifier le traitement des demandes en matière de responsabilité médicale.
Près de sept ans après laffirmation législative dun droit daccès au dossier médical et dun droit à indemnisation en cas dinfection nosocomiale, les commissions des Lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République et des Affaires culturelles, familiales et sociales de lAssemblée nationale ont souhaité évaluer la mise en uvre effective de ces deux