Rapport d'information fait au nom de la Commission des affaires économiques et du plan à la suite d'une mission d'information s'étant rendue au Brésil à l'occasion des réunions de la CNUCED et de l'Union interparlementaire du 10 au 16 juin 2004
Quatre membres de la commission des affaires économiques et du plan se sont rendus à São Paulo, au Brésil, du 10 au 16 juin 2004. Cette mission répondait à l'invitation qu'avait adressée au Sénat français l'union interparlementaire (UIP). L'UIP a en effet souhaité réunir à São Paulo, les 11 et 12 juin dernier, l'ensemble des parlements, à l'occasion de la onzième Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui se tenait dans la même ville du 13 au 18 juin. Le rapport présente d'abord les enseignements que les membres de la délégation ont tirés de leur participation à la CNUCED et à la réunion parlementaire organisée à cette occasion; il s'attelle ensuite à dresser un tableau synthétique du pays hôte, le Brésil, à partir des données recueillies sur place, avant de livrer son appréciation à l'égard des négociations que mène aujourd'hui l'Union européenne avec le Mercosur, dont le Brésil est incontestablement le pilier.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Extrait
N° 390 ____________ S É N A T
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 30 juin 2004
RAPPORT DINFORMATION
FAIT au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) à la suite dunemission dinformationsétant rendue auBrésil loccasion des à réunions de laCNUCED et de lUniontnemelraeriarpteIn du10 au 16 juin 2004, Par M.Jean BIZET, Mme Odette TERRADE, MM. Christian GAUDIN et Daniel RAOUL,
Sénateurs. (1) Cette commission est composée de :M. Jean-Paul Emorine,président ; MM. Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Bernard Piras, Mme Odette Terrade, M. Francis Grignon,vice-présidents; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Gérard Cornu, Jean-Marc Pastor,secrétairesAndré, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard Claudel, Marcel-Pierre Cléach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Détraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Jacques Moulinier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.
Commerce.
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INTRODUCTION Mesdames, Messieurs,
Ce sont quatre membres de la commission des Affaires économiques, Mme Odette Terrade, MM. Christian Gaudin, Daniel Raoul et votre rapporteur, qui se sont rendus à São Paulo, au Brésil, du 10 au 16 juin 2004. Cette mission répondait à linvitation quavait adressée au Sénat français lunion interparlementaire (UIP). LUIP a en effet souhaité réunir à São Paulo, les 11 et 12 juin dernier, lensemble des parlements, à loccasion de la onzième Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui se tenait dans la même ville du 13 au 18 juin. Il a paru important à votre commission de répondre positivement à cette invitation pour trois raisons. Premièrement, comme elle la déjà fait en créant en son sein, fin 2001, un groupe de travail chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales à lOrganisation mondiale du commerce (OMC), votre commission tenait, par sa participation à cette réunion de lUIP, à manifester la place quelle juge devoir revenir aux représentants de la Nation dans le processus de mondialisation. Deuxièmement, votre commission souhaitait, en envoyant plusieurs de ses membres à São Paulo, percevoir létat desprit des Etats participants à cette CNUCED, réunissant les pays du Sud à un moment-clef des négociations du cycle de Doha en cours à lOMC et actuellement dans limpasse. Enfin, votre commission comptait que soient pris, à cette occasion, divers contacts avec le Brésil, pays émergent dimportance croissante et fer de lance des pourparlers actuels entre lUnion européenne et le Mercosur1. Cest pourquoi la mission sest déroulée en trois étapes : la première consistait en la participation des sénateurs français à la réunion interparlementaire ; leur présence à la journée inaugurale de la conférence intergouvernementale, la CNUCED proprement dite, a représenté la deuxième étape de cette mission ; un troisième volet a été constitué par plusieurs rencontres avec des interlocuteurs brésiliens particulièrement qualifiés pour évoquer avec les membres de votre commission ses sujets de préoccupation prioritaires.
Votre rapporteur se propose donc de présenter dabord les enseignements que les membres de la délégation ont tirés de leur participation à 1Le Mercosur est une zone de libre-échange entre le Brésil, lArgentine, le Paraguay et lUruguay.
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la CNUCED et à la réunion parlementaire organisée à cette occasion; il sattellera ensuite à dresser un tableau synthétique du pays hôte, le Brésil, à partir des données recueillies sur place, avant de livrer son appréciation à légard des négociations que mène aujourdhui lUnion européenne avec le Mercosur, dont le Brésil est incontestablement le pilier.
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CHAPITRE I : LA ONZIÈME CNUCED, UN ELAN POUR LE COMMERCE SUD/SUD
I. : INSTRUMENT DES NATIONS UNIES POURLA CNUCED COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT
A.UNE ORGANISATION QUARANTENAIRE, DOUBLÉE PAR LOMC
LE
Votre rapporteur juge utile de rappeler brièvement lhistoire de la CNUCED, dont la onzième conférence se tenait cette année au Brésil.
Présentation de la CNUCED et de la contribution française à son budget La CNUCED est un organe subsidiaire de l'Assemblée Générale des Nations Unies, créé en 1964 par la résolution 1995(XIX) du 30/12/64, amendée par les résolutions 2904 (XXVII) du 26/09/72 et 31/2 du 29/09/76). Placée sous le contrôle du Conseil Economique et Social (ECOSOC), elle compte 192 Etats membres. La Conférence se réunit tous les 4 ans : la XeCNUCED s'est tenue à Bangkok en février 2000, la onzième, à laquelle participait donc les membres de la mission, à São Paulo en juin 2004. L'organe directeur permanent entre les Conférences estle Conseil du Commerce et du Développement, qui se réunit à Genève chaque année au mois d'octobre, pendant deux semaines. Ses travaux sont répartis entre trois commissions :
Commission du commerce des biens et services et des produits de base ; Commission des entreprises, de la facilitation du commerce et du développement ;
Commission de l'investissement, de la technologie et des questions financières connexes.
Le groupe de travail sur le plan à moyen terme et le budget-programme, qui se réunit trois fois par an, traite de la gestion de l'organisation. Le Secrétariat de la CNUCED comprend 400 fonctionnaires.
La CNUCED a organisé troisConférences sur les pays les moins avancés(PMA), deux à Paris, en 1981 et 1990, une troisième, à l'invitation de l'Union Européenne, à Bruxelles, en 2001. Une section spécifique de son secrétariat est consacrée au Programme pour les PMA. Lesgrands axes des travaux de la CNUCEDont été revus à Bangkok en 2000. La déclaration et le plan d'action de Bangkok définissent quatre axes prioritaires daction :
améliorer l'intégration effective de tous les pays dans le système commercial international ;
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aider les PED à améliorer leurs capacités de production ; promouvoir l'investissement afin de favoriser le développement des entreprises et la diffusion des technologies ; favoriser le développement de l'infrastructure des services, l'efficacité commerciale et la valorisation des ressources humaines. Le budget ordinaire de la CNUCEDprovient du budget de l'ONU. De l'ordre de 50 millions de USD par an, il couvre les dépenses de fonctionnement. En complément, descontributions volontairesservent à financer les programmes d'assistance technique. Elles s'élèvent à environ 25 millions de USD par an. Le premier bailleur de fonds pour ce second poste est l'Union Européenne, les principaux donateurs bilatéraux étant l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Finlande et la France. La contribution volontaire de la France s'élève en 2004 à 465 000 euros. Cette contribution se concentre sur 4 domaines dactivités : (i) La France soutient le programme TRAINFORTRADE (155.000 euros), qui propose des formations dans le domaine commercial aux responsables des pays en développement, afin de les assister dans la définition de leurs politiques commerciales ; (ii) Le programme INFOCOM (87.000 euros) propose des bases de données sur les marchés des produits de base ; (iii) La France finance à hauteur de 100.000 euros la Fédération Mondiale des Pôles commerciaux, qui apporte son soutien aux PME pour laccès aux marchés internationaux. 127 pôles ont été constitués dans 90 pays. Un budget de 100.000 euros a été alloué par la France à ce programme ; (iv) La France apporte une contribution de 100.000 euros au programme de renforcement des capacités en matière dinvestissement : aide à la négociation et à la mise en uvre daccords régionaux, renforcement des capacités humaines et institutionnelles, etc. Par ailleurs, des projets bi/multilatéraux sont menés avec la CNUCED, en particulier pour laide aux PMA (projet Laos et Cambodge) dans le domaine de la préparation aux négociations commerciales.
Source : Ministère des Affaires étrangères
La CNUCED, créée en 1964 et rassemblant 192 Etats, est le seul organe de lONU compétent en matière de commerce et de développement. A ce titre, elle joue un rôle complémentaire à celui de lOrganisation mondiale du commerce (OMC), organisation créée le 1er janvier 1995 au terme des négociations du dernier cycle de négociations du GATT, le cycle dUruguay (1986-1994), et réunissant 147 pays1. Laction de la CNUCED complète celle de lOMC sur trois plans : lanalyse : elle est apportée par la CNUCED essentiellement par le biais de rapports annuels de référence (lun sur le commerce et le développement, lautre sur les pays les moins avancés, le dernier sur linvestissement dans le monde);
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le dialogue : la CNUCED y participe en sa qualité de forum Nord/Sud permettant des échanges constructifs sur les principaux enjeux économiques actuels (commerce, concurrence, intégration régionale, dépendance des produits de base...) ; : la CNUCED y contribue en apportant unela mise en oeuvre coopération technique aux pays en développement pour les accompagner dans la mise en oeuvre des politiques et des accords commerciaux. Cette coopération technique consiste à doter les pays en développement des moyens institutionnels nécessaires à leur développement dans les domaines du commerce, des activités financières et des investissements internationaux. Plus de 300 projets sont en cours d'exécution dans une centaine de pays.
B.UNE ONZIÈME CONFÉRENCE PERMETTANT DE RENOUER LE DIALOGUE NORD/SUD
Quand la délégation de votre commission sest rendue au Brésil le mois dernier, la CNUCED célébrait donc son quarantième anniversaire en même temps qu'elle tenait sa onzième conférence quadriennale à São Paulo, agglomération de 18 millions dhabitants qui fêtait, pour sa part, son quatre cent cinquantième anniversaire cette année. Cette onzième CNUCED était dune importance stratégique particulière. La dixième édition, tenue à Bangkok en 2000, sétait en effet fixée comme priorité, après le changement majeur quavait représenté la création de lOMC en 1995, daméliorer lintégration effective de tous les pays dans le système commercial international. Or léchec de la conférence ministérielle de lOMC tenue à Cancùn en septembre 2003 avait apporté la preuve que les pays du Sud, notamment réunis au sein du G90, contestaient les modalités de leur intégration dans léconomie mondiale. La réunion de la CNUCED à São Paulo devait donc contribuer àtrouver les moyens dassurer une plus grande cohérence entre les stratégies de développement et louverture commerciale, afin de restaurer ainsi la confiance entre pays développés et pays en développement, neuf mois après ce constat déchec.
C.COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT : UN LIEN COMPLEXE
Comme le met en avant le rapport 2004 de la CNUCED sur les pays les moins avancés (PMA), la réduction de la pauvreté passe par une croissance économique soutenue et un développement de lemploi productif. Le commerce international peut grandement contribuer à la réduction de la pauvreté dans les PMA. Il est vrai que, dans la plupart des PMA, le secteur primaire, en particulier lagriculture, occupe une place prédominante dans la
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production et dans lemploi. Les exportations apparaissent alors comme le moyen de transformer des ressources naturelles sous-utilisées et une main-duvre excédentaire en importations de biens nécessaires à la croissance économique. Le commerce international est particulièrement important pour la réduction de la pauvreté dans les PMA parce que le « degré douverture » de ces pays est élevé : pendant la période 1999-2001, les exportations et les importations de biens et services ont représenté en moyenne 51 % de leur produit intérieur brut (PIB), taux supérieur à celui de 43 % constaté dans les pays de lOCDE à revenu élevé. Toutefois, les liens entre le commerce international et la réduction de la pauvreté ne sont ni simples ni directs. Dune part, la croissance économique nécessite des investissements dans le capital physique, humain et institutionnel et exige de favoriser linnovation et le progrès technique. Il est donc nécessaire, non seulement daugmenter les exportations, mais aussi dutiliser efficacement les facteurs de production que laccroissement des exportations permet dimporter. Dautre part, la contribution des exportations à laugmentation de la capacité dimportation des PMA doit être considérée du point de vue global de la balance des paiements. La quasi totalité des PMA souffre dun déficit commercial important et chronique et les recettes dexportation couvrent à peine plus de la moitié des importations totales, selon les chiffres fournis par la CNUCED. Ces déficits commerciaux sont surtout financés par des apports daide. Cest pourquoi la contribution des exportations à laugmentation de la capacité dimportation peut se trouver neutralisée par une baisse des entrées de capitaux ou par un alourdissement du service de la dette. Le lien entre lexpansion du commerce et la réduction de la pauvreté risque ainsi dêtre rompu si lessor du commerce est considéré comme une occasion de limiter laide. Enfin, il est à craindre quune croissance mue par les exportations soit « enclavée », cest-à-dire concentrée dans une petite partie de léconomie, du point de vue à la fois géographique et sectoriel. Il peut arriver que lexpansion des exportations darticles manufacturés soit circonscrite à des zones franches industrielles et que le reste de léconomie reste à lécart de ce mouvement. Pour que la croissance économique profite à tous, elle doit être fondée non seulement sur lessor des exportations, mais encore sur une expansion générale des autres activités rémunératrices et sur une diversification de la production. La relation entre le commerce et la pauvreté est donc asymétrique : si la baisse des exportations saccompagne presque toujours dune recrudescence de la pauvreté, leur augmentation ne se traduit pas nécessairement par un recul de ce fléau. Le rapport 2004 de la CNUCED sur les pays les moins avancés montre que le commerce a le plus de chance dexercer un effet positif quand la croissance économique est équilibrée, cest-à-dire quand lexpansion de la demande intérieure en est le principal moteur, lessor des exportations jouant cependant aussi un rôle important dans le processus.
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II.LA RÉUNION INTERPARLEMENTAIRE À LOCCASION DE LA XIE REVENDICATION DUN ESPACE POLITIQUECNUCED : NATIONAL
A.POUR UNE RÉAPPROPRIATION NATIONALE DE LA MONDIALISATION
La réunion interparlementaire, à laquelle les membres de la mission ont assisté, leur a permis de constater la mobilisation des parlements des pays en développement sur les questions de commerce et de développement, alors que manquaient à lappel des représentants de nombreux pays industrialisés, dont les Etats-Unis, grands absents. A ce propos, votre rapporteur souligne combien la présence française était bienvenue, notamment vis-à-vis de la communauté francophone, avec laquelle les membres de la mission ont noué des contacts spontanés et chaleureux. Quelques rares pays du Nord étaient toutefois représentés par des parlementaires : hormis six autres membres de lUnion européenne -lAllemagne, la Belgique, la Lettonie, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni-, nétaient présents que le Canada, lIslande et la Suisse. La réunion parlementaire a laissé entendre aux membres de la mission que les pays en développement qui y étaient représentés par leurs élus nationaux cherchaient sans doute dabord dans la CNUCED le moyen dobtenir des marges de manoeuvre pour la mise en oeuvre de leurs politiques économiques. En apportant la preuve que louverture commerciale nenclenchait pas mécaniquement le développement, les pays en développement ont en effet exprimé le souhait detrouver un « espace politique » national -concept de «policy space»- saffranchir des contraintes imposées par les grandes pour institutions économiques internationales. Votre rapporteur croit pouvoir considérer que chacun est conscient de la nécessité de compenser les imperfections des politiques de développement économique. En effet, les conséquences de ces politiques nont pas toujours été celles attendues. Ainsi, les Nations Unies recensent aujourdhui en Amérique latine 20 millions de pauvres de plus quen 1997, comme la souligné, lors de la réunion parlementaire, le secrétaire général de la CNUCED, M. Rubens Ricupero. La revendication dune plus grande cohérence entre les politiques de développement à lintérieur et les engagements internationaux pris à lextérieur apparaît donc tout à fait légitime à votre rapporteur. Elle rejoint dailleurs le souhait exprimé par les parlements représentés à São Paulo dêtre plus proches des gouvernements et des institutions internationales au sein desquelles les exécutifs prennent des engagements, certains élus présents ayant même imaginé unesaisine systématique du Parlement pour procéder à une étude dimpact social et économique avant chaque accord commercial: ce souhait traduit le besoin, communément répandu sur la planète, de débats de proximité sur les
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orientations internationales retenues par les gouvernements et dune réappropriation nationale, par ce biais, de la mondialisation. Le risque, toutefois, dune référence trop explicite à la notion de « policy space » était de donner par ce biais un blanc-seing aux pays en développement pour ne pas appliquer les accords négociés à lOMC, auxquels le groupe de travail que votre rapporteur a lhonneur de présider porte une grande attention au sein de votre commission. Notamment, la création de lOMC a rendu multilatéraux, cest-à-dire applicables à tous, différents standards (accords SPS relatifs aux normes sanitaires, accords TBT relatifs aux obstacles techniques au commerce, accords ADPIC sur les droits de propriété intellectuelle). Depuis, de nombreux pays en développement (PED) critiquent lharmonisation de ces standards et le coût de leur mise en oeuvre, assurée par le mécanisme de règlement des différends. Les PED réclament donc dajuster ces standards à leur situation particulière.
Lespace politique économique dans les accords de lOMC : suffisamment de flexibilité ?
LAccord sur les ADPIC
LAccord sur les ADPIC est, avec lAccord sur lévaluation en douanes, le plus élaboré des accords de lOMC concernant lharmonisation des standards, car il établit des standards spécifiques imposés aux membres. Toutefois, cet accord est encore loin davoir achevé une harmonisation des droits de propriété intellectuelle, car il impose uniquement des standards minima, et les membres sont libres dadopter un niveau de protection des droits de propriété intellectuelle plus important au niveau national que celui imposé par laccord sous réserve que cette protection ne soit pas en contradiction avec des dispositions de laccord. Les membres sont également libres de déterminer la méthode appropriée de mise en uvre de laccord (article 1).
Le débat sur laccès aux médicaments et la déclaration de Doha sur les ADPIC et la santé publique ont également posé la question de la flexibilité des ADPIC. Dans le paragraphe 4 de cette dernière déclaration, les membres ont ainsi réaffirmé que l'Accord sur les ADPIC n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. En conséquence, tout en réitérant notre attachement à l'Accord sur les ADPIC, nous affirmons que ledit accord peut et devrait être interprété et mis en uvre d'une manière qui appuie le droit des Membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l'accès de tous aux médicaments. À ce sujet, nous réaffirmons le droit des Membres de l'OMC de recourir pleinement aux dispositions de l'Accord sur les ADPIC, qui ménagent une flexibilité à cet effet. Dans un compromis de 2003, les membres de lOMC ont consenti à amender larticle 31 des ADPIC et à rendre plus explicite le fait que les ADPIC ne devaient pas être un obstacle à laccès aux médicaments dans les pays ayant peu ou pas de capacités de production dans le secteur pharmaceutique.
Toutefois, les PED voient souvent peu dintérêt dans lapplication de ces standards minima en matière de propriété intellectuelle, et soulignent le coût de la mise en uvre des ADPIC. Dautres sinterrogent quant à savoir si les ADPIC sont suffisamment flexibles et concèdent suffisamment despace politique économiques aux membres dans sa mise en uvre, et si un élargissement de cet espace politique économique résulterait nécessairement
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en une menace pour les engagements existants. Il revient aux membres de lOMC de déterminer si une plus grande flexibilité est souhaitable ou non et cela devrait faire lobjet de négociations (en dehors du mandat de Doha).
Les accords SPS, TBT et AGCS
Les accords de lOMC autres que les ADPIC ne prévoient pas de standards minima. Les accords SPS et TBT ne font quétendre les principes du GATT, tels que la non-discrimination ou la transparence, à de nouveaux domaines. En droite ligne avec larticle XX du GATT, les deux accords réaffirment que les membres de lOMC ont le droit dadopter et de mettre en oeuvre des mesures nécessaires à la protection de la santé ou de la vie des personnes, des animaux et des végétaux (préambules et autres articles). Autrement dit, ces accords concèdent un certain espace politique économique aux membres, afin quil poursuivent certains objectifs légitimes, tels que la santé des consommateurs. A contrario, cela signifie également que les membres ne sont pas tenus dadopter de tels standards, cependant que lOMC encourage ses membres à négocier et à se conformer aux standards internationaux lorsquils existent. Aussi, il faut souligner le rôle de la pression des pairs, ainsi que des incitations régionales et bilatérales en faveur des reconnaissances mutuelles ou de lharmonisation. Toutefois, aucun de ces standards nest adopté en tant que tel dans lenceinte de lOMC.
Les accords SPS et TBT constituent une limite à lespace politique économique dans la mesure où ils exigent que lévaluation des risques soit basée sur des principes scientifiques. Cette restriction vise à éviter que des mesures SPS ou TBT soient appliqués de manière à créer une discrimination arbitraire ou injustifiable entre membres où les mêmes conditions existent ou une restriction déguisée au commerce international. Paradoxalement, la principale restriction à lespace politique économique contenue dans les accords SPS et TBT est donc une disposition qui protège le plus les PED et les pays développés contre une utilisation abusive des standards.
LAGCS ne prévoit pas de standards non plus. En fait, il est le plus flexible de tous les accords de lOMC, car les membres sont libres de choisir le niveau et la nature de leurs engagements. Les contraintes imposées par lAGCS sont très limitées et sujettes à de nombreuses exceptions. Les seules contraintes sont en fait le traitement national (sujet aux exceptions régionales et autres) et le principe de transparence.
Le traitement spécial et différencié
Les dispositions relatives au TSD concèdent, dans certains cas, un espace politique économique plus grand aux PED. Par exemple, en matière de sauvegardes ou de subventions, les PED bénéficient dun traitement qui est plus favorable que celui concédé aux pays développés, et donc dun espace politique économique plus grand. Ces dispositions qui diminuent les obligations et facilitent les règles pour les PED sont limitées, et la question de lopportunité de leur multiplication ou extension relève de la compétence des membres de lOMC. Par ailleurs, dautres dispositions relatives au TSD exigent que soient pris en compte les besoins spécifiques des PED et étendent parfois les périodes de mise en uvre des accords. Ces dernières dispositions, toutefois, ne font que retarder lapplication des accords et ne laissent pas, in fine, plus despace politique économique aux PED.
Selon le paragraphe 44 de la déclaration de Doha, les membres de lOMC se sont engagés à réviser les dispositions relatives au TSD en vue de les renforcer et de les rendre plus précises, plus effectives et plus opérationnelles. La question de savoir si le concept
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despace politique économique est à même de contribuer à la réalisation de cet objectif est encore sans réponse, et il revient aux membres de lOMC de létudier et den discuter avant toute insertion dans une déclaration.
Lespace politique économique dans la jurisprudence à lOMC : un principe bien établi
La question du « standard of review » approprié
La seule disposition de lOMC relative au « standard of review », cest-à-dire à la déférence au droit national qui doit être consentie par les groupes spéciaux et lOrgane dappel de lOMC, se trouve dans larticle 17.6 de lAccord sur lantidumping, selon lequel :
« i) dans son évaluation des faits de la cause, le groupe spécial déterminera si l'établissement des faits par les autorités était correct et si leur évaluation de ces faits était impartiale et objective. Si l'établissement des faits était correct et que l'évaluation était impartiale et objective, même si le groupe spécial est arrivé à une conclusion différente, l'évaluation ne sera pas infirmée ;
ii) le groupe spécial interprétera les dispositions pertinentes de l'Accord conformément aux règles coutumières d'interprétation du droit international public. Dans les cas où le groupe spécial constatera qu'une disposition pertinente de l'Accord se prête à plus d'une interprétation admissible, le groupe spécial constatera que la mesure prise par les autorités est conforme à l'Accord si elle repose sur l'une de ces interprétations admissibles. »
En dautres termes, une large déférence au droit national est concédée, dans la mesure où linterprétation suggérée est admissible.
Cela montre quun élargissement de lespace politique économique ne sert pas nécessairement les intérêts de tous les PED, car ces pays ont de plus en plus recours au règlement des différends dans le domaine de lantidumping y compris contre dautres PED.
Toutefois, la jurisprudence de lOMC a conclu que ce « standard of review » était spécifique à lAccord sur lantidumping et nétait pas applicable dans des affaires relevant dautres accords, tels que SPS (affaire du buf aux hormones) et SCM (accord sur les subventions affaire lead bismuth). Ainsi, il ny a pas de disposition générique pour le « standard of review » à lOMC qui simposerait à tous les groupes spéciaux et à lOrgane dappel.
La retenue juridique (judicial restraint) des groupes spéciaux et de lOrgane dappel
Les membres de lOMC ont lautorité exclusive damendement et dinterprétation des accords de lOMC. Selon larticle 3.2 du DSU, les recommandations et décisions de lORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations des membres. Cela vaut dans les deux sens : lORD ne peut pas créer de nouvelles obligations pour les membres ; mais également, une interprétation dun accord ne peut pas réduire les obligations daucun membre, fût-il un PED.