La stigmatisation Thierry ROGEL profeseur de SES au lycée Descartes de Tours
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Description

Niveau: Secondaire, Lycée, Terminale
Sociologie La stigmatisation Thierry ROGEL, profeseur de SES au lycée Descartes de Tours L'analyse de la déviance abordée en première et, implicitement dans le cadre du chapitre sur le lien social, en terminale nous confronte, aux côtés du terme « déviance », à la notion de « stigmatisation » mais sans que celle-ci soit généralement approfondie. Dès lors, on peut se demander s'il convient d'utiliser un terme supplémentaire s'il ne s'agit pas de décrire autre chose que la déviance. En fait, l'analyse de la stigmatisation nous amène à aborder des problèmes classiques de sociologie sous un angle très particulier. I l convient d'abord de resituer lanotion de stigmatisation dansl'ensemble des analyses sur la déviance. La déviance, qui peut amener aux situations d'exclusion, de ségrégation ou de marginalité, peut dans un premier temps être comprise comme un écart aux normes ou aux valeurs de la société ou du groupe d'appartenance. Dans l'optique de Merton, il s'agit du résultat d'une mauvaise adéquation entre les buts valorisés de la société et les moyens qu'elle met à la dis- position de ses membres1. Le déviant sera celui qui accepte les buts valorisés par la société (l'enri- chissement par exemple) mais n'uti- lise pas les moyens légitimes pour y parvenir. Sera également déviant celui qui refuse aussi bien les moyens que les buts de la société.

  • stigmatisé

  • stigmate

  • identité sociale

  • handi- caps physiques

  • nor- mal

  • usages sociaux des handicaps

  • génération après génération

  • goffman


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 1997
Nombre de lectures 451
Langue Français

Extrait

Sociologie
L’école en quête d’équité
Alain MICHEL, IGEN, article extrait de la revueAdministration et éducation, n° 1, 1999
Une enquête conduite en 1994 par l’Éducation nationale sur les attentes et l’opinion à l’égard de l’École avait inclus deux questions sur les relations entre celle-ci et les inégalités sociales. Résultat : trois quarts des personnes interrogées ont répondu que l’école ne réduisait pas les inégalités sociales et deux tiers ont répondu à la deuxième question portant sur les missions de l’école 1 que celle-ci avait pour rôle de les réduire .
Des attentes déçues mais tenaces à l’égard de l’école Pour être plus précis, 42 % ont répondu que l’école n’avait pas d’effet, 32 % jugeant qu’elle accroissait les inégalités, 17 % seulement croyant à un effet réducteur et 9 % ne se pro-nonçant pas. Ces résultats confirmaient ceux d’une autre enquête de 1993 : 46 % jugeaient neutre l’effet de l’école, 31 % pensant qu’elle amplifiait les inégalités, 22 % qu’elle les réduisait et 4 % n’ayant pas d’opinion sur le sujet. En 1994, 63 % de l’échantillon interrogé affirmait que la réduction des inégalités sociales est l’une des mis-sions de l’école, 31 % pensant que ce n’est pas son rôle et 6 % étant sans opinion. Or les pourcentages corres-pondants de l’enquête de 1993 étaient respectivement : 58 %, 41 % et 1 %. Il serait intéressant de faire la même enquête aujourd’hui pour voir si la tendance à une plus grande sensibilité des Français sur l’équité sociale s’est confirmée au cours de ces dernières années. En toute hypothèse, ces enquêtes confirment qu’une large majorité de Français considèrent que l’école doit contribuer à une société plus juste et qu’à cet égard elle ne rem-plit pas bien son rôle. Cette opinion est largement partagée dans l’ensemble des pays industria-
lisés, même si les attentes sont plus ou moins fortes selon les pays quant au rôle que doit jouer l’école à cet égard. Mais, dans tous les cas, le scepticisme est de mise, à tel point que la question de l’équité est deve-nue une préoccupation prioritaire de l’OCDE dans le domaine de l’édu-cation. Après un rapport publié en 1995 sur les enfants et adolescents « à risque » (terminologie de l’OCDE pour désigner les élèves en difficulté), cette organisation a publié en 1997 un rapport intitulé « Éducation et 2 équité dans les pays de l’OCDE » , dans lequel est rappelé l’engagement des ministres de l’éducation des pays membres à « faire de l’apprentissage tout au long de la vie une réalité pour tous ». Dans le communiqué officiel de la conférence des ministres de 1996, il est précisé : « L’éducation pour tous suppose qu’on accorde une plus haute priorité à ceux qui sont moins bien servis par le système éducatif : permettre à tous de mieux tirer profit de l’enseignement est aussi important du point de vue économique que sous l’angle de l’équité sociale et de l’égalité des chances. » Il existe, de fait, tout particulière-ment en France et dans les pays scan-dinaves, un large consensus sur les missions de l’école et sur le fait qu’elle doit compenser les handicaps
individuels et sociaux. L’article 1 de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 stipule expressément que le service public d’éducation contribue à « l’égalité des chances ». Cet article précise : « L’acquisition d’une culture générale et d’une qua-lification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur ori-gine sociale, culturelle ou géogra-phique. L’intégration scolaire des jeunes handicapés est favorisée… » Et plus loin : « Les écoles, les col-lèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur… contri-buent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. » L’accent mis en France sur l’objectif d’égalité des chances, de réduction des handi-caps, notamment sociaux, et sur l’éducation à la citoyenneté, c’est-à-dire sur la dimension « bien public » de l’éducation, n’est pas étranger à la prééminence de l’État dans ce domaine et au modèle relativement centralisé de pilotage de notre système éducatif, en dépit du processus de « décentration » (décentralisation et déconcentration) amorcé à partir des
z 1.A. Michel, C. Sauvageot,L’Opinion des Français sur l’éducation, N.I. 95-20, DEP, MEN, 1995. 2.« Éducation et équité dans les pays de l’OCDE », rapport coordonné par D. Istance, OCDE, 1997.
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années quatre-vingt. En effet, les études internationales de l’IEA sur les acquis des élèves montrent que s’il n’y a pas de corrélation entre le niveau de décentralisation d’un sys-tème éducatif et le niveau moyen des élèves, en revanche, les écarts entre les élèves les meilleurs et les plus faibles, entre écoles et entre régions sont plus grands dans les systèmes les plus décentralisés. C’est un résul-tat à méditer du point de vue de l’ob-jectif d’équité. Du reste, le souci d’éviter de trop grandes disparités sociales et géographiques a conduit les pays les plus décentralisés (comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne) à définir un curriculum national et des tests nationaux d’éva-luation normalisés. De fait, tout se passe comme si la recherche simul-tanée d’efficacité et d’équité condui-sait tous les pays à rechercher un niveau optimal de décentralisation et d’autonomie des établissements sco-laires à ne pas franchir.
Égalité, équité, égalité des chances
Les débats sur le rôle que doit et peut jouer l’école dans la lutte contre les inégalités sociales sont anciens. Ils sont relativement plus récents en ce qui concerne les inégalités selon le sexe. En France, le système édu-catif repose sur les principes hérités de la tradition républicaine qui trou-vent leur origine essentiellement dans l’œuvre de Condorcet : caractère public de l’éducation, laïcité et éga-lité. L’école doit être ouverte à tous sans aucune forme de discrimination. Mais cette égalité de principe est une égalité d’accès à la scolarité obli-gatoire. Elle ne concerne pas l’éga-lité de fait, ni une égalité en termes de destinées scolaires ou de résultats. On trouve là une première difficulté : celle qui résulte de l’écart entre éga-lité formelle et égalité réelle ou, pour reprendre le titre d’un colloque orga-nisé en juin 1998 par l’université de Cergy-Pontoise, « Entre égalité en droit(s) et égalité des chances ». Une deuxième difficulté est l’am-
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biguïté ou la polysémie du mot «éga-lité » et de l’expression « égalité des chances ». De quelle égalité s’agit-il ? Quant à l’égalité des chances, de quelles chances, de quelles opportu-nités parle-t-on en termes concrets ? S’agit-il de principes, de valeurs ou de mots d’ordre ? L’évolution de nos sociétés et de la conscience sociale a conduit à diversifier l’appréhension de ces notions, qui ne sont pas des concepts rigoureux et qui ne sont pas indépendantes de leur historicité et du contexte politique et juridique dans lequel elles sont utilisées. Sans remonter aux limites de la démocratie selon Platon, il est évi-dent que la passion pour l’égalité ou le tropisme vers l’égalisation des conditions qu’évoque Tocqueville ne peuvent se comprendre aujourd’hui que par rapport aux évolutions qu’il constatait par rapport à l’Ancien Régime. La conception de l’éduca-tion chez Jean-Jacques Rousseau ou même celle de Jules Ferry sont éga-lement datées et ne sont pas indé-pendantes de leur vision de la démo-cratie. À chaque époque, la question des relations entre l’école et les inéga-lités est chargée de présupposés idéo-logiques liés à un état de la réflexion sur la démocratie et sur « la question sociale ». Depuis une vingtaine d’années, le débat a été renouvelé par les réflexions sur les concepts de justice et d’équité. À cet égard, la contribu-tion de John Rawls est une étape importante. Dans sa conception du 3 juste comme équité , J. Rawls a tenté de définir une doctrine morale dont « la théorie de la justice comme équité », définie dans saThéorie de la justice(1971), serait une applica-tion politique. L’objectif de Rawls est de généraliser la doctrine tradi-tionnelle du contrat social et de déve-lopper une théorie de la justice qui soit plus recevable que celle fondée sur l’utilitarisme. Dans sa première version (1971), l’idée centrale est que tous les citoyens d’une société ordon-née par la théorie de la justice comme équité souscrivent à cette conception sur la base d’une doctrine philoso-
phique compréhensive. Or une société moderne est caractérisée par une pluralité de références religieuses, philosophiques et morales. Aucune de ces doctrines ne fait l’unanimité des citoyens. La prise en compte de ce pluralisme, de cette diversité cul-turelle, remet en cause l’édifice théo-rique initial de J. Rawls. Ses travaux 4 plus récents restreignent sa théorie de la justice à sa conception poli-tique : le problème est de savoir com-ment une société démocratique juste, composée de citoyens libres et égaux, mais divisés par des doctrines incom-patibles religieuses, philosophiques et morales, peut exister de manière durable. Quels structure et contenu d’une telle conception politique de la justice peuvent permettre de fonder un consensus durable ? Dans cette théorie, les institutions de ce que Rawls appelle la structure de base de la société sont considé-rées comme justes dès lors qu’elles satisfont aux deux principes suivants : – chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit com-patible avec un même système de liberté pour tous ; – les inégalités sociales et écono-miques sont autorisées à condition a) qu’elles soient au plus grand avan-tage du plus mal loti ; b) qu’elles soient attachées à des positions ou des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances. La question fondamentale de savoir ce que devrait ou pourrait être la jus-tice sociale dans une société démo-cratique et pluraliste n’est pas facile à résoudre. Elle conditionne pourtant la politique scolaire. Les prises de position qu’elle suscite expliquent en partie les ambiguïtés des attentes à l’égard de l’école, dont on attend à la fois qu’elle légitime la hiérarchie sociale (élitisme républicain) et qu’elle atténue les inégalités sociales.
z 3.J. Rawls,Theory of Justice(1971), trad. françaiseThéorie de la justice, Seuil, 1991. 4.J. Rawls,Justice et démocratie, Seuil, 1993.
Avant d’aborder les conceptions pos-sibles du rôle de l’école et les résul-tats des politiques éducatives à cet égard, il convient donc d’approfon-dir le débat sur les conditions aux-quelles la justice pourrait être réalisée en réduisant autant que possible les inégalités sociales.
Égalitarisme simple ou complexe ?
Tout en acceptant le projet univer-saliste de Rawls, c’est-à-dire de défi-nir des conditions d’équité valables pour n’importe quelle démocratie concrète, donc l’hypothèse d’un contrat social héritée de Locke, Rousseau et Kant, un autre philo-sophe américain, Michael Walzer, refuse l’approche abstraite de Rawls afin de prendre en compte la diver-sité sociale et culturelle de nos socié-tés contemporaines. Dans un ouvrage 5 de 1983, publié en 1997 en France , M. Walzer abandonne l’hypothèse d’un principe unique de justice et pré-fère postuler différents principes dont chacun concernerait une « sphère » spécifique de la vie de nos sociétés. Comme l’a très clairement résumé 6 Christian Delacampagne , Walzer distingue la sphère économique, administrative, éducative, familiale, religieuse, etc. À chaque sphère cor-respond un bien déterminé – on pour-rait dire un « capital » spécifique pour adopter la terminologie de Pierre Bourdieu –, qu’il s’agisse d’argent, de pouvoir, de temps libre, de savoir, d’amour ou de récompense honori-fique. Or, dans chaque sphère, ce bien tend à être monopolisé par une mino-rité de personnes. Walzer préconise donc une certaine étanchéité entre les sphères de telle sorte qu’aucun groupe social ne puisse monopoliser les biens représentatifs des diverses sphères. Il soutient ainsi le principe d’un égalitarisme complexe prenant acte du fait que les hommes préfè-rent la diversité et n’ont pas des objectifs identiques. Cette recon-naissance d’un pluralisme social et culturel sépare donc Walzer de Rawls. Pour autant, il ne soutient pas
les arguments communautaristes, refusant le relativisme culturel et que l’idée de justice ou d’équité ne puisse se concevoir qu’au sein de telle ou telle conception morale ou religieuse. A fortiori, il s’oppose aux libertariens et préconise une action régulatrice de l’État. Cette conception converge avec les fondements de la social-démocratie et rejoint certaines approches en France pour tenter de sortir du dilemme entre valeurs universelles et multiculturalisme.
Diversité culturelle et équité
Deux ouvrages collectifs récents permettent de mieux appréhender les enjeux et la complexité de la ques-tion de l’équité dans un contexte plu-riculturel. Bien évidemment, l’école est au cœur du problème tant en ce qui concerne l’application du prin-cipe de laïcité et l’éducation à la 7 citoyenneté que sa contribution pos-sible à l’égalité des chances et à une mobilité sociale ascendante des élèves issus de milieux défavorisés. L’équipe du Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (Cadis), fondé par Alain Touraine et dirigé actuellement par Michel Wieviorka, a publié en 1997 un ouvrage intitulé Une société fragmentée ?dont le sous-titre est « Le multiculturalisme 8 en débat » . Pour résumer brièvement leur propos, ces auteurs préconisent le multiculturalisme comme une solu-tion médiane acceptable entre d’une part l’universalisme républicain qui conduit à l’intégration et à l’assimi-lation des minorités culturelles et, d’autre part, le relativisme culturel, cher aux communautariens, qui conduit à des sociétés mosaïques por-teuses de conflits difficilement maî-trisables. L’autre ouvrage, plus récent, a été publié en 1998 sous la direction de Gilles Ferréol, professeur de socio-logie à l’université de Poitiers. Son titre dénote déjà une différence de sensibilité :Intégration, lien social et 9 citoyenneté. Le fil directeur est la question centrale du lien social, ce
qui rejoint celle du « Comment vivre ensemble avec nos différences ? » posée par M. Wieviorka. Tout en posant la question iconoclaste de savoir si l’idéal républicain serait une exception française plutôt qu’une valeur universelle, les auteurs insis-tent davantage sur les dangers de dérive du multiculturalisme d’un Charles Taylor et les glissements pro-gressifs qui conduisent de la discri-mination positive (« affirmative action ») aux excès du « politique-ment correct ». Or ces excès ne sont-ils pas commis au nom de l’équité ? Pour Wieviorka, le fait de montrer une continuité entre la discrimination positive et le politiquement correct ne peut être que la volonté d’une défense et illustration d’une concep-tion abstraite de l’idéal républicain relevant d’un discours dogmatique. Prendre acte de la diversité culturelle, ce n’est pas défendre, précise-t-il, un multiculturalisme débridé dont il reconnaît les dangers. Son objectif est de se dégager d’une « alternative mortelle pour la démocratie » et de réfléchir aux conditions rendant pos-sible « l’articulation entre ce qui semble séparé et inconciliable : les références universelles au droit et à la raison et le respect des particula-rismes culturels, y compris lorsqu’ils s’engagent sur la scène publique ». Ainsi se démarque-t-il des partisans d’un universalisme ouvert ou tem-péré (D. Schnapper, 1994), soupçon-nés en fin de compte de tolérer les différences afin de les faire disparaître in fine. Pour enfoncer le clou, M. Wieviorka affirme que de toute manière le républicanisme est déjà démenti par l’action politique en citant comme exemple notamment
z 5.M. Walzer,Sphères de justice, Seuil, 1997 ; voir aussi C. Taylor,Multiculturalisme, Aubier, 1994. 6.Le Mondedu 28 novembre 1997. 7.A. Michel, « Éducation à la citoyenneté », Administration et éducation,n° 1, 1994. 8.M. Wieviorkaet alii,Une société fragmentée ?, La Découverte, 1997. 9.G. Ferréolet alii,Intégration, lien social et citoyenneté, PU du Septentrion, 1998 ; D. Schnapper,La Communauté des citoyens, Gallimard, 1994.
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l’expérience des zones d’éducation prioritaire (ZEP) mises en place à partir de 1982-1983 (Wieviorka, 1997, p. 41). De fait, la question générale de l’équité et plus particulièrement celle de ses conséquences quant au rôle de l’école ne peuvent être isolées de cette irruption du culturel dans la dynamique du changement social. Une des caractéristiques de l’ère post-industrielle est la montée progressive des enjeux culturels dans les conflits sociaux. La conception marxiste de la centralité des rapports sociaux de production adaptée à la société indus-trielle est de plus en plus en porte-à-faux avec la réalité contemporaine. Divers ouvrages ont essayé de cer-ner et d’expliquer cette transforma-10 tion de la question sociale . Après avoir mis en avant le concept de dua-lité sociale, les sociologues ont forgé successivement les notions ou concepts d’exclusion, de disqualifi-cation (S. Paugam, 1991), de désaf-filiation (R. Castel, 1995), puis de fracture sociale. Cette dernière notion s’efforce de désigner un état de la société dans lequel une partie de la population, sans être nécessairement exclue, est dans une situation précaire et de 11 pauvreté , l’écart se creusant avec une population de nantis ayant accès aux biens des diverses sphères sociales, y compris un accès privilé-gié aux services publics tels que la santé ou l’éducation. Comme le dit Danilo Martucelli, si dans la formulation classique l’égalité met l’accent sur les éléments com-muns aux individus abstraits, et non sur leurs différences ou sur leurs particularismes collectifs, il en va autrement de la notion d’équité qui reconnaît la pertinence politique des spécificités culturelles des indi-vidus et des groupes, en acceptant l’idée d’un traitement différentiel des membres de ces collectivités (in Wieviorka,op. cit.,p. 65). L’op-position égalité/équité, qui est la forme actuelle du débat égalité formelle/égalité réelle ou démocratie formelle/démocratie réelle, conduit
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donc, en ce qui concerne l’école, à raisonner en termes d’égalité des chances, ce qui n’est pas sans avoir un lien avec, d’une part, le contexte d’une société libérale en mutation rapide (processus de destruction créatrice de J. Schumpeter) avec son idéologie de la compétition et son cortège de laissés-pour-compte et, d’autre part, les progrès des sciences sociales qui permettent de mieux comprendre la genèse et les processus cumulatifs d’évolution des inégalités sociales. Pour parodier l’expression courante selon laquelle l’équité consiste à mettre chacun sur un pied d’égalité, ne s’agit-il pas dans le cadre de l’école d’un pied à l’étrier dans une compétition d’endurance dont l’enjeu serait de légitimer la repro-duction des hiérarchies sociales ?
Enseignement de masse et équité
Quelles conclusions peut-on tirer de l’accès d’une proportion croissante de jeunes issus de milieux sociaux défavorisés à une qualification recon-nue, à l’enseignement secondaire du second cycle et à l’enseignement supérieur ? Cette stratégie d’ouver-ture délibérée dite de l’enseignement de masse conduit-elle à une réelle démocratisation de l’école et favorise-t-elle la mobilité sociale ? L’école reste-t-elle en quête d’équité comme les chevaliers en quête du Graal, idéal inaccessible ? Nous analyserons ici surtout le système éducatif français. Ainsi que le rappelle Claude Thélot dans ce même numéro de la revue, la sentence est souvent prononcée avant toute forme de procès, mais aussi confirmée par certaines études 12 statistiques qui tendent à montrer que l’allongement général de la sco-larité et l’accès croissant à des n i v e a u x de diplômes des niveaux V à I se traduisent par une translation vers le haut des inégalités, qui elles ne tendraient pas à se réduire. Ce constat confirmerait-il à la fois les analyses de la sociologie de la reproduction sociale (P. Bourdieu et J.-C. Passeron,
1970 ; C. Baudelot et R. Establet, 13 1971) et l’opinion des Français dans les sondages ? Un récent ouvrage de 14 la fondation Saint-Simon résume bien cette forme de jugement : l’éga-lité du droit à l’enseignement secon-daire est devenue une réalité, mais cette conception quantitative de l’éga-lité est illusoire lorsque « rien ne change vraiment du point de vue des inégalités de classements selon l’ori-gine sociale » durant le cursus sco-laire et professionnel. Un tel jugement sommaire doit être nuancé, relativisé et surtout appro-fondi pour au moins trois raisons complémentaires : 1) le jugement global et synthétique ne rend pas compte fidèlement de la réalité, car tout dépend des critères pris en compte ; 2) il ne permet pas de comprendre les sources et les processus à l’origine de certaines inégalités ; 3) il est décourageant pour tous ceux – élèves, parents, enseignants et autres personnels d’éducation – qui s’efforcent de lutter contre un déter-minisme social pur et dur. Il ne s’agit pas d’être naïf, angélique ou de mau-vaise foi et de nier l’impossibilité pour l’école d’être égalitaire dans une société qui reste inégalitaire, ou qui le devient à certains égards davantage, mais simplement d’établir un bilan prenant en compte les succès aussi bien que les échecs de l’évolution du système éducatif et des politiques mises en œuvre. Cela peut effective-ment conduire à la conclusion que les mécanismes de reproduction sociale fonctionnent encore bien au niveau
z 10.S. Paugam,La Disqualification sociale, Puf, 1991 ; R. Castel,Les Métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995 ; F. Dubert et D. Martucelli, Dans quelle société vivons-nous ?, Seuil, 1998 ; P. Rosanvallon,La Nouvelle Question sociale, Seuil, 1995. 11.P. Valtriani, « Le concept de pauvreté disjonctif »,Économie appliquéen° 4, décembre 1993. 12.DémocratisationD. Goux, E. Maurin, « de l’école et persistance des inégalités », Économie et statistiquesn° 306, 1997. 13.P. Bourdieu, J.-C. Passeron,La Reproduction, Les Éditions de Minuit, 1970 ; C. Baudelot, R. Establet,L’École capitaliste en France, La Découverte, 1971.
des statistiques globales, mais il importe de déterminer les blocages et les leviers sur lesquels il serait pos-sible d’agir pour un fonctionnement plus équitable de l’école. Selon l’ouvrage de Shavit et Blos-fed de 1993, dont le titrePersistent Inequalityne ménage guère le sus-pense, les progrès de la scolarisation dans divers pays industrialisés (la France n’est pas incluse dans l’étude) n’auraient conduit à réduire les inéga-lités que dans deux pays seulement : les Pays-Bas et la Suède. Ces résultats sont du reste utilisés par D. Goux et E. Maurin en introduction de leur article cité de 1997 pour montrer que les résultats de leur étude sur la France n’ont pas un caractère excep-tionnel. Rappelons brièvement l’es-sentiel de leurs conclusions. lDans un contexte de croissance ralentie, le diplôme est de plus en plus nécessaire pour trouver un emploi et de moins en moins suffi-sant pour accéder au même statut économique que les générations pré-cédentes. Ce constat explique bon nombre d’idées fausses reçues sur l’impor-tance du diplôme. En effet, il est cou-rant d’entendre que le diplôme ne sert plus à rien, ce qui est grave, surtout pour les élèves issus de milieux défavorisés, car les familles mieux informées savent bien que le diplôme est de plus en plus important, d’où la stratégie des consommateurs d’école 15 bien analysée par R. Ballion . Les statistiques montrent que la probabi-lité de trouver un emploi après ses études est d’autant plus grande que l’on dispose d’un diplôme plus élevé (ce qui n’exclut pas les problèmes rencontrés par des étudiants diplô-més dans des spécialités n’offrant que peu de débouchés par rapport au nombre de diplômés ou le fait que les BTS et DUT offrent à cet égard de meilleures perspectives que certains diplômes universitaires), l’écart le plus pénalisant étant entre ceux qui n’ont aucun diplôme et ceux qui en ont un, y compris, bien sûr, un CAP ou un BEP. Le discours à tenir est donc de bien insister sur l’importance
d’avoir un diplôme, tout en précisant qu’il s’agit d’un passeport pour l’emploi, ce qui ne fournit pas la destination précise ni le billet d’avion. Ce constat justifie la pertinence de ce qu’il faut considérer comme l’objec-tif essentiel de la loi d’orientation de 1989: amener l’ensemble d’une géné-ration à un niveau minimum reconnu de qualification. Cet objectif est beaucoup plus important que celui d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, car le nombre 80 % est arbitraire (il s’agit d’un mot d’ordre pour mobiliser les acteurs qui est donc utile, mais il n’est pas étayé par une analyse fine des besoins futurs de compétences sur le marché du travail). Cela est particulièrement vrai du point de vue de l’équité : la priorité est d’éviter les sorties sans qualifica-tion qui entretiennent la fracture sociale. De surcroît, l’accent mis sur le niveau bac, y compris le bac professionnel, pose le problème de la situation de ceux qui ne l’ont pas. Le risque d’une ligne de démarcation symbolique pèse de plus en plus sur ceux qui ne l’ont pas franchie. Au début des années soixante, lorsque seulement 10 % d’une génération obtenait le « bachot », les 90 % qui ne l’avaient pas ne rencontraient pas de problème particulier pour trouver un emploi. La situation est différente pour une minorité de 20 % aujourd’hui. Ensuite, ce baccalauréat n’est plus suffisant pour obtenir un emploi équivalent… C’est une conséquence logique de l’accroissement du nombre de bacheliers (le diplôme se déprécie en valeur relative sur le mar-ché du travail) et de la demande de compétences plus grandes dans un monde qui devient plus complexe et plus compétitif. Faut-il en déduire que l’accès plus ouvert au baccalau-réat est neutre du point de vue de l’équité, comme certains le soutien-nent ? Ma réponse est : oui, si et seu-lement si le diplôme n’est absolument pas une fin en soi, mais seulement une monnaie d’échange pour accé-der à un meilleur revenu et à davan-tage de prestige. Or je soutiens que
le diplôme a une valeur en soi pour ce qu’il représente d’accès à un niveau de connaissance et de culture. Mieux, la culture peut aussi conduire à mieux vivre à revenu égal ou même à savoir davantage déjouer les pièges de la société de consommation. Donc, l’accès accru à des niveaux de diplôme plus élevés dès lors que l’argent n’est pas le seul critère pour mesurer l’équité et que l’on donne au moins autant d’importance au prix du lien qu’au lien du prix. lL’expansion scolaire ne s’accom-pagne pas d’une réduction notable de l’inégalité des chances de plus en plus culturelle. Comparant la hiérarchie scolaire et l’origine sociale des diplômés en 1970 et 1993, Goux et Maurin concluent que les différents milieux sociaux ont bénéficié de façon à peu près équivalente de l’effort d’ouver-ture réalisé durant cette période. Seules entorses à cette « démocrati-sation uniforme » (encore qu’une démocratisation uniforme peut-elle signifier une réelle démocratisa-tion ?) : la performance relativement meilleure des enfants d’agriculteurs et les difficultés particulières des enfants d’ouvriers. Cela confirmerait, au niveau macrosociologique, les résul-tats des études microsociologiques montrant que les performances sco-laires dépendent des ressources fami-liales, mais aussi du contexte dans lequel se déroulent les scolarités (Duru-Bellat et Mingat, 1987 et 16 1988) . Ces effets de contexte auraient donc avantagé les enfants d’agriculteurs et pénalisé les enfants de certains milieux urbains. Une question importante est de savoir dans quelles mesures ces inégalités qui persistent sont dues
z 14.Fondation Saint-Simon,Pour une nouvelle république sociale, Calmann-Lévy, 1998. 15.R. Ballion,Les Consommateurs d’école, Stock, 1982. 16.M. Duru-Bellat et A. Mingat, « Facteurs institutionnels de la diversité des carrières scolaires »,Revue française de sociologie, 1987, et « Le déroulement de la scolarité au collège »,Revue française de sociologie, 1998.
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aux inégalités économiques ou aux inégalités culturelles entre les familles. Or il ressort de l’étude empi-rique que les inégalités entre jeunes entrant dans la vie active sont de plus en plus corrélées aux inégalités de niveaux scolaires de leurs parents. Les inégalités devant l’école semblent donc avoir une origine de plus en plus culturelle et de moins en moins socioéconomique : « La persistance des inégalités au cours du temps serait la résultante d’un léger renforcement des inégalités d’origine culturelle et d’un léger recul des inégalités d’ori-gine socioéconomique. » Ce constat très sévère sur la per-sistance des inégalités devant l’école doit être toutefois nuancé. Comme le souligne à juste titre Claude Thélot dans son article, un examen attentif des statistiques montre une réduction des inégalités qui ne sont pas négli-geables. Sans reprendre ses exemples, il est vrai que si un enfant d’ouvrier avait, dans les années soixante, vingt-huit fois moins de chances qu’un enfant de cadre supérieur d’entrer à l’université, il a aujourd’hui sept fois moins de chances, ce qui peut paraître évidemment encore très inégalitaire, mais montre le chemin accompli. Il est vrai aussi que les études de l’Insee ne concernent pas les générations sorties du système éducatif dans les années quatre-vingt-dix. Or c’est dans cette période qu’a été considé-rablement accrue la proportion de jeunes allant jusqu’au niveau IV.
La politique éducative à la recherche de l’équité Une analyse de la politique d’édu-cation en France depuis le début de e la V République montre, au-delà des diverses sensibilités liées aux alter-nances politiques, une remarquable continuité dans le souci de constituer progressivement un véritable système éducatif intégré, à même de permettre à une proportion croissante de jeunes 17 de poursuivre leurs études . La loi Berthoin (1959), la réforme Fouchet (1963), les lois de 1971, l’instaura-
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tion du collège unique (1975), la loi Carraz (1985), qui prévoie la création du bac professionnel, la loi d’orien-tation de 1989, la loi quinquennale de 1993 sont autant de jalons dans la recherche d’une plus grande équité. Au début des années cinquante, seu-lement une très petite minorité de jeunes pouvaient envisager de com-mencer des études jusqu’au bacca-lauréat. Les reculs successifs des paliers d’orientation et la création de classes passerelles entre les trois grandes voies (générale, technolo-gique et professionnelle) qui carac-térisent le système éducatif français participent de cette volonté d’éviter ou de retarder les choix irréversibles d’orientation. Au cours des vingt dernières années, un ensemble de mesures ont été prises pour accélérer la démocra-tisation de l’école et lutter contre l’échec scolaire qui frappait en plus grande proportion les enfants issus de milieux défavorisés, comme c’est le cas du reste dans tous les pays. Parmi celles-ci, on mentionnera plus particulièrement : – l’effort exceptionnel de scolarisa-tion précoce : dès le début des années quatre-vingt-dix, environ 99 % des enfants de 3 ans étaient scolarisés et environ un tiers des enfants, en prio-rité ceux de milieux défavorisés, étaient scolarisés dès l’âge de 2 ans, en raison de l’hypothèse plausible qu’une scolarisation précoce peut être particulièrement favorable à ces enfants défavorisés par le milieu socioculturel ; – la création des zones d’éducation prioritaire (ZEP) en 1982, premier pas dans la voie d’une discrimination positive à la française, rompant avec le principe républicain de l’égalité de tous devant le service public et ouvrant une démarche plus holistique de lutte contre l’échec scolaire ; – la mise en place à partir de la loi Haby (1975) et sous des formes variées par la suite de dispositifs d’aide et de soutien aux élèves en difficulté ; – la mise en place de cycles pluri-annuels (loi de 1989) dans l’ensei-
gnement primaire, de fait rarement appliqués sur le terrain, et l’effort pour réduire les redoublements coûteux et inefficaces ; – la mise en place de projets d’écoles et d’établissements permettant de mieux s’adapter aux réalités locales ; – le développement d’une nouvelle culture d’évaluation, mettant l’accent sur l’évaluation diagnostique et for-mative, et permettant de fixer des normes souples de référence, donc de comparer les acquis des élèves ; – la réforme de la formation initiale des enseignants et la création des IUFM reconnaissant la dimension pédagogique du métier d’enseignant dans le secondaire et la diversité des situations professionnelles d’ensei-gnement ; – les réformes successives des pro-grammes, avec la volonté affichée mais jamais vraiment appliquée de les rendre plus cohérents et plus accessibles. Une telle liste de mesures n’est pas exhaustive, mais elle illustre la volonté d’une approche globale, sinon systémique, de lutter contre l’échec scolaire en modifiant les contenus des enseignements, les méthodes, l’orga-nisation, les procédures d’évaluation et le professionnalisme des ensei-gnants. Chacune de ces mesures est, quant à ses objectifs, en soi pertinente. Le problème est qu’elles ont été plus ou moins bien mises en œuvre et jamais conçues dans une stratégie d’ensemble cohérente. Jusqu’à une époque récente, elles n’étaient pas systématiquement évaluées et il était donc difficile de diagnostiquer les rai-sons de leur échec relatif, surtout en ce qui concerne l’objectif d’équité.
La politique des zones d’éducation prioritaires
La politique des ZEP est sans doute l’innovation la plus originale et elle est une des seules à avoir fait l’objet
z 17.A. Prost,Histoire de l’enseignement en France, A. Colin, 1968, etL’enseignement s’est-il démocratisé ?, Puf, 1986.
d’évaluations régulières par les corps d’inspection et la Direction de l’éva-luation et de la prospective (DEP, aujourd’hui DPD). La relance des ZEP par l’actuel gouvernement a été l’occasion d’une nouvelle évaluation exhaustive par l’IGEN (rapport C. Moisan et J. Simon), l’organisa-tion d’Assises nationales à Rouen (juin 1998) et de réformes avec notamment la création des « réseaux 18 d’éducation prioritaire » . Pour une présentation exhaustive, nous renvoyons aux références bibliographiques mentionnées. Nous rappellerons seulement ici les objec-tifs et l’économie générale des ZEP avant de résumer les principales leçons que l’on peut tirer des ZEP quant à la recherche d’une plus grande équité de notre école. Il s’agit d’un dispositif visant à lut-ter contre l’échec scolaire dans des aires géographiques dans lesquelles le cumul de certains handicaps socio-culturels et économiques constitue un obstacle à la réussite scolaire. L’inscription territoriale de cette politique résulte du double objectif d’améliorer les performances sco-laires et de lutter contre l’exclusion sociale, qui appelle une approche globale de l’école et de son environ-nement, donc une action coordonnée des personnels de l’éducation et d’autres acteurs administratifs ou sociaux, notamment en direction des familles. Les critères retenus pour la consti-tution des ZEP sont scolaires (pro-portion d’élèves en retard, taux de redoublement, abandons scolaires, sorties sans qualification) et relatifs au contexte démographique, social et économique (revenu des familles, proportion d’étrangers, nombre d’en-fants par famille). Chaque ZEP, coordonnée par un responsable et un conseil, doit éla-borer, à partir d’une analyse rigou-reuse de la situation et des besoins, un projet comportant des objectifs concrets, précis et mesurables. Les résultats sont évalués tous les trois ans afin de modifier les objectifs et si nécessaire la carte des ZEP. L’ob-
jectif central est d’améliorer les résul-tats scolaires par des actions éduca-tives renforcées, centrées sur les besoins des élèves. Les principaux moyens utilisés sont : la scolarisation à 2 ans, une pédagogie différenciée, des actions périscolaires, notamment soutien scolaire hors de l’école, un effort particulier dans le domaine sanitaire et en matière de sécurité, des actions de formation continue des enseignants et personnels de direc-tion, la coordination entre le projet d’école ou d’établissement et de zone, des moyens financiers supplémen-taires, un encadrement des élèves ren-forcé, des avantages financiers et de carrière pour les personnels, etc. Un tel dispositif paraît tout à fait cohérent et conforme aux objectifs ainsi qu’aux principaux diagnostics des sources d’inégalités scolaires. Pourtant, avant même la relance actuelle des ZEP et le rapport Moisan-Simon, les résultats obtenus étaient sujets à de vifs débats. On considérait comme positifs certains résultats globaux, comme la réduc-tion des redoublements, un léger pro-grès en termes d’acquis cognitifs des élèves et la diminution des sorties sans qualification. Mais on regrettait que les écarts avec les valeurs moyennes nationales n’aient que faiblement diminué compte tenu de l’effort financier accompli. Un tel jugement sévère doit être atténué dès lors que l’on prend en compte l’effet d’une définition de plus en plus rigoureuse des ZEP visant à réellement privilégier les populations les plus handicapées. En l’absence de ZEP, de telles popula-tions auraient vu l’écart croître entre leurs performances et les perfor-mances moyennes. Une légère réduc-tion des écarts peut donc être consi-dérée comme un résultat positif dans un contexte général d’accroissement de la fracture sociale. Il reste que certaines ZEP ont beau-coup mieux fonctionné que d’autres. À cet égard, le rapport Moisan-Simon affine le diagnostic et aboutit à des recommandations opérationnelles. La liste des déterminants de la réussite
scolaire est conforme aux principaux résultats de la recherche en éducation (notamment le rôle majeur de l’atti-tude des familles envers l’éducation) et met à juste titre en exergue l’im-portance de la politique des res-sources humaines et des instruments de pilotage (indicateurs, stratégie de communication). Mais le message essentiel de ce rapport est d’opti-misme : malgré le poids du détermi-nisme social dans la réussite scolaire, il faut éviter tout fatalisme et pour-suivre résolument la politique des ZEP avec une volonté politique sans faille.
Refuser le fatalisme de l’inégalité scolaire
Quel que soit le poids des détermi-nismes sociaux, et l’impossibilité pour l’école de corriger à elle seule les inégalités sociales et écono-miques, quel que soit l’impératif d’une légitimation par l’école de certaines hiérarchies dans une société où les niveaux de compétences requis diffèrent en fonction des emplois occupés, il importe de réduire les inégalités scolaires actuelles et, à tout le moins, de faire en sorte que le fonctionnement du système éducatif ne sécrète pas lui-même ses propres processus inégalitaires. Une telle volonté requiert de ne pas s’en tenir aux approches macroso-ciologiques qui ont leur pertinence pour montrer dans quelle mesure l’univers scolaire est un sous-système d’un système social global qui le détermine pour une large part, mais qui sous-estime la marge de liberté des acteurs. Adopter ce point de vue, ce n’est pas nier la pertinence de la théorie de la reproduction sociale qui reproche à l’école de véhiculer les normes de la culture légitime et de « naturaliser » les inégalités sociales. Ce n’est pas non plus rejeter en
z 18.C. Moisan, J. Simon,Les Déterminants de la réussite scolaire en ZEP, INRP, 1997, etActes des Assises nationales des ZEP – Relance de l’éducation prioritaire, MENRT, 1998.
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bloc l’hypothèse de R. Boudon qui explique le processus d’inégalité des chances par l’agrégation de compor-tements rationnels des acteurs indi-19 viduels , encore que l’hypothèse de rationalité peut paraître excessive, car la complicité objective des partenaires de la communauté éducative semble davantage relever de l’ordre de la rai-sonnabilité plutôt que de la rationalité chère aux spécialistes de microéco-nomie. L’analyse concrète de la réa-lité scolaire permet de discerner des facteurs favorables à la perpétuation des inégalités scolaires qui peuvent conduire à modifier son fonctionne-ment afin d’atténuer les effets du déterminisme social. C’est plus mobi-lisateur que de s’en tenir au paradoxe d’Anderson, qui prend simplement acte de la nécessaire fuite en avant, la translation vers le haut mise encore en évidence par Goux et Maurin. Une telle analyse fine du fonction-nement de la machine scolaire néces-siterait un autre article. Il suffira ici de mentionner quelques résultats inté-ressants de la recherche en sociolo-gie de l’éducation pour notre propos de recherche d’une plus grande équité. On mentionnera donc les
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études de l’Iredu mettant en évidence le rôle du contexte scolaire et des processus d’orientation, la « socio-logie du curriculum » davantage développée à l’étranger qu’en France (cf. B. Bernstein en Angleterre, J.-C. Forquin en France), les approches ethnométhodologiques (cf. A. Coulon) qui montrent comment les acteurs (enseignants, élèves, parents, décideurs) produisent eux-mêmes des normes productrices d’inégalités, la sociologie de l’éva-20 luation scolaire , qui souligne l’importance de l’évaluation dans la discrimination négative à l’encontre des élèves qui n’ont pas les mêmes codes culturels, les analyses de J.-M. Berthelot, F. Dubet, B. Charlot et J.-Y. Rocheix, Ph. Meirieu, dont les résultats sont trop souvent ignorés des décideurs et des enseignants, car leur connaissance modifierait la perception qu’ils ont du fonctionne-ment du système éducatif et pourrait (on peut l’espérer) les conduire à modifier leur comportement en conséquence. 21 Selon L. Legrand , si l’école a échoué dans sa recherche d’équité, c’est surtout en raison d’une insuffi-
sante réflexion sur les processus d’apprentissage les plus à même d’y contribuer efficacement. Mes obser-vations sur le terrain me conduisent à rejoindre cette opinion en l’élargis-sant à une insuffisante réflexion sur l’ensemble du fonctionnement du système et au constat d’un hiatus trop grand entre la recherche en éducation et les pratiques quotidiennes, mais aussi entre les considérations péda-gogiques et la logique administrative. Sur le fond, dans la quête d’équité, comme dans celle de l’efficacité qui lui est tout à fait compatible, l’enjeu est surtout de développer la fonction recherche-développement dans le domaine de l’éducation et de faire en sorte que ses résultats puissent s’in-vestir dans la réalité quotidienne, ce qui implique de nouveaux modes de coopération entre les gestionnaires, les inspecteurs, les chercheurs, les formateurs et les enseignants. n
z 19.R. Boudon,L’Inégalité des chances, A. Colin, 1973. 20.P. Merle,Sociologie de l’évaluation scolaire, Puf, 1998. 21.L. Legrand,Une école pour la justice et la démocratie, Puf, 1995.
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