Ce qui distingue l homme de l animal
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  • mémoire - matière potentielle : historiques
Ce qui distingue l'homme de l'animal Jacques Gernet 1 En témoignage d'amitié et d'admiration pour Jean-Pierre Diény, j 'ai réuni ici quelques réflexions de Wang Fuzhi (1619-1692) sur un thème d'un grand intérêt philosophique : celui des différences entre l'homme et l'animal. II y revient en effet à plusieurs fois dans ses commentaires sur les Classiques et dans ses notes, citant en particulier un article du Mencius 2 dont les deux premières phrases servent d'amorce à des commentaires originaux.
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Langue Français

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Ce qui distingu e l'homme de l'animal
1
Jacques Gernet
En témoignage d'amitié et d'admiration pour Jean-Pierre Diény, j'a i réuni
ici quelques réflexions de Wang Fuzhi (1619-1692) sur un thème d'un grand
intérêt philosophique : celui des différences entre l'homme et l'animal. II y
revient en effet à plusieurs fois dans ses commentaires sur les Classiques et
2dans ses notes, citant en particulier un article du Mencius dont les deux
premières phrases servent d'amorce à des commentaires originaux. Voici
la traduction de cet article :
3Ce qui différencie l'homme de l'animal est infime . Le commun des gens
4le délaisse , l'homme de bien le préserve (ren zhisuoyiyiyu qinshou zhe
jixi shumin qu zhijunzi cun zhi). Shun comprenait clairement (ming) [les
principes de] toutes choses et discernait à fond (cha) les règles des relations
1 Jacques Gernet est professeur honoraire au Collège de France, 52, rue du
Cardinal-Lemoine, 75231 Paris Cedex 05.
2 Mengzi, Lilouxia 19.
3 Dans ses Notes sur les Quatre livres, Sishujianjie, Wang explique que jixi veut
dire presque rien.
4 Cette traduction du mot qu est justifiée par les commentaires de Wang Fuzhi
dans ses Explications en lisant la Grande somme des Quatre livres, Du
Sishudaquan shuo IX, Mengzi, Lilou xia 14, p. 1023. Voir ci-dessous. J'ai cité
les textes de Wang Fuzhi d'après l'édition la plus récente de ses œuvres
Études chinoises, vol. XVIII, n° 1-2, printemps-automne 1999 Jacques Gernet
5humaines (renlun). Ses actes provenaient de sa bienveillance (ren) et de
son sens du devoir (yi) : ils n'étaient pas une mise en pratique de ces vertus.
Les différences n'étant pas nombreuses, dit Wang Fuzhi, au moindre écart,
l'homme tombe de ce côté-là (celui de l'animal). Ce n'est pas que les
animaux ne connaissent absolument pas les choses : ils ne les comprennent
pas clairement (bu ming). Ce n'est pas qu'ils n'aient absolument, dans leurs
6espèces, aucune règle de relations (lunlei) : ils ne les discernent pas à
fond (bûcha). Ce n'est pas qu'ils ignorent absolument l'amour des autres :
ils sont incapables de mettre en pratique la bienveillance. Ce n'est pas
qu'ils ne cherchent jamais ce qu'il faut faire : ils sont incapables de mettre
en pratique le sens du devoir. [Entre l'homme et l'animal] il y a tout à la
fois des différences si on considère leurs besoins journaliers, le boire et le
manger (riyong yinshi), et des cas où ils ne sont pas très éloignés les uns
des autres. C'est pour cela que [l'homme de bien] est toujours tremblant et
7inquiet : il n'est aucune de ses pensées et de ses actions dans laquelle il ne
pense à rechercher ce qui le distingue des animaux. « Il le préserve » veut
8 dire en un mot qu'il préserve [en lui] la voie humaine (rendao).
Les différences et les analogies qu'évoque ce texte sont exposées plus
clairement dans un autre commentaire de Wang Fuzhi : les différences entre
l'homme et l'animal sont très grandes en matière de nourriture et de sexualité
(gan shiyue se) (comme le rappelle une note des Explications en lisant la
9Grande somme des Quatre livres , l'homme aime la viande des animaux
herbivores et frugivores, les bœufs aiment l'herbe et le foin ; à la vue de
ces beautés qu'étaient Mao Qiang et Xi Shi, les poissons s'enfuirent au
complètes, le Chuanshan quanshu, édité par le Yuelu shushe, Changsha, 1988-
1996.
Il semble difficile de traduire par humanité un terme qui, ailleurs, s'applique
aussi aux animaux.
On attendrait ici leilun, sur le modèle de renlun. Une traduction littérale semble
difficile.
Tili fait sans doute allusion au commentaire du troisième trait de l'hexagramme
qian duZhouyi : « L'homme de bien est chaque soir inquiet, soucieux de n'avoir
commis aucune faute » (junzi xi tiruo li wujiu).
Sishujianjie VIII, Mengzi IV, p. 323-324.
Cf. Du Sishudaquan shuo IX, Mengzi, Lilou xia 14, p. 1023.
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fond des eaux et les oiseaux s'envolèrent en haut des cieux). Par contre, les
animaux paraissent quelquefois se conduire à la façon des hommes. Ainsi,
tigres et loups semblent témoigner de la bienveillance pour leurs petits,
abeilles et fourmis semblent avoir le sens du devoir dans leurs relations
entre prince et sujets. Mais bienveillance (ren) et sens du devoir (yi) chez
les animaux ne sont en fait qu'apparences et bien éloignés de ce qu'ils sont
chez l'homme de bien. « Il faut en toutes choses établir cette séparation,
cette cloison d'une immense hauteur. C'est alors qu'on peut dire que
"l'homme de bien préserve cette différence". » Quant aux hommes du
commun, leur amour pour leurs parents et leur respect pour leur prince
ressemblent assez à ce qu'on trouve chez tigres et loups, abeilles et fourmis.
Chez ces animaux, il ne s'agit que d'amour fait d'indulgence et d'un respect
10
inspiré par la crainte et l'intérêt .
La différence qui sépare l'homme de l'animal est en fin de compte la
même que celle qui séparee de bien du commun des hommes.
Wang Fuzhi définit le sens qu'il convient de donner aux mots qu (quitter,
délaisser) etcun (préserver) : quand Mencius dit que le commun des hommes
abandonne (qu) ce qui distingue l'homme des animaux, cela ne veut pas
dire qu'il le fait intentionnellement, en s'y efforçant, mais simplement qu'il
le perd par aveuglement et ne le préserve pas. Et quand l'homme de bien le
préserve, ce n'est pas qu'il trouve pour cela quelque appui extérieur, mais
simplement que les principes moraux étant établis chez lui sans confusion,
Hil est toujours très éloigné des animaux .
Mais il n'y a pas d'espoir, selon Wang, que le commun des hommes
agisse différemment des bêtes :
Si l'homme de bien cherche à préserver ce qui le distingue des animaux,
c'est donc que les vauriens (xiaoren) l'abandonnent. [Cependant, Mencius]
n'a pas dit les «s », mais le « commun des hommes » (shumin). Le
mal ne touche donc pas seulement les vauriens, mais le commun des
hommes. Quand des vauriens se conduisent comme des animaux, on peut
les punir, mais quand ce sont les hommes du commun, non seulement on
10 Cf. ibid., Lilouxia 15, p. 1025.
11 Cf. 14, p. 1023.
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ne peut le faire, mais encore on ne peut leur faire comprendre qu' ils agissent
mal ; non seulement on ne peut le leur faire, mais encore ils se
réjouissent et se glorifient d'agir ainsi, ils s'estiment les uns les autres [pour
cela] et n'oseraient pas contrevenir [à ces mœurs]. Qu'un homme éduqué
(xuezhe) considère et examine les propos et les actions de cent familles de
dix lignées, il n'en trouvera pas une sur cent qui diffère des animaux.
Les gens du commun se comportent en toutes choses comme des
animaux, cherchant à se nourrir, à s'accoupler, à prendre leurs aises. S'ils
n'y parviennent pas, ils se battent, ou encore, craignant la mort, tremblent
12d'effroi .
Mencius définit dans un autre article ce qui est le propre des animaux et
dénonce les confusions qu'introduisent à ce sujet les doctrines qui étaient à
la mode à son époque : « Ne reconnaître ni prince ni père, c'est être
uprécisément [semblable aux] animaux » (wujun wu fu shi qinshouye) .
S'attaquant à Yang Zhu qui, prônant l'égoïsme, ne reconnaissait pas de
prince, et à Mo Di qui, prêchant un amour indistinct de tous les hommes,
ne reconnaissait pas de père, Mencius évoque tout d'abord l'exemple d'un
prince dont les cuisines regorgeaient de viandes grasses et dont les écuries
étaient pleines de chevaux gras, cependant que le peuple avait la mine de
gens affamés et qu'on trouvait dans les campagnes des hommes morts de
faim. « C'était, dit-il, faire manger des hommes par les animaux [...]. Quand
on étouffe les sentiments d'humanité et de devoir, on en vient à faire manger
des hommes par les animaux ; et bientôt, les hommes se mangeront entre
eux. » Wang Fuzhi développe ce qui est implicite dans ce passage ; par un
glissement insensible, on peut en venir à ne plus faire de distinction entre
chair humaine et chair animale, ce qui est le propre de l'animalité :
Si l'on n'agit que pour soi, dès qu'on verra quelque profit possible, on ne
tiendra aucun compte des autres hommes. Si l'on n'aim

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